1) Une institution mal connue
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En 1594, avec l'appui d'Henri IV, Antoine de Pluvinel
de la Baume fonde à Paris, rue Vieille-du-Temple, une académie pour
jeunes gentilshommes. Ces derniers y apprennent les bonnes manières
propres à les faire briller dans les cours : la danse, le théâtre,
l'italien, la langue de la galanterie et du monde. Ils peuvent s'y
adonner au jeu de paume. Surtout, il s'y préparent au métier des armes,
en pratiquant l'escrime et en apprenant à se tenir à cheval.
Pluvinel pousse plus avant l'enseignement de l'équitation et fait
pratiquer les exercices de haute école, que lui a transmis son maître
Pignatelli ( l'inspiration italienne est omniprésente ).
Il devient le formateur équestre du jeune Louis XIII,
enseignement qu'il décrit dans deux célèbres ouvrages posthumes :
" Le Maneige Royal " ( 1623 ) et, en plus
complet, " Instruction du Roy en l'exercice de monter à
cheval " ( 1625 ). Crispin de Pas illustre ces
ouvrages par des gravures souvent reproduites, dont voici les parties
centrales figurant la courbette ( effectuée par le jeune roi ) et
l'exercice aux piliers.


Richelieu, jeune homme, avait fréquenté l'académie de
Pluvinel, et il veut développer ce type d'institution. Il crée une
bourse pour permettre à vingt jeunes gentilshommes de fréquenter les
sept établissements parisiens en activité ( qui étaient très
onéreux ). Il fonde aussi une académie dans sa bonne ville de
Richelieu.
Ces académies ne portent pas toujours le même titre, selon les
activités qu'elles privilégient ; il y a des académies d'armes ou
académies militaires, des académies d'exercices et des académies
d'équitation.
Compléments dans Corinne Doucet, « Les académies
équestres et l’éducation de la noblesse (XVIe-XVIIIe siècle) », Revue
historique, n° 628, oct. 2003, p. 817-836. Corinne
Doucet, Les académies d'art équestre dans la France d'Ancien Régime,
Edilivre, 2007.
Si ces généralités sont si abondantes, c'est afin de
cadrer l'institution saumuroise, sur laquelle les renseignements sont
très rares.
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2) Le soutien de la ville
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Une académie a fonctionné dans la ville, probablement
appelée " académie d'exercices " au début du siècle, mais les
voyageurs n'emploient pas ce terme, et sûrement nommée " académie
d'équitation " à la fin. Elle est certainement indépendante de
l'Académie protestante, qui condamne énergiquement des activités comme
le théâtre et la danse et qui n'en parle jamais dans ses registres.
Elle ne semble pas liée à une confession religieuse, même si les élèves
réformés y sont majoritaires.
Dépend-elle d'un chef d'établissement, qui engagerait des
enseignants spécialisés, comme c'est le cas dans certaines
villes ? A Saumur, aucun nom de famille liée à cette institution
ne nous est parvenu. D'après ce qu'on nous en dit, l'Académie est un
simple regroupement de maîtres d'exercices, bénéficiant d'une aide de
la ville, qui a bien compris que ces activités présentaient plus
d'attraits pour les jeunes gentilshommes en visite que les leçons en
latin des collèges et qu'elles pouvaient retenir longtemps dans Saumur
des étrangers de passage. Cette académie n'est une institution
municipale que dans les dernières années du siècle. Elle ne semble
jamais s'être intitulée « académie royale », car il fallait
obtenir des provisions particulières.
La ville met à sa disposition ses écuries, situées près
de l'église Saint-Nicolas et donnant sur la " cour Couronne ", qui sert de
carrière. Elle lui permet aussi d'utiliser comme manège les anciens
bâtiments délabrés des anciennes halles et l'ancienne tuerie générale
( aujourd'hui, hangar Bossut et manège des Ecuyers ). D'après
le plan de Prieur-Duperray, le petit pavillon situé dans le Grand
Jardin ( aujourd'hui place de l'Europe ) est le siège de
l'Académie et pourrait servir pour des leçons, au moins au XVIIIe
siècle.
Les données ci-dessus sont certaines pour une période tardive,
mais des témoins antérieurs attestent que les exercices se déroulent
dans le quartier Saint-Nicolas.
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3) Une grande vitalité dans la première moitié du siècle
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A quelle époque remonte la fondation de cette
institution ? Le 16 août 1680, le Conseil de Ville s'inquiète de
l'avenir de « cette académie dont elle est dans une possession
continuelle depuis plus de deux cens ans » ( A.M.S.,
BB 2, fol. 117-118 ). C'est pourquoi Corinne Doucet
donne sur sa carte l'année 1480 pour date de la fondation de l'académie
de Saumur, tout en se déclarant méfiante. Effectivement, cette date est
insoutenable, car aucune trace d'une existence aussi ancienne
n'apparaît nulle part. Il s'agit d'une simple, et unique, vantardise du
Conseil de ville, semblable à ses fabulations sur ses franchises
communales.
Selon toute vraisemblance, l'académie a commencé à fonctionner
quand les étudiants des diverses régions du royaume et de l'étranger
ont afflué vers l'académie protestante, donc dans les années 1610.
Duplessis-Mornay a-t-il joué un rôle dans sa naissance ? Il n'y
fait aucune allusion dans son abondante correspondance, mais deux
indices permettent de la rattacher au gouverneur de Saumur :
- Louis de Chardon, sieur de Lugny, est son écuyer de 1596 à
1599 ; il l'accompagne dans ses déplacements et il est jeté à terre
lors de l'agression de Saint-Phalle à Angers. L'écuyer réclame sans
doute une augmentation de ses gages ; en tout cas, dans une lettre à sa
femme envoyée de Paris en mars 1599, Mornay écrit : « Je licencie Lugny
; je donne 500 liv. au capitaine La Roche, sans cheval, qui est bien
content » ( Mémoires, t. IX, p. 244 ). Lugny passe alors
au service des étudiants de la nation germanique à l'université
d'Orléans.
Frédéric Magnin vient de découvrir et de publier un " Traité
d'équitation " qu'il a rédigé en 1597, alors qu'il était au service de
Duplessis, et qui constitue une étape significative parmi les traités
rédigés en français. Lugny donnait-il des leçons d'équitation à Saumur
? Ce fait est fort probable, bien qu'il n'apparaisse nulle part.
- En 1611, dans son " Adieu facétieux ", le sieur de
Croydebert évoque l'existence d'un manège à Saumur et ajoute que
l'écuyer, Monsieur de Jolivoix, est son ami, mais il ne parle pas
d'académie. Jolivoix est en même temps au service de Duplessis, qui le
cite dans le codicille ajouté à son testament le 24 octobre 1623, sous
la forme suivante: « Item a Iolivois, mon escuier, quatre cents
livres ». Ce personnage a donc été écuyer du gouverneur pendant
plus de quatorze ans et en même temps maître de manège.
Nous tenons donc là deux noms qui semblent à l'origine
de l'Académie des exercices, mais sur des proportions encore bien
modestes.
Just Zinzerling confirme
peu après, en 1614, dans son Itinerarium Galliae (
p. 118 ) :
« Germanis, Belgis et Anglis valde frequentatur, propter
loci amoenitatem et victus tolerabile pretium : tum quod
plerotumque exercitiorum, quae exteri addiscere solent, magistri hic
inveniuntur - Beaucoup d'Allemands, de Flamands et d'Anglais
fréquentent la ville, à cause de l'agrément de l'endroit et d'un coût
de la vie acceptable [ ? ] : en conséquence, il se
trouve ici des maîtres dans la plupart des exercices que les étrangers
ont l'habitude de pratiquer ».
Autrement dit, le voyage d'études, la peregrinatio academica
débouche souvent sur des activités beaucoup plus physiques et une
académie d'exercices fonctionnait quand Zinzerling est venu, mais
l'équitation n'est pas citée.
En 1644, sans doute à l'époque où les étrangers sont
les plus nombreux dans la ville, Elie
Brackenhoffer ( p. 212 ) énumère les « bons
maîtres d'exercices qui s'y trouvent : ainsi, deux maîtres
d'équitation, deux maîtres de danse, deux maîtres de langue et un
maître d'armes, et un mathématicien d'une certaine réputation ».
Le dernier cité est le plus surprenant : la mathématique est
tellement négligée dans les deux collèges qu'un maître particulier
l'enseigne. Quant aux deux langues, je suppose que l'une est le
français à l'intention des étrangers et l'autre l'italien. Le reste est
transparent.
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4) La danse
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Il n'y a pas de quoi être surpris : un seul maître
d'armes pour deux maîtres de danse. C'est par leurs talents de danseurs
que les jeunes hommes se font apprécier, que le jeune Louis XIV se fait
admirer. Les élèves des Jésuites de La Flèche donnent des
représentations publiques.
Le programme d'une représentation donnée à Saumur en 1619 nous
est parvenu. Dansé probablement par une troupe de passage, l'argument
des "Grâces en liberté" est imprimé sur 12 pages par l'imprimeur
catholique Hernault ; il est dédié aux dames et offre des airs
pour chanteurs masculins et féminins : un chant d'Apollon, un air des
Grâces, un air de l'Amour quand les Grâces s'échappent. Le tout, en
prose et en vers, d'une grande mièvrerie ( B.M.S. S-XVII-8/84-5 ).
A Saumur toujours, un certain Puy-Rideau, appartenant sans doute
à la famille ruinée qui a revendu son château à Tallemant des Réaux,
dirige un cours de danse fréquenté surtout pas des jeunes nobles
d'Europe centrale, allemands en majorité, mêlés à quelques autrichiens
et russes. Il leur fait signer un Album amicorum, qui comporte
118 signatures et 67 blasons, sur un espace de 18 ans. De courts
textes, parfois gaulois, accompagnent souvent les signatures. Ce
curieux album était aux mains d'Eugène Charavay, un collectionneur
maniaque, qui l'a communiqué à André Joubert ( André JOUBERT,
« Les étudiants allemands de l'Académie protestante de Saumur et
leur maître de danse ( 1625-1642 ), d'après un document
inédit », tiré à part de la R.A., 1889, B.N.F., Ln
27/39 159 ). On ne sait ce que ce précieux recueil est
devenu...
Il n'est pas précisé sur ce livret si ces jeunes gens sont en
même temps inscrits aux cours de l'Académie protestante ; ils
pouvaient effectuer un séjour indépendant. En tout cas, parmi les 25
noms que cite André Joubert, aucun n'est connu pour avoir fréquenté
l'établissement réformé.
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5) Le théâtre
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Dans les salons de la sénéchaussée, en 1648, des jeunes
gens jouent " les Visionnaires ", de Desmarets de
Saint-Sorlin, une comédie à succès qui se moque des sectes religieuses.
L'Académie protestante n'apprécie pas, et son conseil censure les
étudiants qui y ont pris part. Je suppose que ce spectacle a été
préparé dans le cadre de l'académie d'exercices, mais ce fait n'est
affirmé nulle part.
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6) Le maniement des armes
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L'escrime et le maniement des armes font aussi partie
de l'enseignement local, comme l'affirme Brackenhoffer. A Sedan,
l'Académie d'exercices était une véritable école militaire. Mais ici,
un seul nom d'enseignant nous est parvenu : de 1668 à 1683, Léon
Lau est maître d'armes et en même temps écuyer du gouverneur ( Registre
paroissial de Varrains ).
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7) Le jeu de paume
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Comme tous les hommes de l'époque, nos jeunes gens
pratiquent intensément le jeu de paume. Le jeu de courte paume est
pratiqué dans des salles entourées sur trois côtés par des galeries,
sur lesquelles la balle peut rebondir. Le grand jeu de paume est
installé depuis 1556 entre la place de la Bilange et la muraille
reliant la tour Cailleteau à la porte de la Bilange. Un " petit jeu de
paume ", cité lui aussi pendant plusieurs siècles, était implanté
entre la rue des Payens et la rue du Temple, non loin de la rue du
Prêche. Un autre jeu donne sur la Grande-rue ; il sert à
l'occasion de salle de spectacle. Le collège des Oratoriens a sa propre
salle ; tout près, un autre jeu est signalé en arrière du couvent
de la Fidélité, ainsi qu'un autre à la Croix Verte.
Le jeu de longue paume est pratiqué en plein air sur
des terrains improvisés, appelés " ballotes ", notamment,
devant la porte de Fenet et auprès du Portail Louis.
En
1646, en bas d'un de ses dessins, Lambert Doomer ( De vest van
Samuers, 1646 ) représente cinq jeunes gens jouant au bas de
l'actuelle avenue Peton, sur un terrain prolongeant le Petit
Mail ; il n'y a pas de filet, mais un petit toit, sur lequel la
balle doit obligatoirement rebondir.
D'après la description donnée en 1611 par Croydebert,
le Chardonnet est un grand terrain de loisirs occupé par d'autres
jeux ; de mail, de palet et aussi un jeu de longue bille, qui se
pratique sur un terrain accidenté hérissé de buttes :
« Le champ est bien si beau, si
uny, qu'une boulle
D'un et d'autre costé, elle y roulle et y coulle ».
Apparemment, un mélange de mail, de golf et une claire
allusion à la boule de fort.
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8) L'équitation, activité quotidienne
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Les hommes de ce temps doivent savoir monter à
cheval ; connaître au moins quelques rudiments d'art équestre fait
partie de la formation des jeunes gens, de la noblesse comme de la
bourgeoisie. Depuis l'époque d'Henri IV, la compagnie des Chevaliers de
l'Arquebuse rassemble les cavaliers de la garde bourgeoise de
Saumur ; elle sait vraisemblablement exécuter quelques figures de
parade.
En outre, bien des jeunes gens qui font leur tour
d'Europe se déplacent à cheval. La présence à Saumur de manèges et de
cours d'équitation va de soi ; c'est même d'une telle évidence que
les mémorialistes en parlent peu.
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9) Le manège au milieu du siècle
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A la tête du manège de Saumur, un successeur de
Monsieur de Jolivoix s'appelle Hallot, parfois " du Hallot "
; Brackenhoffer l'appelle " Aloté ", en redoublant la consonne
finale selon la prononciation angevine, mais il s'agit d'un seul
personnage. En 1644, lors de la venue d'Henriette de France, ce maître
d'équitation « reçoit l'ordre de faire monter à cheval ses
« escoliers » pour rendre leurs devoirs à la reine ; à cette
compagnie se joignirent quelques autres personnes, nous étions
vingt-cinq ». Autrement dit, le manège se réduit à une vingtaine
d'élèves et de montures. C'est peu. Finalement, le maître de manège,
appelé désormais " du Hallot ", part pour Angers, où il fonde
en 1648 une académie d'équitation plus prospère. Le manège de Saumur va
déjà mal. En 1654, le précepteur des frères Kerr, de jeunes
aristocrates écossais, ne parvient pas à trouver un écuyer convenable à
Saumur, ce qui le fait émigrer vers Angers avec ses pupilles.
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10) L'Académie d'équitation en crise
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Le manège de Saumur peut reprendre de d'éclat quand il
est dirigé par Pierre Gautier de Saint-Wal. Ce personnage, qui fait
figure de notable dans la communauté protestante, apparaît à plusieurs
reprises dans l'état civil des réformés de la ville ( A.D.M.L.,
I 7 ). Pour la première fois, le 18 janvier 1668, il est
parrain de Marie-Anne, fille du marchand apothicaire Pierre
Liger ; le registre, assez mal tenu, l'appelle « M de St
UUal », selon la forme primitive du "W", mais il signe très
clairement « pierre gautier » ; c'est la graphie que
nous retiendrons, bien que « Gaultier » soit fréquent.
Le 20 mai 1668, le pasteur de Beaujardin, baptise « Marie,
fille de Pierre Gaultier, Sr de St Wal, et de damoiselle Iudith Du
halot », A.D.M.L., I 7 :

Cette fois, le "W" est bien lisible. Il l'est également
le 30 août 1670. Cependant, le 19 août 1671, au mariage d'une nièce, on
lit plutôt « Saint-Ewal », et le 1er mai 1672, quand il fait
baptiser son fils Pierre, il se contente de « Pierre
Gaultier », sans y ajouter de titre. Le registre des délibérations
du corps de Ville ( A.M.S., BB2, fol. 117-118 ) écrit
indifféremment « St UUal » et « St Vual »,
mais cette dernière forme correspond à une graphie ancienne du "W"
majuscule. Sans hésitation, j'écris " Pierre Gautier de
Saint-Wal " et sa présence est bien attestée à Saumur à partir de
janvier 1668.
Ce dernier porte le titre prestigieux d'écuyer de la
Grande Ecurie du Roy. En théorie, il aurait dirigé des exercices de
haute école pratiqués à la cour ( la Grande Ecurie s'occupait des
chevaux et de l'équitation, la Petite Ecurie des carrosses ).
Cependant, Saint-Wal ne porte pas le titre supérieur d'écuyer
ordinaire. Dans la réalité, cette appellation fait partie des offices
honorifiques que Louis XIV met en vente ; en 1669, il en fixe les
conditions d'attribution par le Grand Ecuyer de France. Il faut
cependant remarquer que Saint-Wal porte déjà ce titre en 1668. Même si
ce maître de manège est brillant, une présence de quatre ans est-elle
suffisante pour former des hommes et des montures à un haut
niveau ?
En mai 1672, Louis XIV entre en guerre contre la
Hollande, puis contre une nombreuse coalition. Ces hostilités ne
stoppent pas immédiatement la venue de touristes et les échanges
commerciaux continuent. Toutefois, l'Assemblée générale des habitants
tenue le 19 novembre 1673 dresse un sombre bilan : « Que la ville
se désertant de plus en plus parce que les estrangers n'y viennent plus
faire leur exercice, comme ils avoient accoustumé, fault y avoir
accadémie et escuier qui enseigne à monter à cheval »
( A.M.S., BB 1, fol. 103-104 ). En clair, le manège est
fermé depuis un an, car Gautier de Saint-Wal, qui est officier, l'a
abandonné pour passer au service de l'Electeur du Palatinat, alors
allié de la France. Mais les armées françaises ont tellement ravagé ses
états que Charles-Louis change de camp en 1673. Saint-Wal rentre en
France et cherche à reprendre son ancien emploi, appuyé par le
gouverneur de Saumur, le très cassant comte
de Comminges.
Le Conseil de Ville nourrit des préventions à l'encontre de
Saint-Wal, qui a déjà abandonné son poste ; en outre, il est
protestant, et chaque année de nouvelles charges sont interdites aux
" religionnaires ". Surtout, il a épousé Judith du Hallot, la
fille du maître de manège d'Angers et les Saumurois écrivent qu'ils
redoutent de le voir quitter Saumur pour succéder à son beau-père.
Le Conseil de Ville choisit donc un autre candidat, un ancien
élève de Saint-Wal, Lessigny de Maliverné, « qui est enfant de la
ville », appartenant à la branche catholique de cette famille
influente. En janvier 1674, Maliverné, venu de Paris, s'installe avec
dix chevaux dans des locaux réparés ; il a obtenu de la ville des
aides appréciables, puisqu'en saison d'hiver, il n'y a point
d'étrangers : 20 charretées de foin et 1 500 boisseaux
d'avoine, 150 livres pour son logement et l'exemption de tous les
impôts ( A.M.S., BB 2, fol. 32 et 35 ).
Par deux lettres brutales, en 1677, Comminges ordonne
le rétablissement de Saint-Wal. Il garantit qu'il ne quittera pas
Saumur pour Angers, « c'est luy chercher une querelle d'alemand
que de supposer qu'il n'y peut demeurer qu'en attendant la mort de son
beau-père ; ce ne sont point ses intentions » ( A.M.S.,
GG 97 ). La municipalité doit s'incliner, mais dès 1680, le
maître de manège est « obligé depuis quelques mois d'en cesser
l'exercisse par l'ordre de Sa Majesté, à cause qu'il est de la
R.P.R. ( dont nous avions informé monseigneur nostre
gouverneur ) », font observer, avec une pointe d'insolence,
les membres du Conseil de Ville ( A.M.S., BB 2, fol.
117-118 ).
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11) Un long déclin
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Ces changements consternants mettent le manège
saumurois en péril, mais réjouissent le gouverneur d'Angers, le comte
d'Armagnac, qui est grand écuyer de France et qui vient de confier
l'Académie d'équitation de la ville à un célèbre maître de manège,
François Avril de Pignerolle. Ce dernier cherche à racheter l'équipage
abandonné par Saint-Wal. Le Conseil de Ville d'Angers réclame aussi la
fermeture de l'académie d'équitation de Saumur ( A.M. d'Angers,
BB 95, fol. 147 ).
Devant cette menace d'une disparition totale, en août 1680, la
ville de Saumur engage un nouveau maître de manège, Jacques Dupré, fils
d'un avocat de la ville. Elle l'aide à payer l'équipage de Saint-Wal,
lui accorde 150 livres par an et lui décerne le titre « d'écuyer de la
ville de Saumur » ( A.M.S., BB 2, fol. 117-118, 16 août
1680 ).
L'académie devient donc officiellement une institution municipale
ne s'occupant plus que d'équitation, mais elle vivote. Un certain
Duvernet, engagé en mars 1681, s'avère incompétent. On sait qu'en 1697,
l'académie est fermée, quand ses écuries servent à loger les chevaux de
dragons de passage. L'année suivante, l'Assemblée générale des
habitants tente une nouvelle relance : Dupré reçoit 3 000
livres pour rétablir l'académie et aménager de nouveaux locaux au
quartier de la Maremaillette ( A.M.S., BB 3, fol. 60, 3 août
1698 ). Comme il n'y a plus d'espoir d'accueillir des étrangers,
il enseignera l'équitation aux enfants de la ville, à raison de 20
livres par mois. Ce tarif élevé réserve cette activité à quelques rares
fils de famille.
Au XVIIIe siècle, la ville prolonge le système des
exercices en accordant des titres officiels de maître de mathématique
ou de maître d'écriture à des enseignants déchargés de certains impôts.
Mais on n'entend plus parler d'un maître de manège.
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12) Des liens de parenté avec l'Ecole de cavalerie ?
Capitaine Louis PICARD, Origines de l'Ecole de Cavalerie
et de ses traditions équestres, 2 vol., S., Milon, [ 1889 ].
Colonel SAVETTE, « L'Académie royale d'Equitation de Saumur avant
1789 », S.L.S.A.S., janv. 1934, p. 37-44.
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Cherchant de glorieux ancêtres à l'Ecole de cavalerie,
le capitaine Picard, à
l'imagination fertile, et le colonel Savette, souvent mieux inspiré, en
ont fait la fille de l'ancienne Académie d'équitation, sans apporter à
l'appui la moindre preuve sérieuse et en commettant de nombreuses
erreurs de lecture sur les textes anciens.
Travaillant d'après des documents, et non d'après des mythes,
nous constatons que des maîtres d'exercices ont eu une certaine
réputation pendant quelques années et ont contribué à la prospérité de
la ville, mais que le manège d'équitation n'a jamais eu une grande
renommée et qu'il a plutôt mal fonctionné. Nous en apportons des
preuves abondantes et référencées.
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