Matériaux de construction
1) L'art de bâtir
à Saumur
Partons d'un bâtiment utilitaire d'une parfaite banalité : la nouvelle gendarmerie construite vers 1840 par l'architecte du département Ferdinand Lachèse. Analysons ci-contre l'angle de la rue Volney avec la place de l'Arche-Dorée.
Les baies sont couronnées par des arcatures en plein cintre, qui s'inspirent lointainement de Palladio et qui prennent bien la lumière. Le mur est fortement scandé ; les baies sont reliées par des bandeaux au relief marqué et, au-dessus, le changement d'étage est souligné par une corniche à ressauts. Alors qu'au XIXe siècle les joints sont très minces et la forme de l'appareillage peu visible, l'angle du mur, renforcé par un bossage en table, donne l'impression d'être consolidé par d'énormes pierres.
Toute
cette partie supérieure, aux formes simples et élégantes est construite
en blocs de tuffeau, extraits dans la carrière de Saumoussay et
transportés par le Thouet et par la Loire. |
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Au-dessous, apparaissent trois solides assises en pierre de Champigny de 0,33 m de hauteur et d'une longueur de 0,80 m ou de 0,40 m. Ces puissantes strates assurent la solidité du mur et le protègent contre les remontées d'humidité. |
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Les soubassements sont recouverts par des petits pavés de grès qui recouvrent le mortier des fondations. |
Telles sont les pierres des carrières locales le plus souvent employées et associées.
2) Les matériaux locaux
Le TUFFEAU, craie
tendre formant une couche ( le Turonien ), d'un maximum de
35 mètres d'épaisseur, sous la ville. C'est une
roche facile à travailler, qui se raie à l'ongle
mais qui use les outils à cause des cristaux de quartz.
Au Moyen Age, les pierres sont extraites de perrières situées
sous le quartier de Nantilly, au flanc du coteau de Fenet et dans
les caves de Saint-Hilaire Saint-Florent. Cependant, une partie
des pierres utilisées au château viennent de Dampierre.
Au XVIIe et XVIIIe siècle, la pierre de la Maumenière,
carrière située à Montsoreau, est la plus
recherchée ; son emploi est spécifié dans
les marchés de construction des Ardilliers et de la Visitation.
Quand ce tuffeau est posé en respectant son orientation
verticale dans le banc originel, il durcit en vieillissant et
prend une belle patine ambrée. Une tradition, souvent répétée,
raconte que les blocs de tuffeau sortis des galeries de la carrière
étaient mis pendant plusieurs années à baigner
dans les eaux de la Loire ; aucun document, aucun aménagement
spécifique ne viennent confirmer ces dires.
Un tuffeau de moins bonne
qualité, plus friable, plus sensible au gel et d'une couleur
bleutée est extrait en aval de Saumur, de Chênehutte
à Gennes ( Les artisans le qualifient de tuffeau gris par
rapport au tuffeau blond qui prend une belle patine avec l'âge ).
Le contraste est parfois frappant entre les deux types de pierres.
Au
XIXe siècle, les carrières les plus estimées
sont celles situées au sud de Saumur, sur la rive droite
du Thouet, à Saumoussay, Saint-Cyr en Bourg, Brézé
et Chacé. Les exploitations de Pince-Matin et des Rochains
sont les plus cotées. Un port est aménagé
à Saumoussay sur le Thouet canalisé ; des chalands
à petit gabarit transportent les parpaings sur les quais
du port de Saumur. Le dessin de Georges Grellet, ci-contre, exécuté
vers 1900, représente le déchargement à dos
d'homme et les amoncellements de tuffeaux grossièrement
équarris. Un fardier traîné par trois chevaux
vient s'approvisionner directement au bateau. Les autres blocs
seront réacheminés par la Loire, en particulier
vers Nantes.
Actuellement, la carrière Lucet, remise en service
au lendemain de la dernière guerre, fournit les entreprises
en blocs ou en plaquettes pour la restauration.
Le GRÈS, d'âge tertiaire, caractérisé par des fossiles de sabals, forme des dalles peu épaisses, mais très dures, recouvrant la surface du plateau du Sud-Saumurois. Ces plaques, peu retouchées, sont le matériau des dolmens et des menhirs de la région ( ici, au parc de Moc-Baril ).
Elles forment parfois
les linteaux de portes, plus rarement les encadrements de fenêtres
et très souvent des pierres de seuil. Depuis le XVIIIe
siècle, des carriers les ont débitées
en pavés et en bordures de trottoirs ( et ont en même temps détruit bon
nombre de menhirs et de dolmens ) ; les fragments plus
petits sont employés dans les fondations.
Le grès des environs de Saumur est de couleur gris clair.
Les pavés de couleur rouge ou orangée qui tapissent les quais et certains trottoirs sont taillés dans du grès provenant de Saint-Rémy la Varenne. Ici, sur le magnifique port du quai Mayaud, les anneaux sont scellés dans un bloc de pierre de Champigny.
Cette PIERRE DE CHAMPIGNY est un calcaire lacustre d'âge tertiaire. Il est d'abord utilisé pour obtenir de la chaux ou des moellons et des empierrements. A Champigny, à l'orée de la forêt de Fontevraud, des carrières présentent des bancs homogènes de deux mètres d'épaisseur. Ils fournissent une pierre à bâtir très dure, résistant à l'écrasement, mais caverneuse, ce qui la rend impropre à la sculpture et lui donne, avec le temps, un aspect grisâtre.
Alexandre de Cessart l'utilise
pour construire le pont qui porte son nom ( à droite ) ;
il fait ouvrir une carrière spéciale sur autorisation de l'abbesse de
Fontevraud, les blocs
sont véhiculés jusqu'au petit port de la Grue à
Dampierre et redescendus par bateau jusqu'au chantier. Depuis cet essai
réussi, la pierre de Champigny est employée dans la construction des
maisons : tout mur qui en présente quelques strates doit être daté
d'après les années 1750.
La
pierre de Champigny ne se prête pas à une sculpture
ciselée mais permet des décors simples ( par exemple,
les postes ou vagues du parapet du pont, qu'on retrouve sur plusieurs
façades de la ville ).
Depuis le milieu du XVIIIe siècle, la pierre de Champigny est utilisée sous forme de deux ou trois assises à la base des murs les plus soignés. Elle réapparaît dans les appuis de fenêtres, les pierres de seuil, les bornes et les garde-roue. Elle a été employée sous forme de petits pavés dans le centre ville, sans résultats convaincants.
Le SABLE a longtemps été extrait de la Loire par des moyens artisanaux qu'on voit encore au début du XXe siècle.
Sur cette carte postale rédigée le 4-10-1905, apparaissent encore des tireurs de sable utilisant des plates manoeuvrées par des bâtons. A l'aide de pelles recourbées, ils tirent du sable du milieu du lit, puis ils le transbordent avec des brouettes, chacun sur son tas. On mesure sans peine le faible rendement de cette méthode qui disparaît au cours du siècle.
Jean Fardeau pratique une extraction mécanisée. Il a fixé son bateau-lavoir à l'aval de la cale Carnot. La partie basse, au niveau de l'eau, sert au lavage du linge. Le premier étage est, pour partie, un séchoir et le côté droit sert d'habitation à la famille Fardeau. La photo ci-dessous a été prise en 1929, alors que la Loire charrie des glaçons.
Les mortiers anciens les plus résistants sont souvent composés de gros sable et de chaux - de préférence, celle qui vient de Brossay - additionnés de fragments de silex, surtout dans les fondations. Les maçons saumurois trouvent le sable de Loire trop menu et préfèrent souvent le sable plus granuleux tiré de carrières du voisinage.
3) Les matériaux importés des environs
Le FALUN ou GRISON des environs de Doué est un calcaire lacustre, d'une couleur jaunâtre, formé par une agglomération de petits coquillages. Exploité à partir de tranchées s'élargissant en chambres souterraines, il est plutôt méprisé par les Saumurois qui le réservent à l'empierrement des chemins. Bien qu'il soit nettement moins cher que le tuffeau, ses apparitions sont exceptionnelles dans les murs de Saumur et de ses environs ( à gauche, les soubassements de la Maison du Père Gardien des Récollets ).
La PIERRE DE BAUGÉ-LES-FOURS ( ou Baugé-Menuau ), carrière située sur la limite entre Brossay et les Verchers. Ce calcaire jurassique est surtout utilisé dans les fours à chaux, mais certains faciès proches du marbre sont exploités et utilisés comme marches d'escalier ou pour le pavement des églises. Le dallage primitif des Ardilliers était formé d'une alternance de pierre de Baugé-les-Fours et d'ardoises, dont voici deux clichés.
L'ARDOISE. Dans les comptes de construction du château, les ardoises sont tirées des carrières de Juigné, plus proches et plus faciles à transporter. L'usage de l'ardoise de Trélazé est plus tardif.
Le MARBRE DE SABLÉ, noir à veines blanches, apparaît souvent dans les décors d'autels ( ici, aux Ardilliers, dans la chapelle de Servien, qui était seigneur de Sablé ).
La BRIQUE et la TUILE,
depuis l'époque gallo-romaine, n'appartiennent plus aux
matériaux traditionnels de Saumur. Ils réapparaissent
à la fin du XIXe siècle sur la façade de
la Caisse d'Epargne et dans quelques villas fantaisistes; Victor-Pierre
Brunel emploie volontiers quelques bandes de briques claires.
Entre
les deux guerres, la brique réappararaît en force
dans les Habitations à Bon Marché et apporte une
note insolite à la façade de l'Ecole maternelle
des Violettes réalisée par Jean Hénin.
Surprise encore plus grande : les toits de ces maisons
et de tout le quartier sont couverts de tuiles mécaniques
d'un rouge éclatant. Est-ce un choix de l'architecte Louis
Avisseau ? Une affaire de prix de revient ? D'anciens
Saumurois avancent une autre explication : à la suite
d'une grève tendue dans les carrières de Trélazé,
la municipalité de gauche aurait décidé de
boycotter les Ardoisières ; il ne reste aucune trace
écrite de cette décision.
Le BOIS D'OEUVRE :
les grandes forêts proches de Saumur, comme la forêt
de Fontevraud, sont souvent réduites à des taillis
et ne produisent guère de bois de construction. Les beaux
arbres des forêts domaniales du Baugeois sont réservés
pour la marine et aboutissent rarement à Saumur. Les travaux
du château et de l'enceinte urbaine utilisent les arbres
de la forêt de Chinon : les troncs sont acheminés
vers Saumur par flottage.
La construction du pont Cessart a nécessité
une énorme quantité de bois de chêne ; l'ingénieur
a diversifié ses sources d'approvisionnement, il fait ouvrir
des coupes spéciales dans les forêts de Brézé
et de Richelieu et surtout dans le bois des Loges à la
Breille les Pins.
4) Les calcaires durs d'origine lointaine
Le Saumurois manque de pierre, à la fois blanche et résistante. Dans les grands travaux, les bâtisseurs sont obligés de faire venir de loin et à grands frais des blocs de calcaire dur : au XIVe siècle, le chantier du château achète de la pierre de Savonnières, une carrière située sur le Cher, à l'ouest de Tours. Les tombeaux des abbés du Bellay dans l'abbatiale de Saint-Florent sont sculptés dans une pierre très blanche provenant de la Rajasse, à Ligré, sur la Veude. Au XIXe siècle, Joly-Leterme introduit du calcaire dur dans ses constructions, par exemple, la façade sur cour de l'Hôtel de Ville, les colonnes du théâtre ; sur le clocher de Saint-Nicolas, il place des blocs de calcaire dur entre la base en pierre de Champigny et les parties hautes en tuffeau. Il s'approvisionne souvent à la carrière de Lavoux, située à Chauvigny. Aux XIXe et XXe siècles, c'est surtout la carrière tourangelle de Richemont qui fournit les pierres à sculpter.
5) Les dimensions les plus courantes
A Saint-Cyr en Bourg, les " bauges " des perreyeurs mesurent 60 cm de long et portent des repères à 50, 33, 22 et 15 cm. Ce sont des dimensions qui réapparaissent souvent dans les pierres commercialisées à Saumur. Cependant les dénominations et les tailles varient considérablement selon les époques et les carrières. Voici, de façon simplifiée, les plus courantes :
La barraude, grande barraude,quartier ou pied carré est un bloc de grande taille, c'est la dimension habituelle des pierres de Champigny. |
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Le parpaing, tuffeau, petite barraude, gabarier ou commun est un bloc moyen, c'est le plus courant. |
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La douelle est un bloc très mince, elle est employée pour la construction des murs de refend.
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Le nantais est un bloc de petite taille, il est utilisé dans les étages supérieurs des maisons de la Basse-Loire. |
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6) Pour aller plus loin
- Carte géologique au
1/50 000 ème - Saumur, XVI-23, 1970.
- J.et C. FRAYSSE, Les troglodytes en Anjou à travers
les âges, t.3, 1964.
- Daniel PRIGENT, « Exploitation et commercialisation du
tuffeau blanc ( XVe-XIXe siècles ) », Annales
de Bretagne et des Pays de l'Ouest, 1997, n° 3.
- Daniel PRIGENT, « La fin de l'exploitation du tuffeau
blanc en Maine et Loire », 117e Congrès national
des sociétés savantes, 1992, 2, p. 499-513.
- Viviane MANASE, « Le chantier de l'abbaye de Fontevraud
: 1648-1701 », Archives d'Anjou, n° 2, 1998,
p.95-115.