Les nouvelles droites saumuroises
1) La droite traditionaliste
Catholiques et légitimistes, quelques familles de l'aristocratie et de la grande bourgeoisie d'affaires représentent l'ancienne droite conservatrice. Elles ne sont pas sans influence, grâce à leur fortune, leurs oeuvres de charité, une embauche sélective dans leurs entreprises, l'appui du clergé, leur tutelle sur le collège Saint-Louis et l'enseignement privé, la publication de deux périodiques, L'Echo saumurois et La Croix de Saumur. Cependant, avec le retrait de Charles Louvet, cette droite traditionaliste a perdu son leader et n'a pas su le remplacer. Elle a un problème avec le suffrage universel masculin, qu'elle n'apprécie pas. Elle parvient à réunir le tiers des suffrages aux élections législatives, mais elle est pendant longtemps incapable de présenter des listes complètes aux élections municipales, laissant ainsi le champ libre aux républicains radicaux.
2) A la reconquête du peuple
Une équipe
d'hommes plus jeunes relance le militantisme religieux et politique
selon des objectifs nouveaux. Gaston de La Guillonnière,
un juge révoqué avec la victoire des républicains
en 1879, entré par mariage dans le clan Mayaud et résidant
à l'hôtel de Castellane, 8 quai de Limoges, devient
conseiller général de Saumur N.O. en 1895 et maire
de Saint-Martin-de-la-Place en 1896. L'autre pilier de cette nouvelle
droite est une famille de riches merciers en gros, les Poisson ;
Charles est pendant un temps le seul conseiller municipal d'opposition ;
son frère Alphonse devient maire de Bagneux ; il est
épaulé par son beau-frère et associé,
Joseph Vidal-Poisson, et relayé par ses neveux, Francis,
Alphonse et Charles Poisson, ce dernier professeur de droit à
l'Université catholique d'Angers. Ils sont rejoints par
de jeunes négociants, Etienne Charbonneau et Etienne Lehou,
et par des officiers soucieux de leur rôle social.
Ils ouvrent des patronages pour les enfants et les jeunes
gens, créent des sociétés de gymnastique,
animent des troupes théâtrales, fondent des cercles
d'agrément. Ils mènent une action ciblée
en direction des ouvriers : l'association Notre-Dame du Travail
est à la fois une société de secours mutuels
et une confrérie pieuse. Ces faits sont développés
dans le chapitre consacré
aux religions. Le succès est certain dans les milieux
populaires et trouve un prolongement dans l'action politique locale.
3) Une action politique continue à partir de 1889
En juin 1889, l'association Notre-Dame du Travail collecte 4 100 signatures réclamant le rétablissement des processions. Ce thème des processions devient le leitmotiv de la contre-offensive catholique et réactionnaire. En août 1889, le Conseil général accorde à la droite locale un sectionnement de la ville, qui lui permet d'espérer des élus dans certaines circonscriptions taillées sur mesure. Effectivement, à partir de 1892, les conservateurs présentent des listes complètes dans chacune des sections, se déclarant « indépendantes » ou « libérales », parfois alliées à des républicains dissidents. La composition socio-professionnelle de ces listes a été reconstituée par Florence Baumard, La vie politique à Saumur sous la Troisième République ( 4 septembre 1870-3 août 1914 ), maîtrise, 1996, p. 37, à qui j'emprunte les données suivantes.
Les candidats conservateurs
appartiennent pour 80 % à la bourgeoisie, surtout
aux milieux d'affaires, mais ils diffèrent peu des républicains
( qui sont un peu plus faibles dans les professions libérales
et chez les militaires à la retraite ). Les milieux
populaires occupent une place secondaire, sans être marginale ;
ainsi, les conservateurs parviennent à enrôler sous
leur bannière 17 ouvriers, artisans et employés
( ces derniers n'ont pu être décomptés
à part sur les listes de droite ).
Grâce au sectionnement, grâce à une presse
véhémente ( La Croix de Saumur est lancée
en août 1896 ), la droite locale remporte 9 sièges
aux élections municipales de 1896, 7 en 1900. Elle organise
la résistance aux inventaires de janvier-mars 1906, se
montrant capable de mobiliser de 250 à 300 personnes, selon
le sous-préfet, et outrepassant les consignes du clergé.
4) Des ralliements à la République ?
Le ralliement à
la République prôné par le pape Léon
XIII en 1892 a-t-il été suivi dans les milieux catholiques
saumurois ? En petit nombre apparemment. Il est cependant
établi que le remuant abbé Bosseboeuf compte quelques
amis dans la région, qu'un groupe du Sillon a, pendant
quelque temps, existé à Saumur, favorable à
la démocratie et acceptant les lois de Séparation.
Un seul rallié à la République est bien identifié,
c'est l'avocat catholique Fabien Cesbron, pendant un temps conseiller
municipal de Varrains et avocat à Saumur.
« Il se dit républicain libéral.
Faute de mieux, le parti conservateur va le soutenir à
Baugé, terre ingrate pour la droite. Cesbron est avocat
à Saumur. Il est intelligent. Il met son talent, limité
par une fortune modeste, au service de ses idées avancées.
Il participe à la mouvance des frères Poisson et
du cercle des professions libérales et commerçantes
de Saumur. Il est farouchement antigouvernemental :
« Nous avons un ministères de malfaiteurs, une
majorité méprisable. »
Cesbron est élu avec 57 voix d'avance sur le radical
titulaire du siège, au second tour. »
Etienne Charbonneau, Etienne
Charbonneau, 1870-1945, 1990, p. 194.
Fabien Cesbron est député de 1902 à
1906, puis sénateur de 1911 à 1920. Cependant les
milieux catholiques et conservateurs le tiennent en marge et bloquent
sa carrière, car il est, à la fois, trop avancé
en se déclarant républicain et trop aventureux en
se déclarant nationaliste, proche de Déroulède
et favorable à un coup de force d'extrême droite.
Manifestement, il y a peu de républicains dans la droite saumuroise. Aux élections, la liste de gauche continue à s'appeler " liste républicaine ". Les élus conservateurs et leur presse ne sont guère loquaces sur leurs idéaux politiques, car ils ne sont pas unanimes. En lisant entre les lignes de leurs journaux, on entrevoit que certains sont des légitimistes intransigeants, qui espèrent toujours une restauration, que d'autres, quoique monarchistes de coeur, se résignent à accepter la république par réalisme.