Les Ardilliers et les Oratoriens   

  

1) Bibliographie

A.D.M.L., 96 H 8- Guillaume de Rennes :
poèmes en alexandrins par un magistrat de Saumur, qui évoque la découverte de la statuette et les débuts du pèlerinage ( à droite, édition de 1619, A.D.M.L., 96 H 8 ). Ce conseiller du roi, poète infatigable et verbeux, publie de nouvelles strophes en 1622.
 D'autres vers de même facture sont restés manuscrits ; ils sont recopiés sur un registre de comptes du prieur de Nantilly ( A.D.M.L., H 2 286, fol. 109 ).

 René Hernault, imprimeur catholique vient d'installer sa boutique auprès des Ardilliers. Cette première publication en 1619 coïncide avec l'installation des Oratoriens.

 

 

Première édition de 1634- François Bareyre et René Demyon :
 1 ère édition en 1634 ( à gauche ), 9 ème édition en 1715.
 Cette brochure officielle sur l'histoire de la statue ( "l'image" ) et sur les débuts du pèlerinage, complétée par quelques récits de miracles, n'est pas signée, mais les documents du temps permettent d'identifier ses auteurs.
 Le Père François Bareyre s'en explique dans les récits des deux miracles qu'il s'attribue ( A.M.S., III A ). En 1631, en période de peste, atteint d'une « fièvre chaude dicenterie et fièvre continue » et condamné par les médecins Texier et Duncan, « je promis et fis veu que s'il plaizoit à Dieu me donner la santé, je ferois mon possible aux fins que lesdits miracles fusent imprimés et expozés en vante publique, et après se faict, le mesme jour, je commencé à me mieux porter et me suis tousjours bien porté du depuis, Dieu mercy. Qu'est cauze que j'ay prié plusieurs fois nos supérieurs pour faire imprimer lesdits miracles... » ( déclaration du 4 août 1634 ).
 En 1652, il se déclare miraculé à nouveau d'un « flux de sang continuel » et affirme dans son témoignage que ses précédents récits ont été imprimés à plusieurs milliers d'exemplaires.
 En réalité, le Père Bareyre, sorte de miraculé professionnel, rédige dans un style naïf et en mauvais français. Il n'est pas l'unique auteur de la brochure, car ses supérieurs lui ont adjoint un autre rédacteur plus qualifié, le Père René Demyon, d'origine saumuroise et résidant alors à Tours. Le Père Batterel, le mieux informé sur la vie de l'Oratoire, lui attribue exclusivement la paternité de l'ouvrage ( Louis BATTEREL, Mémoires domestiques pour servir à l'histoire de l'Oratoire, éd. de 1902, t. 1, p. 158 ).
 Demyon décède en 1647, les Oratoriens qui assurent le service du sanctuaire préparent les éditions suivantes, en ajoutant quelques récits de nouveaux miracles.
 Cependant, ils ne sauraient être juge et partie dans les faits merveilleux qu'ils rapportent ; l'évêque d'Angers, en 1628, donne commission d'enquêteurs au recteur-curé et au père gardien des Récollets de Saumur. C'est pourquoi ce dernier délivre l'approbation placée en tête des premières éditions.

- Ludovic Desmé, Notice sur Notre-Dame des Ardilliers de Saumur, S., Paul Godet, 1844 et 1882, réédition en français modernisé de l'ouvrage précédent et petites polémiques, qui engendrent la réponse suivante :

- [ Pasteur Duvivier ], Adresse d'un vrai Catholique à ses Frères des bords de Loire et des contrées environnantes, en réponse à une brochure intitulée : Notice sur Notre-Dame des Ardilliers de Saumur, Paris, 1844.

- Abbé Choyer, Notice historique sur le pèlerinage de Notre-Dame des Ardilliers, 2 vol., 1886.

- Jacques Ploquin, Un pèlerinage marial angevin à l'époque moderne, Notre-Dame des Ardilliers, à Saumur, mém. de maîtrise, Angers, 1977.

- Jean de Viguerie, Notre-Dame des Ardilliers. Le pèlerinage de Loire, 1986.

- Bruno Maës, Pèlerinages nationaux et identité nationale en France ( XVe-XVIIIe s. ). Liesse, Saumur et le Puy entre culture religieuse et culture politique, Thèse multigraphiée, Reims, 1999 ( A.D.M.L., n° 11 026 ) - édition imprimée : Le Roi, la Vierge et la Nation. Pèlerinages et identité nationale entre guerre de Cent Ans et Révolution, Publisud, 20025.
   

2) Le sanctuaire municipal, jusqu'en 1619

 Désignés d'abord pour construire la chapelle, deux administrateurs laïques mis en place par le Conseil de Ville gèrent le pèlerinage ; ils nomment un " prêtre-sacristain ", quelques " prêtres-messiers ", ainsi que le petit personnel de surveillance.
 Leur dévouement n'est pas en cause, mais ils sont débordés par le flot des pèlerins et par les querelles répétitives du clergé local, qui se dispute les revenus élevés de la chapelle : les chandelles sont revendues pour un montant de huit fois leur prix d'achat. Confier la gestion du pèlerinage à un ordre religieux expérimenté est la solution arrêtée par Henri IV, qui, par lettres patentes du 19 septembre 1607, désigne les Frères Minimes installés à Tours ( A.D.M.L., G 2 355 ).
 Une coalition hétéroclite se dresse contre leur installation ; elle associe l'abbé de Saint-Florent, le prieur de Nantilly et le recteur de Saumur, mais, en outre, les ordres mendiants déjà installés dans la ville font savoir qu'ils sont inquiets pour leur subsistance. Les Minimes finissent par renoncer.
   

3) L'installation des Oratoriens

Adolphe PERRAUD, L'Oratoire de France au XVIIe et au XIXe siècle, 1866.
 
 
 
 
 
A.-W. GOISNARD, « Installation des Oratoriens à Notre-Dame des Ardilliers de Saumur », Oratoriana, mai 1969, p. 51-91 [ très détaillé ].

 L'Oratoire est une congrégation de prêtres séculiers fondée en France le 11 novembre 1611 par Pierre de Bérulle. Les Pères ne prononcent pas de voeux solennels et peuvent sans difficulté quitter la compagnie. Ils diffèrent du clergé paroissial par leur haut niveau d'instruction et se donnent pour premier objectif la formation de ce clergé, ce qui les rend aptes à rivaliser avec les professeurs de l'Académie protestante.
 L'Oratoire apparaît à Saumur comme « un fort que l'Eglise romaine opposait à la place d'armes que les Protestants avaient établie dans la ville », selon l'appréciation d'un observateur qualifié, Moyse Amyraut. Ils ne sont donc pas choisis seulement pour gérer le pèlerinage, mais pour devenir le pilier local de la Contre-Réforme.

 La reine régente Marie de Médicis est liée à Bérulle : à l'occasion d'un de ses nombreux pèlerinages aux Ardilliers, elle fait signer au jeune Louis XIII, le 9 août 1614, des lettres patentes confirmant les droits des Pères de l'Oratoire sur la chapelle ( A.M.S., II A 1, n ° 2 ). Une assemblée générale des habitants de Saumur, tenue au Palais Royal le 30 avril 1615, approuve leur installation. En haut lieu, la cause est défendue par René Gaultier, seigneur de Boumois, avocat au Grand Conseil et étroitement associé au parti dévot. C'est lui qui s'occupe des procédures juridiques, assez complexes ( Jean-Claude SUEUR, S.L.S.A.S., p. 32-34 ).
 Les Minimes reçoivent des compensations. Les Cordeliers de Saumur pourront occasionnellement venir confesser et célébrer des messes dans la chapelle ( A.D.M.L., 96 H 2 ). Il faut plus de temps pour apaiser l'abbé de Saint-Florent et le recteur de Saumur, qui continuent à faire du scandale et des procès. En 1622, l'abbé de Saint-Florent accepte un concordat lui reconnaissant quelques droits honorifiques sur la chapelle, accompagnés par une rente annuelle de 120 livres pour le prieur de Nantilly.
 Duplessis-Mornay, déjà furieux contre les miracles, pouvait torpiller le projet en sa qualité de gouverneur et de responsable de l'ordre public. C'est alors qu'intervient un de ses amis, Léonor d'Estampes de Valençay, alors abbé de Saint-Pierre de Bourgueil et aumônier du Roi, qui le convainc d'accepter les Oratoriens, présentés comme moins virulents que les Jésuites.

 Trois oratoriens, dirigés par le Père François Bourgoing, sont accueillis à Saumur le 5 avril 1619 ( c'est leur 18 ème implantation en France ). Ils demeurent dans l'hôtellerie de la Fontaine, qui appartient à la chapelle, mais ils achètent peu après une maison de style XVIe siècle, qui porte aujourd'hui le numéro 1 de la place Notre-Dame. L'inventaire des immenses richesses de la chapelle est aussitôt dressé : il comporte déjà 211 articles énumérant des joyaux, des ornements précieux, du mobilier ; la présence de confessionnaux y est déjà signalée ( A.D.M.L., IV B 871 ).
   

4) La transformation des lieux

 Les Oratoriens agrandissent aussitôt leur territoire. L'ancienne hôtellerie de la Fontaine est reconstruite à neuf pour 4 200 livres à la suite d'un contrat passé le 27 octobre 1649 avec le maître architecte Antoine Piochon ( A.M.S., II B 8 ).
 Ils reçoivent le Bois Doré ( qu'un document appelle le Bois du Roi, ce qui en explique l'étymologie ) ; cette donation de tout le coteau dominant la fontaine est confirmée en 1648 ; le site offre de bonnes carrières qui vont fournir les matériaux des constructions ultérieures.
 Les Oratoriens font dégager des pans de rochers qui dominaient de façon menaçante la chapelle et leur logis. Les déblais sont entassés du côté de la Loire, afin de protéger les lieux contre les inondations fréquentes. Finalement, un quai long de 240 mètres et surélevé de 2 mètres est construit à partir de 1628 et achevé du côté aval en 1634 ( A.M.S., II B 2 - nombreux détails sur les marchés ). Le roi contribue pour 35 500 livres à ces travaux. Désormais, le terre-plein est protégé et les grands personnages peuvent venir en bateau. L'espace fluvial sur 60 toises en amont et en aval du port Notre-Dame leur est réservé. Les trésoriers de France y interdisent le stationnement de moulins-bateaux, mais ils renouvellent à cinq reprises leur ordonnance entre 1645 et 1655, ce qui prouve que leur décision n'est guère respectée.
 Les Pères souhaitent même établir un bac permanent les reliant à Villebernier, afin de raccourcir le trajet pour les visiteurs venant de Tours et de Paris par la levée.

 Les dons affluent. Le roi donne 50 000 livres pour construire la Maison de l'Oratoire. Beaucoup d'autres grands personnages cotisent. Quand la Maison est achevée, elle offre 63 chambres et une bibliothèque abondamment fournie et bien éclairée.
 [ Les monuments sont étudiés dans la partie topographique. Les Oratoriens écrivent constamment " Maison " et non " Couvent ", car ils ne sont pas un ordre régulier ].
   


Les Ardilliers vers 1635-1640 ( Lincler et Collignon )


Dessin de Lincler, gravure plus tardive par Collignon

Aile nord de la Maison de l'Oratoire
et nouveau quai
 Chapelle de Richelieu (1634)  Façade primitive
de la chapelle
 Boutiques
du pèlerinage
Premier logis des Oratoriens   Maison ruinée  Première hôtellerie
de la Fontaine

5) Une congrégation richement dotée

 La congrégation, fortement soutenue, vit dans l'aisance et s'assure des revenus permanents en achetant de beaux domaines sur les coteaux.
 Le plus proche est le clos Morin, au Petit-Puy, comprenant 20 quartiers de vigne et un autre petit clos « avec la cave au-dessous, qui en dépend » ( A.D.M.L., 96 H 34 ).
 Le clos de l'Oratoire à Chaintres comporte deux maisons, des terres labourables, mais surtout des vignes, réputées pour fournir le meilleur vin du pays, dont le prix sert de référence pour fixer les cours annuels. Dans une déclaration, les Pères évaluent le clos à 20 000 livres ( A.D.M.L., 96 H 35 ).
 Le domaine de la Perrière à Saint-Cyr en Bourg est acheté en 1663 à Marguerite de Blacvod, veuve de Philippe de Maliverné, pour un montant théorique de 36 000 livres, mais la vendeuse leur fait remise d'un tiers. C'est un château comportant des droits seigneuriaux et surtout un vignoble sans cesse agrandi ( A.D.M.L., 96 H 37 ). Lors des ventes des biens nationaux, c'est le bien ecclésiastique qui atteint le prix le plus élevé de la région : 251 200 livres ( A.D.M.L., 1 Q 493 - 25-II-1793 ).
   

6) La gestion du sanctuaire 

 Plusieurs Pères oratoriens sont constamment présents dans la chapelle, ils y confessent et assurent l'animation religieuse du pèlerinage.
 Le supérieur a droit de police sur l'enclos. Il y surveille les ventes de chandelles et d'objets de piété. Le bedeau, placé sous ses ordres, en chasse les mendiants et les vagabonds, qui affluent en foule. Il peut même attacher ceux qui font insolence et scandale à un carcan placé sur les barrières d'entrée.
   

7) L'enseignement

 Comme prévu, les Oratoriens étendent leurs activités au-delà de la gestion du pèlerinage. Ils développent leur action dans deux domaines se rapportant à l'enseignement, qui seront étudiés à part :

8) Les premières crises

 Vers la fin du siècle, les Pères s'intéressent moins au pèlerinage et se montrent plus exigeants sur les faits miraculeux.
 Bien des mendiants se déguisent en pèlerins. Les autorités se montrent de plus en plus soupçonneuses à l'égard des errants ; à partir de 1671, les pèlerins individuels doivent être munis d'une permission de leur évêque.

Par ailleurs, les travaux de construction de la rotonde étaient stoppés depuis 1659 ( voir dossier sur l'église ). Le Père de Sainte-Marthe, ancien supérieur général, en fait une affaire personnelle. Il revient aux Ardilliers et lance une grande campagne de travaux qui se termine en 1696. Mais la conjoncture économique est défavorable, les riches bienfaiteurs sont désormais rares. Pour payer les travaux, Sainte-Marthe engloutit toutes les réserves financières de la congrégation et tous les trésors accumulés aux Ardilliers depuis deux siècles.
   

9) Les Oratoriens condamnés

 Les Oratoriens ont constamment marqué de la sympathie pour le courant janséniste. En 1668, l'évêque Henry Arnauld tient dans leur maison des Ardilliers un synode où ces thèses sont reprises.  En 1713, les oratoriens refusent de se soumettre à la constitution Unigenitus. Ils sont fortement réprimés ; ils perdent le droit de confesser et, en 1720, leur école de théologie est fermée.
 Leur présence à Saumur est désormais très affaiblie, ce qui constitue une parfaite illustration de la gravité de la crise janséniste à Saumur.
   

10) La survivance d'un pèlerinage local au XVIIIe siècle

 Il reste à demeure une dizaine de pères, qui s'occupent surtout du collège. Le pèlerinage n'attire plus les foules du siècle précédent. Désormais, les grands personnages n'y viennent plus, et pas davantage les paroisses entières. Les hôtelleries du quartier ferment au tournant des deux siècles. Le locataire de l'hôtellerie de la Fontaine ne peut plus payer ses redevances et obtient des réductions. Finalement, en 1727, la maison est louée par appartements ( A.M.S., II B 8 ).
 En 1785, une voyageuse anglaise, Madame Craddock, voit encore beaucoup d'ex-voto, elle est harcelée par les marchands de chapelets, mais elle ne parle pas de pèlerins.

 Cependant, aux yeux des Saumurois, les Ardilliers demeurent la chapelle du roi. En 1757, quand il s'agit de remercier le ciel pour l'échec de l'attentat de Damiens, c'est aux Ardilliers que le lieutenant de roi et le curé réunissent le clergé et les paroissiens de la ville.