Du pèlerinage flamboyant au pèlerinage janséniste   

  

1) Le merveilleux de la fin du XVIe siècle

 Depuis le début du XVe siècle, les pèlerins affluent vers les Ardilliers dans la plus complète inorganisation. Dans ce « Sainct Temple décoré chascun jour de miracles », selon la formule de G. de Rennes, les faits prodigieux sont quotidiens et sont admis par tous, mais personne n'en dresse le récit. Des scènes étranges s'y déroulent : Marthe Brossier, qui se dit possédée par trois démons, y est exorcisée à grand spectacle, mais l'affaire tourne à la mascarade.
  

2) Constitution d'un patrimoine légendaire

 Les lettrés entrent en scène pour conférer à la statuette son poids historique et ses origines miraculeuses. Elle aurait été sculptée par le moine Absalon, qui rapportait à Saumur les reliques de saint Florent. J'ai découvert que ce moine Absalon a bien existé : il portait les reliques au cours de la cérémonie organisée par le comte Thibaud le Tricheur ; cependant, l'histoire du vol du corps de saint Florent est une fabulation pure et simple ( voir, Analyse critique des récits des moines ). Par ce biais, les Ardilliers se rattachent aux origines de Saumur et à l'abbaye Saint-Florent du Château. Trouvée par un laboureur qui l'emporte chez lui, la statuette revient obstinément au bord de la fontaine, et un premier prodige marque sa découverte.
 Ces récits sont mis en forme dans l'Histoire de l'origine de l'image... et mis en vers par Guillaume de Rennes. Ces publications sont présentées dans la bibliographie générale. Notre juge poète récidive en 1622 avec ses Merveilles et Miracles..., éditées cette fois par Pierre Godeau.

 Sur un mode plus scientifique, le procureur du Roi, Guillaume Bourneau parvient à réunir des documents sur les premières étapes du pèlerinage et à dresser un historique de la construction de la première chapelle ( A.M.S., II A 1 ).
   

3) Les rituels du pèlerinage primitif

 Les pèlerins, venus seuls ou en groupes, assistent à des messes, demandent à des prêtres de lire un évangile au-dessus de leur corps, brûlent des cierges et boivent de l'eau de la fontaine.
 Un examen plus approfondi permet d'affirmer que la statue, de petite taille et fixée haut perchée sur un pilier à l'entrée du choeur, occupe une place modeste. Elle est peu souvent citée et rarement reproduite ( je n'en connais que quatre figurations anciennes ). Plus surprenant encore, des récits imprimés de miracles sont parfois décorés par une Vierge à l'Enfant, mais celle-ci n'a aucune ressemblance avec la Pietà des Ardilliers.
 L'eau de la fontaine présente une tout autre importance : on y baigne des enfants, on y trempe des linges. Surtout on en boit souvent. La reine mère donne l'exemple le 5 octobre 1619 : « Sa Majesté a recherché de boire à longs traits de l'eau de ceste fontaine de la grâce, fontaine plaine de joye et de liesse, eau qui donne la veüe et préserve de soif à jamais » ( cité par Bruno Maës ). Selon les observations de l'artiste Schellinks, venu à Saumur en 1646, des malades continuent à se laver dans la fontaine. On emporte des fioles remplies de cette eau miraculeuse ; en 1604, l'abbesse de Montmartre en possède une bouteille, qu'elle répand sur un incendie - stoppé à l'instant même ( A.M.S., III A 3 ).
 

4) L'ordre oratorien 

 Les Oratoriens s'installent, en 1619, d'abord au nombre de trois, puis atteignent un effectif allant jusqu'à dix prêtres au service du pèlerinage.
 Hommes de culture, ils s'efforcent, avec peine, d'éliminer les pratiques proches des anciens rites agraires. Bons organisateurs, ils luttent contre les trafics financiers, ils s'assurent le monopole des ventes de cierges. Ils surveillent les hôtelleries du quartier, ils interdisent les jeux d'argent dans l'hôtellerie de la Fontaine ( qui appartient à la chapelle ).
 Le Père supérieur a des pouvoirs de police sur le territoire du sanctuaire et le bedeau joue un rôle de chasse-gueux. Quelques ribaudes, installées au Petit Puy, au-dessus de la chapelle, sont accusées de débaucher les pèlerins et sont délogées.
 Les Pères et les confrères hébergés dans la Maison de l'Oratoire doivent être austères dans l'ameublement de leur chambre et dans leur costume. Leur cheveux sont contrôlés par le supérieur « de telle sorte qu'ils ne descendent point sur le front, qu'ils ne soient pas plus longs que l'oreille par derrière et soient plus courts que l'oreille par devant, et coupés par le haut également, et non en perruque ».

 Sur le plan spirituel, les Oratoriens cherchent à promouvoir une religion plus intérieure et plus individualisée. La multiplication des confessionnaux en est le symbole. Pour eux, le pèlerinage doit être d'abord une retraite.
  

5) Le déclin des miracles

 De plus en plus rigoristes, ils prennent quelques distances vis-à-vis des miracles et de leur aspect sensationnel. Pour eux, le véritable miracle est la conversion intérieure.
 Ils s'expliquent dans le récit qu'ils consacrent à la guérison d'une paralytique, le 22 juin 1676 : « maintenant que l'Eglise est si bien establie, et que la foy a heureusement succédé à l'erreur et à l'infidélité, ces oeuvres de la toute puissance divine ne sont plus nécessaires » ( cité par B. Maës, p. 344 ). Il s'agit là d'une citation de saint Augustin, qu'ils nuancent ensuite : « Dieu par un excez de bonté pour nous, sans avoir égard à ce qui est précisément nécessaire, prend plaisir à faire encore des miracles de temps en temps, et en de certains lieux » ( A.M.S., III A 3 ). Ils ajoutent d'ailleurs qu'ils publient ce récit pour satisfaire l'évêque Henry Arnauld. Celui, par ailleurs proche de leurs idées, tient à cette diffusion afin de lutter contre le protestantisme. En 1675, il a confié les enquêtes concernant les miracles aux curés de Trèves et de Saint-Lambert des Levées, remplaçant ainsi les ordres mendiants de Saumur.

 La dernière édition de l'Histoire de l'origine de l'image, parue en 1715 cesse ses récits de miracles en 1679. Les bons pères conservent dans leurs archives six autres récits de faits miraculeux survenus entre 1697 et 1713, mais ils ne les publient pas.
 La coïncidence des dates n'est pas fortuite : après la révocation de l'Edit de Nantes, les miracles ne présentent plus guère d'intérêt pour les Oratoriens.