Appelé aussi " Maison des Rois "
et " Maison des ducs d'Anjou ", ce logis seigneurial
est tout simplement la " Maison du Roi ",
comme il en existe dans d'autres villes ; c'est le lieu d'hébergement
traditionnel des souverains, quand ils séjournent dans
la cité. Le bâtiment n'appartient pas obligatoirement
au domaine public ; celui-ci, n'apparaissant dans aucun compte
officiel, semble avoir constamment été un bien privé.
Ses propriétaires sont trop fiers d'accueillir dans leur
logis des hôtes de si haut rang.
1) L'abandon du château
A priori, le château constitue
le lieu normal d'accueil du roi. C'est encore le cas en 1425,
quand Charles VII séjourne à Saumur ; il y
est alors l'hôte de Yolande d'Aragon, sa belle-mère.
Cependant, selon Du Fresne de Beaucourt ( t. V, p. 67 ),
quand le roi vient séjourner dans la ville de septembre
1443 à février de l'année suivante, il envoie
au préalable son maréchal des logis, Louis de la
Rochette, préparer " le logis du Roi "
à Saumur. C'est, à ma connaissance, la première
allusion à la Maison du Roi, et, pendant deux siècles,
les rois de France s'installeront dans cet hôtel particulier
et négligeront leur château.
Pourquoi ce changement ? Yolande d'Aragon est décédée
l'année précédente ; le château est
revenu en totale propriété à son fils, le
roi René, qui cherche à renforcer l'autonomie de
son duché. Le roi ne serait donc pas tout à fait
le maître en ces lieux. Le château est devenu un logis
ducal.
2) Les avantages de ce logis
Au contraire, cet hôtel particulier
appartient à des officiers du roi, la famille de Chourses
( ou de Sourches ), qui transmet ses charges aux Bourneau
( voir L'ascension des
Bourneau ). Si l'on interprète correctement le
Terrier de l'Aumônerie ( p. 11 ), cet hôtel
est alors occupé par Philippon de Sourches, mais le grenier
à sel, mitoyen, est la propriété de Pierre
de Sourches, qui est le lieutenant du sénéchal d'Anjou
à Saumur, c'est-à-dire le principal juge.
Cette demeure présente aussi l'avantage d'être
immense, elle dispose de communs et d'écuries qui débouchent
sur l'actuelle rue Lecoy. Avec les vastes corps de logis disparus,
c'est le plus vaste hôtel situé à l'intérieur
de la ville close : le roi et sa suite immédiate peuvent
s'y loger, à condition d'installer les autres grands personnages
ailleurs. Leur sécurité est assurée par les
murailles de la ville, par la Porte Neuve toute proche et, selon
une description un peu imprécise, par une autre tour qui
terminait l'aile détruite.
Par la suite, même si la maison n'appartient plus
à un subordonné direct du roi, la tradition s'est
installée, et le château se dégrade si rapidement
qu'il ne peut plus guère offrir un accueil décent.
3) Un ensemble agrandi du XVe au XIXe siècle
La précieuse photo ci-dessous, prise par Guionnic, remonte aux alentours de 1900 ; on vient d'abattre les bâtiments du premier plan et l'on se prépare à détruire l'aile droite, qui va laisser la place à la Caisse d'Epargne ( devenue ensuite recette municipale ), achevée en 1902.
-
Au beau milieu, la tourelle centrale frappe par son élancement ;
elle contient un escalier en vis de pierre, qui est couronnée
par une voûte en palmier, divisée en six pans inégaux
( à droite ). Au-dessus, une chambre de retrait carrée
est très caractéristique des manoirs des ducs angevins
du XVe siècle, qui s'y isolaient pour méditer. Mêmes
dispositions dans la Maison de la Reine de Sicile et à
Boumois.
- L'aile gauche se caractérise par ses deux hauts
pignons, sur lesquels les choux et les fleurons ont été
restaurés. Cependant, cette façade sur la cour d'honneur
est d'un décor sobre, nettement moins foisonnant que celui
des parties nouvelles de la Maison de la Reine de Sicile. Les
baies sont encadrées par un strict réseau de moulures
lancéolées, mais elles ne sont pas surmontées
par des arcs en accolade, ni découpées par des meneaux.
Une datation du début du XVe siècle est recevable ;
l'hôtel doit être neuf quand Charles VII y descend
en 1443. Evidemment, les deux ouvertures à la droite du
premier étage résultent d'un réaménagement
postérieur.
- On découvre ici la seule figuration de l'aile droite,
qu'on se prépare à abattre ( alors que les pignons
semblent en bon état ). Elle est nettement plus basse et
les planchers sont de hauteur décalée, en fonction
de l'escalier. Elle est plus allongée, ce qui donne de
l'ampleur aux pignons ; les deux baies anciennes survivantes
sont d'une largeur exceptionnelle. Cette dissymétrie marquée
incite à chercher deux étapes différentes
dans la construction, mais l'examen à la loupe des moulures
d'encadrement les révèle strictement identiques.
Finalement, cet immense logis semble résulter d'une même
campagne de construction.
A l'extrémité droite,
des cheminées anormalement hautes et des vestiges de toit
marquent la trace d'une tour d'angle qui dominait la rue du Puits-Tribouillet
et qui
sans doute la fermait totalement, en assurant une liaison avec
le mur d'enceinte.
- Au XVIe siècle, un autre escalier à vis
est adjoint à l'arrière de l'aile gauche et assure
la liaison avec les communs.
- Au siècle suivant, deux ailes en retour, caractéristiques
de cette époque, encadrent la cour d'honneur. Le XVIIIe
siècle apporte des boiseries et des peintures dans les
salles du rez-de-chaussée.
- Dans la seconde moitié du XIXe siècle est
aménagée la nouvelle rue Dacier, qui remplace la
tortueuse rue du Paradis : la cour est allongée, bordée
par une dépendance à arcades et précédée
par un portail néo-gothique, qui constitue une nouvelle
entrée.
4) Les propriétaires successifs
La Maison du Roi a souvent changé
de mains. Voici une liste - allégée - des familles
qui ont succédé aux Chourses :
+ Années 1589-1621, Pierre Guérin de Chappes, poursuivant
d'armes du roi, c'est-à-dire héraut en second. Ce
seigneur d'une terre située à Fontaine-Guérin
y accueille Henri IV.
+ Au milieu du XVIIe siècle, la maison appartient à
Philippe de Maliverné, président de la Sénéchaussée,
puis à sa veuve, Marguerite de Blacvod.
+ En 1707, elle est aux mains de Charles Bourreau, sieur
de Chavigny, qui la revend à Jacques Rousseau, gentilhomme
de la duchesse de Berry.
+ En 1776, Augustin Le Houx-Duplessis, marchand de biens, en est
le possesseur provisoire et la revend pour 12 000 livres
à Marc Guillon de la Fresnaye, conseiller à la Sénéchaussée,
et à son épouse, une riche héritière,
née Marie-Victoire Pupier ( A.D.M.L., C 3290 ).
Devenu veuf, ce dernier se remarie avec une autre riche héritière,
Victoire-Françoise Delavau. Il en résulte que la
maison est partagée, l'omniprésente famille Delavau
héritant des communs donnant sur la rue Lecoy. Pendant
la Révolution, Guillon de la Fresnaye séjourne en
prison, car il a siégé dans le
comité royaliste mis en place par les Vendéens,
mais il sauve sa tête et ses biens.
+ Fin du XIXe siècle, la veuve Allory.
5) Les résidents illustres, après Charles VII
+ Henri IV, en 1589, 1593 et 1598 ;
+ Marie de Médicis, été 1614 et septembre
1619 ;
+ Louis XIII séjourne cinq fois à Saumur ;
il loge dans la maison du Roi en août 1614, en 1622, 1627
et 1628 ( cependant Héroard ne confirme pas ces deux
dernières dates ). Cependant, en mai 1621, les fourriers
préparent son lit " chez Chappes ", comme
à l'accoutumée, mais en dernière minute,
le roi destitue Duplessis-Mornay et choisit de s'installer au
château.
+ En août 1644, Henriette de France, fille d'Henri IV et
reine d'Angleterre, fait son entrée dans Saumur. Selon
le strasbourgeois Brackenhoffer ( p. 215 ), « elle
logea dans une maison appartenant à un avocat, et que l'on
appelait la maison royale, parce que le roi et d'autres
grands personnages avaient coutume d'y loger... Toute la nuit,
les bourgeois montèrent la garde dans son logement et autour.
»
+ Pendant la crise de la
Fronde, la ville de Saumur s'est déclarée fidèle
au roi et le château a été repris, contre
argent, au commandant Du Mont. Le 5 février 1652, la reine-mère
Anne d'Autriche, Mazarin et le jeune Louis XIV s'installent pendant
cinq semaines dans la Maison du Roi. Ce n'est pas un séjour
si glorieux, les souverains harcelés par les Frondeurs
viennent organiser la reprise d'Angers. Ils y reçoivent
le ralliement de Turenne, qui y prend le commandement d'une armée.
Saumur joue donc très provisoirement un rôle de capitale
du royaume, et en même temps du diocèse, car l'évêque
Henry Arnaud, qui a dû fuir Angers en révolte, s'est
réfugié à Saumur. Tous ces importants personnages
ne devaient pas s'entasser dans la seule Maison du Roi, et sans
doute se disperser dans divers hôtels particuliers. On ne
dispose d'aucune information précise sur ce point, de même
qu'on ne sait pas comment étaient distribués les
locaux du logis.
Passé 1652, aucun souverain ne fréquente plus la Maison du Roi.
6) Les avatars du XXe siècle
Le siècle commence par la
destruction catastrophique de l'aile droite du bâtiment.
En 1910, le Conseil Municipal prend enfin conscience de l'intérêt
de ce bel hôtel, il en fait dresser le plan et décide
de l'acquérir afin d'y installer la justice de paix ou
les sociétés mutuelles.
Malheureusement, l'immeuble est loué à Martin,
un négociant en épicerie, dont le bail se prolonge
jusqu'en 1918. Ce qui entraîne l'abandon du projet ( A.D.M.L.,
O 1042 ).
Epouse d'un riche industriel, Madame Fricotelle ( voir rue Fricotelle ) fait
d'importantes donations en faveur de l'hygiène publique.
Elle acquiert la Maison du Roi et y lance une importante campagne
de restauration ; les pignons sont rétablis, la partie
supérieure de la tour d'escalier est reprise.
Sur la photo ci-contre apparaissent les pierres neuves de
la partie reconstruite : à l'arrière de la tour,
on voit l'étroite tourelle d'escalier qui permet de passer
du sommet de la vis à la chambre de retrait.
Le logis restauré est inauguré le 21 novembre
1937. Madame Fricotelle en fait don à la Croix-Rouge française.
Mais, dans une salle, est ouvert un petit musée à
la gloire du roi René, l'idole des érudits locaux
de ce temps. Il regroupe surtout des illustrations réunies
par François Millin de Grandmaison, qui, à la différence
de son frère, se désintéresse de la politique.
De cette époque subsiste, près du portail d'entrée,
le petit monument dédié au duc d'Anjou.
Pendant la guerre 1939-1945, la Maison
du Roi devient un important centre d'activités. Elle accueille
les diverses oeuvres qui aident les démunis et qui envoient
des colis aux prisonniers. Quand les occupants ordonnent l'évacuation
de la rive gauche de la Loire, les services municipaux s'y réfugient
le 14 août 1944.
Cependant, la Croix-Rouge se trouve à l'étroit
dans ces locaux peu pratiques, qu'elle décide d'abandonner
en 2016. Que faire de ce monument d'un réel intérêt,
inscrit à l'Inventaire le 16 juin 1926, à la façade
décorative dans un quartier touristique, même s'il
y a peu de choses à voir à l'intérieur ?
Le mettre en vente ? Le legs Fricotelle précise qu'il
doit être employé à des oeuvres humanitaires.
Le mettre aux normes actuelles, très contraignantes et
très coûteuses, afin de le rendre utilisable pour
des associations ? L'argent public serait mieux dépensé
dans ce trésor patrimonial que dans la restauration des
épis de faîtage du château !
7) Bibliographie
- J. B. [ abbé Joseph Briffault ],
« La Maison du Roi à Saumur », Répertoire
archéologique de l'Anjou, 1863, p. 296-300.
- Colonel Savette, « La maison du roi à Saumur
», S.L.S.A.S., janvier 1935, p. 5-16 [ peu sûr ].
- Marie-Jane Durand et Pierre Dutreuil, Saumur. Promenade d'architectures,
1995, p. 119-122.