L'anticléricalisme politique ( 1892-1915 )
Après une offensive anticléricale particulièrement vigoureuse dans les années 1879-1882, les édiles municipaux ont à peu près réalisé leurs ambitions dans ce domaine et, de plus, le docteur Peton est nettement moins ardent sur la question. C'est l'Etat qui prend le relais par ses mesures contre les congrégations et par la loi de Séparation et ses conséquences. Ces événements majeurs sont présentés en tête. Cependant, quelques escarmouches locales se produisent, provoquées par l'un ou l'autre camp, habituellement quand la majorité municipale est en crise.
1) Les nouvelles mesures contre les congrégations
La loi
Waideck-Rousseau
du 1 er juillet 1901 sur la liberté d'association
vise en réalité les congrégations religieuses
enseignantes, qui doivent obtenir une autorisation. Les conseils
municipaux sont invités à donner leur avis sur ces
demandes. Au Conseil de Saumur, le 20 décembre 1901, Peton
déclare que dans l'exercice de sa profession, il peut apprécier
les Petites Soeurs de Saint-François ( installées
rue du Temple ). Les conseillers se rangent à son
avis, mais se déclarent défavorables à l'autorisation
des Pères de Chavagnes et des soeurs de Saint-André
de la Croix ( Geoffrey Ratouis, p. 392 ). Le gouvernement
les suit. Ces dernières religieuses ont donc connu trois
statuts différents en un quart de siècle :
d'abord institutrices congréganistes tenant des écoles
publiques et rétribuées par la commune ; ensuite,
institutrices dans de nouvelles écoles libres, toujours
en habit religieux, mais rétribuées par les familles ;
en 1902, elles se sécularisent, c'est-à-dire qu'elles
portent un costume civil, comme si la congrégation s'était
dissoute, cela tout en continuant de vivre en communauté.
Les dames de la Retraite se sécularisent également
et rebaptisent leur établissement le Cours
Dacier en octobre 1904. Les Pères de Chavagnes sont
pour la deuxième fois expulsés de leur maison, le
25 avril 1903 ; comme précédemment, l'aumônier
du pèlerinage, le Père David, s'installe parmi les
pensionnaires de la Maison de l'Oratoire. Le liquidateur judiciaire
de la congrégation vend la propriété du quai
de Limoges à la ville, qui y construit deux écoles.
La loi de
Séparation
des Eglises et de l'Etat du 9 décembre 1905 prévoyait,
avec un réel libéralisme, que les édifices
du culte seraient confiés gratuitement à des associations
cultuelles, après un inventaire des lieux. Le pape condamne
la loi avec véhémence. Dans le diocèse d'Angers,
Mgr Rumeau, plutôt libéral, recommande à son
clergé d'éviter les incidents.
A Saumur et dans ses environs, les inventaires se déroulent
suivant un même scénario. Quand le sous-inspecteur
de l'Enregistrement se présente, en compagnie de deux témoins,
il est attendu dans les églises par le clergé, les
marguilliers et les fidèles les plus réactionnaires,
mais les portes sont ouvertes. Le président du Conseil
de fabrique lit une protestation solennelle et le fonctionnaire
procède à la hâte à son inventaire,
pendant que les fidèles chantent des cantiques. Les événements
se déroulent ainsi à Saint-Nicolas et à Nantilly.
A la Visitation, l'agent de l'Enregistrement a procédé
par surprise : alors qu'on l'attendait devant la grande porte,
il a pénétré discrètement par un moyen
détourné ; reconnu, il est injurié.
A Saint-Hilaire-Saint-Florent, le 7 mars 1906, c'est la douairière
du château, Alix de La Frégeolière, qui s'interpose
devant la porte de l'église en criant au sacrilège ;
deux gendarmes l'écartent et la porte est brisée
à la hache.
A Saint-Pierre,
la résistance
est plus dure, en raison de l'activisme de Gaston de La Guillonnière,
conseiller général du canton de Saumur N.O., soutenu
par les chefs royalistes de la droite locale : Alphonse Poisson,
Vidal-Poisson et Paul Godet, nettement plus combatifs et plus
politiques que le vieux curé Brisset. Le fonctionnaire
de l'Enregistrement, après avoir prévenu, se présente
le 27 janvier 1906 ; il trouve porte close et des hommes
à l'intérieur qui refusent d'ouvrir. Il renonce
et revient par surprise le 6 mars dans un grand déploiement
de troupes. Des défenseurs, alertés par le bruit,
sonnent le tocsin, qui suscite des renforts. Une porte est enfoncée
à coups de hache et il faut ensuite dégager une
barricade élevée en arrière. Le clergé
refuse toute coopération, et le tabernacle est crocheté.
Les journaux cléricaux donnent une dimension épique
à cette résistance, en particulier La Croix de Saumur du
11 mars. Ils forcent la note, si l'on en croit les autres documents.
Toute cette gesticulation sent la politique spectacle. D'après
le sous-préfet Cordelet, les manifestants se situent entre
250 et 300 personnes.
La région n'est pas au bord de la guerre civile.
« Non, 1906 ne fut point à Angers une résurgence
de 1793, tout juste une parodie ». Ce jugement de Claude
Petitfrère ( A.B.P.O., 1979, p. 79 ) peut
aussi s'appliquer à Saumur. L'inventaire musclé
du 6 mars est l'un des derniers de la région, car le lendemain,
un ordre ministériel suspend les opérations qui
risquent d'engendrer des incidents.
Avec
l'abolition du Concordat,
les communes ne logent plus leurs curés. Cependant, la
loi leur impose de faire une proposition de location, cette fois
contre loyer. La ville de Saumur, qui possède trois presbytères,
aimerait apparemment les louer, mais pas gratuitement comme essaient
de le faire certaines communes des Mauges et du Segréen.
Il fixe le montant à 1 200 francs pour le presbytère
Saint-Pierre, à 600 francs pour le presbytère de
Nantilly, à 400 francs pour le presbytère de la
Visitation, l'ancien parloir des religieuses, particulièrement
délabré et dépourvu du service d'eau. Ce sont les
curés qui refusent, en appliquant la consigne imprimée
de Monseigneur Rumeau, qui leur enjoint d'accepter de payer seulement
des frais d'entretien.
Le nouveau curé de Saint-Pierre, Jules Bouvet, précédemment
économe de Saint-Louis, répond au maire le 8 janvier
1908 qu'il a « un droit imprescriptible à la
jouissance gratuite, puisque le presbytère a été
construit et donné par un de ses prédécesseurs
pour être l'habitation du clergé paroissial de Saint-Pierre »
( A.M.S., P I, culte catholique ). Cette lettre
comporte deux inexactitudes historiques. Pierre Guitaut a fait
construire ce presbytère de 1757 à 1763 aux frais
de la ville, qui a dû lever une taxe spéciale sur
tous les habitants. Il n'y avait alors qu'un seul curé
à Saumur, le curé de Nantilly, c'est lui qui s'est
installé dans ces locaux constamment disputés. La
réponse comparable du curé de Nantilly est plus
pertinente.
En réalité, des notables généreux
ont préparé un terrain de repli pour leur curé,
au n° 9-11 de la rue Fourier pour la paroisse Saint-Pierre,
au 23 de la rue du Pressoir pour le curé de Nantilly. L'abbé
Désiré Dufresne, résidant cour Saint-Laud
à Angers, achète à l'amiable le presbytère
de la Visitation pour 8 000 francs seulement, en juillet
1909 ; il semble agir pour le compte de l'évêché.
Quant à l'ancien presbytère de Nantilly, il sert
de pavillon d'isolement pour les malades contagieux de l'hospice,
qui le rachète à la ville pour 5 000 francs
en 1919.
La ville rencontre des problèmes plus complexes avec
l'ancien presbytère Saint-Pierre. Sur sa demande, en juillet
1908, le curé Bouvet est renvoyé en correctionnelle
sous l'accusation d'avoir soustrait, lors de son déménagement,
un meuble appartenant à la ville ; il l'a revendu
pour 10 000 francs à un antiquaire parisien, qui,
en plus du prix, lui a fourni un mobilier de salon moderne
( A.D.M.L.,
O 1057 ). L'abbé a effectivement été
condamné à une amende. On aimerait surtout savoir
ce qu'était ce meuble de très haut prix et ce qu'il
est devenu. Peut être une oeuvre d'art provenant de l'église,
mais les archives n'en disent pas davantage. La ville est plutôt
embarrassée par ce vaste presbytère dont elle n'a
pas l'usage. Elle parvient à le louer à l'administration
des contributions indirectes, qui y installe le service des tabacs.
Au préalable, elle y effectue pour 24 771, 23 francs
de travaux, dirigés par l'architecte Bouchard-Bayle ( A.M.S.,
5 M 6, juillet-août 1909 ).
En raison de l'élasticité des concepts juridiques
de Louvet, le presbytère de Saint-Nicolas se trouve sous
un statut différent. Il avait été construit
en 1854-1857 par Joly-Leterme, avec l'aide d'une subvention de
la ville de 9 000 francs, qui représentait la moitié
du coût, mais il était la propriété
de la fabrique de la paroisse. Avec la nouvelle loi, il est dévolu
à l'hospice, qui le loue au curé Renou, qui lui-même
finit par le racheter le 1er avril 1920. Autrement dit, deux
presbytères
sur quatre sont restés en place.
Le seul incident sérieux éclate aux portes
de la ville : à la fin de 1908, le maire de Bagneux
fait expulser le curé, qui s'incruste dans son presbytère,
ce qui provoque un tollé de la presse conservatrice.
4) Les autres biens ecclésiastiques
Les biens
des fabriques
sont dévolus au Bureau de Bienfaisance, pour ceux de Saint-Pierre,
et à l'hospice pour ceux des autres paroisses. L'évêché
a publié cette " Liste des biens ecclésiastiques
dont les Etablissements du culte sont spoliés dans le diocèse "
( Angers, Germain et Grassin, 1909 ). Pour Saumur,
l''énumération
( p. 69-70 ) est assez brève et porte surtout sur
des legs et des fondations de faible valeur. En matière
immobilière, elle donne lieu à des constats surprenants,
qui illustrent les paradoxes du système concordataire.
Le collège Saint-Louis, racheté par une société
civile ( voir paragraphe suivant ), n'est plus propriété
ecclésiastique, et n'est pas exproprié, pas plus
que le patronage Saint-Pierre. A l'inverse, un arrangement monté
par Louvet se retourne contre ses intentions ; l'école
des Frères, installée dans la rue Duplessis-Mornay,
avait été, le 5 décembre 1856, rachetée
par la ville, qui ainsi subventionnait la fabrique et entretenait
les locaux ; les républicains victorieux exigent que les
Frères paient un loyer et un jugement du 3 juin 1880 condamne
ces derniers à verser 450 francs ( A.M.S., P 1,
culte catholique ). En application de la loi de Séparation,
les Frères sont expulsés, leur école est
transformée en patronage laïque géré
par une association d'anciens élèves, et ils doivent
déménager à nouveau, un peu plus haut dans
le quartier, dans ce qu'on appelle l'école du Fort.
Les pertes ecclésiastiques sont légères,
car les milieux cléricaux ont vu le coup venir ; ils
avaient fondé des sociétés immobilières,
par exemple, la société civile du quartier Saint-Nicolas,
créée en juin 1894, qui possède le cercle
Saint-Nicolas et des salles d'école.
5) Le collège Saint-Louis transformé en école d'enfants de troupe ?
Après avoir
traité
des problèmes d'envergure nationale, nous revenons en arrière
en abordant les incidents d'origine locale. Quand il décède
en décembre 1891, Monseigneur Freppel, en raison de son
mépris pour les lois de la République, laisse une
situation financière confuse, car les biens de la mense
épiscopale - à Saumur, le collège Saint-Louis
et le patronage Saint-Pierre - doivent être, d'après
le décret du 30 juillet 1892, transformés en rente
de 3 % sur l'Etat et, au préalable, être mis
en vente aux enchères publiques. Avec l'autorisation du
sous-préfet, le maire Louis Vinsonneau convoque pour le
21 septembre 1892 une réunion spéciale du Conseil
municipal, où tous les élus sont présents
( A.M.S., 1 D 36 ). Il propose l'achat éventuel
du collège Saint-Louis par la commune « pour
y installer , soit une école d'enfants de troupe, soit
un bataillon d'infanterie de ligne ». Il est avéré
que la ville, constatant le gros apport financier de l'Ecole de
cavalerie, souhaite l'ouverture d'un second établissement
militaire, mais le maire reconnaît qu'il n'a pas obtenu
d'assurances de la part des autorités supérieures.
Au vrai, la majorité laïque ne serait nullement fâchée
de ruiner une oeuvre de Monseigneur Freppel, qui fait une concurrence
redoutable au collège communal ; 24 conseillers donnent
au maire un mandat illimité pour cet achat ; Charles
Poisson, le seul élu d'opposition vote contre ; Eugène
Coutard ( républicain modéré )
et Georges Terrien ( radical ) se prononcent pour
l'acquisition,
sous réserve d'un engagement de l'Etat, redoutant de voir
la commune s'encombrer d'un beau bâtiment vide. Geoffrey
Ratouis estime que cette consultation municipale est une manoeuvre
destinée à faire monter les enchères aux
dépens de la société civile qui projette
le rachat du collège. En effet, des notables catholiques
s'étaient associés dans ce but. Parmi les plus gros
contributeurs : le marquis de Dreux-Brézé,
Gaston de La Guillonnière, la famille Mayaud et Bouvet-Ladubay.
Le 9 septembre 1892, le collège est mis aux enchères
pour 250 000 francs. Aucun acquéreur ne se déclare.
La ville ne bouge pas. Aucune enchère non plus le 21 septembre.
Le 7 octobre ( en pleine rentrée ), il est proposé
pour 170 000 francs. Un entrepreneur de Saumur lance
180 000 ;
la Société Saint-Louis l'emporte ensuite pour 180 050
francs. La commune ne se manifeste pas pour faire monter ce prix
très inférieur à l'estimation initiale. Ou
bien, Vinsonneau n'a obtenu aucune promesse en haut lieu, mais
il l'aurait fait savoir. Ou bien, il a pactisé avec la
Société Saint-Louis. C'est l'hypothèse la
plus probable, car ses amis le soupçonnent de plus en plus
de jouer double jeu et le contraignent à donner sa démission
le 20 décembre. De fait, Vinsonneau rejoint par la suite
l'alliance des forces conservatrices.
6) Le sort de la chapelle Saint-Jean
Déjà convoitée par Combier, la chapelle Saint-Jean, qui n'avait pas de statut concordataire, mais était propriété municipale, demeurait à la disposition de la paroisse Saint-Pierre. Sans doute afin de raffermir sa majorité, le 5 décembre 1904, le docteur Peton fait voter un voeu du Conseil municipal demandant au gouvernement de fermer ce lieu de culte. Effectivement, le 9 janvier 1905, le préfet fait poser des scellés sur la chapelle, qualifiée de « non autorisée », et finalement transformée en musée d'art religieux ( compléments dans la présentation de la chapelle Saint-Jean ).
7) Les nouvelles dénominations des rues : un nouveau panthéon
L'affaire
pourrait se
traiter dans la symbolique républicaine, mais l'anticléricalisme
et la volonté de resserrer les rangs républicains
sont le motif majeur d'une vaste opération de toponymie.
Le dossier est ouvert au cours de la séance du Conseil
municipal des 3 et 4 mars 1905, par une pétition apparemment
banale d'habitants de la place
du Port-Saint-Nicolas : ils se plaignent de fréquentes
erreurs dans la réception de leur correspondance et ils
demandent une nouvelle dénomination pour leur place. Il
est exact qu'il y a quatre voies publiques dédiées
à saint Nicolas dans le quartier. Une sous-commission de
cinq membres est mise en place, animée par André
Micheau, radical, professeur au collège de Garçons et rédacteur de
nombreux articles dans le Courrier de Saumur
( A.M.S., 1 D 37 ).
Cette sous-commission ne tient qu'une seule réunion
de travail, mais le maire et le premier adjoint viennent y participer.
Ses conclusions, rapportées au cours de la séance
du 27 mai 1905, reflètent donc bien la pensée de
la municipalité ( A.M.S., 1 D 38 ).
Elle propose 34 modifications de noms de rues, soit le tiers de
la nomenclature en vigueur.
Certains changements répondent exactement à
l'intention primitive de clarifier les dénominations. La
rue de l'Abreuvoir,
qu'on confondait avec la rue
de l'Abattoir, devient la rue Jules-Ferry ; l'ancienne
route de Fontevraud devient la rue Lamartine et la rue
de Fontevraud la rue Marceau. La Petite
rue Fardeau est baptisée rue Travot. La rue Dupetit-Thouars,
renommée rue Jean-Jacques Rousseau, ne fait plus concurrence
à la place Dupetit-Thouars. Les avenues de
la Gare d'Orléans et de
la Gare de l'Etat sont renommées. Le souci de rationalisation
est bien réel.
Cependant, de nombreuses autres modifications répondent
à un autre objectif, celui d'éliminer des références
religieuses, particulièrement nombreuses en centre-ville
( à peu près le quart de la nomenclature de
1838 ). Le rapporteur André Micheau en convient volontiers :
« à une époque plus ou moins reculée,
la dénomination de certaines rues a été faite
sous l'empire de considérations confessionnelles qui n'ont
plus leur raison d'être, dans un temps où la société
laïque essaie de rompre les liens qui l'assujettissent à
l'obédience cléricale ». Ce sont ces
14 modifications de voies importantes qui entraînent les
débats. La plus mesquine touche la rue
du Pressoir-Saint-Antoine, qui est raccourcie. En outre, les
rues du Portail-Louis
et du Petit-Versailles,
aux connotations royalistes, sont attribuées à Balzac
et à Volney.
Les noms ainsi supprimés, la sous-commission propose de les attribuer à des célébrités, avant tout nationales ; elle avance donc les noms d'un nouveau panthéon local, intéressant à analyser : 15 écrivains et penseurs sont ainsi promus, Rabelais pour le 16e siècle, Corneille, Madame de Sévigné, Pascal et Molière pour le siècle suivant, mais Racine n'est pas " nominé ", en raison des préférences de l'enseignement littéraire du temps. Le 18e siècle l'emporte avec Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau et Volney ; il s'agit là de maîtres incontestables et d'une liste cohérente. Pour le siècle suivant, les promus sont très divers : Lamartine doit vraisemblablement sa nomination à son talent littéraire, Balzac à Eugénie Grandet, Renan à son anticléricalisme, Fourier à son socialisme très apprécié à Saumur et Emile Zola à son action dans l'affaire Dreyfus ( cet hommage arrive très tôt, puisque l'arrêt de la Cour de Cassation innocentant Dreyfus n'est rendu public que le 12 juillet 1906 ). Les cinq hommes politiques promus sont, outre Raspail, des apôtres de la laïcité : Victor Duruy, Jules Ferry, Paul-Bert et Waldeck-Rousseau, qui avait fait adopter la loi sur les congrégations. Quatre généraux de la Révolution ouvrent le cortège des nombreux chefs militaires qui peuplent les rues de Saumur. Moins marqués idéologiquement, Vauban, Pasteur et six célébrités locales, comme Allain-Targé et Trouillebert, complètent le nouveau panthéon républicain des plaques bleues. Evidemment, les désignations topographiques, traditionnelles dans la ville, reculent au profit des grands hommes.
8) Les noms des rues : les résistances
Personne ne se trompe sur la signification réelle de ces changements. Les rues où sont installées des communautés religieuses reçoivent un nom caractéristique : la rue Notre-Dame devient la rue Rabelais, la rue de la Gueule-du-Loup est attribuée à Diderot, l'auteur de La Religieuse. La très pieuse famille Poisson habite rue de la Petite-Bilange, qui devient la rue Voltaire. Geoffrey Ratouis voit même une malice dans le fait que la rue Saint-Nicolas devienne la rue Emile-Zola ( avec un prénom très exceptionnel ), ce dernier ayant défié la justice militaire ; or, c'est par cette voie que les soldats se rendent en ville ; je ne suis pas si sûr de cette intention malicieuse, car la sous-commission était dominée par des radicaux, qui se montrent habituellement d'un militarisme fort sourcilleux.
Le débat est
violent
au sein du Conseil municipal du 27 mai 1905. Anatole Le Baron,
seul représentant de la droite au sein de la sous-commission,
se désolidarise totalement de l'esprit de ses travaux.
Les élus royalistes et cléricaux tentent une manoeuvre
d'assemblée, en demandant un vote secret sur les cas des
rues Saint-Jean et Saint-Nicolas. Le procès-verbal officiel
n'est guère explicite. Il faut consulter La
Croix de Saumur pour trouver un récit très
détaillé et très exalté. Les élus
de gauche ne se montrent pas si homogènes sur la question.
L'un fait de la surenchère en menaçant de s'abstenir,
parce qu'il va subsister une place Saint-Pierre et une place
Saint-Nicolas.
Le socialiste Victor Grossein affirme, fataliste, que de toutes
façons, on va continuer à employer les anciens noms.
Finalement, la discipline de vote l'emporte au moment du scrutin ;
12 pour, 9 contre, 1 blanc.
« C'est une victoire de la loge ! »,
écrit La Croix de Saumur, qui invite les commerçants
à boycotter les nouveaux noms et qui encourage une pétition
hostile des riverains. Effectivement, le 10 janvier 1906, le Conseil
municipal est saisi d'une pétition des habitants des deux
rues litigieuses demandant à garder l'ancien nom ;
l'assemblée renvoie l'affaire à une délibération
ultérieure, qui ne semble pas avoir eu lieu. En effet,
les nouvelles appellations ont avant tout une portée symbolique.
Dans la pratique, le docteur Peton a démissionné
en juillet 1905. Dans la crise municipale qui suit, personne ne
se soucie de faire poser les plaques correspondantes. La nouvelle
nomenclature apparaît dans les textes officiels, mais en
partie seulement dans la vie courante et sur les adresses
postales ;
les plans imprimés alors ne sont pas corrigés, se
contentant d'indiquer les nouveaux noms sur la légende.
Le poids des habitudes a été plus fort que la volonté
des élus. Huit de ces noms ont disparu des listes officielles
postérieures, si bien que Voltaire, Diderot, Rousseau,
Zola et Renan sont toujours absents des rues de Saumur et que
subsistent les rues Saint-Jean, Saint-Nicolas, Basse-Saint-Pierre,
la place Saint-Michel, les rues de la Petite-Bilange, du Portail-Louis
et de la Gueule-du-Loup. Il s'agit là d'un effet de la
longue résistance des usages toponymiques, bien plus que
d'un succès de l'opposition cléricale. Une nouvelle
délibération du Conseil municipal du 4 août
1922 rétablit officiellement une partie des anciens noms,
tout en maintenant en apparence Voltaire et Diderot, ce qui n'a
pas été mis en pratique.
Saumur ne constitue pas un cas exceptionnel dans le paysage
politique français. La ville de Dijon, selon les études
de Bernard Richard, atteint le record des empoignades sur la toponymie
et sur la présence dans l'espace public de statues de saint
Bernard et de Garibaldi. A Limoges, est mis en place un panthéon
républicain autrement développé. A Saumur,
le conflit, tout aussi réel, est resté plus feutré.
9) La résurgence du dossier des processions
En 1906, le
maire Léon
Voisine est en position délicate avec ses amis. Plusieurs
pétitions appellent au rétablissement des processions
et la presse conservatrice se plaît à rappeler que
Voisine est un ancien élève de Saint-Louis. Ce dernier
se sent obligé de donner dans la surenchère anticléricale.
Le 30 juillet 1906, il écrit au curé de Nantilly
: « En réponse à votre lettre me demandant
de rétablir la procession du 15 août, j'ai l'honneur
de vous informer que je n'autorise pas ces exhibitions d'un culte
suranné qui jure avec les idées scientifiques de
notre époque.
J'estime que pour la dignité et la sécurité
de leurs Dieux, les prêtres doivent les laisser dans les
églises et non les traîner dans la rue... »
( cité par La Croix de
Saumur du 5 août 1906 ).
Dans la réalité, le Concordat est aboli par
les lois de Séparation. Les processions ne relèvent
plus de l'article 45, comme au temps de Combier, elles relèvent
d'une loi de 1882, qui réserve aux Conseils municipaux
le droit d'autoriser ou d'interdire les manifestations religieuses
extérieures.
Peton étant redevenu maire, le Conseil municipal, le 5
juin 1907 ( A.M.S., 1 D 38 ) vote contre le
rétablissement des processions par 16 voix contre 8. La
discipline de vote est à peu près totale dans chaque
camp, puisque les radicaux comptent 17 élus et les conservateurs
10.
Sur le plan municipal, l'affaire est provisoirement close. Les catholiques, par ailleurs, organisent les processions sur des terrains privés. Cependant, dans les paroisses, des manifestations sont périodiquement organisées sur ce sujet devant l'entrée des églises. Plusieurs photographies apparaissent dans des albums de famille, en général non datées, comme celle-ci, prise sur la place Saint-Nicolas. On remarque que les femmes forment les trois quarts des manifestants et qu'au fond, un piquet de cavalerie veille au bon ordre. S'il s'agissait d'une manifestation contre les inventaires, il n'y aurait que des hommes.
Je suppose que cette photo remonte à juin 1914, période où les milieux cléricaux lancent de grands rassemblements extérieurs en faveur des processions ( Echo saumurois des 22-23 juin 1914 ). Ce n'est pas une coïncidence : le Conseil municipal vient d'être dissous et la campagne électorale bat alors son plein. Cette nouvelle mobilisation sur les processions n'a sans doute pas été étrangère à la victoire de la droite.
La photo suivante est mieux documentée : elle se déroule place Saint-Pierre le dimanche 1er juin 1913, après les vêpres :
Il ne s'agit pas d'une procession, qui comporterait des objets du culte, mais d'un défilé des hommes, sous le regard admiratif des femmes et des enfants, sur le thème du rétablissement des processions. Les catholiques saumurois n'étant pas très accoutumés à cet exercice, c'est l'abbé Oger ( qu'on voit de dos à gauche ) qui met en place la tête du cortège. Par les rues Dacier et du Portail-Louis, la manifestation rejoint l'église de Nantilly, et ensuite, elle se termine dans la cour du collège Saint-Louis. A l'évidence, la foule est nombreuse, elle remplit en entier la rue Dacier. C'est ce qu'on peut constater sur cet autre cliché, pris d'un balcon du n° 19 de la rue, tout près du départ de la Grande-Rue ; à droite, débouche la rue du Marché-Noir. Le peloton de cavalerie est fourni et plutôt dangereux, une monture se montrant nerveuse.
L'Echo saumurois des 2 et 3 juin 1913 affirme bravement qu'il y avait cinq à six mille personnes, ce qui est impossible, compte tenu de la population de la ville. Dans son style sui generis, il exalte la présence des drapeaux tricolores, placés en tête, à l'intention des forces de l'ordre déployées en nombre.
11) Le rétablissement des processions
Elu maire,
Louis Mayaud
prend son temps et dans son discours d'investiture, il repousse
toute « revanche mesquine et vexatoire ».
En réalité, cette famille a une longue mémoire.
Mayaud sait bien que son grand-père, Charles Louvet, a
renouvelé la consécration de la ville à Notre-Dame
des Ardilliers le 1er mai 1855 et qu'à cette occasion une
grande procession avait parcouru la ville. Soixante ans plus tard,
le 15 mai 1915, le maire signe l'arrêté suivant :
« Vu l'article 44 de la loi du 9 décembre 1905
abrogeant la loi du 18 germinal an X,
arrêtons :
Article unique - L'arrêté du 12 juin 1879 interdisant
les processions et les manifestations extérieures d'un
culte quelconque sur le territoire de la commune de Saumur est
rapporté » ( A.M.S., P VI 245 ).
L'approche est en apparence purement juridique. Le maire
constate que la loi de Séparation a aboli le Concordat ;
l'arrêté de Combier, qui se référait
à ce concordat, est donc caduc. Malgré ce laconisme,
le maire prend bien soin d'annoncer sa décision à
la ville par une grande affiche.
Les archives
nous apprennent
que l'affaire est plus complexe. Le 10 mai 1915, le curé
de Saint-Pierre, Jules Bouvet, écrit au maire, lui demandant
l'autorisation de porter le Saint-Sacrement en procession les
dimanches 6 et 13 juin, d'une église à l'autre ;
les cérémonies se dérouleront, cette année,
sans faire de reposoirs sur les places publiques et sans orner
les rues et les maisons ( A.M.S., P 1, culte
catholique ).
En raison de l'état de siège, le maire demande l'accord
du général Desfaudais, commandant d'armes. Fort
de cette entente du sabre et du goupillon, le maire prend son
arrêté.
Il n'y a pas eu de débat préalable au sein
du Conseil municipal, alors qu'un vote était nécessaire
pour abolir la délibération du 5 juin 1907, citée
plus haut. La décision de Mayaud est sans valeur juridique.
Après les processions, le 19 juin 1915, Joseph Bacon prend
la parole au nom du groupe républicain : « au
moment où tous les esprits sont orientés vers un
seul et même but, sont confondus dans une seule et même
pensée de libération et de victoire, l'heure choisie
pour rétablir les processions a semblé inopportune,
non seulement aux gens qui se réclament de la pensée
libre, mais encore à beaucoup de catholiques fervents et
militants ». Louis Mayaud répond en évoquant
ses convictions religieuses.
Comme chacun sait, l'Union sacrée a beaucoup profité
aux défenseurs des choses sacrées. Cet incident
de séance marque la fin d'un violent conflit qui rebondissait
sans cesse depuis quarante-cinq ans.