1) Les premières apparitions du mot
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En toponymie, la saine méthode consiste à
dégager d'abord la racine des mots à partir des
formes primitives sous lesquelles ils apparaissent.
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2) L'explication des moines de Saint-Florent |
Dès le Xe siècle, les scribes de l'abbaye
font dériver Saumur de « Salvus Murus »
- « le mur solide » ou plutôt « la muraille
qui sauve », car, expliquent-ils, la fortification a pour
objet premier de protéger leur précieuse relique,
le corps de saint Florent.
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3) Un mot pré-celtique ?D'après les dictionnaires toponymiques de A. CHERPILLOD,
A. DAUZAT ( revu par Ch. ROSTAING ) et E. VIAL.
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Les toponymistes, estimant que beaucoup de noms de
lieux remontent à des peuples installés avant l'arrivée
des Indo-Européens, ont reconstitué une liste de
radicaux caractéristiques. Ainsi *Sal ou *Sala
serait une racine à valeur hydronymique pré-indo-européenne
désignant des terrains marécageux, ce qui est fort
séduisant pour le site de l'ensemble de la ville. Mais
ces mêmes spécialistes n'ont pas de vocable pré-celtique
pour rendre compte de « mur ».
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4) Un mot latin ?Michel ROBLIN, « Les noms de lieux Semur, Sermur,
Saumur et Zamora », Revue des Etudes Anciennes
, t. LVIII, 1956, p. 254-268.
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A l'inverse, les romanistes ( partisans d'une origine
latine ) expliquent fort bien cette seconde racine. A l'époque
du Bas-Empire, le terme « murus », pris
au sens de "rempart", désigne, non pas
des castra, des villes fortifiées, mais des fortins
que les cités édifient pour protéger leurs
frontières, du IIIe au VIe siècle de notre ère.
Michel Roblin, qui mène une étude comparative sur
treize toponymes apparentés, est convaincant sur ce point.
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5) Un mot tardif de la langue d'oïlL'Intermédiaire des Chercheurs et Curieux, 1955, col. 738-739 - 1956, col. 286 - 1957, col. 743-744.Walther von WARTBURG, Französisches etymologisches
Wörterbuch, VI(3), 245a
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Au cours d'un débat nourri, les correspondants de L'Intermédiaire ont témoigné d'une belle imagination créatrice, mais sans se soucier des règles de la toponymie. La proposition la plus curieuse voit dans Saumur un terme de marine : « le mur du saule », le mur désignant un passage difficile dans la navigation sur la Loire ; le vocable saule ayant été apporté par les Francs. Or, à Saumur, il y avait des gués empierrés et bordés par des pieux, ainsi qu'une île du Saule. Ingénieux, n'est-il pas ? Mais peu scientifique et sans la moindre preuve. Le grand linguiste von Wartburg et à sa suite
Ernest Nègre font appel à « *SOL-MUR
= le mur dans le sol, le fondement ». En dériverait
un mot du vieux français : « sômurage
= réfection d'un mur en sous-uvre ».
Dans la mesure où les constructions en pierre sont rares
pendant le Haut Moyen Age, cette explication n'est guère
enthousiasmante ( on trouve bien une maison forte carolingienne
à Doué-la-Fontaine, et elle est encore debout,
mais rien de tel à Saumur ). Joseph Chauveau, qui travaille
sur « SAUMORE », me communique le mot « saulmurages »,
cité par le dictionnaire français-anglais de Cotgrave
( 1611 ) dans le sens : « déblai
de pierres, briques, etc., laissé sur le sol ou les fondations
d'une maison ». La première définition
est intéressante et pourrait faire allusion aux briques
et aux tuiles abondantes vers le Petit Puy. C'est un peu risqué
tout de même, car on est loin du site primitif du château.
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6) Premières conclusions |
Les formations hybrides, juxtaposant des termes de
deux périodes différentes, peuvent surprendre,
mais leur existence est bien attestée. L'association des
deux radicaux le mieux étayés est possible : à
la désignation millénaire d'un marécage
( *Sal ) se serait adjointe la référence
à un fortin édifié sur la colline du château
( murus ). Le déterminant précédant
le nom, cela donne : « le fortin du marécage
- le fort dans les marais », une explication séduisante,
géographiquement impeccable, onomastiquement possible.
Mais deux fortes objections subsistent :
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7) Un nom issu d'un conseil de seigneurs francs |
Jean Franville, professeur retraité à
Verdun, me communique aimablement une piste nouvelle. Selon lui,
l'explication par le préceltique « *Sal,
terrain marécageux » n'est qu'un dernier recours
quand on n'a pas mieux. Au contraire, le dictionnaire de Dauzat
étudie un bon nombre de toponymes sur le modèle :
Salles, Saales, La Salle, Selles, qu'il explique à partir
du mot germanique « *Seli, la chambre, le château »,
qui devient Saal en allemand et Sala dans les transpositions
latines des scribes médiévaux. Ce nom ne peut apparaître
dans la toponymie que lorsque les seigneurs francs imposent leur
pouvoir, c'est-à-dire, à l'époque mérovingienne.
« Salaemurum » donne fort logiquement
Saumur. Le traduire par « le mur du château »
est un peu simpliste, car le sens du mot Sala évolue,
désignant plutôt une institution qu'un lieu, en
l'occurrence, la Chambre des seigneurs qui se réunit dans
la salle. Selon G. Duby, au Haut Moyen âge, la Salle correspond
à une assemblée solennelle de grands féaux.
Selon Joseph Balon, dans le droit des Francs saliens, la Sala
désigne le statut d'un seigneur alleutier ; des juges
spécialisés, les Saleburgiones et les Salemanni
sont chargés de protéger ce statut.
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8) Un dossier toujours ouvert |
Depuis la mise en ligne de ce dossier, le 20 décembre
2009, de nouvelles études sont apparues. Stéphane
Gendron, « Les noms de lieux de Saumur »,
S.L.S.A.S., mars 2016, p. 83-93, conclut que l'explication
« du toponyme « Saumur » demeure
problématique ». Il cite des études
récentes ; Gérard Taverdet ( 2003 )
partirait du gaulois * Salimuru qui désignerait
une citadelle et qui dériverait de * Talimuru,
le talus ; cette explication présente des difficultés
phonétiques. Pierre-Henri Billy ( 2011 ) se
réfère à Salimuria, mot du latin
tardif bien attesté au VIe siècle. Cependant, sa
signification : « saumure, eau salée »
ne s'applique guère à la topographie locale ;
la source des Ardilliers est argileuse, mais pas salée.
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