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L'examen sans complaisance des textes et des vestiges
archéologiques aboutit à un verdict sans appel :
Saumur est une ville récente qui n'a guère plus
de mille ans d'âge.
La longue période du paléolithique, l'âge
de la pierre taillée, n'a laissé que des traces
rarissimes, difficiles à interpréter. C'est vers
- 8 200, depuis le mésolithique, une période
où les outils sont de petites dimensions et finement retaillés,
que les indices d'une occupation humaine de la région
deviennent plus abondants.
A condition de distinguer des aires différentes.
Et à condition d'élargir notre approche aux communes
riveraines de Saumur ( note 1).
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1) Saumur, un vaste marécage
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Le territoire de la ville ancienne de Saumur, en réalité,
un delta du Thouet, se trouve pour l'essentiel au-dessous de
30 mètres d'altitude. Il est chaque année recouvert
par les crues d'un fleuve non endigué et encore vraiment
sauvage. L'inondation la plus spectaculaire dont le récit
nous soit parvenu est le « déluge »
de 1615 : deux rues seulement restent au-dessus des eaux,
la courbe des 30 m. est atteinte ( voir cette courbe sur
le plan ci-contre ).
La Loire, deux fois plus large qu'aujourd'hui, est encombrée
par des îles aux formes fluctuantes. Tout comme le Thouet,
elle se subdivise en de multiples bras, aujourd'hui disparus
( figurés sur la carte tels qu'ils apparaissent aux XVI-XVIIe
siècles ).
Ces conditions naturelles hostiles - si ce n'est à
la pêche et à la navigation - expliquent l'absence
totale de vestiges préhistoriques significatifs dans cette
zone. La ville de Saumur, ou plutôt les bourgades primitives
qui l'annoncent, n'est pas née sur la Loire, mais sur
les bords du Thouet.
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2) Signes de vie sur la rive gauche du Thouet
En dernier lieu, Alexandre Perraud, Magnétisme
terrestre et sites religieux. Des mégalithes aux clochers
tors, 2004, constate que ces monuments sont à la confluence
de trois courants d'eaux souterraines et d'un flux de magnétisme
tellurique.
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Avec 9 dolmens encore debout, 7 dolmens effondrés
( ou disparus, mais à l'existence bien étayée ),
avec 7 autres vestiges mégalithiques, la zone suburbaine
du Sud-Saumurois présente l'une des plus fortes densités
françaises en monuments préhistoriques (2). Ils empruntent tous le même matériau,
le grès éocène ( ou grès à
sabals ) qui forme un tapis de plaques éparses sur
l'ensemble du plateau ; nulle part leur transport n'a réclamé
un long trajet.
Les dolmens présentent en majorité une structure
de type angevin. Leur "entrée" est encadrée
par un portique plus bas, formé de trois pierres, deux
orthostates (3) verticaux et une dalle de couverture. Tous
"s'ouvrent" vers le soleil levant, mais avec un fort
écart entre les deux extrêmes : le Bois du Feu,
à Saint-Hilaire-Saint-Florent, qui est orienté
vers le N.E., à 62° ; le dolmen à demi-écroulé
de la Chênaie, à Distré, qui regarde plutôt
vers le sud avec une ouverture axée sur 171°.
Tous ces monuments ont été fouillés -
ou plutôt "farfouillés" - par des chercheurs
de trésors ; déjà, en 1775, quand le
naturaliste Dolomieu fait creuser sous le Grand Dolmen de Bagneux,
il constate qu'il a été devancé, et il affirme
n'avoir rien trouvé.
Plutôt que de se lancer dans un délire interprétatif,
avançons quelques constats sûrs. Les menhirs, comme
celui de la prairie de Munet, qui atteint 4,50 m. de haut, avaient
une fonction indicatrice, sans doute en relation avec la mécanique
céleste et sans doute sans rapport avec les dolmens pourtant
voisins ; on entrevoit bien dans la région quelques
grands axes, mais on ne sait pas interpréter cette géographie
sacrée. Les monuments mégalithiques ne correspondent
pas à une civilisation précise, mais à une
grande vague religieuse qui recouvre l'Europe pendant plusieurs
millénaires. La destination funéraire des dolmens
est incontestable ; ils étaient tous recouverts par un
tumulus de terre ( en 1857, on en voyait encore des vestiges
autour du Grand Dolmen de Bagneux ). Ces grandes réalisations
collectives sont l'uvre d'une société animée
par des croyances intenses et structurée selon de fortes
hiérarchies.
En outre, cette même région recelait une
multitude d'outils en pierre polie, souvent de fabrication locale,
de la céramique, ainsi que des haches et des armes en
bronze, à destination cultuelle ou monétaire ( elles
n'ont jamais servi d'outil ), un rasoir, une hallebarde,
des poignards, etc. Ces trouvailles ont été apportées
par centaines à Auguste Courtiller, le conservateur du
Musée de Saumur ( voir les croquis des plus belles pièces
dans Landais &, p. 21 et 30 ). De beaux
gisements de silex sont exploités, des ateliers locaux
sont repérables sur le terrain ( voir le dossier 4 ).
L'origine précise de ces découvertes n'est
pas toujours connue, mais la zone de Distré, Rou-Marson
et Verrie se révèle particulièrement riche
en vestiges de toutes sortes et de toutes les périodes.
Il paraît logique d'en conclure que cette région
était fortement peuplée - conclusion peut-être
hâtive, puisque des reconstitutions récentes prouvent
que deux cents hommes suffisent pour édifier un dolmen.
En tout cas, plus peuplée qu'ailleurs.
Pourtant, cette région s'avère aujourd'hui
peu habitée, peu fertile et couverte de forêts dégradées
en landes. C'est sans doute là une explication : des clairières
naturelles et des brandes faciles à défricher ont
paru accueillantes aux premiers agriculteurs sédentaires.
En tout cas, le peuplement ancien et dense du plateau dominant
la rive gauche du Thouet est parfaitement prouvé. Au nord
de la ville, dans la Vallée, les indices sont moins abondants.
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3) Premiers habitats sur les montils
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Un bombement médian, atteignant 25 m d'altitude,
sépare la Loire de l'Authion. Il résulte d'un remblaiement
remontant au dernier âge glaciaire (4) et se décompose aujourd'hui
en cinq tertres appelés montils ( ou montilles
ou butteaux ). A l'abri des crues annuelles du fleuve,
ces monticules accueillent les premiers occupants de la Vallée,
ainsi que l'attestent deux sites remontant au néolithique.
Progressivement, l'habitat descend dans la zone inondable,
par exemple aux Anières & (5). L'Authion est navigué ;
une pirogue a même été découverte
sous le pont de chemin de fer, près de Vieux-Vivy ;
au site du Gué d'Arcis ( hors du cadre de la carte ),
a été mis au jour un fragment de gobelet en poterie
noire remontant à - 2000.
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4) Attrait de l'axe ligérien à la fin
de l'âge des métaux
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Au cours du millénaire qui précède
Jésus-Christ ( bronze final, puis âge du fer,
marqué par l'arrivée de peuples celtiques ), la
région demeure active, mais sans intensité particulière :
aucune trace de foyer métallurgique n'a été
découverte. Le bronze et le fer sont importés de
tout l'ouest de l'Europe & (6). Deux sites, partiellement
exploités, apparaissent à cette époque :
l'impressionnant oppidum de Chênehutte et le village de
l'Alleu. Ces deux foyers actifs sont implantés en bord
de Loire, comme si le fleuve reprenait un rôle déterminant
en raison des échanges lointains.
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5) Saumur à l'écart des grands axes gallo-romains
Plan
de Saumur au cours du 1er millénaire ( 51 av.
J.-C. - 1000 ap. J.- C. )
( Recommandé d'agrandir le navigateur au format plein
écran ).
MEME CARTE en format
zoom grossi 2 fois.
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Les deux grandes voies romaines de la région
passent à l'écart de Saumur & (7) :
- au N., la via andegavensis relie Angers à
Tours par Blou et Brain-sur-Allonnes ;
- au S., la route Angers-Poitiers prend un trajet direct par
Doué.
Cependant, des chemins secondaires, dont quelques tronçons
sont reconnus comme romains, viennent doubler les précédentes &(8) :
- traversant les marais de la rive nord de l'Authion, une
voie bordée de vestiges archéologiques passe à
Vieux-Vivy, au Perray, puis à Allonnes ;
- au sud de la Loire, un ancien chemin préhistorique,
bordé de menhirs et de dolmens, suit la crête du
coteau depuis le Thoureil ; parvenu à Terrefort,
il oblique vers le sud, passe à Bournan, à Munet,
puis franchit le Thouet au gué de Chacé ( selon
d'autres, à la Motte d'Artannes ) et enfin prend
la direction de Poitiers.
Cependant, une branche divergente part de l'actuel aérodrome,
s'appelle ensuite « la voie romaine »,
puis « la rue Rouge » ( un nom caractéristique,
qu'on explique aussi par une ancienne auberge appelée
" la Roue rouge " ). La suite du tracé
est plus conjecturale. Aucun vestige d'un pont n'a été
repéré sur le Thouet. A coup sûr, la route
rejoint la rue des Moulins, sans doute par Nantilly, et prend
la direction de Candes.
Tout au long de cet axe, les découvertes archéologiques
abondent. En 1840, dans la rue Rouge, un maçon creusant
les fondations de sa maison met au jour deux bassins carrés
revêtus par des dalles de calcaire ; des tuyaux en
plomb et des soupapes en cuivre prouvent qu'il s'agit de bains
romains, mais tout est détruit après une fouille
hâtive. En 1983, aux Rivières, sur le territoire
de Varrains, est identifiée la partie inférieure
d'un four de tuilier & (9).
Des trésors monétaires considérables
ont été exhumés, notamment dans la vigne
des Châteaux, près du moulin Alleaume, 100 à
120 pièces d'or, qui auraient été enfouies
au cours de la crise des années 68-70 ap. J.-C. ( fin
du règne de Néron ) & (10) ; dans le quartier
de Nantilly, 31 pièces cachées au IIIe siècle.
Viennent s'y ajouter de nombreuses monnaies gauloises et
romaines isolées, des bronzes, une inscription, de la
céramique ( tuiles à rebord et sigillée )
«(11).
Si l'on prend en compte les toponymes d'origine gallo-romaine,
la preuve est amplement faite de la vitalité de la zone
située sur le flanc sud de la ville, où s'échelonnent
des villas et d'autres établissements ruraux. Saumur est
probablement une mansio, un village, mais il n'y a pas
trace de rues, donc d'une véritable agglomération,
un vicus, comme Chênehutte ou Lézon ( à
Saint-Just-sur-Dive ) «(12).
De là à conclure sur la présence
d'un castrum bâti sur la colline du château,
ou tout au moins un poste fortifié surveillant la route.
C'était l'avis de J.-F. Bodin et de C. Port. L'explication
toponymique la plus séduisante va aussi dans ce sens ( voir
dossier ). Mais, faute de trace archéologique incontestable,
concluons avec Michel Provost :
« L'occupation de la butte de Saumur...
est probable. Même si les découvertes ne permettent
pas de dire quel est le type de l'agglomération, le mobilier
ramassé et les deux trésors monétaires découverts
attestent le passage du Thouet » & (13).
Quant au site de la vieille ville, c'est toujours un
morne marécage. L'existence d'un pont romain enjambant
toute la Loire est exclue «(14). Tout au plus pourrait-on
admettre un pont sur le bras de la Croix-Verte «(15). S'il y a dans la
région un pont romain, au moins pendant un temps, il se
situe entre Chênehutte et Platea ( Saint-Martin de la Place ).
Le fleuve est toujours franchi par d'anciens gués,
prolongés par des cheminements traditionnels. Notamment,
le gué de Saint-Martin de la Place, accroché à
l'île Saint-Jean et rejoignant le gué d'Arcis ;
le gué du Breil, qui permet d'atteindre la route nord
à Vieux-Vivy.
Traversée par des chemins, la Vallée n'est
pas un désert total et quelques habitations descendues
des montils se risquent même en zone inondable.
LES PREMIERS TEXTES DES
ANNÉES 845-866 |
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6) Les premières implantations monastiques
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La région est christianisée dès
le IVe siècle par saint Martin de Tours, puis par saint
Maur et saint Maurille. Les biographes de ces premiers évangélisateurs
( Grégoire de Tours, Fortunat ) citent les lieuxdits
de Pocé, Gennes, Candes, toujours actifs, ou Carnona (
Chênehutte ), la capitale de la région, ou
encore les villages, aujourd'hui bien déchus, de Cru et
de Chavais. Mais Saumur n'appararaît toujours pas, du moins
dans des documents clairs et indiscutables.
La trop longue préhistoire s'achève enfin
avec les années 845-866, qui nous apportent sur la région
cinq textes donnant un premier éclairage, encore bien
vacillant. Ils permettent de constater la réalité
locale de la " renaissance carolingienne ".
Grâce aux liens entretenus par une navigation plus
active, la rive gauche de la Loire, largement défrichée,
est bordée par un réseau de grands domaines, que
les textes désignent encore sous le nom de « villas ».
Cependant, l'unité économique de l'époque
romaine est progressivement abandonnée. Le propriétaire
garde une réserve domaniale en faire-valoir direct ;
le gros des terres est divisé en petites exploitations,
les manses, tenus par des familles de serfs. A côté,
des « manses libres » sont cultivés
par d'anciens propriétaires indépendants passés
sous la « protection » du maître
de la villa voisine, un puissant étroitement lié
au souverain ou à ses comtes et parfois descendant des
dignitaires de l'empire romain.
Les seigneurs laïcs ou les évêques sont
mal connus. A l'inverse, les abbayes ont soigneusement sauvegardé
leurs chartes, qui prouvent la forte implantation monastique
dans notre région.
Le 21 octobre 845, la plus ancienne abbaye de l'Anjou,
Saint-Maur de Glanfeuil, obtient du roi Charles le Chauve un
ensemble de biens qui appartenaient jusqu'alors à l'un
de ses fidèles, Itier &(16). Dans le Saumurois, Saint-Maur
reçoit dix manses dans la villa de la Mimerolle, avec
une église, puis cinq manses à Anezon, un lieudit
disparu situé vers l'embouchure du Thouet, également
un manse dans la villa de Fenet et un autre à Pocé.
Plus en amont, les abbayes Saint-Serge et Saint-Aubin d'Angers
sont dotées de terres à Champigny.
Surtout, les disciples de saint Florent ( biographie x), installés sur la colline
du Mont-Glonne ( aujourd'hui Saint-Florent-le-Vieil ),
s'implantent eux-aussi fortement dans la région, à
Pocé, à Saint-Hilaire des Grottes et peut-être
aussi sur le site même de Saumur, mais ce point est toujours
en discussion ( voir dossier 8 ).
En tout cas, ces installations monastiques sont sans lendemain
; l'arrivée des Normands, qui attaquent le Mont-Glonne
en 853, met fin à la renaissance carolingienne sur les
bords de la Loire, bien que ces Normands n'aient pas été
aussi féroces que l'écrivaient les moines.
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7) Les confirmations de la toponymie
MEME
CARTE en format zoom grossi 4 fois.
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Sans avoir la valeur probante de l'écrit ou
de vestiges archéologiques, les données de la toponymie
viennent renforcer les conclusions précédentes.
Le peuplement du Grand Saumur est d'abord périphérique
et marqué par un fort contraste entre les deux rives de
la Loire. La population, anciennement installée sur le
plateau dominant le Thouet, se rapproche de la Loire à
l'époque gallo-romaine, où la route des crêtes
constitue un axe structurant.
Les noms cités avant 1100 ( au nombre de dix ) sont
relativement rares, ce qui confirme la faible vitalité
de la région au cours du premier millénaire. Ensuite,
l'achèvement des levées permet de nombreuses implantations
familiales dispersées dans la Vallée ; leur
désignation dérive souvent d'un nom de personne «(17), tel les
Pironnières ou la Brarderie, ou bien de
la description des lieux, comme l'Erable ou la Motte «(18). Les défrichements
dans le massif forestier du sud-ouest expliquent des toponymes
comme la Gagnerie.
Enfin, des implantations modernes, font naître des
sobriquets souvent ironiques, comme le Petit Souper ou
la Bien Boire ; ailleurs, des guinguettes, comme Tivoli,
sont de nouvelles implantations qui viennent combler les interstices...
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Aux approches de l'an mil, nous atteignons l'âge
des fondations.
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