Ce dossier n'étudie que l'historique du quartier militaire à la fin du XVIIIe siècle. Des compléments sont donnés dans la section consacrée au Chardonnet.
1) Les premiers projets
Sitôt arrêtée la décision
de fixer les carabiniers à Saumur dans de nouveaux bâtiments,
les ingénieurs de la Généralité de
Tours font travailler leur imagination. Dans un plan géant,
que je date de 1765, ils prévoient l'implantation du régiment
tout entier et dressent un projet de casernement capable de recevoir
1786 hommes et 1200 chevaux ( A.D.M.L., C 88, au total,
14 plans et élévations, qui constituent la source
principale de ce dossier ). Un autre plan comparable est
prévu pour 1000 hommes et 912 chevaux. Malgré la
mauvaise qualité du cliché j'en reproduis la partie
centrale, car il constitue une curiosité.
Le bâtiment principal, pour
le logement des hommes, est précédé par deux
avant-corps, à couloir central, qui s'allongent jusqu'à
l'alignement de l'actuelle rue Beaurepaire.
Il est encadré de chaque côté
par trois écuries très étirées.
Au-delà, côté ville, sont prévus
un manège couvert et une carrière ; du côté
de Saint-Florent, une salle pour l'instruction à pied.
En arrière, un long bâtiment bas servant de
cuisine, de cantine et de bûcher.
Il va sans dire que ces plans grandioses sont restés
à l'état de projet.
2) Les écuries de Cent-Chevaux et le manège
En même temps qu'on rêve
à ces entreprises gigantesques, il faut répondre
à des nécessités immédiates. Les carabiniers
sont assez facilement logés dans la ville, qui offre de
nombreuses maisons inoccupées, pas leurs chevaux, qui doivent
être hébergés en urgence.
Un premier ensemble est édifié à l'entrée
du Chardonnet, à l'extrémité gauche de la
rue Saint-Nicolas. Sur l'emplacement de l'actuel manège
des Ecuyers, à partir de plans de Louis-Alexandre de Cessart,
est élevé un premier manège à partir
de 1764 ( Voir Eric Cron, dans Pierre Garrigou Grandchamp,
p. 53-55 et note 92 ). Ce manège , aujourd'hui disparu,
présentait la largeur réglementaire de 9 toises,
soit 17,50 m ( le nouveau manège des Ecuyers qui l'a
remplacé en fait 25 ). Dans les casernes de cavalerie,
seule la longueur pouvait varier ; celui-là faisait
240 pieds ( 78 m ) dans sa plus grande dimension.
En 1766, François-Michel Lecreulx, le successeur
de Cessart, élève de longues et étroites
écuries, souvent appelées " écuries
de Cent-Chevaux " ou " Petites Ecuries ",
qui abritent en particulier les montures de manège ( Lecreulx
affirme même qu'elles comportent 120 stalles ; peut-être
les stalles ont-elles été agrandies par la suite
et sont devenues moins nombreuses ? ). Elles s'étiraient
depuis l'actuelle rue Beaurepaire jusqu'à l'alignement
de la rue Saint-Nicolas ). Entre les deux bâtiments, une
carrière découverte occupait l'emplacement de l'actuel
hangar Bossut. ( Voir plan dans le dossier
consacré au Chardonnet ).
3) Les grandes écuries
Sur
l'autre côté du Chardonnet et à partir de
plans dressés par Cessart, Lecreulx achève en 1768
un bâtiment massif, longtemps appelé les " Grandes
Ecuries " et aujourd'hui " écuries
de la Moskova ". Ses 240 stalles théoriques sont
disposées sur quatre rangées. Contrairement à
certaines affirmations, ce bâtiment n'a jamais servi de
manège, et il est d'ailleurs traversé par deux murs
de refend. Deux avancées latérales abritent des
escaliers.
Surmontée aujourd'hui par un premier étage
et par de vastes greniers, cette réalisation a fière
allure. Sa façade sur la rue principale est décorée
de tables, alternativement en relief et en retrait, annonçant
le style de l'ensemble des bâtiments.
4) Hésitations sur la caserne
Les premières casernes du temps
de Vauban étaient des petites maisons à deux étages.
Au milieu du XVIIIe siècle, le plan-type des quartiers
de cavalerie comporte une grande cour centrale, un rez-de-chaussée
très élevé et voûté, occupé
par les écuries. Les hommes logent au-dessus de leurs chevaux
et les officiers disposent d'un pavillon à part ( François
Dallemagne, Les casernes françaises, Picard, 1990 ).
La caserne de Saumur ( on ne dit jamais " Ecole " à cette époque ) rompt radicalement avec ces dispositions, puisque les écuries sont à l'écart, que les officiers occupent le corps central et les hommes les ailes. Elle ne ressemble guère à une caserne, mais plutôt aux abbayes et aux collèges du temps.
Un débat divise les architectes à cette époque : le couloir latéral est plus agréable, mais plus coûteux, le couloir central est moins aéré et moins éclairé. Les couloirs courts aboutissent à une plus grande densité d'escaliers. A Saumur a été adoptée la solution la plus économique, le couloir central et long, comme on le voit sur ce plan du rez-de-chaussée dessiné par Bodin ( ce bâtiment ne comporte que trois grands escaliers ).
Plusieurs élévations de
façades sont esquissées ( A.D.M.L., C 88 ).
Voici les trois plus intéressantes :
Sur cet avant-projet, le toit est caché par une haute balustrade ; il n'y a pas de lucarne. Un vague projet de fronton, a été ajouté et collé sur le dessin.
Cette autre esquisse semble plus élaborée ;
des combles aménagés sont ajoutés.
Les lucarnes, prévues en pierre et surmontées
par des boules d'amortissement, ont été réalisées
en bois et multipliées selon le présent rythme par
des restaurateurs de la fin du XIXe siècle.
Finalement, c'est ce projet à fronton qui l'a emporté, à quelques variantes près.
Dans tous les cas, l'inspiration est néo-classique, soucieuse de symétrie et d'équilibre. L'encadrement des baies est fortement scandé. Les lignes horizontales dominent ( bandeau, corniche marquée, finalement soutenue par des modillons ).
Un fâcheux campanile, rajouté dans les années 1820, est venu briser cette horizontalité. Il faudra bien un jour le supprimer.
5) La construction
Le
chantier de la nouvelle caserne est adjugé en 1767 à
l'entreprise Cailleau. Les matériaux utilisés sont
sans surprise, pierre de Champigny à la base, tuffeau et
ardoise. L'escalier d'honneur est particulièrement soigné.
Le voici, à droite, sur une esquisse dessinée par
Lecreulx.
Ce dernier, en résidence à Saumur, a certainement assuré la surveillance des travaux. Egalement cité, l'ingénieur François-Laurent Lamandé a joué un rôle moins important. Toujours ingénieur en chef de la généralité, Jean-Baptiste de Voglie a supervisé l'entreprise. Enfin, les bons bâtisseurs que sont Cailleau père et fils ont leur part dans la qualité de la construction. Les travaux sont achevés dans le courant de l'année 1770 ( témoignage de Lecreulx, Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, ms. 2502 ).
C'est alors qu'apparaît une grave erreur dans la conception : le bâtiment est faiblement surélevé par rapport au sol du Chardonnet, alors que la levée d'enceinte n'est qu'ébauchée. La caserne est envahie par les eaux en 1770 et en 1783. Les inondations y causent de gros ravages, au point qu'un rapport la considère comme perdue. C'est ce que confirme François de La Rochefoucauld, visitant Saumur le 19 mai 1783 ; selon ses dires, le quartier des carabiniers « est bâti magnifiquement, mais il a l'inconvénient d'être fort humide » ( Voyages en France de François de La Rochefoucauld ( 1781-1783 ), S. H. F., t. 2, 1938, p. 194 ).
6) L'aménagement intérieur
L'aménagement intérieur
semble avoir été spartiate au départ, d'autant
plus que les carabiniers sont souvent au loin. Un rapport de 1775
signale que 205 chambres sont équipées, en particulier
55 pour les officiers et 72 pour les cavaliers, qui dorment dans
des chambrées de 4 lits à deux places, soit 576
hommes dans les deux ailes. Trois cavaliers mariés ont
le privilège de faire chambre à part. Les musiciens
et trompettes occupent 9 chambres.
En 1780, un gros marché est passé avec la
veuve Chalmel de Tours pour équiper la caserne avec un
surprenant confort ( A.D.M.L., C 91 ). Les chambres
des officiers sont tapissées de siamoise et pourvues de
rideaux ; les lits à baldaquin y sont douillets. Les
386 lits des soldats sont garnis d'une paillasse et d'un matelas
en laine et crin. Ce contrat doit être exécuté
sur 12 ans.
Les draps sont changés tous les quinze jours en été,
toutes les trois semaines en hiver. Les latrines sont situées
dans des édicules extérieurs au bâtiment.
Aucun point d'eau n'est signalé sur les plans ( sur
son élévation, Bodin représente un puits
à balancier, en avant de l'aile gauche, à proximité
d'une lanterne ).
7) Un second manège couvert
Un
autre bâtiment couvert, situé près de la Loire,
est signalé à plusieurs reprises et porté
sur des plans. Louis-Charles-Félix Desjobert, grand maître
des Eaux et Forêts de Soissons, visite minutieusement l'Ecole
le 23 mai 1780, et note : « Deux beaux manèges
couverts et un découvert » ( A.H.,
t. 11, p. 247 ). Utilisé alternativement
comme magasin à fourrage et comme manège, appelé
aujourd'hui " le Manège Montbrun ", il est
très défiguré, par suite d'un incendie, conservant
néanmoins quelques traces du style de la fin du XVIIIe
siècle et quelques indices d'aménagement en manège.
Une carrière le bordait.
Non loin, un magasin à avoine est adossé à la levée, sur l'emplacement de l'ancienne poudrière.
Tous les importants travaux qu'on vient de citer sont payés par la caisse de la généralité de Tours, qui fait plus que quadrupler ses impôts de 1766 à 1768, mais désormais, l'argent fait défaut.
Malgré
cette belle série de constructions, il manque toujours
les deux écuries de 120 chevaux, qui devaient encadrer
la façade de la caserne, le long de la route principale.
Un grand nombre de chevaux restent abrités dans l'île
du Parc, où est ajoutée une infirmerie vétérinaire.
La destruction de l'île en 1784 et le renforcement temporaire des effectifs des carabiniers relancent le problème. Des écuries privées sont construites de 1786 à 1788 un peu à l'ouest du Chardonnet, au voisinage de la propriété du chirurgien Fernagu, l'une par l'entrepreneur Cailleau, l'autre par Jean-Martin Fournier de Boisayrault ( appelée par la suite, écurie Niveleau ). Le bureau de ville a donné son accord, le 26 avril 1786, non sans renâcler quelque peu, « n'ayant aucun moyen de s'opposer aux intentions du gouvernement, qui a déjà pris sur la place du Chardonnet l'emplacement du manège et des grandes écuries » ( A.M.S., BB 11, fol. 146-147 ). Les nouveaux bâtiments sont loués aux régiments qui occupent alors la caserne.
Le plan à droite remontant à 1814 représente fidèlement les constructions telles qu'elles étaient réalisées à la veille de la Révolution. Cet ensemble avait manifestement vocation à redevenir un centre militaire important.