Etymologie du nom de Saumur   

 

1) Les premières apparitions du mot




Première apparition de "Saumur", sous la forme " Salmurum ", copie du XIIIe siècle, A.D.M.L., H 3715, Livre Rouge de Saint-Florent, fol.27, v°.

 En toponymie, la saine méthode consiste à dégager d'abord la racine des mots à partir des formes primitives sous lesquelles ils apparaissent.
 En septembre 958, une assemblée judiciaire de nobles et d'évêques ( un plaid ) se réunit dans le Véron. Elle constate :

Première apparition du vocable Saumur

 ......................constructum constat esse monasterium
apud salmurum...
« il est sûr qu'un monastère a été construit à Saumur... ».

- En latin médiéval, « apud » signifie « à ».
Replacé dans son contexte, le toponyme ne peut pas désigner seulement la butte du château, pour laquelle les moines avancent d'autres noms : Truncus ou Vetus Truncus. Salmurum correspond à une aire plus vaste, à un ensemble territorial bien défini.
- Après cette première apparition, le nom varie peu : Castrum Salmurum ( Château-Saumur ), Salmurius, Salmuria et pour les premières formes françaises : Pétronille de Salmur ( 1209 ) et Salmeur ( 1240 ).
- Aucun doute : les syllabes "SAL" et "MUR" forment un radical constant qui constitue la base de travail.
- Enfin, la date de 958 constitue un terminus a quo, une limite à partir de laquelle le mot est définitivement constitué. Mais il ne faut pas en conclure que le terme a été formé peu auparavant ; bien des toponymes remontant aux Celtibères apparaissent dans les textes encore plus tard.
   

2) L'explication des moines de Saint-Florent

 Dès le Xe siècle, les scribes de l'abbaye font dériver Saumur de « Salvus Murus » - « le mur solide » ou plutôt « la muraille qui sauve », car, expliquent-ils, la fortification a pour objet premier de protéger leur précieuse relique, le corps de saint Florent.
Cette étymologie, reprise par les érudits du XVIIe siècle, doit être rejetée pour les raisons suivantes :

 - en passant en français, le nom serait devenu « Saufmur » ou « Sauvemur » ;
 - il aurait désigné la seule abbaye-forteresse, et non un territoire plus vaste ;
 - cette appellation est très probablement antérieure à la fondation du monastère ;
 - le rempart de terre et de bois est nommé « castellum » par les chroniqueurs du temps, le terme « murus » leur est inconnu.
  

 3) Un mot pré-celtique ?

D'après les dictionnaires toponymiques de A. CHERPILLOD, A. DAUZAT ( revu par Ch. ROSTAING ) et E. VIAL.
[ A. LONGNON, A. VINCENT et Fr. FALC'HUN n'apportent rien ]

 Les toponymistes, estimant que beaucoup de noms de lieux remontent à des peuples installés avant l'arrivée des Indo-Européens, ont reconstitué une liste de radicaux caractéristiques. Ainsi *Sal ou *Sala serait une racine à valeur hydronymique pré-indo-européenne désignant des terrains marécageux, ce qui est fort séduisant pour le site de l'ensemble de la ville. Mais ces mêmes spécialistes n'ont pas de vocable pré-celtique pour rendre compte de « mur ».
     

4) Un mot latin ?

Michel ROBLIN, « Les noms de lieux Semur, Sermur, Saumur et Zamora », Revue des Etudes Anciennes , t. LVIII, 1956, p. 254-268.

Philippe DAIN, Recherches sur les Andecavi, thèse de 3ème cycle, 1967, p. 92-93.
 
 
Albert DAUZAT, dans Revue internationale d'Onomastique, déc. 1950, p. 241-246.

 A l'inverse, les romanistes ( partisans d'une origine latine ) expliquent fort bien cette seconde racine. A l'époque du Bas-Empire, le terme « murus », pris au sens de "rempart", désigne, non pas des castra, des villes fortifiées, mais des fortins que les cités édifient pour protéger leurs frontières, du IIIe au VIe siècle de notre ère. Michel Roblin, qui mène une étude comparative sur treize toponymes apparentés, est convaincant sur ce point.
 Pour la première syllabe, il tient à la complète latinité et il avance « senex murus - le vieux mur, la principale muraille » ou, à la rigueur, « senis murus - le fortin du vieillard, le fortin du sénateur ». Cette dernière explication est difficilement recevable, car elle aboutit à une forme du type « senmurus » qu'on trouve à Semur-en-Auxois et à Zamora, mais jamais pour notre Saumur, qui demeure fidèle à une première syllabe du type "SAL", qui devient "SAU", selon une loi classique de la phonétique, de même que Delphinum devient Dauphin ou Maledictum Maudit.
 Albert Dauzat, fidèle au schéma proposé par d'Arbois de Jubainville, ( un nom de propriétaire gallo-romain suivi d'un suffixe évoquant son domaine ) a longtemps proposé le nom de famille Salius, dont l'existence est attestée dans Virgile et dans les inscriptions. Soit, « le fortin de Salius ». Mais, dans un nouvel article, il renonce à cette explication anthroponymique après avoir constaté que murus n'est jamais associé à un gentilice, ce nom de famille romain restant lié à un terroir ou à une villa.
    

5) Un mot tardif de la langue d'oïl 

L'Intermédiaire des Chercheurs et Curieux, 1955, col. 738-739 - 1956, col. 286 - 1957, col. 743-744.
 
Walther von WARTBURG, Französisches etymologisches Wörterbuch, VI(3), 245a

Ernest NEGRE, Toponymie générale de la France, 3 vol., 1990-1991, t. III, p. 1439.

 Au  cours d'un débat nourri, les correspondants de L'Intermédiaire ont témoigné d'une belle imagination créatrice, mais sans se soucier des règles de la toponymie. La proposition la plus curieuse voit dans Saumur un terme de marine : « le mur du saule », le mur désignant un passage difficile dans la navigation sur la Loire ; le vocable saule ayant été apporté par les Francs. Or, à Saumur, il y avait des gués empierrés et bordés par des pieux, ainsi qu'une île du Saule. Ingénieux, n'est-il pas ? Mais peu scientifique et sans la moindre preuve.

 Le grand linguiste von Wartburg et à sa suite Ernest Nègre font appel à « *SOL-MUR = le mur dans le sol, le fondement ». En dériverait un mot du vieux français : « sômurage = réfection d'un mur en sous-œuvre ». Dans la mesure où les constructions en pierre sont rares pendant le Haut Moyen Age, cette explication n'est guère enthousiasmante ( on trouve bien une maison forte carolingienne à Doué-la-Fontaine, et elle est encore debout, mais rien de tel à Saumur ). Joseph Chauveau, qui travaille sur « SAUMORE », me communique le mot « saulmurages », cité par le dictionnaire français-anglais de Cotgrave ( 1611 ) dans le sens : « déblai de pierres, briques, etc., laissé sur le sol ou les fondations d'une maison ». La première définition est intéressante et pourrait faire allusion aux briques et aux tuiles abondantes vers le Petit Puy. C'est un peu risqué tout de même, car on est loin du site primitif du château.
    

6) Premières conclusions

 Les formations hybrides, juxtaposant des termes de deux périodes différentes, peuvent surprendre, mais leur existence est bien attestée. L'association des deux radicaux le mieux étayés est possible : à la désignation millénaire d'un marécage ( *Sal ) se serait adjointe la référence à un fortin édifié sur la colline du château ( murus ). Le déterminant précédant le nom, cela donne : « le fortin du marécage - le fort dans les marais », une explication séduisante, géographiquement impeccable, onomastiquement possible. Mais deux fortes objections subsistent :
 - on n'a pas la moindre trace d'une fortification du Bas-Empire ;
 - les Gallo-Romains installaient des postes militaires le long de leurs routes et une route secondaire passait bien à Saumur, mais, ici, le solide castrum de Chênehutte semble trop proche. Pourquoi bâtir un autre fortin à 9 km de distance ? D'autant plus qu'on est encore loin de la frontière du côté des Turones, qui était à Candes.
 Tout en trouvant cette dernière explication séduisante, il nous faut bien conclure que la question reste ouverte.
    

 7) Un nom issu d'un conseil de seigneurs francs

  Jean Franville, professeur retraité à Verdun, me communique aimablement une piste nouvelle. Selon lui, l'explication par le préceltique « *Sal, terrain marécageux » n'est qu'un dernier recours quand on n'a pas mieux. Au contraire, le dictionnaire de Dauzat étudie un bon nombre de toponymes sur le modèle : Salles, Saales, La Salle, Selles, qu'il explique à partir du mot germanique « *Seli, la chambre, le château », qui devient Saal en allemand et Sala dans les transpositions latines des scribes médiévaux. Ce nom ne peut apparaître dans la toponymie que lorsque les seigneurs francs imposent leur pouvoir, c'est-à-dire, à l'époque mérovingienne. « Salaemurum » donne fort logiquement Saumur. Le traduire par « le mur du château » est un peu simpliste, car le sens du mot Sala évolue, désignant plutôt une institution qu'un lieu, en l'occurrence, la Chambre des seigneurs qui se réunit dans la salle. Selon G. Duby, au Haut Moyen âge, la Salle correspond à une assemblée solennelle de grands féaux. Selon Joseph Balon, dans le droit des Francs saliens, la Sala désigne le statut d'un seigneur alleutier ; des juges spécialisés, les Saleburgiones et les Salemanni sont chargés de protéger ce statut.
 Tenant compte de l'évolution du mot, Jean Franville pense que « Saumur doit son nom à une décision qui a été prise à l'époque franque par une chambre ( dite "salle" ) où ont siégé de nombreux seigneurs habilités en droit pour ce faire ». En simplifiant, on pourrait rendre le toponyme par « le mur de la Chambre seigneuriale », soit que le Conseil l'ait construit, soit qu'il y siège.
 Le sens de murus s'élargit également au cours des siècles ; il peut désigner un enclos ou une levée, ce qui pourrait donner « l'enclos où se réunit la Chambre des seigneurs » ou bien « la levée édifiée par décision du Conseil ».
 Avouons que nous ne sommes guère satisfait par ces approximations et que la signification de l'association des radicaux SAL et MUR nous échappe toujours. Néanmoins, le recours à un vocable apporté par les Francs présente l'avantage de correspondre à l'époque où Saumur devient une entité territoriale bien définie.
 Malgré tout, la question n'est pas close.
    

8) Un dossier toujours ouvert

 Depuis la mise en ligne de ce dossier, le 20 décembre 2009, de nouvelles études sont apparues. Stéphane Gendron, « Les noms de lieux de Saumur », S.L.S.A.S., mars 2016, p. 83-93, conclut que l'explication « du toponyme « Saumur » demeure problématique ». Il cite des études récentes ; Gérard Taverdet ( 2003 ) partirait du gaulois * Salimuru qui désignerait une citadelle et qui dériverait de * Talimuru, le talus ; cette explication présente des difficultés phonétiques. Pierre-Henri Billy ( 2011 ) se réfère à Salimuria, mot du latin tardif bien attesté au VIe siècle. Cependant, sa signification : « saumure, eau salée » ne s'applique guère à la topographie locale ; la source des Ardilliers est argileuse, mais pas salée.
 Toujours rien de vraiment satisfaisant.