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Sous le titre " le
temps des trois religions ", nous avons présenté
la situation religieuse complexe et tendue sous la période
du Directoire. Les affaires se compliquent encore au début
du Consulat.
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1) La confusion du début du Consulat
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A la fin de 1799, Bonaparte proclame la liberté
des cultes, ainsi que la réouverture des églises
le dimanche et la fin des poursuites contre le clergé
réfractaire, mais le 6 nivôse an VIII ( 27
décembre 1799 ), il exige des prêtres un serment
de fidélité à la nouvelle Constitution.
Pas de problème dans le clergé constitutionnel ;
chez les réfractaires, certains prêtent ce serment,
d'autres, royalistes intransigeants, le refusent.
A part Saint-Nicolas, que conserve la municipalité
pour ses assemblées décadaires, les églises
rouvrent effectivement, mais dans un climat de compétition.
Le clergé constitutionnel, désorienté et
sans évêque, se regroupe à Nantilly, autour
du curé César Minier, ainsi que dans la chapelle
de la Visitation et à Saint-Lambert des Levées.
Quelques francs-tireurs insermentés apparaissent
en premier. L'abbé Jarry, qui a refusé tout serment,
célèbre des messes dans une chambre de l'Hôtel-Dieu,
à la demande des soeurs augustines ( A.D.M.L., 2 V 18 ).
Dénoncé par le sous-préfet Delabarbe et
par un rapport de gendarmerie, mais protégé par
le préfet, il ouvre le premier culte catholique public
dans la chapelle de l'Hôtel-Dieu, à partir du 18
octobre 1800 ( A.H., t. 25, p. 115-118 ).
Dans l'hospice de la Providence, est présent un ancien
moine cordelier aux positions fluctuantes. Un vif conflit oppose
huit religieuses qui ont rétracté leur serment,
le maire et les administrateurs de l'hospice d'une part, et de
l'autre côté les onze soeurs assermentées
soutenues par le sous-préfet. Finalement, les messes sont
réservées aux pensionnaires de la maison ( Marie-Claude
GUILLERAND-CHAMPENIER, Les servantes des pauvres de la Providence
de Saumur de 1736 à 1816, C.L.D., 1985, p. 69-76 ).
A la même époque, Jean Meilloc, au nom de
l'évêque d'Angers réfractaire, procède
à des nominations provisoires. Il fait preuve de circonspection,
recommandant de prêter le serment et ne nommant qu'à
des églises inoccupées. Il place ainsi Louis-Charles
Rattier à Dampierre et Pierre-Paul Léger à
Saint-Hilaire-Saint-Florent. Le problème majeur reste
celui de l'église Saint-Pierre, servant toujours d'entrepôt
pour les fourrages de la gendarmerie. Meilloc y nomme curé
Jean-René Forest ( voir
sa biographie ), mais ce dernier ne vient pas tout de
suite, mécontent de ce poste et refusant de prêter
le serment de soumission. Louis-Jacques Breton, nommé
vicaire, s'installe aussitôt, parvient à reprendre
l'église et y célèbre une première
messe le 7 décembre 1800, devant une foule abondante.
Saint-Pierre devient ainsi le fief du clergé insermenté.
Dans un rapport sans bienveillance du 11 juillet 1802, le sous-préfet
décrit une communauté de sept prêtres intolérants
et excluant de leur église certains paroissiens ( A.H.,
1913-1914, p. 101-109 ).
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2) La signature du Concordat
Pour le cadre, Serge Chassagne, dans Le diocèse
d'Angers, s.d. Fr. Lebrun, Beauchesne, 1981, p. 173-178
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Pendant ce temps, l'angevin Bernier, l'homme
de Napoléon Bonaparte, négocie avec le cardinal
Consalvi un Concordat qui est signé le 26 messidor an
IX ( 15 juillet 1801 ). Pour faire simple, on rappellera
que le Pape accepte d'énormes concessions afin d'obtenir
la reconstruction d'une église de France réunifiée
et que Bonaparte fait des sacrifices financiers afin de fonctionnariser
le clergé.
La mise en pratique du Concordat est une entreprise d'envergure.
Tous les évêques démissionnent. Les nouveaux,
nommés par le Premier Consul, reconstruiront leur diocèse
en étroite liaison avec le pouvoir politique. C'est encore
plus éclatant à Angers qu'ailleurs, puisque le
préfet Pierre Montault-Desilles arrache la nomination
de son frère Charles à la tête du diocèse.
Plus qu'ailleurs, le « préfet violet »
travaille la main dans la main avec les autorités civiles.
Né à Loudun, ancien élève du
collège des Oratoriens de Saumur, Charles Montault sait
qu'il aura d'épineux problèmes avec son clergé,
particulièrement à Saumur. A la nouvelle de sa
nomination, les cloches subsistantes de la ville sont sonnées
par ordre du préfet, contre l'avis du sous-préfet.
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3) Les réticences du clergé assermenté
E. QUERUAU-LAMERIE, Le rétablissement du culte
après la Terreur. Orthodoxes et Constitutionnels ( 1795-1803 ),
A., Germain et Grassin, 1902, p. 87-90 et 101-102.
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Lui-même, ancien évêque constitutionnel
de Poitiers, Mgr Montault fait un complexe permanent vis-à-vis
du clergé insermenté, qui ravive sans cesse ce
souvenir et, finalement, en Anjou, le Concordat consacre une
victoire complète du clergé réfractaire.
Tous les moyens, y compris des ruses mesquines, sont employés.
Au cours de sa première visite à Saumur, le nouvel
évêque est attendu pour dîner à Nantilly,
chez l'abbé Minier, qui lui est apparenté. L'abbé
Breton vient le prendre en charge à l'entrée de
la ville et l'emmène en réalité à
Saint-Pierre, chez l'abbé Forest. L'évêque
regroupe tout le monde à Nantilly, ce qui aurait entraîné
la réconciliation des deux clergés. La suite des
événements prouve que ce n'est pas si simple, ( Mgr
Amand-René MAUPOINT, Vie de Jean-René Forest,
confesseur de la Foi, curé de Saint-Pierre de Saumur,
A., E. Barassé, 1864, p. 244-245 ).
Déjà, François-Gaspard Maupassant,
apparenté au maire Cailleau, avait fait acte de soumission.
Les autres, entraînés par Ferré, curé
de Saint-Serge d'Angers, résistent, car Mgr Montault exige
d'eux une rétractation publique de leur serment révolutionnaire,
en présence des anciens réfractaires. Dans les
papiers de l'abbé Grégoire ( fonds Gazier ),
se trouve une lettre adressée par César Minier
à l'un de ses amis ; il se demande si les assermentés
ne sont pas victimes d'une clause secrète du Concordat.
Après avoir résisté de juin à août
1802, les anciens constitutionnels signent un simple formulaire
d'adhésion au Concordat, comportant une référence
aux " Quatre Articles " louis-quatorziens,
donc au gallicanisme. Montault a dû reculer et son frère,
le préfet, jugé trop maladroit, est remercié.
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4) La restructuration paroissiale
Paul BARDON, Le clergé angevin et la reconstruction
concordataire du diocèse d'Angers ( 1802-1809 ),
thèse de 3ème cycle, 3 vol., Paris Sorbonne, 1981,
A.D.M.L., BIB 8619, surtout au tome II.
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Avec patience, le nouvel évêque
assoit son autorité. Il nomme seulement 34 curés
( qui sont inamovibles et disposent d'une certaine autonomie ).
Les 362 autres paroisses deviennent des succursales, confiées
à de simples desservants, sur lesquels l'évêque
peut exercer plus d'emprise.
La perpétuelle question du découpage ecclésiastique
de Saumur rebondit ( voir le dossier consacré à
l'étrange structure paroissiale
au XVIe siècle ). Le sous-préfet Delabarbe
avance un projet le 18 avril 1802. Non sans malice, il raie la
paroisse de Saint-Pierre, estimant l'église trop peu solide ;
il propose deux cures, l'une à Nantilly, l'autre à
Saint-Nicolas, et deux succursales, l'une aux Ardilliers, l'autre
à la Visitation ; soit, finalement, quatre paroisses.
C'est à quatre paroisses bien différentes
que s'arrête Mgr Montault par ordonnance du 10 décembre
1802 ; il en fixe les limites le 29 du même mois ( F.
UZUREAU, « La délimitation des paroisses de
Saumur », S.L.S.A.S., oct. 1913, p. 51-55 ).
Une nouvelle paroisse de Sainte-Marie de la Visitation recouvre
les îles et le quartier de la Croix Verte ( qui est
rattaché à Saint-Lambert-des-Levées en 1809 ).
Au sud de la Loire, la paroisse de Saint-Nicolas occupe la partie
ouest de la percée centrale. De l'autre côté,
Saint-Pierre comprend l'est de la place de la Bilange, le quartier
de l'église, Fenet jusqu'au Jagueneau, le côté
Loire de la rue des Moulins, l'enclos du château et du
Boile jusqu'à la tour Grenetière et ensuite la
rue de la Petite-Douve. La paroisse de Notre-Dame de Nantilly
commence avec la rue du Portail-Louis, longe l'ancienne muraille
à partir de la tour Grenetière, prend la partie
méridionale de la rue des Moulins et s'étend sur
le Petit Puy et, de là, jusqu'au Thouet.
Par rapport au découpage des trois paroisses anciennes
et des quatre sections révolutionnaires, la paroisse de
Saint-Pierre est considérablement renforcée ; elle
annexe le quartier peuplé de la Grande-Rue et le quartier
aisé des Basses-Rues ( rues du Temple et des Payens ) ;
elle atteint désormais la partie médiane de la
place de la Bilange ; de l'autre côté, elle annexe
Fenet et l'enclos du Boile, qui se peuple et qu'on appelle alors
" le Bourg-Neuf ", mettant fin à l'étrange
paroisse englobant l'enclos du château et Varrains. Finalement,
cette nouvelle structure est nettement plus cohérente.
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5) La nouvelle hiérarchie
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Malgré une parité apparente ( deux réfractaires,
deux jureurs ), la paroisse de l'abbé Forest est
aussi avantagée canoniquement ; elle est érigée
en cure, alors que César Minier demeure à Nantilly
comme simple desservant. Ainsi est renversée la tradition
millénaire qui faisait de Nantilly l'église « mère
et matrice » de la ville. Dans la pratique, les paroisses
vivent désormais en autonomie ; les curés
échangent entre eux des lettres de type administratif ;
les cérémonies d'Ancien Régime regroupant
toute la ville se limitent à la procession de la Fête-Dieu.
Les succursales de la périphérie de Saumur
posent moins de problèmes, à l'exception de Bagneux,
où la vieille église paroissiale perchée
sur son promontoire au-dessus du Thouet est déclarée
irréparable, ayant son toit défoncé. Aucun
desservant n'est alors nommé et les paroissiens sont invités
à se rendre à Saint-Florent.
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6) La paix religieuse ?
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Il est couramment affirmé que le Concordat
ramène la paix religieuse après les graves troubles
de la période révolutionnaire. Sans se perdre dans
le récit de minuscules querelles, il faut bien remarquer
que la situation est longue à se stabiliser. Dès
1803, Forest demande le transfert à Saint-Pierre des anciennes
dévotions fondées à Nantilly. Des tensions
permanentes demeurent dans les milieux ecclésiastiques,
qui sont très divers dans le Saumurois. Quelques anciens
prêtres mariés sont voués aux gémonies.
D'autres membres du clergé constitutionnel, soumis à
l'évêque, restent sans affectation, alors que Mgr
Montault se plaint de manquer de collaborateurs. Bon nombre d'anciens
moines et d'anciennes religieuses continuent à vivre à
Saumur, parce que leurs anciens ordres ne sont pas reconstitués ;
leur statut reste imprécis.
Dans le Saumurois, 20 % des nouveaux nommés sont
d'anciens réfractaires étrangers à la région.
François-Yves Besnard, lui-même ancien curé
devenu percepteur, n'a de relations qu'avec les « anciens
prêtres qui ne partageaient pas les idées intolérantes
ni les haines cléricales des nouveaux » ( Souvenirs
d'un nonagénaire. Mémoires de François-Yves
Besnard, publiés par Célestin Port, P., A.,
2 vol., 1880, tome II, p. 258 ). Ces tensions expliquent
les poussées d'anticléricalisme de 1814-1815 et
de 1830-1831. Quelques desservants, traités en " intrus "
remettent leur démission. A Sainte-Marie de la Visitation,
Maupassant renonce ; des paroissiens réclament dans une
pétition la nomination de François-Alexis Moreau,
un ancien vicaire qui avait élu curé constitutionnel
de Doué. Ils se trompent d'époque et ne sont pas
entendus.
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7) La question des presbytères
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Les membres du clergé doivent être
logés. Si le presbytère d'Ancien Régime
et son jardin n'a pas été aliéné,
il sera rendu à sa destination primitive. C'est le cas
pour la Visitation et surtout pour la vaste résidence
des curés de Saumur située derrière Saint-Pierre
( photo ).
La gendarmerie s'y était installée, en compagnie
de la sous-préfecture, qui y avait succédé
à la municipalité de Saumur extra-muros.
Le curé Forest réclame le presbytère au
début de 1803, appuyé par le maire Cochon. Sur
le refus de Delabarbe, l'affaire remonte au nouveau préfet,
Nardon, qui consulte le ministre des Cultes. Le sous-préfet
doit restituer le presbytère pour le 25 juin 1803, mais
il s'incruste pendant quelque temps dans la sacristie ( A.H.,
t. 5, p. 607-611 ).
Partout ailleurs, la ville prend en location une maison
servant de presbytère et y ajoute une indemnité.
Par exemple, le desservant de Nantilly et son vicaire coûtent
833 francs par an ( A.D.M.L., 4 V 7 ).
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8) Prolongements du Concordat
Marc SACHÉ, En marge des romans, la Petite Église
en Anjou, A., Grassin, 1921
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Le Concordat restructure l'église locale
pour un siècle. Quelques opposants, hostiles au Corcordat
et prolongeant les traditions de l'Ancien Régime, se regroupent
dans la Petite Eglise, implantée en Anjou autour de Raimond,
curé de Saint-Paul-du-Bois. Ils restent en tout petit
nombre. Des traditions orales rapportent que quelques importantes
familles du Saumurois se seraient rangées parmi ces puritains
d'un autre âge. Toutefois, la surveillance policière
est minutieuse et les rapports nombreux ; aucun nom de Saumur
n'est signalé dans ces documents.
De même, aucune communauté protestante
ou juive n'est signalée dans la région. Il n'y
a donc pas de concordat particulier.
Du côté catholique, il est observé
que les églises sont pleines, mais en même temps
qu'un fort courant anticlérical se maintient. La piété
traditionnelle, organisée autour des confréries
survit partiellement, mais sans grand dynamisme. Une enquête
de 1803 signale l'existence de sept confréries dans les
quatre paroisses de Saumur ( Patricia LUSSON-HOUDEMON,
« Dévotions et confréries dans les
paroisses de Maine-et-Loire en 1803 », A.B.P.O.,
1988 (3), p. 311-325 ). Leur vitalité est
réduite, et les curés se méfient de ces
sociétés indépendantes et portées
sur les banquets. La confrérie de l'Assomption vivote
jusqu'en 1903. Ces associations pieuses déclinaient déjà
dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. On retrouve
ici la problématique soulevée par le tome III de
l'Histoire de la France religieuse ( Seuil, 1991 ).
Quelle est l'influence particulière de la Révolution ?
Ou bien faut-il voir une évolution profonde de longue
durée qui mène du roi Très Chrétien
à la laïcité républicaine ?
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