1) Une importante prisonnière d'Etat
N
« Le
24 décembre 1661 a esté
inhumée par moy soussigné curé du
chasteau de Saumur une nommée
Mademoyselle Angélique dans la chapelle
dudit chasteau. Estoit présent et a signé
A Planson, curé du chasteau de Saumur. »
Habituellement négligent et expédiant en une ligne les paysans de Varrains, l'abbé Planson, curé de la paroisse Saint-Florent du Château, comprenant l'enclos du Boile et le territoire de Varrains, soigne pour une fois son registre paroissial : Angélique, qualifiée de "Mademoyselle" et inhumée dans la chapelle du château, à l'emplacement actuel des salles de l'Abbatiale, est certainement un personnage important.
2) Des renseignements sur Angélicque
Le chercheur qui signe sous le pseudonyme de Serge Aroles et qui a étudié en détail les comptabilités de la Maison du Roi, a trouvé à la Bibliothèque nationale, dans les comptes des Mélanges Colbert, 264-310, des explications sur cette mystérieuse Angélique :
« Au
sieur de Saint-Esland, commandant pour le service
du Roy dans le chasteau de Saumur, la somme
de quinze cens quatre-vingts quinze livres que
sa Majesté luy a ordonnée pour son remboursement
de pareille somme par luy advancée, sçavoir
1095 livres pour avoir norry pendant une
année deffuncte Angélicque qui estoit prisonnière
dans ledit chasteau, 420 livres pour le payement
des médecins, chirurgiens et apothicaires qui l'ont
traictée et médicamentée pendant sa maladie
et cent livres pour les frais de son enterrement -
cy.............................. 1595 livres. »
Même si je calcule un total légèrement différent de 1615 livres ( ces écarts sont fréquents ), nous avons là une somme très élevée, à une époque où le salaire annuel d'un ouvrier du bâtiment atteint à peine 200 livres. Accorder 1095 livres de pension annuelle à cette prisonnière d'Etat, c'est la considérer comme un personnage d'importance et la placer parmi les embastillés les plus coûteux du donjon du château ( un siècle plus tard, du Petit-Thouars demandait des sommes voisines pour ses détenus ). Dépenser pour elle 420 livres en frais médicaux est tout à fait exceptionnel et suggère qu'on tient à elle. L'inhumer dans la chapelle du château dénote aussi un rang élevé, bien que la somme de cent livres n'ait rien d'exceptionnel : la cérémonie s'est déroulée dans la discrétion, sans apparat et en la seule présence du curé.
Son geôlier est Joachim de Saint-Eslan, sieur de la Motaye, ancien exempt des gardes de la Reine, cité en premier sur une liste de ces gardes, exécuteur de plusieurs basses besognes ordonnées par la cour, promu aide de camp, commandant de la ville et du château de Saumur, lieutenant de roi et anobli. Manifestement, un homme à tout faire...
Parmi toutes les femmes détenues dans le donjon de Saumur, Angélique est la seule dont on ignore le nom de famille. Dans les usages du temps, les femmes ainsi désignées par un seul prénom sont souvent des comédiennes, des servantes ou des esclaves noires.
Voilà pour les faits solidement établis. Mais on aimerait tout de même bien savoir qui était cette importante prisonnière d'Etat décédée et enterrée au château en décembre 1661. Nous le tentons à partir des hypothèses avancées par Serge Aroles.
3) Un détour par les amours ancillaires de Louis XIV
Le jeune Louis XIV, initié
aux choses de l'amour par Catherine Bellier, dite " Cateau
la Borgnesse ", manifestait de grands appétits
en la matière et, selon les allusions de quelques mémorialistes,
il appréciait particulièrement les charmes d'une
comédienne noire ou métisse qui jouait les « sauvagesses »
dans une troupe parisienne. Plusieurs historiens estiment que
Louise-Marie de Sainte-Thérèse ( des prénoms
royaux ), religieuse au couvent des bénédictines
de Moret-sur-Loing, remarquable par sa peau noire attestée
par un tableau et, de ce fait, appelée la " Mauresse
de Moret ", pensionnée par la cour et souvent
visitée par de hauts personnages, pourrait être une
fille des amours du roi avec cette comédienne. Elle serait
née vers 1656.
Bien sûr, le Roi-Soleil ne cachait guère ses
enfants naturels, au nombre de seize ou dix-sept, à condition
qu'ils soient blancs de peau et nés de demoiselles présentées
à la cour. A l'inverse, un enfant issu d'une mère
de basse extraction et à la peau noire devait être
dissimulé, de préférence dans un couvent
pour les filles.
4) Autre détour par le Masque de Fer
L'Homme au Masque
de Fer, sur lequel on a beaucoup écrit et en général
n'importe quoi, avait la « peau un peu brune »
et les cheveux crépus, selon les témoignages indiscutables
des rares personnes qui ont pu le voir sans masque de velours
et sans gants. Alors, un autre fils noir ou métis de Louis
XIV, un frère de la Mauresse de Moret ?
C'est ce que soutient Serge Aroles, en s'appuyant sur une
énorme masse de documents originaux, dans " Archives
secrètes du Vatican, archives de douze pays : Masque
de Fer et Mauresse de Moret, enfants métis de Louis XIV »,
2015. Dans cette hypothèse, Mademoiselle Angélique
serait la mère du Masque de Fer. Louis XIV aurait dissimulé
par lettre de cachet la mère et l'enfant à l'époque
où il épousait l'infante d'Espagne Marie-Thérèse
( 1660 ) et où il voulait cacher ses débordements
intimes. Ces enfermements par la volonté du souverain tout
puissant ne sont pas rares à l'époque. A la seule
condition que le détenu mène une vie confortable.
Même si elle surprend, cette hypothèse ne souffre
d'aucune contradiction majeure et elle est plus crédible
que beaucoup d'autres, mais elle reste une hypothèse.