Un quartier double
Le quartier de Fenet commence au sortir
de la porte de ce nom, au pied du bastion septentrional du château.
Ce faubourg, s'allongeant sur 850 mètres jusqu'à
la chapelle, se dédouble en réalité en deux
secteurs contrastés ( je le découpe même
en quatre dans l'Historique
du quartier ).
Au pied de la montée du Petit-Genève et jusqu'à
l'actuelle rue de la Croix du Vigneau, un quartier ancien est
déjà développé au XVe siècle.
Les écuries des ducs d'Anjou y sont installées ;
des artisans y travaillent le cuivre, fabriquant des ustensiles
de cuisine et même des cloches. La rue principale est bâtie
sur ses deux côtés et un front de hautes façades
regarde vers la Loire, auprès du port Saint-Michel. Les
maisons qui subsistent font penser à un quartier fort actif
d'artisanat et de négoce.
L'autre moitié du quartier est longtemps campagnarde ;
un chemin de terre mal entretenu le traverse. Vers la Loire toute
proche, il est bordé par des jardins ; quelques maisons
sont apparues du côté du rocher, certaines semi-troglodytiques
et dominées par plusieurs étages d'habitats troglodytiques
( visibles sur les gravures ). L'essor du pèlerinage
entraîne l'aménagement de cet espace. Eric Cron,
« Le Fenêt à Saumur : un faubourg
sous contrôle oratorien », 303, 73, 2002,
p. 34-45, a retrouvé les vestiges d'un quai bordant le
chemin du côté de la Loire ; ce quai, cité
en 1556, a été construit par les administrateurs
du pèlerinage.
Toute cette partie du faubourg devient ensuite le domaine
des oratoriens ; par lettres patentes d'octobre 1627 ( A.M.S.,
II B 3 ), Louis XIII leur confirme la propriété
des « quais et places vuides depuis la croix du carrefour
de la maison de feu Pierre Vignon jusques où aboutit le
jardin dudit sieur Brouilly », c'est-à-dire depuis
la rue de la Croix du Vigneau ( la famille Duvigneau s'est substituée
à la famille Vignon ) jusqu'au Jagueneau. Les oratoriens
découpent leur espace en parcelles aux formes régulières
( cf. plan par E. Cron p. 38 ). Le nouveau quartier est bâti
pour l'essentiel dans la première moitié du XVIIe
siècle ( voir rue
Rabelais ).
L'hébergement
C'est cette partie du faubourg qui bénéficie
surtout de l'arrivée des pèlerins. Des lieux d'hébergement
y sont édifiés : " l'hôtellerie
de la Fontaine ", qui appartient à la chapelle
et qui est affermée, " les Trois-Anges ",
" la Fleur de Lys " ; " la
Lamproie" est écrasée en 1622 par un éboulement
du rocher qui fait quarante morts ( je suppose qu'elle correspond
au trou béant figuré sur la gravure de 1640 ) ;
" la Sirène " est également
ouverte dans le quartier pendant quelque temps.
Quatre autres hôtelleries situées près
de la porte de Fenet bénéficient logiquement des
retombées du pèlerinage : " Saint-Michel ",
" les Trois-Marchands ", " la Galère "
et " l'Hostel de Ville ". En outre, les habitants
du quartier se mettent rapidement à prendre des pèlerins
en pension.
La fabrication et la vente d'objets de piété
Des petites boutiques sont aussi ouvertes
pour vendre des objets de piété et notamment des
chapelets, fabriqués sur place par des patenôtriers.
Cette activité est née du pèlerinage, mais
elle lui a survécu, prenant au XVIIIe siècle la
dimension d'une fabrique à rayonnement régional.
Elle sera étudiée dans le chapitre
consacré à l'économie de l'Ancien Régime
: les patenôtriers.
Si l'on en croit la gravure de Lincler et Collignon, tout
le côté de la rue adossé au coteau est construit
dès 1640. D'autres documents viennent confirmer ce fait.
Une cour des miracles
Les oratoriens ont pris soin d'aménager
l'enclos du sanctuaire ; ils l'ont protégé
contre les chutes de rochers et contre les invasions du fleuve :
ils en assurent la police. A l'inverse, le reste du quartier de
Fenet, qui a poussé comme un champignon, est dépourvu
d'aménagements urbains.
Tous les visiteurs étrangers, bien souvent protestants,
décrivent l'endroit comme une cour des miracles. Le plus
stupéfait est l'étudiant écossais sir John
Lauder, qui visite les lieux en juillet 1665. Il conclut, avec
son hôte, William Doull, « que c'était
l'endroit le plus célèbre de France pour sa saleté ».
Le jeune homme est également fort choqué, car il
y est abordé par une prostituée ( Journals
of sir John Lauder, lord Fountainhall, éd. Donald Crawford,
Edimbourg, 1900, p. 23 ).
Vue de Fenet vers 1640 ( Lincler ) et au-dessous en 1773 ( Migault )
Figuré ici depuis le logis de la Fontaine jusqu'au débouché de l'actuelle rue du Bellay.
Il est certain que Migault a donné une figuration exacte de chaque maison, ce qui n'est pas sûr pour la gravure de plus de 130 ans antérieure. Le nouveau quartier, déjà constitué en 1640, s'est légèrement densifié. Toutes les maisons sont des boutiques, à l'exception de l'hôtellerie de la Fontaine, à gauche, puis des hôtelleries des Trois-Anges et de la Fleur de Lys. Au milieu, la trouée correspond au fondis - l'écroulement - de 1703.