L'écriture " Grenetière ", à peu près permanente, est préférable à " Grainetière ", dont l'apparition est exceptionnelle. C'est la tour-grenier.
Haute de 34 mètres, reposant sur des murs épaisà sa base de 3,50 m, cette puissante tour forme un éperon en avancée sur l'angle sud-ouest du mur d'enceinte médiéval. Sa fonction évidente est de contrôler les routes qui passent à ses pieds et qui mènent au pont Fouchard, puis dans le Poitou. D'après le plan de Prieur-Duperray, vers 1750, orienté vers le sud, la tour, précédée par des fossés et par un boulevard planté d'arbres, forme un ensemble avancé avec la tour du Bourg reconnaissable au milieu du plan. On peut se demander si cet ensemble n'a pas été rajouté au XVe siècle afin de renforcer la secteur. Il n'y avait alors aucun accès à la tour du côté des fossés ou des préaux de la prison. L'entrée s'opérait par le chemin de ronde du rempart qui traversait la tour au niveau du premier étage. Toutefois, une petite entrée existait depuis l'intérieur de la ville close par un passage étroit prolongeant l'axe de la rue des Payens, qui n'était pas encore débouchée. Ce passage en escalier doublait l'ancienne muraille.
Depuis l'actuelle rue des Payens, on peut voir, à gauche, des vestiges de l'ancienne enceinte doublée et le départ de la tourelle reliant le deuxième étage au premier. La muraille devait monter plus haut et atteindre le niveau de la porte d'accès.
Dans l'étude sur les fortifications à la fin du XVe siècle, nous avons présenté la salle de l'étage supérieur couverte par une voûte à huit pans portant les armes royales. Le doublement de la courtine du côté de la rue des Payens permet aussi de conclure à un renforcement de l'enceinte.
Le couronnement actuel présente des mâchicoulis à décor tréflé, surmontés par des créneaux, des merlons traversés par des archères de forme médiévale, c'est-à-dire évasées vers l'intérieur et très étroites à l'extérieur. Ces dispositions résultent d'une forte restauration récente, s'inspirant de la tour de Trèves et de l'Hôtel de Ville de Saumur.
La tour avait été découronnée en 1806 pour des raisons de sécurité et un simple parapet avait été élevé pour enclore la terrasse ouverte aux prisonniers. Cette carte postale colorisée, envoyée le 22 décembre 1914, présente le fâcheux état de la tour dans son état ancien.
Le couronnement actuel est plus gracieux. Je remarque toutefois que les corbeaux des mâchicoulis présentaient un plus fort relief à l'époque ; les actuels paraissent bien plats. On ne voyait aussi qu'une minuscule ouverture. Sans doute, la large canonnière actuelle résulte-t-elle de constatations effectuées à l'intérieur.
La
forme pyramidale de ses murs démontre qu'elle a été
construite pour résister à des tirs de boulets ;
son aménagement intérieur, sa terrasse supérieure
prouvent qu'elle pouvait porter du canon. De fait, un inventaire
de l'artillerie dressé en novembre 1589 révèle
que « la tour de la Grenetière »
contient deux pièces montées. Les ouvertures dans
le mur sont alors minuscules, de forme carrée, comme celle
de gauche, leur embrasure s'élargissant vers l'intérieur.
Lorsque les récoltes sont excédentaires, les édiles stockent des céréales panifiables en prévision des années de disette. La tour a servi de grenier d'abondance, selon les dires de Bernard de Haumont. Cette fonction de " tour-grenier " explique très vraisemblablement son nom ; elle a pu coexister avec sa fonction défensive, puisque la dénomination apparaît dès 1589.
Le
rôle militaire de l'enceinte urbaine disparaît au
lendemain de la Fronde. La tour, qui fait 11 mètres de
diamètre intérieur et offre quatre étages
utiles, plus un cachot souterrain et une terrasse, est alors transformée
en prison. La juridiction locale des gabelles, par un ordre royal
de 1664, obtient l'autorisation d'y enfermer les contrevenants
qu'elle juge et condamne.
La tour demeure la propriété de la ville,
qui reçoit un loyer de 250 livres par an. Quelques transformations
sont opérées. Des tinettes superposées sont
aménagées dans la partie du mur, qui se raccorde
à l'ancienne muraille du côté nord et dont
le parement en grès roux est moins élégant
que la pierre de tuffeau employée ailleurs. Le greffe de
la prison est installé dans la grande salle du rez-de-chaussée,
alors sans ouverture vers l'extérieur et seulement desservie
par un escalier descendant depuis le mur d'enceinte ( l'étroite
porte d'entrée actuelle est un aménagement récent
à l'intention de la gendarmerie, qui avait installé
son cachot ).
Des jeux de serrures et de verrous ferment les épaisses
portes et les étroits guichets.
Le tribunal local des gabelles,
composé de trois officiers, condamne les délinquants
à des peines d'amende ou de galères ( qui peuvent
être commuées en engagement dans l'armée ).
Il y a constamment de 50 à 60 prisonniers dans chacune
des trois salles de détention. Au début, ils étaient
enchaînés par les pieds à une poutre centrale ;
à partir de 1695, ils sont enchaînés deux
par deux par le cou, ce qui rend leur situation plus pénible.
Dans
un mémoire de novembre 1711, le curé de Saumur et
son vicaire dressent un tableau effrayant de l'état de
la prison et du taux élevé de mortalité qui
y règne. Voir détails dans l'étude
sur la répression du faux-saunage. Selon eux, la mauvaise
aération des salles est la cause principale de ces nombreux
décès. Ils obtiennent l'ouverture, quelques années
plus tard, de hautes fenêtres, gardées par des grilles
( sur celle du haut, on remarquera un barreau qui a été
scié ).
Quelques autres transformations sont opérées.
Une chapelle, dédiée à saint André,
située au premier étage de l'actuelle crèche
Chauvet, est bénite en 1726. Les douves sont comblées
et remplacées par des préaux et par des cours entourés
de hauts murs ; les prisonniers peuvent s'y aérer
( auparavant, ils ne disposaient que d'un accès limité
à la terrasse supérieure ).
La situation de la prison ne s'améliore pas pour autant, car, le 3 juillet 1742 est créée une Commission souveraine, un tribunal spécial chargé de réprimer de façon exemplaire les plus graves délits de faux-saunage commis dans les généralités de Tours, Poitiers, Bourges et Moulins. Comme cette cour prononce d'abondantes peines de galères, la tour Grenetière déborde de prisonniers, surtout avant le passage de la chaîne. Des femmes apparaissent en plus grand nombre ; elles sont parquées dans la tour du Bourg.
La gabelle est abolie, officiellement à compter du 1er avril 1790, mais elle était perçue à un tarif réduit depuis le mois d'octobre précédent. La Commission souveraine est révoquée le 27 septembre 1789. Les prisonniers sont amnistiés et aussitôt libérés. Ainsi s'achève une première période carcérale qui a duré plus d'un siècle. La tour est vide pour quelque temps.
Dans la réorganisation révolutionnaire,
elle devient une prison communale. Comme elle est la seule geôle
spacieuse de la région, les centres voisins comme Montreuil,
Doué, Vihiers ou même Thouars et Bressuire, lui envoient
leurs détenus.
Les effectifs flambent brusquement avec le début
des guerres civiles et la révolte vendéenne. Des
colonnes de prisonniers convergent de partout. En septembre 1793,
la prison de la tour Grenetière compte plus de 400 détenus,
qui ne peuvent y tenir ; trois maisons voisines sont réquisitionnées.
Mais l'hygiène est déplorable ; une épidémie
de typhus y cause 282 décès en l'espace de 81 jours
( voir chapitre sur la Terreur
, les prisons ).
Après les exécutions, les effectifs retombent
avec la période thermidorienne, où de nombreux détenus
sont libérés, alors que d'autres s'évadent.
Dans la nouvelle structure du Consulat,
le tribunal d'arrondissement est installé dans l'ancienne
cour des Aides de la rue du Prêche. Il est encadré
par la maison d'arrêt, où les quelque 30 à
40 prévenus et condamnés sont plutôt au large.
Ils peuvent désormais être classés par catégories.
Le
plan ci-contre des Archives nationales, dressé en 1804
au niveau du premier étage et orienté vers le sud,
montre l'étendue des locaux. La rue des Payens n'est pas
encore débouchée. La tour Grenetière, à
droite, communique avec le tribunal et la prison des femmes ( à
gauche, dans la tour du Bourg ) par une galerie de circulation
située au premier étage, sur l'ancienne muraille.
Le long de cette galerie, quatre petites pièces, construites
en planches autour d'un escalier central, servent pour la correctionnelle
et pour les condamnés « pouvant se faire traiter
en particulier ». La tour elle-même est distribuée
ainsi : la salle inférieure sert de cachot ;
la salle du greffe, au rez-de-chaussée, est atteinte par
un escalier aménagé dans l'épaisseur de la
muraille ; la salle du premier étage est réservée
aux grands criminels, celle du deuxième étage reçoit
les prévenus de vol, celle du troisième étage
les " criminels involontaires " ; on
y accède par une vis très raide.
Quelques travaux, assez limités, sont effectués.
Le sol des préaux et des hangars est relevé de 80
centimètres, à cause des risques d'inondation ;
la plate-forme supérieure, considérée comme
dangereuse est détruite par l'ingénieur Normand
en 1806.
Une nouvelle prison, respectant les plans standardisés, est construite en arrière du Palais de Justice. Les détenus y sont transférés en 1838. La tour Grenetière est alors annexée à la gendarmerie, construite à cette époque dans les anciens fossés. Elle est l'objet d'une première restauration en 1867-1868.