1) La méthode employée
- Une comparaison des signatures catholiques et protestantes vers le milieu du XVIIe siècle aurait mis en évidence un niveau d'instruction supérieur chez les réformés ( qui appartiennent aussi à des catégories sociales plus élevées ). Cependant, la signature des conjoints sur leur acte de mariage n'est alors pas toujours requise ; elle n'est obligatoire que depuis le Code Louis de 1667. Avant cette date, les statistiques sont sans grande valeur.
- Les dates adoptées sont en harmonie avec la célèbre enquête nationale dirigée par l'inspecteur Maggiolo, ce qui autorise des comparaisons avec l'ensemble de la France et avec les paroisses rurales de l'actuel Maine-et-Loire. Notre département, situé au sud de la célèbre ligne Saint-Malo-Genève ( qui marque la limite méridionale des zones instruites ), présente des résultats catastrophiques, constamment supérieurs à 80 % d'analphabètes complets pour toute la période envisagée.
- J'ai poussé l'étude jusqu'en 1817-1818. Les conjoints qui se marient ces années-là étaient à l'âge scolaire à l'époque du Directoire, qui s'est efforcé de mettre en place un réseau d'écoles de type moderne, mais pour une durée très brève.
- J'ai examiné tous les actes de mariage des trois anciennes paroisses de Saumur et de Saint-Florent du Château, par tranches de deux ans, à trente années d'écart, soit une génération. Ces périodes sont 1697-1698, 1727-1728, 1757-1758, 1787-1788 et 1817-1818, les cinq premières correspondant aux années étudiées par François Lebrun pour Angers, ce qui permet d'intéressantes comparaisons.
- En procédant à ce gros travail, j'ai adopté une classification en quatre catégories :
+ La signature cursive ou ornée est formée de lettres bien liées, écrites rapidement et parfois décorées par un paraphe sophistiqué. Elle est l'oeuvre d'habitués de l'écrit.
+ La signature appliquée est une succession de lettres isolées, souvent maladroites, dénotant une faible pratique de l'écriture, mais correspondant très probablement à la capacité de lire.
+ La signature informe ou dessinée est une sorte de graffiti grossiers, difficilement déchiffrables. Le scripteur sait à peine signer son nom et est très vraisemblablement illettré. Cette catégorie, au demeurant peu nombreuse, aurait pu rejoindre la suivante.
+ Absence totale de signature par le conjoint ou la conjointe.
Cette classification, proposée par Jean Quéniart dans l'Histoire générale de l'Enseignement et de l'Education en France, Paris, 1981, t. 2, p. 418, peut sembler arbitraire. Dans la pratique, j'ai rarement hésité sur la catégorie à adopter.
3) Tableau synthétique des résultats
4) Quelques commentaires
- Quoique bien supérieurs à ceux de l'ensemble du Maine-et-Loire, les scores saumurois ne sont nullement éblouissants. J'avais cru que le souci d'instruction des protestants et de la Contre-Réforme catholique donnerait quelques résultats ; les nombres des années 1697-1698 sont plus médiocres que ceux d'Angers. La situation s'améliore en pourcentages, masculin et féminin, au cours de la première moitié du XVIIIe siècle ; Saumur fait alors mieux qu'Angers et l'analphabétisme masculin tombe au-dessous de la barre des 50 %. On ne connaît aucun effort particulier de scolarisation au cours de cette époque. L'explication me semble bien moins glorieuse : l'afflux de ruraux moins instruits est alors stoppé et la ville se dépeuple. Lors du pointage des années 1787-1788, l'immigration a repris, l'analphabétisme remonte.
- L'effort timide d'instruction pour tous lancé sous le Directoire ne donne pas d'effets visibles en 1817-1818 ; les résultats vont même en régressant du côté des femmes. Saumur est alors tout juste au niveau de la moyenne nationale, qui, à l'inverse, est allée en s'améliorant.
- L'analphabétisme féminin, de 8 points en moyenne supérieur à celui des hommes, représente un écart plus faible qu'ailleurs. Chez les femmes, le pourcentage de signatures appliquées est plus élevé, mais il faut noter un progrès constant du pourcentage de signatures cursives. Sans doute faut-il porter ces progrès au crédit des ursulines et des servantes des pauvres.
5) Les résultats selon les paroisses
- L'aristocratique chapelle du château, où sont célébrées les cérémonies familiales du commandement, devrait fournir de brillants résultats. Il n'en est rien : les bas-officiers, les soldats, les domestiques et quelques paysans du voisinage font monter la moyenne des analphabètes complets à 86 %. Compte tenu des effectifs très bas, je n'ai pas traduit en graphique circulaire ces résultats.
- Le contraste est frappant entre les paroisses de Saint-Pierre et de Nantilly ( pour l'ensemble de l'Ancien Régime, hommes et femmes réunis ).
Regroupant
surtout des ruraux à Nantilly-bourg et des artisans à
Fenet, la paroisse Notre-Dame de Nantilly, avec 61,5 % de
signatures manquantes ne fait guère mieux que Saint-Florent
du Château et trahit un très bas niveau de formation.
La paroisse de Saint-Pierre est nettement la plus instruite
de la ville. La forte proportion des hommes de loi et de finance
habitant la ville close explique les 38 % de signatures cursives
ou ornées. Toutefois, Saint-Pierre englobe aussi le quartier
des Ponts, ce qui explique les 41 % de conjoints incapables
de signer.
La paroisse de Saint-Nicolas représente une situation à la fois médiane et contrastée. La moitié de ses ressortissants est illettrée, mais le quartier contient un bon nombre de marchands et de négociants, ce qui explique que 37 % de ses habitants soit capable d'apposer un paragraphe distingué.
A Saumur, l'instruction de masse est un fait du XIXe siècle, surtout dans les années 1830-1840, et dans un climat de vives concurrences scolaires ; les petits Saumurois étaient alphabétisés avant les lois de Jules Ferry.
6) Références
- Pour Saumur, A.M.S., GG 13, 26, 28, 33, 43, 46, 50, 55-56, 71, 73, 76, 79 et A.D.M.L., 5 Mi 1187.
- Pour Angers, François LEBRUN, Histoire d'Angers, Privat, 1975, p. 121.
- Maine-et-Loire et France entière, L. MAGGIOLO, Statistique de l'Instruction primaire, statistique rétrospective fournie par 15 928 instituteurs [ vers 1880 - relevés des années 1686-1690, 1786-1790 et 1816-1820 ].