Le nouveau Pont Fouchard    

 

1) Les anciens ponts

 L'existence en ce lieu d'un pont gallo-romain, au moins en bois, est logique, compte tenu du réseau routier, mais non prouvée. En tout cas, un « pons Fulchardi » est cité dans le Livre Noir de l'abbaye de Saint-Florent sur la charte n° 200, remontant aux années 1060-1070. Cette appellation est très vraisemblablement due à Fouchard de Rochefort, présent à Saumur comme voyer du comte Foulques Nerra dans les années 1026-1039. Les anciens " ponts Fouchard " s'alignaient sur une levée, percée d'arches et s'orientant vers Nantilly. A partir de l'église, se présentaient d'abord les deux arches du Mouton ( le commandant Rolle avait à tort lu " les arches du Moulin " ) ; ensuite, près de la maladrerie, le pont Saint-Lazare, aux multiples voûtes à moitié comblées. Ce sont les vestiges de ce pont qu'a dessinés Jean-Jacques Delusse vers 1808-1809.

Jean-Jacques Delusse, Vue de la Cote ou Coteau de Nantilly

 Enfin, sur le cours principal de la rivière divisé par une île et situé plus au sud qu'aujourd'hui, viennent le pont de Saint-Florent à quatre arches, puis le Grand Pont, qui présente théoriquement douze arches en 1746 : une arche marinière plus large permet la navigation, d'autres arches effondrées ont été remplacées par des tabliers de bois.

 Depuis des siècles, cette longue enfilade de petits ponts en dos d'âne n'est pas sérieusement entretenue. Le côté aval est à la charge de l'abbé de Saint-Florent, le côté amont revient à l'abbesse de Fontevraud, mais les deux abbayes sont rarement d'accord pour exécuter en même temps les travaux.
 En 1584-1585 et en 1595, l'abbesse paie d'importantes réparations ( A.D.M.L., 222 H 2 ), alors que Saint-Florent se désengage, de même qu'il abandonne les ponts sur la Loire. Des procédures compliquées en résultent : en 1625-1626, Fontevraud envoie deux sommations aux héritiers de Duplessis-Mornay : ce dernier ayant perçu des droits de prévôté devrait acquitter la moitié des travaux récents.
 Finalement, en 1638, le Conseil d'Etat arrête que la ville prendra en charge l'entretien des ponts, moyennant un doublement de son droit de cloison ( A.M.S., DD 20 n° 3 et CC 11 n° 7 ). Cependant, en 1745, la ville demande encore une participation à l'abbesse de Fontevraud. C'est finalement l'intendant de Tours qui acquitte les travaux exécutés dans les années 1746-1750 ( A.M.S., DD 18 ).

 Ces ponts rafistolés sont emportés par la violente crue de 1770 et sont désormais considérés comme irréparables. Jean-Baptiste de Voglie, qui espérait prolonger le pont Cessart par un nouveau pont sur le bras des Sept-Voies, est obligé de revoir ses plans et de donner la priorité à la partie sud de la traversée, en rétablissant le pont Fouchard. C'est la dernière décision qu'il prend au sujet de Saumur, car il est remplacé à Tours en août 1770. Son successeur, Jean Cadet de Limay, signe le devis du nouveau pont le 10 octobre 1773.
 

2) Où reconstruire ?

 Compte tenu des continuelles divagations du Thouet, la question d'un remodelage de son cours est alors posée. Plusieurs plans émanant du subdélégué projettent de le rapprocher de la ville ancienne et de construire un port en contrebas des actuels rue Bodin et rond-point Maupassant. Un ancien bras du Thouet, rechargé en eau par les grandes crues, passait par là ( il en subsistait des traces dans le parc de l'hôtel Louvet-Mayaud ).
 Cet énorme travail, qui aurait fait de la ville une presqu'île dotée de deux ports, est finalement abandonné : le Thouet est seulement rectifié et légèrement déplacé vers le nord, ce qui permet de bâtir auparavant le nouvel ouvrage au sec. Le plan ci-dessous correspond à un premier projet : le pont a été finalement éloigné du hameau du Pont-Fouchard et déplacé vers le bas à droite, au niveau de l'île. Il épouse, bien sûr, l'axe de la nouvelle traversée, encore en projet. On reconnaît en biais l'alignement des anciens ponts.

Plan dressé vers 1768
      

3) Trois arches d'une grande hardiesse

 Le nouvel ouvrage ne recopie pas le pont Cessart, qui était novateur par ses fondations, pas par ses superstructures. Le nouveau pont Fouchard présente des proportions plus hardies. Il s'inspire du pont de Neuilly, réalisé par Perronet de 1768 à 1774. Les arches, de grande envergure - 80 pieds, soit 20 de plus qu'au pont Cessart - seront réduites à trois. Leur flèche est très faible, seulement de 7 pieds ; cette forme peu incurvée exige des blocs de pierre de Champigny d'une grande solidité et d'une parfaite stéréotomie. En outre, les deux piles sont très étroites, ce qui assure un meilleur débouché aux eaux de la rivière. En contrepartie, il faut édifier les trois arches en même temps et poser les blocs de pierre d'une façon symétrique, afin de neutraliser les poussées latérales. Jean-François Bodin en traduit parfaitement la hardiesse.

Le nouveau pont Fouchard dessiné par Bodin, planche 11

 François-Michel Lecreulx dirige les premiers travaux, commencés du côté de la ville, mais il est nommé à Fontainebleau à la fin de 1774. Le pont est achevé par l'ingénieur Aubert en 1778.
   

4) Des fissures préoccupantes

 
Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, ms. 233, t. XX, p. 315-340, ms. 2502 et 2515.

 Dès 1782, des tassements apparaissent sur les voûtes ; en 1792 et en 1806, des fissures et des ondulations sont relevées sur le parapet. Le ministère des Ponts et Chaussées diligente plusieurs enquêtes. Les fondations des piles ne sont pas mises en cause, mais ce type de tablier exige des culées d'une grande robustesse, capables de contrebuter tout l'édifice. C'est leur insuffisance qui explique les désordres observés. Celles-ci ont été construites à l'économie, en moellons et non en pierres de taille, comme le dessine fort exactement Bodin, et elles s'écartent un peu. Dans un rapport, Lecreulx avait déjà signalé ce risque et obtenu quelques renforcements. Le constructeur, Cailleau le Jeune, est venu confirmer ses dires.
 Les anciennes cartes postales présentent l'allure à la fois élégante et audacieuse de cet ouvrage d'art, avant les restaurations récentes.

Pont Fouchard dans son état primitif
 

Sortie du pont Fouchard en direction de Bagneux, carte postale de l'Entre-Deux-Guerres

 Les élégants pavillons posés sur la culée du côté de Bagneux n'appartiennent pas à la construction d'origine. Ils ont été ajoutés au début du XIXe siècle ; ils existent en 1822 : lors de sa tentative insurrectionnelle, le général Berton y rencontre le maire Maupassant.

 En dépit de l'incontestable solidité du pont Fouchard, malgré les rapports inquiétants, les grands ouvrages réalisés par la suite dans la région, le pont de Montreuil-Bellay et le pont Napoléon à Saumur, reproduiront finalement les cintres prudents du pont Cessart...
  

5) La nouvelle rue du Pont-Fouchard

 Le grand chemin rectiligne conduisant à Bournan, puis vers Doué, est commencé dès 1772, mais il n'est pas encore empierré et aucune maison n'a encore poussé le long.
 A l'inverse, du côté nord du pont, aucun travail routier d'envergure n'est entrepris ; seulement, les terrains sont réservés et de hauts piquets jalonnent le futur itinéraire. La traversée de Saumur est encore zigzaguante. L'avenue du Pont-Fouchard, actuellement " rue du Maréchal-Leclerc ", n'est aménagée qu'à partir des années 1830.