Les fondateurs de l'histoire de Saumur     

     
  La saine méthode historique requiert un examen critique des travaux antérieurs. C'est aussi l'occasion de rendre hommage à des recherches patientes, parfois maladroites, mais qui ont permis de progresser.
   


1) Les premières ébauches

  Passés les récits mythologiques des écrivains de la Renaissance, deux auteurs abordent le passé de Saumur par des voies indirectes.

Dom Jean HUYNES, Histoire générale de l'Abbaye-Sainct-Florent près Saumur, A.D.M.L., H. 3716, manuscrit autographe ; B.M.A., ms. 857, copie ; premier jet autographe et raturé, à la B.N.F., ms. fr. 19 862.
 
Impressionnant manuscrit de plus de 1000 pages, rédigé de 1640 à 1647 ; quelques extraits imprimés dans R.A., 1852(2), p.30-36, et 1867, p 262-271.
     Dom Jean Huynes, bénédictin mauriste, venait d'achever une monumentale " Histoire générale de l'abbaye du Mont-Saint-Michel au Péril de la Mer", quand, en 1640, il est nommé prieur du monastère de Saint-Florent. Il analyse toutes les archives conservées dans l'abbaye ( mais ne va pas voir ailleurs ). Chartiste pointilleux, il indique ses sources et cite parfois des documents aujourd'hui disparus ; moins naïf que les chroniqueurs médiévaux, il connaît l'art de vérifier les dates et il ébauche une critique des légendes concernant la vie de saint Florent.
Il dresse par le menu l'historique de chacune des possessions de l'abbaye, ce qui l'amène à évoquer le passé de tout le Saumurois et lui vaut d'être considéré comme le premier historien sérieux de la région. Toutefois, il s'intéresse surtout aux affaires religieuses et fort peu à l'histoire urbaine de Saumur.

Gilles MÉNAGE, Histoire de Sablé, Première partie, P. 1683 ( B.M.A. H. 2264, rés. ). Les pages 227 à 236 traitent de l'histoire ancienne de Saumur.
   


 Bel esprit et savant méticuleux, Gilles Ménage recherche à Saumur les ancêtres des seigneurs de Sablé. Solidement documenté, il a longtemps fait autorité. Trop sans doute, car il a encombré l'historiographie saumuroise de légendes qui ont la vie dure, par exemple la Vienne coulant au pied du château.
Au cours de ses recherches, il a correspondu avec François Bernard de Haumont.


2) Notes pour servir

François BERNARD de Haumont, Pour servir de mémoires, pour Saumur seulement, a ceux qui voudroient faire l'histoire de tout l'Anjou, B.M.A., ms. 1005 ( 880 ) ; copie à la B.M.S., ms. 10.
 
Éd. à l'orthographe modernisée par A. Allier, R.A., 1892-1893 ( tirage à part : B.M.S., A br4/67 ).
   


 François Bernard, sieur de Haumont ( un logis situé sur la paroisse Saint-Sulpice de Rou ) appartient à une influente famille de juristes protestants. Avocat du roi à Saumur, puis avocat au Parlement de Paris, il abjure après la révocation de l'Edit de Nantes ; il obtient une pension de 1200 livres et se montre très sévère à l'égard de ses anciens coreligionnaires. En plusieurs étapes, de 1682 à 1700, il rédige des notes qu'il juxtapose dans son recueil de 172 pages. Son récit stoppe brusquement en l'année 1509. Le titre modeste de l'ouvrage correspond à la réalité : ce sont de simples matériaux, encore utiles aujourd'hui sur quelques points juridiques ou topographiques.


3) Jean-François Bodin, le défricheur

J.-F. BODIN, Recherches historiques sur la ville de Saumur, ses monumens et ceux de son arrondissement... Avec gravures dessinées par l'auteur. S., Degouy Aîné, 2 vol., tome 1, 445 p. , 6 planches, 1812 ; tome 2, 513 p., 4 planches, 1814. B.M.S., A 87 et A 88.

Rexherches, 1 ère édition, 1812


 Un nouvel ouvrage en deux tomes, consacré au " Bas-Anjou ", paraît neuf ans plus tard et comporte des allusions à Saumur :
J.-F. BODIN, Recherches historiques sur l'Anjou et ses monumens, Angers et le Bas-Anjou, A Saumur, chez Degouy aîné, tome premier, 559 pages et deux planches, 1821 ; tome second, 595 pages et 3 planches, 1823. B.M.S., A 89/1 et 2. 
   

 Buste de Bodin

Buste de Bodin par David d'Angers ( 1824 ). Bronze coulé à partir de médailles antiques par le fondeur Mabileau en 1830.

 Receveur particulier des finances, puis député libéral sous la Restauration, Jean-François Bodin (1766-1829) est le premier historien véritable de Saumur. Il part des monuments, il les dessine avec exactitude et minutie, puis il raconte les événements qui y sont survenus. La démarche est originale, la langue, ferme et élégante, est celle du XVIIIe siècle.
 Cet énorme ouvrage, bâti de première main et revu par François-Yves Besnard, constitue la première base sérieuse pour l'histoire de Saumur. Bodin n'est pas un compilateur ; il a consulté de nombreuses sources originales. Il est de saine méthode de le lire en premier, à condition de bien mesurer ses insuffisances : Bodin n'a aucun sens de la chronologie et il mélange allégrement les siècles dans les hautes périodes ; il commet de lourds contresens archéologiques et ne sait pas déchiffrer les documents médiévaux. Ces erreurs entachent surtout les périodes antique et médiévale. Ouvrage fondateur, qui ne dispense surtout pas de prendre connaissance des travaux plus récents.

 D'aucuns ont reproché à Bodin ses idées révolutionnaires, puis libérales, son théisme et ses réticences à l'égard de l'Eglise catholique. Ses formulations sont constamment pondérées sur ces points. Il se contente, à propos de la révocation de l'Edit de Nantes, d'un bel éloge de la liberté de conscience : « Heureux le siècle dont les historiens n'auront rien à dire des affaires de religion ! Gloire éternelle aux souverains dont les peuples vivent sous les douces lois de la tolérance ».

 
   

Dessin de Bodin, gravure par Donas

 

 

 Bodin avait également étudié l'architecture et il illustre lui-même ses ouvrages. Ses dessins sont de type géométral, c'est-à-dire sans perspective, mais ils présentent l'avantage d'une exactitude rigoureuse.

 Il trace ci-contre une comparaison des arches et des fondations du Pont Fouchard ( en haut) et du Pont Cessart ( au-dessous ).
[ gravure à l'aquatinte par Donas ]

   

 

 Conscient de ses lacunes, Bodin travaillait dans les années 1820 à une édition corrigée, qui a été reprise par son fils Félix et publiée en 1847 par son héritier G. Montalant, sous le titre : " Recherches historiques sur l'Anjou. Seconde Edition " , Angers, Cosnier et Lachèse, tome 1er 605 pages, tome second 513 pages ( B.M.S., A 433 ). Le texte, largement remanié, réunifie les volumes sur Angers et sur Saumur, mais les notes et les gravures ont disparu, alors que de grosses erreurs subsistent. La véritable édition corrigée vient en fait de paraître sans l'accord de la famille.

J.-F. BODIN, Recherches historiques sur la Ville de Saumur, ses monumens et ceux de son arrondissement..., Seconde Edition. Revue et considérablement augmentée par P. G., Saumur, 1845, Dubosse et P. Godet, un vol. de 624 p. et 13 planches hors texte. B.M.S., A 92/1 Réédition en fac-simile, 1989.

Comme dans l'édition originale, un second volume est consacré à Angers et au " Bas-Anjou " :
J.-F. BODIN, Recherches historiques sur la Ville d'Angers, ses monumens et ceux du Bas-Anjou... Seconde Edition. Revue et considérablement augmentée par P. G., Saumur, P. Godet, place du Marché-Noir, 1846. B.M.S. A 92/2.

   


 A cette époque, les droits des auteurs ne sont pas reconnus, les éditeurs sont souverains. Cette nouvelle édition présente des aspects gênants, puisqu'elle témoigne d'une constante animosité à l'encontre de Bodin : elle dénonce son anticléricalisme et sa sympathie pour les idées de la Révolution ( alors que ce dernier avait des positions conciliantes et était très modéré dans ses formulations ).
 Dans le tome consacré à Angers, les éditeurs racontent la fin chrétienne de Bodin ( p. 691-692) et affirment que, sur son lit de mort, il aurait renié tous ses écrits en présence de ses fermiers. A la suite d'une minutieuse enquête, Eugène Bonnemère s'est efforcé de démontrer que ce désaveu public est imaginaire...
 Malgré son ton polémique, cette édition est la plus commode à utiliser, car elle reprend intégralement le texte original, ainsi que les planches en aquatinte récupérées par Godet chez son prédécesseur Degouy. Elle ajoute quelques lithographies originales et surtout d'abondantes notes rédigées par Victor Godard-Faultrier, qui apporte des corrections pertinentes. D'autres notes émanant de l'éditeur Paul Godet sont des copies de documents officiels.
 On citera Bodin d'après cette édition et l'on s'efforcera à chaque fois de rappeler la date de publication : 1812, 1814, 1821, 1823, 1845, 1846 ou 1847.

 Dans un numéro spécial consacré au centenaire de Bodin, ( S.L.S.A.S., octobre 1930 ), le chanoine Verdier se montre très sévère à l'égard des écrits de Bodin. Il oublie que ce dernier ne disposait pas d'études antérieures et que les archives étaient inaccessibles. A son époque, le chanoine disposait d'excellents matériaux et d'archives classées, mais il n'a guère pris la peine de les consulter.

4) Les héritiers de Bodin

  Une abondante production tire sa substance de Bodin, sans rien y corriger, se contentant d'y ajouter des anecdotes romanesques et des formules redondantes.

J.-B. COULON, Époques saumuroises ou esquisses historiques et anecdotiques sur Saumur et ses environs, depuis son origine jusqu'à nos jours, S., Javaud, 1843 ( reprint en 1977 ). B.M.S., ANJ 944.183 COU.

D
r GAULAY, Souvenirs anecdotiques sur Saumur ( de 1478 à 1640 ), S., Godet, 1843. B.M.S., A 151.

Guide pittoresque et descriptif du voyageur dans la ville de Saumur, son arrondissement et ses environs, S., Jules Godfroy, [1851]. Cette utile description anonyme a été revue et rééditée sous le titre Nouveau Guide par E. Milon, puis par J.-B. Robert ( reprint en 1999 ).

G. TOUCHARD-LAFOSSE, La Loire historique, pittoresque et biographique..., T. IV, 1
ère partie, p. 248 à 322, 1845, puis 1851 ( reprint en 1974 ). B.M.S., A 2.

Paul RATOUIS, Chroniques saumuroises, S., Godet, 1864. B.M.S., A 136.

Eugène BONNEMÈRE, Études historiques saumuroises, S., Roland, 1868. B.M.S., A 155.

  Beaucoup de balivernes dans ces ouvrages, mis à part le dernier qui apporte quelques nouveautés grâce à des documents familiaux. Alors qu'à l'échelle nationale se construit une histoire scientifique, à Saumur, on s'en tient à l'amateurisme.


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