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Louis HALPHEN, Le Comté d'Anjou au XIe siècle,
1906 [ fondamental pour la période 987-1109 ].
B.M.S., A 317.
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Entre les comtes de Blois et d'Angers, aussi ambitieux
l'un que l'autre, les tensions sont inévitables, d'autant
plus que leurs mouvances s'entremêlent.
Une embellie apparaît lorsque Thibaud le Tricheur
donne sa soeur en mariage à l'Angevin Foulques le Bon :
cette période d'alliance correspond d'ailleurs à
la fondation de Saint-Florent de Saumur.
Mais peu après, les comtes d'Anjou, vassaux directs du
duc de France, Hugues Capet, soutiennent ce dernier, alors qu'Eudes
1er de Blois le combat.
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1) Les menaces de Foulques Nerra
Bernard S. BACHRACH, Fulk Nerra, the Neo-Roman Consul,
987-1040. A Political Biography of the Angevin Count, 1993
[la biographie la plus étoffée, mais parfois aventureuse].
A.D.M.L., n° 9024.
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L'année 987 marque la victoire d'Hugues Capet,
mais cette date, pour le Saumurois, correspond surtout à
l'arrivée au pouvoir d'un inquiétant voisin.
Foulques III Nerra, le nouveau comte d'Anjou, alors âgé
de 17 ans, est un personnage d'une énergie peu commune,
« un des batailleurs les plus agités du Moyen
Age », selon la formule d'Achille Luchaire. Ses remords
sont à la hauteur de ses crimes : il multiplie les
abbayes dans ses domaines et part, à trois reprises au
moins, pour la Terre Sainte. Cependant cet exalté fait
aussi preuve de prudence et de ruse.
A son avènement, il détient les places avancées
d'Amboise et de Loches, enserrant ainsi les villes de Tours,
de Chinon et de Saumur. Son père a posé des jalons
au sud, où il contrôle Thouars, Loudun et Mirebeau
; son domaine atteint Méron et pousse une pointe avancée
jusqu'à Lézon, à la confluence du Thouet
et de la Dive.
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2) Conflits frontaliers
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Il est clair que le verrou avancé de Saumur
constitue l'un des premiers objectifs de l'expansion angevine.
Sur la lisière mouvante entre les deux dominations,
l'abbaye de Saint-Florent possède les terres de Saint-Georges
[Châtelaison], Dénezé, les Ulmes et Distré,
qui constituent des proies faciles. Poursuivant la politique
de son père, Foulques y commet des empiétements
continuels.
L'abbé de Saint-Florent croit trouver une parade
en confiant ces quatre domaines à un avoué, un
seigneur laïque qui le représentera en justice et
qui protégera ces domaines. Il choisit le vicomte Renaud
le Thuringien, qui adore « poursuivre avec ses chiens
les ours, les sangliers et les cerfs » sur ses terres
des Mauges, car il est à demi-indépendant de Foulques
Nerra et qu'il est le père de l'évêque d'Angers.
Cette protection s'avère illusoire : Saint-Georges
passe sous la coupe d'Aubry de Montjean, et les soldats pillent
les domaines qu'ils doivent défendre.
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3) Première campagne
Bernard S. BACHRACH, « Angevin Campaign Forces
in the Reign of Fulk Nerra, Count of the Angevins (987-1040)
», Francia, 1989, 1, p. 67-84.
RICHER, Histoire de France, t. 2, 1937, p. 277.
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Vers 990, Foulques Nerra lance par surprise des attaques
frontales contre Saumur, Montsoreau, Chinon et même Blois.
Il réunit une armée exceptionnellement nombreuse,
qui aurait pu s'élever jusqu'à 4 000 hommes. Le
chroniqueur contemporain Richer est scandalisé par la
férocité de ces premiers raids : Foulques
Nerra « se jeta précipitamment sur les terres
d'Eudes, qu'il ravagea, pilla et brûla... Après
son départ, Eudes fit à son tour une expédition
sur les terres de son adversaire et les ravagea avec une telle
barbarie qu'il ne laissa ni une chaumière ni un coq... »
Cependant, les comtes de Blois lancent le gros de leurs
troupes dans des conquêtes lointaines et sont réduits
à la défensive sur le front angevin. Ils comprennent
que le château de Saumur constitue leur principal bastion
face à Foulques ; ils renforcent la garnison « par
une forme armée de barons et de chevaliers... ; par des
vivres et par des armes » ( Historia,
p. 275 et 273 ). Les moines se disent gênés
par cette promiscuité avec une troupe nombreuse. La place
est consolidée, l'annaliste angevin Renaud la qualifie
"d'excellent château", mais rien n'est précisé
sur la nature des enceintes.
Bon tacticien et redoutable bretteur, Gelduin le Jeune x combat
sur tous les fronts en se déplaçant rapidement.
Foulques a la désagréable impression de le voir
partout quand il s'aventure dans la région ; il s'écrie
alors : « Fuyons ce diable de Saumur ! ».
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4) La guerre sans batailles
DUBY, Le dimanche de Bouvines, 1985, p. 190-191.
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Cette affirmation tardive de l'Historia appelle
quelques gloses, car Foulques Nerra est tout sauf un couard.
Les brillantes analyses de Georges Duby permettent de comprendre
son comportement de fuite :
« La bataille n'est pas la guerre. J'oserai
même dire que c'en est l'inverse : la bataille est
une procédure de paix. La werra était aventure
saisonnière, entreprise de déprédation,
une sorte de cueillette régulière et hardie ;
conduite à la paysanne, prudemment, elle se déployait
sous tout prétexte, et prenait naturellement place dans
une civilisation de la chasse, au sein de ce tissu de querelles
toujours renaissantes qui opposaient sans fin des puissances
rivales, et d'une égale avidité... La guerre fusait
par les interstices d'un réseau de constantes palabres,
dont elle était toujours ou préparation ou séquelle...
La bataille comme l'oracle appartient au sacré.
C'est un duel... ».
Les adversaires évitent le plus possible ce choc
frontal qui saigne à blanc leurs maigres troupes et qui,
tranchant entre vainqueur et vaincu, a pour seule issue une paix
nécessaire.
Sur l'espace d'un siècle ( 960-1068 ), les comtes
d'Anjou, grands conquérants et constamment en conflit,
n'ont livré que six batailles rangées.
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5) Le jeu de go
Jean GOUPIL DE BOUILLÉ, Le Cartulaire de Bourgueil,
t. II, B3 et B8.
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En face d'un adversaire qui semble rechercher le combat,
Foulques Nerra emploie la stratégie de l'araignée.
Il rassure l'abbé de Saint-Florent en condamnant vaguement
les excès de ses fidèles. Freiné sur le
flanc sud du Saumurois, il avance ses pions du côté
nord. Un de ses hommes, Gautier 1er, est installé dans
le château de Montsoreau ( sa présence est constatée
en 1001, mais elle est plus ancienne ). Le nouveau seigneur
agrandit son domaine sur l'autre rive de la Loire ; il s'empare
par la force des revenus de l'église d'Allonnes, il fait
paître ses chevaux sur les terres de Bourgueil.
Le Saumurois est encerclé quand Foulques s'implante
à Langeais, et entreprend d'y édifier une forteresse.
Eudes 1er de Blois, conscient de la menace, vient assiéger
Langeais au cours de l'hiver 995-996. Le comte d'Anjou, bloqué,
est sauvé par une intervention de son allié, le
roi Hugues Capet.
La situation s'inverse aussitôt : Eudes 1er
meurt le 12 mars 996, laissant le comté à son épouse
Berthe de Bourgogne et à des enfants en bas âge.
Foulques se jette aussitôt sur les deux cités de
Tours, c'est le début de la curée... Les domaines
de la famille de Blois, y compris Saumur, sont sauvés
par un nouveau coup de théâtre. Berthe, la jeune
veuve, prend pour avoué Robert, le fils d'Hugues Capet,
le séduit et l'épouse. Devenu roi de France peu
après, Robert "le Pieux" vole à son secours
et oblige l'Angevin à abandonner ses conquêtes.
Mieux, profitant d'une absence, pendant un an et demi,
de Foulques Nerra parti expier quelque forfait à Jérusalem
( 1002-1003 ), Gelduin envahit les possessions angevines
et édifie une forteresse sur la terre qu'il possède
à Pontlevoy ; Foulques, de retour, élève
en face le château de Montrichard ( 1005 ). Ce
relatif équilibre entre les deux chefs engendre une quinzaine
d'années de répit, pendant lesquelles Foulques
poursuit ses guerres picrocholines sur d'autres fronts.
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6) La grande offensive angevine
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Brusquement, peu après 1020, Foulques Nerra
marche sur Saumur à la tête d'une puissante armée.
Sa situation est plus favorable, il a mis la main sur Doué
et s'est acquis un ancien allié de Gelduin, le mari de
sa soeur, Berlay x,
qui reçoit Montreuil pour prix de son alliance ( ou de
sa trahison ).
Cette fois, c'est Gelduin
le Jeune x qui refuse
la bataille et qui par messager lui propose de « faire
trêve ». Foulques stoppe sa troupe en un lieu
jusqu'alors appelé "Clementiniacum" et,
jouant sur les mots, il y élève un château
qu'il baptise "Trèves" [ cette étymologie
naïve semble moins sûre que le recours au latin "Trivium,
le carrefour" ].
Le comte d'Anjou a grignoté du terrain, mais, désespérant
d'enlever Saumur par une attaque frontale, il revient à
sa tactique antérieure et se porte au nord de Tours, où
il établit un château sur la hauteur de Montboyau.
Eudes II vient assiéger ce fortin et appelle à
la rescousse tous ses vassaux, dont Gelduin qui accourt avec
le gros de ses troupes.
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7) Le tournant de 1026
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Foulques revient en Anjou afin de rassembler des renforts,
qu'il achemine par la grande route dominant la Vallée.
Arrivé à Brain [sur-Allonnes], il apprend que ses
ennemis sont supérieurs en nombre, alors que Saumur est
resté à peu près vide de défenseurs.
Il fait demi-tour avec son armée, chevauche toute
la nuit et franchit la Loire à gué ( sans
doute au Breil ). Aux premières lueurs de l'aube,
il entre dans Saumur et s'empare du château sans grand
combat.
Au dossier suivant, on verra
les versions divergeantes de chaque camp.
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