Filage du verre et tabletterie
1) Les émailleurs
La cuisson d'émaux
sur des céramiques ou des plaques de métal est une
activité locale ancienne. C. Port signale l'existence en
1639 de Jean Damancourt, émailleur, demeurant à
Fenet. Nous avons retrouvé cette technique dans la fabrication
des objets de piété et des médailles. Benoît
Painchart me communique aimablement les noms de René Cesvets,
Claude Carré, Melet, René, Gauche, Fontenot, Olivier
Pelisson, Louis Moreau, Thomas Blandin, Ours Couratin, René
Breton, Jean-Gabriel Boissonneau ; tous émailleurs,
ils n'ont pas un grand poids dans la ville et ils viennent souvent
d'ailleurs.
Les frères Louvigny, installés dans le quartier
de Fenet, viennent de Caen et atteignent une certaine réputation.
Pierre-Jacques épouse Marguerite Meusnier le 13 décembre
1788 ( GG 56 ). Ce sont les émailleurs les
plus réputés de la ville au début du XIXe
siècle. L'un des frères aurait fait partie des Chevaliers de la Liberté
en 1822 ; menacé d'arrestation, il aurait franchi
la Loire et se serait caché dans la région de Russé
( il n'est cependant cité dans aucun fichier de police ).
En tout cas, ces frères Louvigny forment un apprenti qui
va devenir célèbre.
René Lambourg est
né en 1789 ou au début de 1790 dans les environs
de Saint-Florent-le-Vieil. Alors qu'il a quatre ans, il est cité,
avec sa famille, dans le convoi
de réfugiés de cette région, transporté
par bateau et hébergé dans la Maison de l'Oratoire.
Il entre en apprentissage chez les frères Louvigny et se
fixe à Saumur. Il préfère finalement travailler
le verre filé et se révèle d'une habileté
et d'une minutie stupéfiantes dans cet art. ( P. Travaillé,
« Propos sur les Fileurs de Verre saumurois »,
S.L.S.A.S., juillet 1922, p. 18-24 ).
Il épouse Jeanne Fribot à Saumur le 15 mai
1811 et, apparemment devenu aisé, dans les années
1835-1837, il fait construire l'hôtel
du Belvédère, qui est très fréquenté,
en particulier par les passagers des bateaux à vapeur.
Touchard-Lafosse ( p. 319 ) lui attribue la paternité
des plans de cet édifice. Le " père Lambourg "
s'intéresse d'assez loin à la gestion de la maison
; il adore surtout faire des farces à ses clients ,
il est aussi victime d'une chanson satirique, " la Saint-Barthélemy
des chats ", qui insinue que les matous du quartier
deviennent des gibelottes dans son restaurant... Il préfère
continuer à filer le verre au rez-de-chaussée de
l'hôtel. Prosper Bigeard en parle en revenant sur les lieux
de sa jeunesse ( « Saumur - Impressions sur vieux
Souvenirs », R.A., 1915, p. 197 ). « Un
jouvenceau et une jouvencelle en verre filé, grandeur nature,
décoraient de chaque côté l'entrée
du Musée Lambourg. « Musée »
était peut-être prétentieux - C'était
un magasin dans lequel M. Lambourg exposait beaucoup de ses travaux :
un lion et un tigre en verre filé ; un trois-mâts
voguant sur des vagues en verre ; quantité d'autres
objets, chien, chat, et, sur l'un des côtés de son
magasin, M. Lambourg, assis dans une cage vitrée devant
son chalumeau, fondait en verre des petites colombes, des pensées,
des pâquerettes, des violettes, le tout monté en
épingles. Le visiteur voyait créer ces menus objets ».
René Lambourg vend bien ses bibelots aux touristes, mais
il finit par mettre son hôtel en gérance.
3) Les grandes compositions de René Lambourg
Il est aussi capable de grandes compositions, admirées pour la variété de leurs coloris, leurs prouesses techniques, l'infinie patience de leur réalisation. Il en fournit aux cours étrangères et prend le titre d'émailleur du roi.
Les musées du Château de Saumur ont acquis en 1957 son Ecole de cavalerie, réalisée après 1830 ( le drapeau qui surmonte le campanile est tricolore ), remarquable pour son armée de petits cavaliers et ses ardoises filées une à une. L'ensemble, tout en verre, fait une largeur de 0,92 m.
G. Touchard-Lafosse ( p. 300 ) raconte longuement sa visite vers 1843. « Nous avons vu dans ses ateliers un lion en émail grand comme nature, avec les nuances, les ondulations du pelage de ce fier animal, et l'expression fidèle de sa terrible physionomie. Ce morceau, qui doit être exposé à Paris en 1844, ne peut manquer d'exciter le plus vif intérêt : l'art de l'émailleur n'a rien produit jusqu'à ce jour d'aussi remarquable. »
Lambourg envoie à nouveau son chef d'oeuvre pour l'exposition universelle de 1855 et finit par en faire donation au Conservatoire des Arts et Métiers, qui le présente toujours, au Musée national des Techniques, dans une cage en verre, sous le titre " Lion et serpent ". Les descriptions données par les témoins de l'époque ne font aucune allusion à ce serpent aux écailles rutilantes. Je me demande si Lambourg ne l'a pas ajouté avant d'offrir sa composition animalière.
En remerciement, Lambourg est décoré de la légion d'honneur, sur la demande de Charles Louvet, devenu ministre.
L'Illustration de 1844, p. 256, décrit la présentation du Musée Lambourg dans des salons du boulevard des Italiens. « M. Lambourg n'est pas seulement un ouvrier habile et exercé, c'est un artiste distingué, qui a longtemps étudié la nature animale, ainsi que la nature végétale ». Dans la vitrine en arrière-plan, apparaissent quelques unes de ses oeuvres ; il n'y a pas d'indices de serpent.
Je suppose que la gravure sur bois représente son célèbre tigre, réalisé en demi-grandeur. Des forains, les Drouet, avaient acheté cette oeuvre afin de la présenter comme une curiosité. Le tigre n'a pas survécu aux voyages en roulotte.
René Lambourg n'avait qu'un seul collègue à Saumur. Il décède en 1880, sans avoir formé d'apprenti, et son savoir-faire exceptionnel a été perdu. Voir article nécrologique dans l'Echo saumurois du 25 avril 1880.
4) La tabletterie
Les tabletiers pratiquent
de l'ébénisterie fine. A partir d'ivoire et de bois
précieux, ils fabriquent des objets de piété,
des tables pour le jeu, comme des damiers ou des échiquiers,
parfois des éventails et des tabatières. Cet artisanat,
surtout pratiqué à Saint-Claude et à Dieppe,
était aussi présent à Saumur.
Cependant, en 1860, L. Tavernier et J.-B. Coulon, Lettres
sur l'Anjou et Saumur, p. 570-577 ( A.D.M. L., n° 1 909 )
signalent que cette activité vient de disparaître
de la ville. Ce constat de décès était sans
doute prématuré, puisque, sur l'annuaire pour 1913,
cinq artisans déclarent encore la profession de tabletier.
Malgré cela, deux métiers d'art fort appréciés
sont alors en train de s'éteindre.