Nouvel Hôtel de Ville, salle des Adjudications, armes stylisées de Saumur sur la cheminée

 

Chapitre 32 :

 Les municipalités républicaines
         ( 1869-1914 )

 

    

  Aux élections législatives de mai 1869, la ville de Saumur vote massivement en faveur du candidat républicain Allain-Targé, ce qui amène Charles Louvet à démissionner de la mairie. Les trois élections suivantes confirment ce choix. A partir des élections municipales d'août 1870, tous les conseillers de la ville sont des républicains déclarés. Cependant, sitôt victorieux, les républicains révèlent qu'ils sont loin d'être homogènes et que de sérieux désaccords les séparent. Avec l'établissement progressif des libertés démocratiques, les débats prennent de l'ampleur et de la vivacité. Divergences programmatiques, rivalités personnelles, démissions spectaculaires alimentent en permanence une vie publique passablement agitée. Il serait vain de s'en désoler, c'est la loi de la démocratie, qui ne trouve un équilibre précaire que par la juxtaposition de forces diverses. Mieux vaut tenter d'évoquer toutes ces forces contradictoires, en appliquant la maxime de René Rémond : « L'Histoire est l'apprentissage de la complexité ». D'ailleurs, Saumur apparaît comme plutôt stable en comparaison de la valse des ministères à l'échelon gouvernemental. L'avantage des régimes autoritaires [ le seul, je crois ] est de simplifier, d'une manière caricaturale, la tâche de l'historien, en lui permettant un récit structuré et limpide.
 Rendre compte du bouillonnement de la vie politique locale de 1869 à 1914, évoquer les répercussions des grands débats nationaux ne sont pas tâche facile. Nous le tenterons sous une forme synthétique dans le cadre de ce survol ; en complément, des dossiers particulièrement nombreux et abondants apporteront des récits détaillés et des éclairages ponctuels, alternant la chronologie et les présentations thématiques. La froideur administrative des documents municipaux s'avère décevante ; en outre, bien des papiers utiles ont disparu des archives. Il faut lire les rapports des sous-préfets et les échos de la presse locale pour comprendre les enjeux et pour clarifier les conflits personnels.
 Heureusement, les archives sont abondamment prospectées. De remarquables travaux universitaires nous facilitent la tâche, la thèse d'Isabelle Emeriau & (1), le mémoire de maîtrise de Florence Baumard & (2), un article & (3) et une thèse & (4) de Geoffrey Ratouis. Je les ai beaucoup mis à contribution.

 

L'IMPLANTATION PROGRESSIVE DES RÉPUBLICAINS

   

1) Le temps du provisoire ( 1869-1879 )

 

 

Dossier 1 : Saumur dans la guerre de 1870-1871

 


  Dossier 2 : Les Saumurois et la Commune de Paris

 

 

Dossier 3 : L'instabilité municipale ( 1870-1879 )

  Au lendemain de la démission de Louvet, sont nommés à la tête de la ville des conseillers municipaux faisant fonction de maire, d'abord, Jacques-Eugène Bury et Georges Lecoy, puis un triumvirat formé de républicains plus avancés, Rémy Bodin, James Combier et Alexandre Labiche. Finalement, installé le 14 novembre 1870 par le nouveau sous-préfet, l'avocat Abellard, Rémy Bodin est nommé maire en titre par un arrêté du président du Conseil le 17 mai 1871.

 Ces administrateurs doivent faire face à des tâches écrasantes. Pendant la terrible guerre de 1870-1871, Saumur devient un centre de mobilisation et une base arrière pour l'Armée de l'Ouest. A l'approche des Prussiens, la ville se met en défense dans l'exaltation et elle est en même temps touchée par une effroyable épidémie de variole, qui tue 225 jeunes soldats. Trop souvent présentée comme une troupe folklorique, la garde mobile se bat longuement et souffre beaucoup.

 Les opérations militaires achevées, le pays se trouve en face de la Commune de Paris. La province condamne massivement cette révolution ; il est cependant intéressant de rechercher les nuances dans l'opinion locale et de signaler quelques voix compréhensives ( dossier 2 ).

 Au cours de la période suivante, les options gouvernementales pèsent sur la vie politique saumuroise. Alors que la ville est progressiste, Thiers favorise les conservateurs et l'Ordre moral privilégie les royalistes. Faute d'homme à leur dévotion au sein du Conseil municipal, le gouvernement, le préfet et le sous-préfet sont obligés de s'appuyer sur des républicains modérés, comme Bury, puis comme Lecoy, qui, de ce fait, sont mis en cause par les élus les plus avancés. En favorisant l'Eglise catholique, l'Ordre moral réveille un anticléricalisme, qui s'affirme majoritaire au sein du Conseil municipal. Plutôt conciliant sur ce dernier point, Georges Lecoy, dépassé, finit par laisser son fauteuil à James Combier, le chef de file des républicains avancés ( récit au dossier 3 ).
   

2) La suprématie des républicains radicaux de 1879 à 1905

 Les républicains locaux sont à peu près unanimes sur leurs grands objectifs : l'enracinement du régime républicain et de la démocratie, la lutte contre l'influence du clergé catholique considéré comme le pilier du royalisme, la création d'un réseau d'écoles primaires, laïques et gratuites, le développement des grands services publics. Appuyés surtout sur les cadres et la petite bourgeoisie, ils entretiennent des liens distants avec les milieux ouvriers, ne développant pas de programme social cohérent et se préoccupant surtout d'hygiénisme.
 Ils se séparent sur les méthodes d'action. Les radicaux ´ (5) veulent appliquer ce programme en entier et tout de suite, en avançant à marches forcées ; les républicains modérés, qui formeront plus tard le gros des opportunistes, souhaitent avancer par étapes, en attendant le mûrissement de l'opinion publique et en tenant compte des fortes difficultés rencontrées ( ils n'en sont pas moins de fermes républicains, Jules Ferry était classé parmi les opportunistes ).
 Les électeurs de Saumur votent habituellement pour un républicain modéré, quand ils choisissent un député ou un conseiller général, car tel est le plus souvent le candidat qui leur est proposé. Aux municipales, ils préfèrent en majorité des candidats aux idées avancées, même si un pointage précis est difficile à opérer après chacune des élections, car les modérés et ceux qu'on peut appeler les radicaux - dans le sens étymologique du terme - se présentent en général sur une même liste ê (6). Les grands repères nationaux sont difficiles à retrouver dans ce microcosme. Combier est d'abord un admirateur de Gambetta, puis il se proclame "radical" et affiche un portrait de Clemenceau dans son salon, mais il ne semble pas "encarté". Vinsonneau est ouvertement opportuniste. Peton, en revanche, est bien l'animateur du comité radical de la ville et Voisine en fait partie.
 En tout cas, dans les votes importants du Conseil, les éléments les plus avancés, qu'on peut qualifier de radicaux, sont constamment majoritaires de 1879 à 1905. Il est vrai qu'il paraît plus valorisant de se sentir plus à gauche que son voisin. Dans la pratique quotidienne, nos conseillers sont surtout de bons bourgeois, aux mentalités strictement hiérarchiques.

 

LE FONCTIONNEMENT LOCAL DE LA VIE POLITIQUE

   

 3) La lente mise en place des rouages de la démocratie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dossier 4 : L'âge d'or de la presse locale

  Au sortir des régimes autoritaires du Second Empire et de l'Ordre moral, n'existent ni partis politiques ni syndicats ni presse libre. A la veille des scrutins se mettent en place des comités électoraux rassemblés par les ténors locaux ; plusieurs comités en concurrence peuvent aussi naître. Ces associations temporaires ont une action bien visible dans les élections législatives, beaucoup moins dans les élections municipales, où chaque prétendant à la mairie recrute sa liste.
 Localement, le premier groupe structuré et dynamique est le comité de la Ligue des Patriotes, qui organise la propagande boulangiste en 1888-1889 et qui regroupe 160 membres, selon le commissaire spécial. Les partis naissent à partir de ces associations, devenues permanentes et structurées à l'échelle nationale. Le parti républicain radical et radical-socialiste, fondé en 1901, est le plus ancien parti de France. Dans le Saumurois, Ernest Roland, le directeur du Courrier de Saumur tente d'en créer une antenne à partir du Comité de concentration républicaine, fondé à l'occasion des législatives de 1902. Cependant, à la suite de différends personnels, ce comité ne survit guère au scrutin et se dissout le 28 octobre de cette même année. Il renaît en 1906 sous la forme d'une Fédération républicaine regroupant les comités cantonaux de gauche de l'arrondissement. A Saumur, un comité radical, dominé par le docteur Peton, se réunit épisodiquement. Quelques indépendants sont classés par la sous-préfecture comme radicaux-socialistes ; je ne sais si ce comité particulier est relié à une structure nationale.
 Finalement, le premier parti de type moderne qui existe à Saumur, caractérisé par des cartes d'adhésion, des timbres mensuels, des structures locales permanentes, un journal, des congrès départementaux, est le parti socialiste. On a fort peu de renseignements sur lui, sauf qu'il regroupe des effectifs fort modestes.

 Tous les quatre ans, au mois de mai, sont élus les 27 conseillers municipaux. Le vote est nominal, c'est-à-dire que les suffrages sont décomptés nom par nom ; après un dépouillement interminable, ceux qui ont obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés sont élus au premier tour ; la majorité simple suffisant pour le second tour. Il n'y a pas de dépôt officiel de candidature. Toutefois, la municipalité a pris au moins une fois l'initiative d'annuler les bulletins de conseillers sortants démissionnaires qui déclaraient n'accepter en aucun cas une réélection. Des listes imprimées sont habituellement proposées aux électeurs, mais ce fait n'a rien d'obligatoire. La répartition des sièges ne s'opère pas à la proportionnelle des listes. Des personnalités peuvent figurer sur plusieurs listes, parfois sans leur assentiment. De toutes façons, ces listes ne sont qu'indicatives, on peut les panacher et composer son propre bulletin en mélangeant les candidats de diverses tendances. Des fusions de listes sont possibles entre les deux tours, mais elles n'ont qu'une valeur de suggestion. Ce système favorise les notables bien implantés, souvent indépendants des leaders locaux ; cela peut expliquer les fréquents conflits personnels, parfois suivis de démissions spectaculaires. On démissionne souvent dans le Conseil municipal de Saumur.
 Rappelons encore une fois que les fonctions de maire et d'adjoint sont totalement gratuites, sans indemnité, sauf pour quelques rares déplacements. Elles sont écrasantes, compte tenu de la rareté du personnel administratif. Le nombre des adjoints est limité à deux. Toutefois, de simples conseillers reçoivent des délégations d'officier d'état civil, afin de les suppléer exceptionnellement. Les charges de la municipalité reviennent toujours à des gens aisés. Cependant, des citoyens de condition modeste apparaissent parmi les conseillers municipaux du rang. Sur les élus de mai 1896, je relève deux jardiniers, un ancien ouvrier carrossier, un ancien employé du chemin de fer devenu cultivateur, un mécanicien, un bourrelier et un retraité, tous élus sur la liste du docteur Peton.
 Pour les trois quarts de sa composition, le Conseil demeure néanmoins une assemblée de notables, comme au temps de la Monarchie censitaire, lorsqu'il était réservé aux habitants les plus riches. Les écarts énormes de voix entre gens de même tendance inscrits sur la même liste prouvent que l'électeur tient grand compte de la personnalité de chacun. Cependant, le Conseil se politise progressivement ; l'élection de listes complètes est fréquente, mais elle s'opère parfois sur les deux tours. D'ailleurs, à la veille des scrutins, les journaux de toutes les tendances incitent à voter pour des listes entières. A partir de la mise en place du sectionnement, la politisation s'accentue, alors que logiquement, ce vote de quartier devait aboutir au résultat inverse. Nous sommes donc à une époque charnière qui ouvre sur les votes idéologiques du XXe siècle.

 Tous les maires de 1879 à mai 1914 sont membres de la franc-maçonnerie. La loge La Persévérance ( voir son histoire ) est active et inspire à l'évidence les choix programmatiques. Elle pousse au combat anticlérical et aux réalisations scolaires. Il ne faut cependant pas surestimer son influence, comme le font les ennemis des municipalités de gauche, car son fonctionnement est chaotique. Le maire n'est nullement sous la tutelle de la loge, c'est plutôt lui qui y fait la loi et qui la transforme en courroie de transmission. Une surprise : les francs-maçons ne sont pas très nombreux au sein du Conseil municipal. En 1896, je n'en vois que trois, le maire, le premier adjoint et Louis Vinsonneau, élu sur une liste conservatrice et en rupture de loge. Mais en même temps, le frère Perreau est secrétaire général de la Mairie et le frère Arsène Hubert comptable du Service des Eaux. Pas très nombreux donc, mais à des postes importants.
 La Libre Pensée et le Cercle républicain mériteront un développement dans le cadre de la vie associative ( chapitre 41, § 10 ). Ils ne jouent pas un rôle moteur dans la vie politique locale, apparaissant surtout comme des lieux de propagande et de convivialité.

 La presse locale est l'objet de l'énorme dossier 4. Elle est longtemps réduite à deux organes opposés. L'Echo saumurois, habituellement trihebdomadaire, est conservateur, très catholique et plutôt royaliste. Le Courrier de Saumur, dirigé par la famille Roland, après avoir soutenu Louvet, redevient un organe de tendance radicale, rédigé sur un ton vif et donnant volontiers dans la plaisanterie anticléricale.
 La loi sur la presse du 29 juillet 1881 supprime les entraves à la liberté des journaux ( le cautionnement, le droit de timbre ), ne maintenant qu'un droit de réponse. Les délits de presse sont désormais soumis à un jury d'assises, traditionnellement plus tolérant qu'un tribunal correctionnel. Les journaux d'opinion connaissent alors un essor sans précédent, perceptible dès 1881. L'âge d'or de la presse locale se situe aux alentours de 1906, période de luttes politiques exacerbées, qui voit s'affronter sept périodiques locaux.
  

4) Le rythme cyclique de la vie municipale

  Faute d'organisations politiques structurées, c'est un homme seul, plutôt jeune, énergique, bien installé dans la vie professionnelle, qui s'impose par son prestige à la tête de la municipalité, qu'il soit d'abord nommé, puis élu. Il applique le programme d'inspiration radicale qu'il a annoncé dans une circulaire, d'ailleurs assez vague, mais il agit avec une belle opiniâtreté, sans se soucier des obstacles ou des paramètres financiers. Diverses oppositions se manifestent, en toute logique, du côté de la droite ( mais cette dernière n'a pendant longtemps que quelques élus au Conseil ), du côté des républicains modérés aussi, qui s'inquiètent des critiques de l'opinion publique. Ces maires agissent d'une manière autoritaire, dans la mesure de leurs pouvoirs, sans le moindre esprit d'équipe ; on ne trouve aucun écho de réunions privées, internes à la municipalité. Progressivement, plusieurs de leurs compagnons se brouillent avec eux et passent dans l'opposition ou abandonnent leur siège. La pression devient si forte que le maire démissionne brusquement, laissant un grand vide derrière lui.
 La majorité républicaine le remplace par un homme de consensus, plus aimable et plus modéré. Ce dernier assure l'interrègne avec beaucoup de difficultés, ne parvenant pas à s'imposer. Devant la paralysie progressive de l'institution, les républicains acceptent le retour triomphal de l'homme à poigne.
 Tel est le scénario qui se reproduit avec de faibles variantes sous James Combier et sous Joseph-Henri Peton.

 

CHRONIQUE DES MUNICIPALITÉS DE 1879 À 1904

   

 5) Etapes de la municipalité Combier de 1879 à 1892

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dossier 5 : Le Boulangisme à Saumur

• La personnalité de James Combier

• La lutte anticléricale d'abord

 Le 12 juin 1879, James Combier est nommé par le préfet « conseiller municipal délégué provisoirement pour remplir les fonctions de maire ». Son titre est très restrictif, car le sous-préfet est réservé sur le personnage et pense qu'il ne fera que passer. Combier a pour mission première d'interdire la procession du sacre, ce qu'il fait le jour même.
 Nommé maire le 22 août de la même année, il poursuit en priorité la laïcisation des services municipaux et la lutte contre les congrégations.

Le premier maire élu par le Conseil municipal

  La loi du 4 mars 1882 accorde à tous les conseils municipaux le droit d'élire leur maire, abolissant ainsi le choquant principe régalien de la nomination par le pouvoir central, au point que le premier magistrat de la cité pouvait avoir des orientations contraires à celles exprimées par ses administrés ( par exemple, sous la Restauration ).
 Le maire ne peut être élu que par un conseil au complet. A la suite de démissions en chaîne, des élections partielles sont organisées en avril 1882 afin de préparer le choix du maire. Au premier tour, sont élus deux opposants conservateurs ( Le Blaye et Victor Besnard ). Furieux, Combier adresse une lettre de démission au sous-préfet ê (7). Impulsif, il cède vite au découragement, comme on le verra plus loin. Nettement victorieux au second tour, alors que les abstentions ont baissé, il revient sur sa démission. Dans la lignée de ce succès, il est élu maire le 6 mai 1882 par 21 voix sur 25 présents ( ses deux opposants ne sont pas venus ). Il est donc le premier maire élu de la ville de Saumur, à partir du suffrage universel masculin.

[ Je n'oublie pas que le 21 mars 1749, une Assemblée générale des Habitants avait élu maire Louis-César Budan de Russé à la pluralité des voix ; je crois cependant que la liberté de ce choix était plus apparente que réelle et, de toutes façons, l'Assemblée générale n'était pas mise en place par un vote démocratique. Les maires de la Révolution sont issus du suffrage censitaire, ou bien nommés. ]

  Combier demeure assisté par ses deux adjoints, Eugène Guédon, épicier liquoriste, et François Poitou, propriétaire. Cette consécration par ses pairs semble l'assagir. En mars 1883, le sous-préfet Hector Cottineau le présente comme « très républicain, mais sans exagération, ni dans son administration ni dans son caractère ».
 L'importante loi du 5 avril 1884 organise la vie municipale. Les libertés communales sont renforcées, mais un peu seulement, car la tutelle préfectorale reste forte. Ces importantes réformes augmentent l'autorité morale du maire, puisqu'il est élu par ses pairs. Cependant, à Saumur au moins, son pouvoir est plutôt affaibli, car il est soumis à une réélection tous les quatre ans. Il s'en trouve fragilisé, quand les majorités sont peu sûres. Les crises municipales apparemment insolubles que nous allons rencontrer résultent aussi de ces réformes.

 Ces crises couvent déjà au lendemain de l'élection de Combier. Des démissions en cascade se produisent, si bien qu'en mars 1884, il ne reste plus que 23 conseillers municipaux, sur les 27 en place deux ans plus tôt. Cependant, Combier surmonte brillamment cette crise : aux municipales du 4 mai 1884, sa " liste républicaine démocratique " passe au complet dès le premier tour, alors que, selon la note du sous-préfet, « la lutte tout entière avait porté sur M. Combier ». On est donc surpris de le voir remettre à nouveau sa démission, en compagnie de ses adjoints, le 9 novembre 1885.
 La cause n'est pas municipale. Il a subi un échec aux élections législatives du 4 octobre précédent, élections qui s'étaient déroulées au scrutin de liste départemental. Cependant, dans la ville de Saumur, la liste sur laquelle il figurait avec Bury était venue nettement en tête. Réaction démocratique ou plutôt colère d'un ambitieux déçu ? En tout cas, Combier proclame alors qu'il va quitter Saumur et s'installer à Paris.

 • L'interrègne de Louis Vinsonneau ( 24 décembre 1885-23 août 1886 )

  Le négociant Louis Vinsonneau n'est pas un personnage effacé. Considéré comme l'un des chefs locaux du courant républicain, initié à La Persévérance, il était devenu second adjoint après une démission d'Eugène Guédon. Il est correctement élu le 24 décembre 1885 par 19 voix sur 25, et ne semble pas destiné à assurer une transition. Son premier adjoint est le docteur Peton, qui débute ainsi son ascension politique, et le second, Charles Poitevin, propriétaire ê (8).
 Ils ont tout juste le temps de se mettre en place. Une irrégularité est constatée dans les comptes du Collège communal de Garçons. Elle peut s'expliquer par les acrobaties financières de Jules Rigolage, qui greffe des affaires privées sur le collège public. En tout cas, Vinsonneau, ordonnateur des dépenses, est le responsable et, en ce temps-là, pour une anomalie administrative, un élu remet sa démission, ce que fait Vinsonneau le 23 août 1886, mais lui et ses adjoints restent membres du Conseil municipal, afin d'éviter une élection partielle dans un contexte délicat. Désappointés, les républicains supplient Combier de revenir, et ils le réélisent triomphalement le 9 septembre 1886, à deux voix seulement de l'unanimité.

 • Les grands équipements

 Chef d'entreprise hardi et efficace, James Combier manifeste le même allant dans le développement des grands services publics de la cité. Ses projets ou les réalisations de l'Etat qu'il a sollicitées aboutissent surtout vers la fin des années 1880. Ils sont analysés dans les chapitres spécialisés :
- Le centre de communications ( la voie ferrée Paris-Bordeaux et le tunnel, la ligne téléphonique ).
- L'aménagement urbain ( le développement du gaz et du service d'eau, le tramway, les débuts de l'électricité ).
- L'enseignement ( le Collège de Jeunes Filles, l'école de la rue Cendrière ).
  Combier parvient néanmoins à limiter les dépenses communales et lance de faibles emprunts.

 • La crise boulangiste
 Le dossier 5 montre que la Gauche radicale a dans sa grande majorité adhéré au Boulangisme naissant. Seulement, toujours impétueux, James Combier s'y implique davantage. Quand ses amis discernent les tendances césaristes du mouvement, et prennent leurs distances, il se déclare candidat « radical révisionniste » sur la circonscription de Baugé ( le scrutin d'arrondissement a été rétabli ). Il devient l'un des bailleurs de fonds du mouvement. Ses associés affirment qu'il a prélevé plus de 20 000 francs dans les caisses de son établissement.
 Le commissaire spécial ne lui donne pas de grosses chances à l'élection : « Dans les campagnes, M. Combier n'est pas bien vu ; on le traite de communard, parce qu'il est marié civilement et qu'il n'a pas fait baptiser ses enfants. Les cléricaux lui font une guerre acharnée » ( A.D.M.L, 1 M 6/61 ). Effectivement, le 22 septembre 1889, premier tour de l'élection, Combier est nettement battu, n'obtenant que 2 227 voix, alors que le député républicain sortant, Albert Benoist, en reçoit 6 868. Résultat  : la circonscription est perdue au profit d'un conservateur.
 Combier est désormais brouillé avec bon nombre de ses amis politiques, si bien que de nombreuses démissions se produisent dans son entourage. Il avait nourri de hautes ambitions, il avait tenté de se faire élire questeur de l'Assemblée nationale et à quatre reprises, il avait été candidat à la députation. Il a compris que désormais, il ne serait jamais député.

 • Un départ discret

 Son pouvoir local s'est émoussé. L'opposition en profite pour imposer le sectionnement électoral, grâce au vote du Conseil général, et pour présenter une pétition sur le rétablissement des processions. Combier se désintéresse progressivement des affaires municipales. Il signe son dernier arrêté en qualité de maire le 11 janvier 1890 ê (9), mais, comme si de rien n'était, il préside les conseils municipaux jusqu'au 9 février 1892. Habitué aux départs spectaculaires, il n'envoie pas cette fois de lettre de démission. Il n'y a pas de séance du Conseil en mars et avril. On attend les élections municipales du début mai pour le remplacer. Combier quitte la mairie et la politique locale sur la pointe des pieds.
 En même temps, il a de graves ennuis avec sa famille : une de ses filles se convertit à la religion catholique ; ses associés le destituent progressivement de la direction de la distillerie. Il abandonne tout et finit par quitter Saumur pour vivre à Paris.
   

6) Le second interrègne de Louis Vinsonneau ( 1892 )

  Louis Vinsonneau, qui était brouillé avec Combier, prend la tête de la liste républicaine aux élections municipales des 1er et 8 mai 1892. Malgré le sectionnement défavorable ( sur lequel nous reviendrons ), deux opposants seulement sont élus : le docteur Besnard, « le bénisseur Besnard », selon la formule du Courrier de Saumur, défenseur des religieuses pharmaciennes de l'hôpital ; Charles Poisson, mercier en gros et gestionnaire de la fabrique de Saint-Nicolas. Fort de ce succès, Vinsonneau est à nouveau élu maire le 15 mai par 22 voix sur 25 présents, avec le docteur Peton pour premier adjoint et Charles Poitevin pour second. Il fait de la surenchère en matière d'anticléricalisme ; le 21 septembre, il convoque une réunion spéciale du Conseil municipal, qui décide l'achat éventuel du collège Saint-Louis et sa transformation en école d'enfants de troupe ou en bataillon d'infanterie de ligne.
 En réalité, il ne donne pas suite à ce projet. Surtout, cette municipalité ne s'entend pas. Il n'est pas douteux que le docteur Peton convoite le fauteuil de maire ( le sous-préfet le signalait déjà dans un rapport de 1889 ê (10) ). La tactique est bien connue  : traditionnellemnt, dans une organisation de gauche, il faut faire de la surenchère à gauche pour l'emporter. Vinsonneau voulant imposer des choix plus modérés, Peton donne sa démission pour protester contre cette orientation. Le maire colmate la brèche en le faisant remplacer le 19 novembre par un autre modéré, l'entrepreneur Pierre Galbrun.
 On n'a guère de renseignements sur la crise qui se déroule au cours du mois suivant. Le Courrier de Saumur raconte que Vinsonneau a été mis en cause au sujet d'une pièce commerciale par Léon Mauriceau, fabricant de bijouterie religieuse et conseiller républicain avancé. Le maire, décidément bien maladroit, doit démissionner le 20 décembre ( il l'avait déjà fait en 1886 pour une irrégularité comptable ; il est aussi responsable des difficultés avec la compagnie du Gaz ).
 Le 26 du même mois, il préside la réunion du Conseil qui élit maire le docteur Peton par 15 voix seulement ( alors que Vinsonneau en avait obtenu 22 ; on peut penser que les modérés en veulent à Peton ). Maxime Piéron, radical bon teint, est élu premier adjoint et Auguste Bonneau, second adjoint. La nouvelle municipalité, dès la séance suivante du 21 janvier 1893, annonce un programme d'action d'inspiration sociale : création d'une caisse de chômage, nouvel emprunt de 497 000 francs pour réaliser de grands projets. Vinsonneau, Galbrun et Eugène Coutard se déclarent hostiles à ce plan, ce qui révèle bien la nature sociale du conflit ( en 1896, ils se présenteront contre Peton, avec la droite ). La tendance radicale, qui était en perte de vitesse, à cause de la crise boulangiste et du discrédit de Combier, reprend le dessus avec un nouveau chef. Au même moment, au nom du groupe radical, Georges Clemenceau propose à l'Assemblée des mesures sociales novatrices. Il ne s'agit pas d'une coïncidence.
  

  7) Les trois premiers mandats du docteur Peton ( 1892-1904 )

 • Notes biographiques sur le docteur Peton

 • Succès électoraux

 Autoritaire sous des dehors d'une grande courtoisie, le docteur Peton parvient à s'imposer comme le leader local du radicalisme. Habile manoeuvrier, il remporte les deux élections suivantes. En mai 1896, sa liste compte 18 élus, contre 9 à l'Union libérale, une redoutable coalition formée de royalistes, de catholiques, de républicains dissidents et d'amis de Jules Rigolage. En mai 1900, il peut compter sur 20 républicains contre 7 réactionnaires. C'est en mai 1904 que la situation se complique et qu'une crise profonde se dessine.

 Jusqu'ici, le docteur Peton a poursuivi l'action de James Combier, se contentant de lui apporter quelques inflexions, se révélant plus social, plus préoccupé de l'enseignement primaire et de l'action culturelle, plus favorable aussi à la régie directe des services municipaux. Malgré ces différences, l'action des municipalités Combier et Peton présentent une réelle continuité pendant 35 ans. Il est temps d'en schématiser les grands axes.

 

BILAN DES MUNICIPALITÉS RADICALES

    

 8) Les axes de l'action radicale

 

 

 • - L'anticléricalisme
 La lutte contre l'influence du clergé, et parfois contre la religion catholique, est le meilleur terrain d'entente de tous les républicains. Ces conflits à rebondissements dominent les débats politiques du temps. Même s'ils passent par des épisodes mesquins, ils doivent être racontés dans tous leurs détails, qui s'avèrent parfois significatifs. Finalement, ils aboutissent à la loi de Séparation, qui constitue l'un des fondements de notre France actuelle.
 Dans les dossiers, nous avons distingué trois phases :

Dossier 6 : L'anticléricalisme : les républicains sur la défensive ( 1869-1879 )

Dossier 7 : L'offensive anticléricale ( 1879-1892 )

Dossier 8 : L'anticléricalisme politique ( 1892-1915 )

 • - L'exaltation de la symbolique républicaine

Dossier 8 : La symbolique républicaine

 • 3 - Les grandes ambitions scolaires
  Voir le chapitre 40 sur l'enseignement et la culture

 • 4 - Le développement des services publics
  Voir chapitre 33 sur les transports : la plaque tournante ferroviaire, le tramway, le téléphone.
  Voir chapitre 36 sur l'équipement : le gaz, le service d'eau, le marché couvert de la place Saint-Pierre, le nouvel hôtel des Postes, travaux au Jardin des Plantes en 1896.

 • 5 - L'ébauche d'une politique sociale
  Avec le docteur Peton, la municipalité commence à prendre des mesures sociales. Elle ouvre des cantines scolaires. Elle aide à la naissance de la bourse du travail et elle projette une caisse de chômage, sans aboutir. Elle mène une politique hygiéniste en direction des milieux défavorisés.
 Les problèmes de logement, pourtant criants, n'entrent pas dans le cadre de ses préoccupations, comme partout ailleurs « (11).

 • 6 - Une action culturelle
Achat et restauration du château, transfert du Musée municipal
- Société des Lettres, Sciences et Arts du Saumurois
- Ouverture d'un musée d'art religieux dans la chapelle Saint-Jean.
   

9) L'état des finances

Dossier 9 : Remarques sur les finances municipales
( 1869-1914 )

 De la démission de Louvet en 1869 à la démission de Peton en 1914, la masse budgétaire a triplé.  L'augmentation, assez faible au départ, reste modérée sous Combier. Le docteur Peton s'avère plus ambitieux et plus dépensier ; ses budgets présentent une hausse rapide et il lance de grands emprunts. La flambée des charges scolaires explique surtout ces majorations.
 Au cours des débats budgétaires, deux questions sont rituellement posées. Le principal revenu de la ville, l'octroi, est une taxe sur la consommation de produits courants, qui est dénoncée comme profondément injuste, parce qu'elle épargne les produits de luxe et touche peu les milieux favorisés. Les projets de remplacement de cet octroi n'ont pas abouti...
 Les finances municipales sont-elles bien gérées ? Des éléments nuancés sont apportés dans le dossier 9. Pour faire simple, on répondra ici, plutôt mal sous les municipalités de transition, plutôt bien sous Combier et Peton.

 

DÉCLIN DES RADICAUX

     

 10) L'affaiblissement du courant radical

 

 

 

 

 

 

 

 

Dossier 10 : Naissance d'une extrême gauche

  Nettement majoritaire au sein du Conseil municipal jusqu'aux élections de 1904 et fortement implanté dans la ville, le courant radical donne des signes d'essoufflement et apparaît comme menacé dans les premières années du XXe siècle. En voici quelques explications :

 • Les conflits de personnes
 De désolants conflits entre les personnes, assez difficiles à reconstituer, secouent en permanence la vie municipale. Combier se brouille avec le docteur Victor Besnard et avec ses adjoints Eugène Guédon et Louis Vinsonneau. Peton est lui aussi en conflit avec les précédents ; il rompt également avec son ancien protégé Rigolage ; il entre en lutte contre Paul-Emile Abellard, ancien sous-préfet, ancien adjoint, contre Eugène Coutard, président du Tribunal de commerce, et contre Pierre Galbrun. Ces notables, déjà nettement plus centristes, s'allient avec les réactionnaires pour tenter d'abattre Peton. En février 1905, ce dernier se fâche aussi avec son adjoint Louis Simon-Perriché, car il a nommé un nouveau secrétaire-adjoint de la Mairie, Jean Delfau, sans le consulter. Les deux hommes présentent alors leur démission, puis se réconcilient en apparence, mais Simon-Perriché se déclare désormais radical-socialiste et se pose en concurrent de Peton.
 Dirigeant une importante graineterie, le conseiller municipal Victor Boret, sentant son avenir localement bouché, fait carrière politique dans la Vienne.

 • Un conflit idéologique avec les socialistes
 Le courant socialiste fait des débuts tardifs dans la ville et entretient d'abord de bons rapports avec le docteur Peton. Quand le nouveau parti s'implante en milieu ouvrier, qu'il affiche des ambitions municipales et qu'il prend des positions d'extrême gauche, une rupture brutale se produit en 1905 ( dossier 10 ).
 Finalement, selon la remarque de Jean-Luc Marais, le paysage politique de la ville se scinde entre Bleus, Blancs et Rouges.

 • L'influence du député Georges de Grandmaison
 Georges de Grandmaison bat Henri Allain-Targé en 1893. Il devient le plus jeune député de France. Il sera le plus vieux sénateur en 1933. Très rarement en tête dans les scrutins de la ville, il y joue cependant un rôle non négligeable. Républicain et plutôt libéral à la Chambre, il prend localement des positions nettement plus réactionnaires et obtient l'appui de tous les conservateurs, y compris des royalistes & (12). Châtelain de Montreuil-Bellay, fortement implanté dans l'arrondissement, il s'assure une forte clientèle locale, omniprésent dans les associations, les banquets et les confréries vineuses, menant une campagne électorale permanente, ne reculant pas devant la pire démagogie, par exemple quand il se déclare « contre l'impôt ». Il dispose de quatre journaux locaux et, avec eux, il lutte contre les radicaux et à plus forte raison contre les socialistes.

 • Les interventions intempestives de certains sous-préfets
 La plupart des sous-préfets ne font que passer et ne pèsent guère sur la politique locale. Deux seulement se font remarquer :
- Albert Tillol, sous-préfet du 22 décembre 1891 au 16 novembre 1895 est réactionnaire, selon les dires du Courrier de Saumur. Il freine l'installation du service d'eau. Le Conseil municipal écrit au ministre pour réclamer sa mutation. Sans aucun succès.
- Alfred Lasserre, sous-préfet du 30 juillet 1906 au 3 octobre 1910, est au contraire un républicain militant. Il a reçu mission de combattre l'influence du député Grandmaison. Il s'efforce en conséquence de restructurer les forces républicaines désunies. Déployant une activité brouillonne, il se fâche avec Ernest Roland ( qu'il qualifie « d'esprit troublé » ), avec le conseiller général, le libraire Stéphane Milon ( qu'il soupçonne d'amitié pour Grandmaison ), puis avec le maire Peton ( qu'il juge faible et versatile ), mais il se flatte d'influencer le jeune Robert Amy, dirigeant de l'Union Athlétique Saumuroise ê (13).

 • L'isolement politique de Saumur
 Les républicains marqués de Saumur se retrouvent relativement isolés dans leur arrondissement, qui, après avoir voté bonapartiste, se rallie à un conservateur au républicanisme incertain. Les villages de la Côte viticole, en particulier, passent sous l'influence de Grandmaison. Saumur n'est en harmonie qu'avec sa périphérie urbaine, surtout avec Bagneux et Saint-Lambert-des-Levées ; ensuite, la ville retrouve l'appui de la municipalité de Montreuil-Bellay. Malgré tout, les candidats républicains de l'arrondissement sont rarement désignés par les radicaux de Saumur. En 1898, quand le docteur Peton parvient à être choisi, il réalise un score médiocre, réunissant tout juste la moitié des voix de Grandmaison.
    

11) Le réveil de la droite

 Dossier 11 : Les nouvelles droites saumuroises

 

 

Dossier 12 : Saumur et l'affaire Dreyfus

 

Dossier 13 : Les deux sectionnements ( 1889 et 1903 )

  La droite traditionnelle, royaliste ou bonapartiste, conservatrice et cléricale, toujours antirépublicaine, n'était guère influente à Saumur et parfois même incapable de monter une liste pour les élections municipales. Dans le dernier quart du siècle, apparaît une nouvelle droite, toujours très catholique, mais acceptant le régime républicain, tournée vers les milieux populaires et y rencontrant un certain écho, grâce à ses écoles privées, ses patronages et ses oeuvres sociales ( dossier 11 ).
 Plutôt pacifiste en 1871, elle s'exalte désormais sur la Revanche et l'honneur de l'armée. Elle se transforme parfois en extrême droite nationaliste, fille de Boulanger et de Déroulède, antidreyfusarde, pourfendeuse des métèques et des juifs, trouvant un réel écho dans une ville ardemment militariste.

 Les oppositions deviennent de plus en plus tranchées au temps de l'affaire Dreyfus. Sur le plan national, cette affaire a permis le succès du Bloc des gauches. A Saumur au contraire, c'est la droite, sous sa forme extrémiste, qui en tire surtout profit ( dossier 12 ).

 Rappelons encore une fois que les femmes et les militaires ne votent pas. Même requinquée et favorisée par les déchirements de la gauche, la droite locale a de faibles chances de s'emparer du pouvoir municipal. Dans un premier temps, elle préfère disposer d'une tribune en faisant élire quelques uns des siens. Bel exemple de cuisine électorale, le sectionnement de la ville est imposé par le Conseil général de Maine-et-Loire en 1889 ( dossier 13 ). Comme il ne donne pas de gros résultats, il est transformé en 1903.

 

DES CRISES MUNICIPALES RÉPÉTITIVES

    

 12) Une longue crise municipale ( mai 1904-février 1907 )

Dossier 14 : La crise municipale de mai 1904 à février 1907

  Les élections municipales de mai 1904 trahissent les profondes divisions de la gauche. Les socialistes rompent avec les radicaux. Excédé, le docteur Peton démissionne le 10 juillet 1905.
 C'est le début d'une longue crise, dont les péripéties sont narrées dans le dossier 14. En bref, le nouveau maire, Léon Voisine, ne parvient pas à s'imposer et tente une ouverture vers les modérés, ce qui lui vaut des attaques de toutes parts. Il finit par remettre sa démission le 22 octobre 1906. La commune s'avérant impossible à gérer, le Conseil municipal est dissous par le Président de la République. Les nouvelles élections du 27 janvier et du 3 février 1907 aboutissent à un franc succès de la liste des radicaux. Ces derniers supplient le docteur Peton de reprendre son poste.
   

 13) Le grand retour du docteur Peton

  Homme providentiel, réélu maire le 8 février 1907, Peton est conforté dans sa place par les élections municipales de mai 1908 ( 20 conseillers radicaux élus ). En 1912, devant la poussée des éléments conservateurs, il accepte de former une liste de concentration républicaine ´ (14). Le 5 mai, il est réélu par 16 voix, donc avec les voix socialistes, alors que Louis Mayaud, candidat des conservateurs en obtient 9. Il prend comme second adjoint un radical-socialiste, le greffier Léon Allard.
 Ainsi, pendant sept années, Peton redevient l'homme fort de la ville, membre de nombreuse sociétés et plaçant ses proches à la tête des associations locales. Il poursuit la politique radicale que nous avons définie plus haut.
   

 14) La nouvelle crise municipale de 1914 et le succès de la droite

Dossier 15 : La crise municipale de 1914

  Les frictions réapparaissent au sein d'une majorité municipale très diversifiée, si bien que le 8 mai 1914, le docteur Peton démissionne, cette fois d'une manière irrévocable. Républicains modérés, radicaux, radicaux-socialistes et socialistes s'avèrent incapables de reconstruire une majorité autour d'un nouveau maire. D'où la dissolution du Conseil ( dossier 15 ).
 Aux élections des 5 et 12 juillet 1914, la campagne est surtout dirigée contre Peton. Les conservateurs l'emportent avec 16 sièges, contre 11 élus de gauche. La nouvelle majorité porte à la mairie Louis Mayaud, industriel en objets de piété.
 La mobilisation et la guerre se produisent peu après et le Conseil municipal pratique aussitôt l'Union Sacrée.
   

 

  La gauche a dirigé la ville pendant 44 ans, dont 35 années pour la gauche prononcée. Elle peut s'enorgueillir d'un bilan considérable. Est-elle tombée par suite d'un glissement progressif des électeurs vers la droite ? Un glissement, épaulé par une presse puissante, est perceptible aux élections législatives, dans lesquelles Georges de Grandmaison progresse dans la ville. Il est accentué par le sectionnement, qui favorise les conservateurs.
Cependant, observateurs du temps comme historiens d'aujourd'hui tombent d'accord pour estimer que la gauche a perdu Saumur pour onze années, jusqu'au succès de Robert Amy, en raison de ses irritantes divisions internes, à la fois désaccords politiques et conflits personnels. Faute de partis politiques stables et de structures permanentes, elle n'est pas capable de se fédérer autour de quelques grands thèmes et autour de leaders acceptés et démocrates. Elle passe d'un excès à l'autre. Ou bien, dominée par deux hommes à poigne, qui écartent les rivaux potentiels. Ou bien, déchirée entre les clans et incapable d'agir.