1) L'Église, maîtresse du temps
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Régler le rythme des journées, fixer
la date des événements, c'est imprimer sa marque
sur les esprits et sur la société.
Aux origines, les moines de l'abbaye de Saint-Florent du
Château scandent le cycle quotidien des Saumurois ; héritiers
de la Rome antique, ils divisent la journée en douze heures
de jour et douze heures de nuit, ces heures n'étant de
durée égale qu'à l'époque de l'équinoxe.
Les quatre cloches de l'église abbatiale ( trois
dans le clocher, une au-dessus du choeur ) sonnent toutes les
trois heures, aux matines, à prime, à tierce, à
sexte, etc., et elles donnent aux citadins leurs repères
temporels. Après la destruction de l'abbaye, les églises
prennent le relais.
Le calendrier liturgique fournit le cadre de l'année.
S'il n'est pas trop difficile de dater un fait survenu le jour
de la Saint-Jean d'hiver ( le 27 décembre ), il faut
rechercher la date de Pâques pour fixer le lundi de la
Pentecôte.
Voici un exemple plus épineux : un acte daté
de 1309, « die post Oculi mei » ( A.D.M.L.,
H 1911 ). On doit savoir que cette dernière formule
débute l'introït du troisième dimanche du
Carême, qui tombe 28 jours avant Pâques. Nous sommes
donc en 1310, année où Pâques est le 19 avril.
Je date donc cet acte du lundi 23 mars 1310 ( n.s. ), mais
je ne suis pas très sûr de mon calcul, car Marc
Saché avait donné le 3 mars ( n.s. )...
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2) L'empreinte romaine
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En même temps, le clergé, toujours empreint
de romanité, continue à dater selon le système
antique des calendes ( le 1er du mois ), des nones ( le 5 ou
le 7 ) et des ides ( le 13 ou le 15 du mois ). Dans les
opérations rétrogrades, ne pas oublier aussi de
compter le jour de départ et le jour d'arrivée
: le 8 des calendes de juillet se situe le 24 juin ; le 5 des
ides de mars, le 11 de ce mois.
De toutes façons, dans ces calculs, on risque tout au
plus des erreurs de quelques jours, qui sont en général
sans grande importance.
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3) Le problème du début de l'année
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A l'inverse, la fixation précise du début
de l'année pose un problème méthodologique
plus important, car un fait daté du 10 novembre 1350 est
antérieur à un autre que le scribe fixe au 10 février
1350, quand l'année débute à Pâques
; il faut alors ajouter une année à cette dernière
date pour la transcoder dans notre calendrier actuel, le nouveau
style ( n.s. ). Négliger cette rectification expose à
des erreurs cocasses, par exemple, telle édition de la
correspondance de François 1er, qui place les réponses
avant les questions...
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4) Xe-XIIIe siècles : style de la Nativité
ou style de la Circoncision
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De 958 à 1203, les scribes saumurois, d'une
manière quasi générale, appliquent les usages
de la Touraine et de l'Anjou, qui se trouvent en harmonie avec
la chancellerie pontificale : ils font débuter l'année
à Noël ou à la Circoncision, le 1er janvier.
Ils sont donc proches de notre style et il est rare qu'on doive
modifier la date qu'ils indiquent.
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5) Quelques exemples problématiques
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Cependant, pour s'en tenir aux années 1067-1092,
voici quelques cas qui posent des problèmes :
- Un acte important du comte d'Anjou affirme avoir été
établi dans l'abbaye de Saint-Florent en mars 1067 ;
il ajoute même que nous sommes dans la 8 ème année
du règne du roi Philippe 1er, ce qui correspond bien à
1067 et donc à un système débutant l'année
au 1er janvier ( A.D.M.L., H 1840, n° 9 ). Mais
le scribe ajoute qu'il est en l'an XIII de l'abbatiat de Sigon
; cet abbé ayant été élu le 30 octobre
1055, il faudrait alors repousser l'acte en mars 1068 de notre
style, solution qu'avait adoptée M. Saché, estimant
que le moine était surtout crédible sur les faits
se rapportant à son abbé. Cependant, d'après
le contenu du texte, L. Halphen, J.-M. Bienvenu et O. Guillot
ont adopté l'année précédente.
- Un autre acte, établi à Saumur, est daté
de janvier 1075, le jour de la Sainte-Agnès, « feria
quinta », c'est-à-dire un jeudi. Or, c'est
en 1076 que le 21 janvier tombe un jeudi. Il faut donc admettre
que ce scribe faisait commencer l'année à Pâques
( A.D.M.L., H 2107, n° 2 et O. GUILLOT, Le comte
d'Anjou, C. 311 ).
- A l'inverse, un autre acte est établi « en
1093, le 3 des calendes de janvier, un jeudi, à Saumur »
( A.D.M.L., Livre Blanc, n° 84 ). Il faut ramener
cet acte au 30 décembre 1092, qui seul tombait un jeudi.
Nous sommes donc certains cette fois de l'emploi du style de
la Nativité, qui oblige à soustraire un an pour
la dernière semaine de décembre.
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6) Du XIIIe à 1567 : le style de Pâques
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Les Annales de Saint-Florent emploient encore le style
de la Circoncision en 1179 et en 1199. A partir de la conquête
de Saumur, les rois capétiens imposent le système
de datation de leur chancellerie, qui commence l'année
à Pâques. Ce mode paraît strictement appliqué.
Il faut donc alors ajouter un an, du 1er janvier jusqu'au jour
de Pâques.
Le style de l'Annonciation, où l'année commence
le 25 mars, n'apparaît jamais à Saumur.
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7) L'apparition des heures mécaniques
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Les premières horloges mécaniques
mues par des poids et pourvues d'une sonnerie apparaissent en
Italie dès 1335 ; la division des heures en 60 minutes,
et des minutes en 60 secondes remonterait à 1345. L'horloge
de Rouen sonnant tous les quarts d'heure est achevée en
1389. A la même époque apparaissent deux horloges
à Angers, l'une à la Cathédrale, l'autre
au Palais municipal ; il est permis d'y voir une concurrence
entre les deux pouvoirs.
Saumur est moins rapide. Il faut attendre 1574 pour voir
le forgeron Florent Fouquet installer une horloge publique dans
l'église de Nantilly. Mais le timbre n'était sans
doute pas assez puissant pour être entendu dans toute la
ville. En tout cas, dès février 1628, l'assemblée
de paroisse de Nantilly décide de mettre en place une
horloge battant sur la grosse cloche.
Les Saumurois vivent désormais avec notre perception
moderne de l'écoulement du temps , ce qui correspond à
un profond changement dans les mentalités. Il y a alors
un temps des villes, devenu mécanique, et un temps des
campagnes, variable en fonction des saisons. Dans les campagnes
françaises, les montres n'apparaissent qu'à l'extrême
fin du XIXe siècle ; auparavant, la cuisson d'un oeuf
correspond à la récitation d'un Ave Maria.
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8) 1567 : retour au style du 1er janvier
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Le roi Charles IX finit par imposer au Parlement son
édit de 1563 ; il estime plus commode un calendrier
commençant à date fixe, le 1er janvier, et il le
met en place dans la majeure partie du royaume à partir
de 1567. Une relative laïcisation du calendrier est donc
en cours.
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9) 1582 : le passage au calendrier grégorien
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C'est ensuite le pape Grégoire XIII qui institue
une profonde modification applicable en principe dans toute la
Chrétienté. Afin de réduire le retard du
calendrier par rapport aux mouvements planétaires, il
décrète la suppression de dix jours dans l'année
en cours. Cette décision est annoncée par une ordonnance
d'Henri III du 3 novembre 1582 et par un mandement de l'évêque
d'Angers du 13 novembre : le lendemain du 9 décembre 1582
devient le mercredi 20 décembre. Curieusement, cette transformation
n'a guère posé de difficultés en France.
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10) Le calendrier révolutionnaire
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Après une période de stabilité,
les révolutionnaires veulent rompre radicalement avec
les anciens usages et aussi laïciser le temps tout en instaurant
des mois de trente jours. L'an I commence le 22 septembre 1792,
qui est le premier jour de la Première République
et, en même temps, l'équinoxe d'automne.
En réalité, après un temps de flottement,
le nouveau calendrier n'est applicable qu'à partir du
4 frimaire an II ( 24 novembre 1793 ) et même les administrations
ont quelque peine à s'y accoutumer. Le décadi ne
supplante pas vraiment le dimanche, l'ancienne semaine fait de
la résistance, aux dires des rapports administratifs.
Cependant, au bout de 12 ans, le calendrier est passé
dans les moeurs, les administrateurs ne se trompent plus, et
il est employé dans des correspondances privées.
C'est alors que Napoléon le supprime : le 10 nivôse
an XIV est suivi par le 1er janvier 1806.
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Je m'en tiens là, sans pousser jusqu'à
la réforme du 9 mars 1911 ( heure du méridien
de Greenwich pour toute la France ), jusqu'à l'heure
allemande, et enfin l'heure d'été...
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Bibliographie
complémentaire :
A. GIRY, Manuel de Diplomatique, 1894
Louis HALPHEN, Recueil d'Annales angevines et vendômoises,
1903, p. L à LIII
Jacques ATTALI, Histoires du temps, 1982
Eric BRUTON, Histoire des horloges, montres et pendules,
1983.