Karolus, monogramme de Charles le Chauve, imité par un scribe de Saint-Florent (A.D.M.L., H 1836)

 


 

Chapitre 1 : 

La mise en place du peuplement
    

  

 L'examen sans complaisance des textes et des vestiges archéologiques aboutit à un verdict sans appel : Saumur est une ville récente qui n'a guère plus de mille ans d'âge.
 La longue période du paléolithique, l'âge de la pierre taillée, n'a laissé que des traces rarissimes, difficiles à interpréter. C'est vers - 8 200, depuis le mésolithique, une période où les outils sont de petites dimensions et finement retaillés, que les indices d'une occupation humaine de la région deviennent plus abondants.
 A condition de distinguer des aires différentes. Et à condition d'élargir notre approche aux communes riveraines de Saumur ( note 1).

 

UNE LONGUE PRÉHISTOIRE

   

1) Saumur, un vaste marécage

CARTE : Saumur et communes riveraines, du mésolithique à l'âge des métaux
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 Le territoire de la ville ancienne de Saumur, en réalité, un delta du Thouet, se trouve pour l'essentiel au-dessous de 30 mètres d'altitude. Il est chaque année recouvert par les crues d'un fleuve non endigué et encore vraiment sauvage. L'inondation la plus spectaculaire dont le récit nous soit parvenu est le « déluge » de 1615 : deux rues seulement restent au-dessus des eaux, la courbe des 30 m. est atteinte ( voir cette courbe sur le plan ci-contre ).
 La Loire, deux fois plus large qu'aujourd'hui, est encombrée par des îles aux formes fluctuantes. Tout comme le Thouet, elle se subdivise en de multiples bras, aujourd'hui disparus ( figurés sur la carte tels qu'ils apparaissent aux XVI-XVIIe siècles ).
 Ces conditions naturelles hostiles - si ce n'est à la pêche et à la navigation - expliquent l'absence totale de vestiges préhistoriques significatifs dans cette zone. La ville de Saumur, ou plutôt les bourgades primitives qui l'annoncent, n'est pas née sur la Loire, mais sur les bords du Thouet.
    

2) Signes de vie sur la rive gauche du Thouet

Dossier 3 : Images commentées des mégalithes de Saumur

 

 

 

 

 

 

En dernier lieu, Alexandre Perraud, Magnétisme terrestre et sites religieux. Des mégalithes aux clochers tors, 2004, constate que ces monuments sont à la confluence de trois courants d'eaux souterraines et d'un flux de magnétisme tellurique.

 

 

 

 

 

 

 

 

Dossier 4 : Le travail du silex

 Avec 9 dolmens encore debout, 7 dolmens effondrés ( ou disparus, mais à l'existence bien étayée ), avec 7 autres vestiges mégalithiques, la zone suburbaine du Sud-Saumurois présente l'une des plus fortes densités françaises en monuments préhistoriques (2). Ils empruntent tous le même matériau, le grès éocène ( ou grès à sabals ) qui forme un tapis de plaques éparses sur l'ensemble du plateau ; nulle part leur transport n'a réclamé un long trajet.

 Les dolmens présentent en majorité une structure de type angevin. Leur "entrée" est encadrée par un portique plus bas, formé de trois pierres, deux orthostates (3) verticaux et une dalle de couverture. Tous "s'ouvrent" vers le soleil levant, mais avec un fort écart entre les deux extrêmes : le Bois du Feu, à Saint-Hilaire-Saint-Florent, qui est orienté vers le N.E., à 62° ; le dolmen à demi-écroulé de la Chênaie, à Distré, qui regarde plutôt vers le sud avec une ouverture axée sur 171°.
 Tous ces monuments ont été fouillés - ou plutôt "farfouillés" - par des chercheurs de trésors ; déjà, en 1775, quand le naturaliste Dolomieu fait creuser sous le Grand Dolmen de Bagneux, il constate qu'il a été devancé, et il affirme n'avoir rien trouvé.

 Plutôt que de se lancer dans un délire interprétatif, avançons quelques constats sûrs. Les menhirs, comme celui de la prairie de Munet, qui atteint 4,50 m. de haut, avaient une fonction indicatrice, sans doute en relation avec la mécanique céleste et sans doute sans rapport avec les dolmens pourtant voisins ; on entrevoit bien dans la région quelques grands axes, mais on ne sait pas interpréter cette géographie sacrée. Les monuments mégalithiques ne correspondent pas à une civilisation précise, mais à une grande vague religieuse qui recouvre l'Europe pendant plusieurs millénaires. La destination funéraire des dolmens est incontestable ; ils étaient tous recouverts par un tumulus de terre ( en 1857, on en voyait encore des vestiges autour du Grand Dolmen de Bagneux ). Ces grandes réalisations collectives sont l'œuvre d'une société animée par des croyances intenses et structurée selon de fortes hiérarchies.

 En outre, cette même région recelait une multitude d'outils en pierre polie, souvent de fabrication locale, de la céramique, ainsi que des haches et des armes en bronze, à destination cultuelle ou monétaire ( elles n'ont jamais servi d'outil ), un rasoir, une hallebarde, des poignards, etc. Ces trouvailles ont été apportées par centaines à Auguste Courtiller, le conservateur du Musée de Saumur ( voir les croquis des plus belles pièces dans Landais &, p. 21 et 30 ). De beaux gisements de silex sont exploités, des ateliers locaux sont repérables sur le terrain ( voir le dossier 4 ).
 L'origine précise de ces découvertes n'est pas toujours connue, mais la zone de Distré, Rou-Marson et Verrie se révèle particulièrement riche en vestiges de toutes sortes et de toutes les périodes. Il paraît logique d'en conclure que cette région était fortement peuplée - conclusion peut-être hâtive, puisque des reconstitutions récentes prouvent que deux cents hommes suffisent pour édifier un dolmen. En tout cas, plus peuplée qu'ailleurs.
 Pourtant, cette région s'avère aujourd'hui peu habitée, peu fertile et couverte de forêts dégradées en landes. C'est sans doute là une explication : des clairières naturelles et des brandes faciles à défricher ont paru accueillantes aux premiers agriculteurs sédentaires. En tout cas, le peuplement ancien et dense du plateau dominant la rive gauche du Thouet est parfaitement prouvé. Au nord de la ville, dans la Vallée, les indices sont moins abondants.
   

3) Premiers habitats sur les montils 

 Un bombement médian, atteignant 25 m d'altitude, sépare la Loire de l'Authion. Il résulte d'un remblaiement remontant au dernier âge glaciaire (4) et se décompose aujourd'hui en cinq tertres appelés montils ( ou montilles ou butteaux ). A l'abri des crues annuelles du fleuve, ces monticules accueillent les premiers occupants de la Vallée, ainsi que l'attestent deux sites remontant au néolithique.
 Progressivement, l'habitat descend dans la zone inondable, par exemple aux Anières & (5). L'Authion est navigué ; une pirogue a même été découverte sous le pont de chemin de fer, près de Vieux-Vivy ; au site du Gué d'Arcis ( hors du cadre de la carte ), a été mis au jour un fragment de gobelet en poterie noire remontant à - 2000.
    

 4) Attrait de l'axe ligérien à la fin de l'âge des métaux

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 Au cours du millénaire qui précède Jésus-Christ ( bronze final, puis âge du fer, marqué par l'arrivée de peuples celtiques ), la région demeure active, mais sans intensité  particulière : aucune trace de foyer métallurgique n'a été découverte. Le bronze et le fer sont importés de tout l'ouest de l'Europe & (6). Deux sites, partiellement exploités, apparaissent à cette époque : l'impressionnant oppidum de Chênehutte et le village de l'Alleu. Ces deux foyers actifs sont implantés en bord de Loire, comme si le fleuve reprenait un rôle déterminant en raison des échanges lointains.
    

5) Saumur à l'écart des grands axes gallo-romains

 

Plan de Saumur au cours du 1er millénaire ( 51 av. J.-C. - 1000 ap. J.- C. )
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 Dossier 5 : Aperçus illustrés sur le premier millénaire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Dossier 6 : Etymologie du nom de Saumur.

 Les deux grandes voies romaines de la région passent à l'écart de Saumur & (7) :
- au N., la via andegavensis relie Angers à Tours par Blou et Brain-sur-Allonnes ;
- au S., la route Angers-Poitiers prend un trajet direct par Doué.

 Cependant, des chemins secondaires, dont quelques tronçons sont reconnus comme romains, viennent doubler les précédentes &(8) :
- traversant les marais de la rive nord de l'Authion, une voie bordée de vestiges archéologiques passe à Vieux-Vivy, au Perray, puis à Allonnes ;
- au sud de la Loire, un ancien chemin préhistorique, bordé de menhirs et de dolmens, suit la crête du coteau depuis le Thoureil ; parvenu à Terrefort, il oblique vers le sud, passe à Bournan, à Munet, puis franchit le Thouet au gué de Chacé ( selon d'autres, à la Motte d'Artannes ) et enfin prend la direction de Poitiers.
 Cependant, une branche divergente part de l'actuel aérodrome, s'appelle ensuite « la voie romaine », puis « la rue Rouge » ( un nom caractéristique, qu'on explique aussi par une ancienne auberge appelée " la Roue rouge " ). La suite du tracé est plus conjecturale. Aucun vestige d'un pont n'a été repéré sur le Thouet. A coup sûr, la route rejoint la rue des Moulins, sans doute par Nantilly, et prend la direction de Candes.
 Tout au long de cet axe, les découvertes archéologiques abondent. En 1840, dans la rue Rouge, un maçon creusant les fondations de sa maison met au jour deux bassins carrés revêtus par des dalles de calcaire ; des tuyaux en plomb et des soupapes en cuivre prouvent qu'il s'agit de bains romains, mais tout est détruit après une fouille hâtive. En 1983, aux Rivières, sur le territoire de Varrains, est identifiée la partie inférieure d'un four de tuilier & (9).
 Des trésors monétaires considérables ont été exhumés, notamment dans la vigne des Châteaux, près du moulin Alleaume, 100 à 120 pièces d'or, qui auraient été enfouies au cours de la crise des années 68-70 ap. J.-C. ( fin du règne de Néron ) & (10) ; dans le quartier de Nantilly, 31 pièces cachées au IIIe siècle.
 Viennent s'y ajouter de nombreuses monnaies gauloises et romaines isolées, des bronzes, une inscription, de la céramique ( tuiles à rebord et sigillée ) «(11).
 Si l'on prend en compte les toponymes d'origine gallo-romaine, la preuve est amplement faite de la vitalité de la zone située sur le flanc sud de la ville, où s'échelonnent des villas et d'autres établissements ruraux. Saumur est probablement une mansio, un village, mais il n'y a pas trace de rues, donc d'une véritable agglomération, un vicus, comme Chênehutte ou Lézon ( à Saint-Just-sur-Dive ) «(12).
  De là à conclure sur la présence d'un castrum bâti sur la colline du château, ou tout au moins un poste fortifié surveillant la route. C'était l'avis de J.-F. Bodin et de C. Port. L'explication toponymique la plus séduisante va aussi dans ce sens ( voir dossier ). Mais, faute de trace archéologique incontestable, concluons avec Michel Provost :

 « L'occupation de la butte de Saumur... est probable. Même si les découvertes ne permettent pas de dire quel est le type de l'agglomération, le mobilier ramassé et les deux trésors monétaires découverts attestent le passage du Thouet » & (13).

 Quant au site de la vieille ville, c'est toujours un morne marécage. L'existence d'un pont romain enjambant toute la Loire est exclue «(14). Tout au plus pourrait-on admettre un pont sur le bras de la Croix-Verte «(15). S'il y a dans la région un pont romain, au moins pendant un temps, il se situe entre Chênehutte et Platea ( Saint-Martin de la Place ).
 Le fleuve est toujours franchi par d'anciens gués, prolongés par des cheminements traditionnels. Notamment, le gué de Saint-Martin de la Place, accroché à l'île Saint-Jean et rejoignant le gué d'Arcis ; le gué du Breil, qui permet d'atteindre la route nord à Vieux-Vivy.
 Traversée par des chemins, la Vallée n'est pas un désert total et quelques habitations descendues des montils se risquent même en zone inondable.

   

LES PREMIERS TEXTES DES
ANNÉES 845-866

     

6) Les premières implantations monastiques

 Dossier 7 : Saumur avant Saumur : quatre pistes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Dossier 8 : L'abbaye de Saint-Florent et son installation dans le Saumurois.

 La région est christianisée dès le IVe siècle par saint Martin de Tours, puis par saint Maur et saint Maurille. Les biographes de ces premiers évangélisateurs ( Grégoire de Tours, Fortunat ) citent les lieuxdits de Pocé, Gennes, Candes, toujours actifs, ou Carnona ( Chênehutte ), la capitale de la région, ou encore les villages, aujourd'hui bien déchus, de Cru et de Chavais. Mais Saumur n'appararaît toujours pas, du moins dans des documents clairs et indiscutables.
 La trop longue préhistoire s'achève enfin avec les années 845-866, qui nous apportent sur la région cinq textes donnant un premier éclairage, encore bien vacillant. Ils permettent de constater la réalité locale de la " renaissance carolingienne ".

 Grâce aux liens entretenus par une navigation plus active, la rive gauche de la Loire, largement défrichée, est bordée par un réseau de grands domaines, que les textes désignent encore sous le nom de « villas ». Cependant, l'unité économique de l'époque romaine est progressivement abandonnée. Le propriétaire garde une réserve domaniale en faire-valoir direct ; le gros des terres est divisé en petites exploitations, les manses, tenus par des familles de serfs. A côté, des « manses libres » sont cultivés par d'anciens propriétaires indépendants passés sous la « protection » du maître de la villa voisine, un puissant étroitement lié au souverain ou à ses comtes et parfois descendant des dignitaires de l'empire romain.

 Les seigneurs laïcs ou les évêques sont mal connus. A l'inverse, les abbayes ont soigneusement sauvegardé leurs chartes, qui prouvent la forte implantation monastique dans notre région.

 Le 21 octobre 845, la plus ancienne abbaye de l'Anjou, Saint-Maur de Glanfeuil, obtient du roi Charles le Chauve un ensemble de biens qui appartenaient jusqu'alors à l'un de ses fidèles, Itier &(16). Dans le Saumurois, Saint-Maur reçoit dix manses dans la villa de la Mimerolle, avec une église, puis cinq manses à Anezon, un lieudit disparu situé vers l'embouchure du Thouet, également un manse dans la villa de Fenet et un autre à Pocé.
 Plus en amont, les abbayes Saint-Serge et Saint-Aubin d'Angers sont dotées de terres à Champigny.
 Surtout, les disciples de saint Florent ( biographie x), installés sur la colline du Mont-Glonne ( aujourd'hui Saint-Florent-le-Vieil ), s'implantent eux-aussi fortement dans la région, à Pocé, à Saint-Hilaire des Grottes et peut-être aussi sur le site même de Saumur, mais ce point est toujours en discussion ( voir dossier 8 ).

 En tout cas, ces installations monastiques sont sans lendemain ; l'arrivée des Normands, qui attaquent le Mont-Glonne en 853, met fin à la renaissance carolingienne sur les bords de la Loire, bien que ces Normands n'aient pas été aussi féroces que l'écrivaient les moines.

7) Les confirmations de la toponymie

 Carte de la mise en place du peuplement saumurois d'après la toponymie


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 Sans avoir la valeur probante de l'écrit ou de vestiges archéologiques, les données de la toponymie viennent renforcer les conclusions précédentes.
 Le peuplement du Grand Saumur est d'abord périphérique et marqué par un fort contraste entre les deux rives de la Loire. La population, anciennement installée sur le plateau dominant le Thouet, se rapproche de la Loire à l'époque gallo-romaine, où la route des crêtes constitue un axe structurant.
 Les noms cités avant 1100 ( au nombre de dix ) sont relativement rares, ce qui confirme la faible vitalité de la région au cours du premier millénaire. Ensuite, l'achèvement des levées permet de nombreuses implantations familiales dispersées dans la Vallée ; leur désignation dérive souvent d'un nom de personne «(17), tel les Pironnières ou la Brarderie, ou bien de la description des lieux, comme l'Erable ou la Motte «(18). Les défrichements dans le massif forestier du sud-ouest expliquent des toponymes comme la Gagnerie.
 Enfin, des implantations modernes, font naître des sobriquets souvent ironiques, comme le Petit Souper ou la Bien Boire ; ailleurs, des guinguettes, comme Tivoli, sont de nouvelles implantations qui viennent combler les interstices...
    

 Aux approches de l'an mil, nous atteignons l'âge des fondations.