Le pèlerinage antiprotestant   

   

 La vive hostilité de Duplessis-Mornay, de Charlotte Arbaleste et d'Agrippa d'Aubigné à l'encontre du pèlerinage des Ardilliers a été évoquée plus haut. Ils ne se trompent nullement quand ils y voient une riposte directe à leur domination sur Saumur.
  

1) Premières polémiques ( 1594-1595 )

 Les protestants locaux répliquent dès novembre 1594 aux premières proclamations de miracles. Un " vrai catholique des bords de Loire " publie la copie d'une lettre qu'il a adressée à l'évêque d'Angers ( ce texte n'est pas de la plume de Duplessis-Mornay, qui écrit constamment les « Ardillières » ).
 Le pamphlétaire s'en prend d'abord à la statue, qualifiée d'idole, et il demande à l'évêque de la briser, comme l'avait fait jadis le bon évêque Epiphanius.
 Il relève en outre que la première miraculée, Marguerite Oudon, est qualifiée de fille de bohémienne. « Le tesmoignage de telles gens est fort soupçonneux, car l'on sçait que ce sont des femmes qui ordinairement vivent sans autre forme de religion et ne sont pas mesmes le plus souvent baptisez... : femmes au reste du tout infâmes, desbauchées et putains effrontées s'il y en a au monde, qui ne vivent que de larcins » (  cité par B. Maës, p. 321, note 162 ).
 Le polémiste ironise aussi sur le petit nombre de miracles. Selon lui, il se produirait chez les malades plus de décès que de guérisons ( on ne dispose pas de registres des sépultures pour ces années-là ).

 Un peu plus tard, un catholique riposte par des stances peu connues, et du même niveau. Selon lui, les protestants, jaloux de ces miracles, ont prétendu avoir les leurs dans leur cimetière de la Bilange ; une tête de mort s'y mouvait comme pleine de vie. Quand le ministre, alerté, veut la porter au temple, il constate que tout simplement une taupe s'était cachée dedans ( B.M.A., H 3 567, Le prétendu miracle arrivé à Saumur à la sépulture d'un Protestant Religionnaire Prétendu Réformé. Stances, imprimé à Blois, s.d. ). Il s'agit manifestement d'un ragot.
   

2) La consécration de la Ville à la Vierge des Ardilliers

 Le 30 avril 1615, le corps de ville, réuni sous la présidence du sénéchal et maire, place Saumur sous la sauvegarde et protection de Notre-Dame des Ardilliers, la reconnaissant comme « dame et patronne » ( A.M.S., II C 14, n° 2 et 3 ). Ce voeu solennel est surprenant, voire choquant, sous deux aspects :

  • Cet acte municipal engage « les habitants de la ville de Saumur » - et non pas les habitants catholiques de Saumur. Le cinquième de cette population est protestant et ne saurait y souscrire...
  • Les édiles entendent remercier la Vierge de les avoir pris sous sa « protection et sauvegarde singulière », lors de la grande inondation de mars précédent. François Bourneau décrit le " Déluge de Saumur " comme une catastrophe épouvantable, qui a causé d'énormes dégâts et emporté les ponts. Comment son propre frère, Guillaume Bourneau, procureur du roi et rédacteur probable de l'acte, peut-il y voir le signe d'une protection particulière ?
  •  En réalité, cet acte marque les débuts de l'offensive contre le gouverneur lancée par le " parti dévot " local, offensive qui va prendre de l'ampleur à la fin de la décennie.
     Ces militants ultra-catholiques, hostiles à l'Edit de Nantes, se consacrent en outre, avec leur famille, à N.-D. des Ardilliers : Guillaume Bourneau à la Toussaint 1614, Jean II Bonneau de la Maisonneuve à l'Annonciation 1617. Ce dernier souhaite « que je puisse dignement m'acquitter de ma charge et rendre la justice équitablement, sans accepter de personne ». La famille Bonneau, dont nous avons constaté les pratiques, a effectivement tout lieu de prendre de bonnes résolutions.
      

    3) Les Ardilliers et la destruction du parti protestant

     Le cardinal de Bérulle, fondateur de l'Oratoire et ami de la reine mère, fut l'un des premiers à souhaiter la reprise de La Rochelle, à une époque où Richelieu était encore réticent.
     La plupart des pèlerinages de Louis XIII sont associés à une action contre le parti protestant. En 1621, il débarque aux Ardilliers et se rend dans la chapelle avant de destituer Duplessis-Mornay. En 1632, il offre au sanctuaire deux grands chandeliers d'argent de 5 à 6 pieds de haut, en remerciement à la Vierge « de l'assistance particulière qu'elle lui a prêté en la réduction de sa Ville de La Rochelle en son obéissance » ( cité par de VIGUERIE, p. 54 ).
       

    4) Les Ardilliers, centre d'abjuration

     Les Oratoriens reçoivent des évêques d'Angers et de Poitiers la charge d'instruire les protestants qui demandent à se convertir. Au terme de cet enseignement, se déroule une cérémonie particulière codifiée par un rituel imprimé sur dix grandes pages, le Ritus absolvendi ab haeresi ( A.M.S., II C 1 ).
     Ils enregistrent au total 27 abjurations, mais quatre seulement concernent des habitants de Saumur. Cependant, l'une a quelque poids, puisqu'il s'agit de Jean Cappel, fils aîné du pasteur et du professeur à l'Académie protestante.
      

    5) Un dôme glorifiant la Révocation de l'Edit de Nantes

     Lors de son achèvement, la coupole est ornée d'une longue inscription en lettres de cuivre :

    «  P.O.P. [ Pietas Optimi Principis ] M.DC.XCV DEIPARAE VIRGINI LUDOVICUS XIV DEI GRATIA FRANC. ET NAVAR. REX TOTO REGNO HAERESIM DESTRUIT EJUSQUE FAUTORES TERRA MARIQUE PROFLIGAVIT  »
      1695, piété de l'excellent Prince à la Vierge mère de Dieu ; Louis XIV, par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre, a détruit l'hérésie dans tout son royaume et en a écrasé les complices sur terre et sur mer.

     Allusions transparentes à la révocation de l'Edit de Nantes et aux succès royaux dans la guerre contre la Ligue d'Augsbourg. Rien ne prouve que ce type d'inscription figurait dans le projet primitif. Il faut probablement l'attribuer au Père de Sainte-Marthe.
     Les lettres en cuivre ont été fondues à la Révolution, et la première partie du texte seulement a été rétablie.