1) Saumur, un delta du Thouet
La partie basse des territoires de Saumur et de Saint-Hilaire-Saint-Florent correspondent à un delta du Thouet, dont plusieurs bras sont toujours bien repérables aujourd'hui.
Un bras partait des prairies du Chemin Vert ; il passait par une bourdigue, une réserve de poisson ( Voir Rues/ rue du Bournigal ) ; il coulait sous les arches du Mouton, suivait l'actuelle rue Seigneur, passait sous l'Arche Dorée et venait alimenter en eau les fossés de la ville, qui empruntaient son lit. Dans son tracé primitif, il pouvait rejoindre la Loire aux alentours de la place de la Bilange. Ce bras, aujourd'hui entièrement colmaté, coulant jadis dans des marais ( voir rue du Marché et l'appellation de " Saint-Pierre du Marais " ) a sûrement joué un rôle important dans la topographie primitive de la ville.
Un autre bras, rechargé aux périodes de crues, passait par le parc de l'hôtel Louvet-Mayaud, puis longeait l'actuelle rue d'Alsace, avant de rejoindre le bras principal à la hauteur du parking de l'hyper-marché. Au XVIIIe siècle, un projet cartographié avait envisagé de le recreuser, d'y détourner toutes les eaux du Thouet et d'implanter un port à la hauteur du rond-point Maupassant. Les nouvelles levées ont asséché ce bras, à part quelques infiltrations.
Le bras des Huraudières,
jadis appelé aussi " la boire aux Chevaux ",
correspond en gros au tracé de la rocade. Dans les années
1686-1704, en période de crues violentes, une partie du
Thouet reprend cet ancien cours, transformant en île la
prée du Breil et les prairies voisines. Récit/chap. 14.Les malheurs du
temps. Afin de fermer cette voie d'eau, des turcies sont élevées
en 1704 et en 1748, mais elles sont emportées.
Cette zone séparant Saumur de Saint-Hilaire-Saint-Florent
est restée marécageuse, comme on peut le voir sur
cet extrait du cadastre de Saint-Hilaire en 1811. Le bras appelé
" le Godet " est un vestige de cet ancien
Thouet. Le Fossé Chanvrier a même été
recreusé, afin de desservir l'usine d'engrais Rocher Jeune.
Sur ce plan tiré
du cadastre, on repère facilement les anciens moulins de
Saint-Florent, en rouge, la porte marinière voisine et
la nouvelle levée de Saint-Florent en cours d'achèvement.
Un bras secondaire s'ouvre parfois à l'entrée du Breil et rejoint directement la Loire.
Depuis un millénaire, le bras principal est stabilisé jusqu'au pied de l'église de Saint-Hilaire.
En période de hautes eaux, le delta s'élargit en empruntant un bras secondaire traversant la prairie de la Grande Nonne et rejoignant la Loire devant le Puy Giraud, à 1,5 km en aval de Bouche Thouet.
2) Un rôle historique fondamental
Au cours de la préhistoire
et du premier millénaire, c'est sur la rive gauche du Thouet
qu'apparaissent les signes de vie les plus intenses ( Chap. 1, § 2 ).
Saumur, ou plutôt les premiers hameaux qui le précèdent,
n'est pas né sur la Loire, mais sur le Thouet.
Sur le Thouet toujours, dans les années 850-866,
est fondé Saint-Hilaire des Grottes, la première
église locale à l'existence bien attestée.
Voir Chap. 1, L'abbaye de
Saint-Florent et son installation dans le Saumurois.
3) Les deux régimes de crues
Le régime pluvial. En période de pluies abondantes sur son bassin versant, le Thouet, alimenté par de nombreux petits affluents en forte pente, présente des montées des eaux soudaines, mais de courte durée. Les hydrologues le classent parmi les rivières de régime torrentiel. En supprimant de nombreux barrages, on oublie trop que ce cours d'eau d'habitude si tranquille est capable de crues violentes et dévastatrices. La catastrophe de Montreuil-Bellay s'est produite le 23 novembre 1911 : le Thouet en furie a emporté une pile du pont ferroviaire au passage d'un convoi ; la force du courant interdit aux sauveteurs de porter secours à des rescapés réfugiés sur un wagon.
Le seuil théorique des alertes est fixé à 27,60 mètres sur l'échelle du pont de Chacé.
Les reflux de la Loire. Les hautes eaux de la Loire remontent dans la partie aval du Thouet. Le phénomène est d'une évolution lente, mais il aboutit à des inondations spectaculaires, d'autant plus que la ville de Saumur a longtemps été mal protégée sur ce côté, jusqu'à la réalisation de la levée d'enceinte, entourant les Chardonnets à partir du XVIIIe siècle, de la levée de Nantilly de 1832, puis de la levée de défense des années 1857-1866 ( voir le début du chapitre 36 ).
4) Une rivière aménagée
Les moulins à eau.
Les moulins de Saint-Florent sont construits sous l'abbé
Michel de Saumur entre 1203 et 1220. Ils sont désignés
au pluriel, car ils comportent un bief divisé en deux,
desservant deux paires de meules, l'une pour le froment, l'autre
pour le seigle.
Plus en amont, une des îles enjambées par le
premier pont Fouchard s'appelait l'île du Moulin, trace
probable d'un autre moulin, vite disparu.
La navigation traditionnelle.
Rivière aux eaux habituellement calmes et assez fournies,
le Thouet est navigable sans aménagement la majeure partie
de l'année. Mais pendant ses étiages et pendant
les longues périodes de sécheresse de la Loire,
il présente un tirant d'eau insuffisant. Une seule écluse
sur le territoire de l'agglomération saumuroise suffit
pour y porter remède, puisqu'elle relève la nappe
d'eau sur une dizaine de kilomètres.
L'existence d'une écluse située près
de l'embouchure est signalée dès 1058 ( A.D.M.L.,
H 2265 ). Au début du XIIIe siècle, une
porte marinière est associée au moulin de Saint-Florent.
Les textes ne sont pas clairs sur la configuration des lieux ( une
porte unique rend le passage acrobatique, deux portes encadrant
un petit lac rend le passage aisé, or, il y a bien un petit
lac en amont du moulin ).
Pendant plusieurs siècles, les conflits et les procès
au sujet du niveau des eaux du Thouet sont continuels ; les
propriétaires des terres riveraines souhaitent des crues
d'hiver, mais un bas niveau à la belle saison, afin de
permettre le mûrissement des récoltes ; les
meuniers et les pêcheurs veulent un niveau élevé
en permanence ; les marchands et les mariniers demandent
à pouvoir ouvrir la porte marinière pendant toute
la durée du jour, quitte à faire baisser les réserves
d'eau et à mécontenter les meuniers. Voir Archives
des Saumurois, n° 24 et chap. 7/ L'activité
des marchands.
La canalisation
Les
interminables travaux de canalisation de la Dive sont complétés
par des écluses à sas rectangulaire implantées
sur le Thouet, l'une à Saumoussay, l'autre dans l'île
longeant les moulins de Saint-Florent. Cette dernière,
construite dans les années 1831-1834, donnait passage à
des chalands étroits, ne dépassant pas 1,60 m de
tirant d'eau. La voici, à gauche, en période de
sécheresse. Remarquez les rainures des deux paires de portes
busquées ( dont les vantaux s'appuient l'un contre
l'autre ).
Cette modeste voie navigable, d'une réalisation peu coûteuse, a été utilisée pendant près d'un siècle. Dans le sens de la descente, elle porte des céréales, du tuffeau et de la tourbe ; vers l'amont, elle porte de la houille et des ardoises, en quantités bien moindres. Dans les deux sens, un peu de vin. Elle fait naître quelques implantations industrielles.
L'usine Rocher Jeune est installée au milieu du XIXe siècle, sur le Chemin Charnier ( l'avenue du Breil ) dans un ancien établissement d'équarrissage ; elle fabrique des engrais, en mélangeant des os réduits en poudre et de la tourbe, prélevée dans les marais de la Dive et transformée au Moulin Blanc à La Motte-Bourbon. Les anciens bras du Thouet, recreusés, permettent des transports par batellerie entre les deux établissements.
A gauche, l'extrait d'une belle chromolithographie publicitaire présente une vision optimiste de cette navigation, car le Fossé Chanvrier, même recreusé, demeurait un bras minuscule.
Dans les années 1848-1852, les péniches tirées par des chevaux transportent en moyenne 30 500 tonnes par an ( Jacques Sigot, La Dive et son canal, Montreuil-Bellay, 1999, p. 47-51 ). La concurrence du chemin de fer est rapidement victorieuse. Les concessionnaires du canal sont en faillite. L'Etat reprend l'exploitation en 1895 et effectue quelques travaux. Le canal ne sert plus qu'à la descente des blocs de tuffeau depuis les carrières de Saumoussay. L'examen à la loupe de ces cartes postales des années 1910 révèle que les deux bateaux sont chargés de tuffeau, celui de gauche étant accosté en aval de l'usine électrique, celui de droite devant l'écluse de Saint-Hilaire-Saint-Florent.
La maison Bouvet-Ladubay construit une façade solennelle sur le Thouet et aménage un quai - qui ne sert guère et qui est surtout fréquenté par des barques de pêche.
En 1900 encore, 236 passages de péniches sont enregistrés pour un total de 21 330 tonnes. Le trafic s'effondre inéluctablement ( 100 tonnes en 1917, 502 tonnes en 1920, dernière année d'activité ). Le canal n'est plus entretenu par la suite ; il n'est déclassé qu'en 1957.
L'aménagement hydraulique. Au XXe siècle, les objectifs évoluent ; le Thouet est aménagé au service de l'agriculture, afin de maintenir une quantité d'eau minimale aux périodes d'étiage ( ce qui correspond aussi à une demande des pêcheurs ). Créé en 1969, le syndicat mixte du Thouet installe une série de barrages mécaniques ; en 2000, il transmet ses pouvoirs à la Communauté d'agglomération Saumur-Loire-Développement. A la fin de la période d'étiage, sont pratiquées les écourues, pendant lesquelles les retenues d'eau sont toutes ouvertes. Les anciens gués réapparaissent ; les services techniques entretiennent les installations et s'efforcent d'éradiquer une plante envahissante, la jussie.
5) Du Marais-le-Roi à Bouche-Thouet
Dans sa partie saumuroise, le Thouet
présente une pente quasi nulle : il est coté
à 27 mètres sur les berges de Chacé et à
26 mètres sur la rive de Bouche-Thouet. Ce qui correspond
bien à l'explication étymologique la plus probable,
"Tava " en gaulois signifiant " tranquille ".
A son entrée dans le territoire de Saumur,
il est divisé en une multitude de bras formant le Marais-le-Roi,
ainsi nommé, car il appartenait au domaine royal, mais
la vaine pâture y était tolérée, ce
dont profitaient surtout les habitants de Bagneux, mais les paroissiens
de Saumur, de Varrains et de Chacé pouvaient y placer quelques
animaux.
A gauche, le Marais-le-Roi sur le cadastre de Bagneux, dressé en 1813, plan orienté vers l'Ouest, et aujourd'hui, sur la photo de droite.
Les ponts Fouchard successifs.
Voir chap. 15.
Le pont de l'Ecluse, qui porte la rocade, formé de deux poutres reposant sur des piles centrales. Mis en service le 1er juillet 1994.
Le
pont de Saint-Florent. A partir de 1808 est édifiée
la nouvelle levée conduisant à Saint-Florent et
évitant un long détour, soit par le pont Fouchard,
puis par une ancienne route tortueuse qui rejoignait l'abbaye,
soit par le Chemin Charnier ( avenue du Breil ), puis
un bac situé à l'entrée du Breil et débouchant
sur la ruelle de la Rue-Haute. Cette nouvelle levée est
construite en partie avec des matériaux provenant de la
destruction de l'ancienne église abbatiale. D'abord, le
passage entre les deux côtés de la levée est
assuré par un simple bac, qui est représenté
en 1832 sur une lithographie de Charles Aubry. Il porte alors
quatre chevaux.
En 1840, Joly-Leterme achève la pose d'un " pont de fil ", un petit pont suspendu.
Les Ponts et Chaussées le remplacent en 1882 par un pont métallique aux proportions ambitieuses, mais très étroit.
Ensuite est entrepris un lourd pont en béton, qui était en travaux à la fin de 1935, quand le chantier a pris du retard à cause d'une crue du Thouet. On voit, à gauche, le tablier détruit par les troupes allemandes en fuite, le 26 août 1944. A droite, le pont rétabli, mais toujours aussi étroit, malgré les récriminations du Conseil municipal de Saint-Hilaire-Saint-Florent.
Un pont rejoignant directement le Breil. Afin d'atteindre directement
sa prée du Breil, l'abbaye construit un petit pont sur
le Thouet en face de la ruelle de la Rue-Haute. Cependant, ce
pont comporte une pile centrale qui gêne gravement la navigation.
Les mariniers obtiennent sa démolition. Sur l'injonction
de l'intendant de Tours, l'abbé s'exécute en 1713
( A.D.M.L., H 2486 et 2488 ). La pile de ce petit
pont réapparaît aux périodes de très
basses eaux.
A Bouche-Thouet, l'entrée du Thouet dans la Loire n'a rien de spectaculaire, car le fleuve est coupé par l'île Ardouin.
6) Bibliographie
- Jacques SIGOT, La Dive et son canal, Montreuil-Bellay, 1999.
- Viviane MANASE, « Le Thouet, une rivière et des hommes », Archives d'Anjou, n° 4, 2000, p. 164-177.