1) Le premier projet de Duplessis-Mornay
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En 1592, Henri IV commence à " s'éclairer "
sur les dogmes catholiques, étape préparatoire
à sa conversion. Duplessis-Mornay, pour parer le danger,
lui propose un projet qui lui tient à coeur : la
réunion d'un concile national, dont les débats
pourraient éclairer le roi. Ce dernier, en attendant,
approuve son idée de rassembler « à
Saumur jusques à une douzaine des plus doctes et excellents
ministres ou docteurs de la religion réformée...
pour se préparer de bonne heure à cette conférence
» ( Mémoires de Madame de Mornay, t. 1,
p. 243 ).
La première académie rêvée par
Mornay est donc un cercle de théologiens éminents,
regroupés autour d'une bonne bibliothèque et préparant
leurs arguments en vue d'une prochaine controverse entre les
deux confessions.
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2) L'instruction de la jeunesse
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Le gouverneur de Saumur s'est constamment préoccupé
de diffuser les thèses de la Réforme, en les associant
à une forte culture humaniste. C'est ce qu'il fait dans
ses nombreux écrits. Il se soucie en outre de former les
cadres de la société protestante, cadres militaires
recrutés chez les jeunes nobles, cadres administratifs
issus de la bourgeoisie de robe, cadres religieux, les pasteurs.
Jusqu'alors, les ministres français sont surtout formés
à Genève et, en petit nombre, à Sedan. Duplessis-Mornay
veut ouvrir à Saumur un second Genève, situé
au coeur du royaume. Les futurs pasteurs y seront préparés
aux controverses, d'où les joutes oratoires hebdomadaires ;
ils liront les textes sacrés dans le texte, d'où
l'importance du grec et de l'hébreu.
Les réseaux d'enseignement de chaque confession
se mettent alors en place. Les catholiques disposent à
Saumur d'un petit collège royal, d'ailleurs mal portant.
Cependant, aux alentours, les jésuites multiplient leurs
établissements, notamment à La Flèche. Dans
la région, les protestants disposent de collèges
à Tours, à Vendôme et à Loudun, mais
ils fonctionnent mal. Leurs seules structures scolaires dynamiques
sont situées dans l'arc méridional français,
comme l'académie privée de Nîmes, ou implantées
sur les frontières, à l'extérieur du royaume,
comme à Orthez dans le domaine de Jeanne d'Albret ou à
Sedan sur les terres du duc de Bouillon.
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3) Les étapes de la création du collège
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Quand Henri IV vient en visite à Saumur en mars
1593, Duplessis-Mornay lui reparle de son projet d'Académie
et il obtient un collège. Le roi « octroya
lettres d'érection pour un collège à Saumur,
garny de professeurs ès trois langues et ès artz
et sciences, promettant de pourveoir, quand la nécessité
de ses affaires le permettroit, au bastiment et entretenement
d'iceluy » ( Mémoires de Madame de
Mornay, t. 1, p. 257 ).
Les lettres patentes données à Tours le 20
mars 1593 ont été produites par les réformés
de Saumur en décembre 1684, sous leur forme originale
( E. MERZEAU, L'Académie Protestante de Saumur,
1604-1685, 1908, p. 6, note ). Duplessis-Mornay
est donc autorisé à ouvrir un collège de
plein exercice, enseignant les trois langues ( latin, grec et
hébreu ) et délivrant un titre de maître
ès arts ou bachelier ès arts.
En 1596, le synode national réuni à Saumur
retient cette ville comme lieu d'érection du collège
et, si possible, d'une académie, mais il ne se passe rien
jusqu'à l'Edit de Nantes, qui, dans son article secret
du 3 avril 1598, accorde 45 000 écus pour l'entretien
des pasteurs et des universités. Sur ces fonds, le 15 ème
synode national, tenu à Montpellier en mai suivant, affecte
3 333 écus pour l'entretien de deux universités,
l'une à Saumur, l'autre à Montauban.
A défaut d'université, un collège
est aussitôt ouvert, il fonctionne en 1599, année
où l'assemblée de Châtellerault lui accorde
des crédits. Pour l'instant les postes de régents
sont tenus par des pasteurs et des personnes cultivées
de la ville. En 1603, le cycle de philosophie fonctionne ; le
synode provincial de Baugé se plaint d'ailleurs des absences
des enseignants, qui sont en même temps médecins.
Les premières thèses de philosophie ne sont soutenue
qu'en 1610, après une complète reconnaissance juridique.
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4) L'achat des locaux
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Le nouvel établissement est installé
à l'arrière de l'Hôtel de Ville, dans des
bâtiments assez disparates, où logeaient Duplessis-Mornay
et sa maisonnée, puis abandonnés lorsqu'ils montent
au château.
Le 8 avril 1604, devant Maître Le Rat, dix représentants
mandatés de l'église réformée achètent
pour le prix élevé de 6 482 livres deux corps
de logis séparés, l'un donnant sur l'actuelle rue
Corneille, l'autre sur l'actuelle rue Bonnemère ( A.M.S.,
I B 36 ). L'acte précise que ces bâtiments sont
destinés à « l'administration de l'académie
et colège dudict Saulmur » et que les acquéreurs
ont reçu pouvoir du synode national tenu à Gap
en Dauphiné au mois d'octobre 1603 ( il est possible
que les fonds proviennent également du synode ).
En outre, à une date non précisée,
Joseph Deslandes et Pierre Coigner, deux anciens de Saumur, achètent
pour les besoins du collège une autre maison dépendant
de la commanderie de Saint-Jean.
Finalement, l'îlot situé à l'arrière
de la Maison de Ville est presque en entier occupé par
l'Académie ( voir plan de Saumur
protestant ). Il n'y a pas de construction nouvelle.
Tout au plus aménage-t-on de nouveaux escaliers et des
préaux. Ces travaux sont glissés
dans les comptes des fortifications, où l'on remarque :
« A Macé Chesnais, pauvre manoeuvrier, blessé
en travaillant à la maison de ville - cinq écus »
( Arch. dép. de la Vendée 67 J 10 ).
Les vestiges aujourd'hui visibles au fond de la cour de
l'Hôtel de Ville sont probablement les seuls aménagements
du temps. Le vestibule ( à droite ) a été
remodelé au XIXe siècle, car les bases des piliers
sont en pierre de Champigny.
Tous comptes faits, le collège et l'académie
ont tout juste besoin d'une douzaine de salles de classe, d'une
bibliothèque, où se tiennent les conseils, et d'un
local pour le concierge. Ces quatre bâtiments suffisent
à les héberger. Seule, la cour centrale est bien
exiguë ; il sera plus tard reproché aux protestants
d'avoir empiété sur la cour particulière
de l'Hôtel de Ville.
En 1647, l'Académie achète une autre maison,
habitée par William Doull. Ce dernier continue à
l'habiter en versant un loyer. L'institution n'a apparemment
pas besoin de locaux supplémentaires.
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5) La lente éclosion de l'Académie
Jean-Paul PITTION, « Naissance de l'institution.
Aux origines de l'Académie de Saumur (1593-1612) »,
Colloque de Fontevraud, p. 71-77.
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Sur la naissance de l'Académie proprement dite,
c'est-à-dire la mise en place d'un enseignement structuré
de la théologie préparant aux fonctions de ministre,
les documents sont rares et en partie exilés à
Dublin et à Edimbourg.
On distingue une période de tâtonnements :
des professeurs de théologie sont cités à
partir de 1600, mais il s'agit des pasteurs de l'église
locale qui doivent instruire les collégiens. Philippe
Birgan, sieur du Bignon, enseigne l'hébreu à partir
de 1605 ( sans doute à des collégiens ). Le
mot " académie ", emprunté
à l'institution fondée à Genève par
Calvin, apparaît dans l'acte d'achat de 1604 ; auparavant,
les textes parlaient d'université, terme qui ne convient
pas à un établissement qui n'a jamais enseigné
la médecine ni le droit.
Une date précise marque l'ouverture officielle de
l'Académie. Duplessis-Mornay évoque l'inauguration
des cours publics le jeudi 12 octobre 1606. Il n'a pas attendu
le 18 octobre, jour de la Saint Luc, date officielle de la rentrée
des étudiants catholiques. Il précise, le 22 février
1607 : « dès ce commencement, il y a nombre
d'escoliers en théologie, et s'y en rend tous les jours »
( Mémoires, T. X, 1824, p. 184 et p. 197-198 ).
Il confirme dans une lettre du 6 juillet de la même année :
« Pour moi, je reprens ici alene tout doucement, avec
mes amis, et m'y repais de la veue d'une Académie qui
s'en va fleurir ».
Il recrute aussitôt deux professeurs réputés,
les écossais Robert Boyd of Trochredg en 1607 et William
Craig, qui succède au pasteur suisse Michel Béraud
en 1608. Cet appel à des enseignants étrangers
trahit le manque de cadres universitaires du protestantisme français.
L'Académie de Saumur va progressivement en susciter.
A partir de 1607, elle a le droit de conférer des
grades reconnus. Louis XIII, le 23 juillet 1611, lui accorde
la titre d'Académie royale, ce qui lui vaut les privilèges
accordés aux autres universités. Duplessis-Mornay
suit de près son fonctionnement, il assiste aux soutenances
de thèses et, parfois, participe à l'enseignement.
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