Durant les deux premiers tiers du siècle, deux hospices séparés accueillent, soit les malades et les blessés, soit les vieillards, les déments et les enfants abandonnés.
1) L'hospice de la Providence
Les autorités révolutionnaires
ont pris en charge l'assistance publique, mais ont eu beaucoup
de peine à faire face à leurs obligations. Les officiers
municipaux constatent l'étroitesse des locaux de la Providence,
toujours installée rue de Fenet, dans la Maison des Trois
Anges et ses annexes. Dès le 23 octobre 1792, la ville
cherche à acquérir la vaste Maison de l'Oratoire,
devenue bien national. Le représentant en mission Henri
Menuau, pendant six mois tout puissant ( voir chapitre
27, § 3 ), prend un arrêté le 16 juin 1795
autorisant la municipalité à y transférer
l'hospice de la Providence et, par voie de conséquence,
les soeurs de Sainte Anne qui le tiennent. Comme des réfugiés
de la Vendée occupent encore les locaux, l'opération
n'est réalisée qu'un an plus tard, après
le retour dans les Mauges de ces exilés.
L'hospice est un établissement communal, recevant
quelques maigres subsides du département, et géré
par des administrateurs nommés par la municipalité.
Les religieuses sont leurs employées, seulement logées
et nourries, et il y a parfois des conflits, notamment quand les
administrateurs veulent leur imposer un aumônier réfractaire
au serment.
Dans l'ancienne Maison de
l'Oratoire,
sont hébergés les soeurs ( 23 en 1804 )
et des pensionnaires âgés ( au nombre de 24
hommes et 110 femmes en 1804, de 200 au total en 1820 - certains
sont des hôtes payants ). A droite de l'entrée,
sont logés les enfants trouvés et les enfants indigents,
à l'effectif de 48 en 1804. Leur masse va croissant, car
les abandons atteignent leur record de 116 en 1832 ( voir
Enfants abandonnés et enfants
naturels ).
Un tour est placé à l'entrée de l'établissement
en 1822 ; il facilite le dépôt des bébés
grâce à la discrétion qu'il assure et il évite
une dispersion dangereuse des enfants abandonnés. Il est
très utilisé jusqu'à sa suppression le 1er
janvier 1853. Après cette date, le nombre des abandons
diminue ; il se tient entre 60 et 70 par an, selon les dires
du docteur Bineau en 1864. Les enfants ainsi recueillis ne restent
pas longtemps à la Providence. Ils sont aussitôt
placés en nourrice et leur effarante mortalité n'inquiète
pas grand monde.
Les invalides, les malades mentaux et des vieillards indigents
sont logés dans un curieux ensemble troglodytique, d'anciennes
carrières aménagées au début du siècle
dans les parties supérieures des jardins de l'Oratoire.
Cent à cent-vingt personnes vivent ainsi dans trois grandes
salles souterraines et dans quelques loges adjacentes
( description
et photos dans Ardilliers /
jardins ).
Plus curieuses encore, onze petites loges ( les rapports
les appellent aussi " choquettes ", mot qui
n'apparaît que dans des dictionnaires spécialisés
avec le sens de " cabanes dans les vignes " )
creusées dans le rocher en 1829-1831 aux frais du département,
reçoivent les démentes agitées et les épileptiques.
Sur ces aménagements originaux, plusieurs descriptions
nous sont parvenues. Urbain Gaulay, médecin de l'hospice,
publie chez Degouy en 1820 une Description topographique de
l'Hospice de la Providence, ( B.M.A., H 2 129 -
Archives des Saumurois, n° 194 ). Selon ses
dires, les conditions de vie sont idylliques, car le coteau est
orienté vers le nord, ce qui donne l'air idéal pour
la santé ; les caves sont sèches, bien aérées
et pourvues de cheminées. Les vieillards y vivent agréablement
et s'occupent à de menus travaux.
Jean-Etienne Esquirol, dans Des maladies mentales considérées
sous les rapports médical, hygiénique et médico-légal,
Paris, 1838, t. II, p. 467-470 ( texte publié par
Danièle Boret, S.L.S.A.S., n° 160, 2011, p.
64-67 ), en dresse le même tableau flatteur et décerne
des éloges au docteur Gaulay, dont il recopie des phrases
entières. Il affirme avoir visité l'établissement
à plusieurs reprises. J'en doute un peu, car ce même
Esquirol signe en 1840 un rapport d'inspection en collaboration
avec le docteur Ferrus, inspecteur général des asiles
d'aliénés. Leur jugement est sévère
et ils concluent : « L'hospice de la Providence
est indigne de sa destination ; il n'y a rien qu'on puisse
y laisser subsister. »
Duvêtre, l'architecte diocésain, pense également
que le corps de bâtiments sur la Loire est irréparable
et qu'il ne vaut que le prix de ses matériaux.
Dans un long rapport du 5 août 1840 ( A.M.S.,
Q III 249 (8), nouvelle cote 3 Q 1 ), un médecin
nouveau venu, le docteur Désiré Bouchard ( qui
n'est pas Georges Bouchard, éponyme d'une rue de la ville )
se déclare scandalisé par l'inconfort et la saleté
des lieux, en particulier par le quartier où sont parqués
les fous. Les administrateurs des hospices répondent qu'il
noircit le tableau, que le département avait même
autorisé la création de 40 loges pour les démentes,
que le docteur n'a pas visité l'établissement et
qu'il critique l'existence d'un mur masquant la vue sur la Loire,
alors que ce mur est situé en contrebas. Ce docteur Bouchard
a néanmoins su convaincre : à partir de 1843,
les aliénés sont transférés vers l'hôpital
de Sainte-Gemmes. En 1864, le docteur Bineau, médecin en
chef des Hospices et conseiller municipal, confirme ses
affirmations :
« on se souvient encore, à Saumur, de l'horrible
spectacle que présentaient ces malheureux, renfermés
comme des bêtes féroces et même enchaînés
dans des cabanons infects et obscurs, qui ressemblaient à
des cages. Leur folie y prenait bientôt tous les caractères
de la fureur et de la bestialité la plus complète
» ( La ville de Saumur, son budget, ses travaux
et ses emprunts, Javaud, 1864, p. 46 ). La même
année dans De la question des hospices de la ville de
Saumur ( p. 22 ), il décrit en détail
la salle troglodytique des femmes : « Les parois
de la cave sont à toute heure mouillées, et, dans
beaucoup d'endroits, moisies. Sur les six ou huit derniers lits
de chaque rang, toutes les nuits les draps sont tellement mouillés
qu'il faut les sécher le matin devant un grand feu. La
literie et les bois de lit pourrissent très-vite. L'air,
faute de ventilation, se renouvelle difficilement, aussi l'odeur
nauséabonde rappelle celle des prisons. La cave des jeunes
garçons contient dix-huit lits ; on y monte par un
escalier de trente-trois marches, si noir qu'il faut l'éclairer
en plein midi ; l'atmosphère est froide, humide ;
les murs mouillés et moisis. Ces deux affreuses caves auraient
dû être supprimées depuis longtemps ».
2) L'Hôtel-Dieu ( appelé indifféremment hospice et hôpital )
Le vieil Hôtel-Dieu remontant
au
Moyen Age est distribué autour d'une cour s'ouvrant sur
l'actuelle rue Pascal. Devenu hôpital civil et militaire
sous la Révolution, il est composé de plusieurs
bâtiments ajoutés au hasard de 1690 à 1838,
autour de la grande salle Saint-Augustin, remontant peut-être
au XIIe siècle et, selon Antoine Calderon, d'un réel
intérêt archéologique. En 1840, ce même
Calderon, architecte-voyer de la ville, décrit en termes
élogieux l'ensemble des bâtiments ( Gino Blandin,
Histoire du Centre hospitalier de Saumur, 1996, p. 123-125
). Six salles, dont deux salles militaires, offrent 117 lits.
De nombreux services annexes sont assurés par une salle
de dissection, une salle de bains, une pharmacie, une lingerie,
une salle de maternité, une chapelle, de grands jardins
et d'immenses et belles caves. « En résumé,
l'hôpital, avec ses vastes dégagements, satisfait
aux besoins de la ville ».
Tout est-il si harmonieux ? Les religieuses hospitalières
de Saint-Augustin, installées depuis 1678, ont constamment
entretenu des rapports difficiles avec les administrateurs municipaux.
Finalement, le 1er janvier 1828, elles sont remplacées
par des soeurs de Sainte-Anne, comme à la Providence, ce
qui pourrait faciliter l'unification des deux établissements
( outre le vivre et le couvert, les religieuses reçoivent
100 francs par an ).
Le docteur Jacques Bineau est un observateur qualifié
( p. 44-45 ) ; il remarque que, dans les années
1860, le nombre des entrées à l'Hôtel-Dieu
est de 720 par an, soit deux par jour, et qu'il va en baissant
par rapport à la période 1820-1840, où il
se tenait entre 900 et 1200, alors que la population était
moins nombreuse. Il avance une explication qu'on peut reprendre :
les nouvelles sociétés de secours mutuels procurent
à leurs membres visites médicales, médicaments
et secours à domicile. Il ajoute qu'une plus grande aisance
générale, l'augmentation des salaires, une meilleure
hygiène publique, des logements plus salubres et des « moeurs
plus pures » feraient reculer la maladie ; nous ne
constatons nullement ces progrès sous le Second Empire.
Le docteur Bineau ne s'interroge pas sur la répulsion qu'inspire
son hôpital. Seuls n'y entrent que des miséreux,
quand ils sont très mal en point, et que des jeunes femmes
seules, qui viennent pour accoucher. Nous n'avons cependant pas
de raison de douter du bilan glorieux que les médecins
dressent de leur activité. De 1836 à 1840, ils ont
pratiqué 11 amputations de membres ; une seule a été
suivie de décès. De 1837 à 1840, 46 accouchements
sont opérés ; là encore, un seul décès,
et nos chirurgiens ont même réussi une césarienne.
3) Un coût réduit pour la ville
Les deux hospices disposent d'un revenu autonome apporté surtout par huit fermes reçues comme biens nationaux et par des donations privées, au total, un montant de 45 à 50 000 francs. Leurs dépenses atteignent 75 à 80 000 francs, dans lesquelles la part du personnel est faible, attribuée bien plus aux médecins qu'aux religieuses. En conséquence, de 1841 à 1864, la ville verse annuellement une subvention générale de 28 000 francs à ses hospices. Elle y a ajouté 1 000 francs pour la salle de maternité et 1 600 francs pour la salle réservée aux femmes atteintes de maladies vénériennes. L'ensemble représente à peu près 10 % du budget municipal, ce qui est très supportable. Ce qui l'est moins, ce sont les vives critiques qui s'élèvent contre les insuffisances des deux hospices, contre celui de la Providence en particulier, qui, de plus, est touché par de graves éboulements de rochers en 1840 et en 1841.
4) Un premier projet ( 1840-1842 )
L'année 1840 est marquée
par d'importants rapports et par un premier projet d'Antoine Calderon,
créant un hôpital général réunissant
tous les services sur le site de l'Hôtel-Dieu ; il conservait
l'essentiel des anciens bâtiments et se contentait d'ajouter
à l'arrière, sur les jardins, de nouveaux bâtiments
pour les pensionnaires de la Providence. Cette ébauche
est fortement appuyée par les quatre médecins en
exercice, qui font imprimer leur mémoire. Elle est discutée
par le Conseil municipal du 3 septembre 1840. Après
le décès de Calderon, son successeur Joly-Leterme
affine le projet, qui est au net en 1842. Tout laisse espérer
une réalisation prochaine, qui ne sera pas très
onéreuse. Il ne se passe rien et il faudra 27 années
pour voir une réalisation, selon des dispositions radicalement
différentes.
De 1842 à 1864, de vifs et interminables débats
s'élèvent au sujet de la question hospitalière,
des projets contraires, certains ahurissants, sont avancés.
Nous allons devoir schématiser ces discussions, parfois
abracadabrantesques, et télescoper quelque peu la chronologie.
5) Le projet du Clos Bonnet
Sources principales, A.M.S., ancienne cote M III 202, nouvelle cote 3 M 1, et 6 brochures imprimées.
Voyant la situation empirer et
excédée
de ne rien voir venir, la Commission des Hospices relance le débat
dans les années 1851-1852. Elle dispose, nous l'avons vu,
d'importants moyens financiers. Ses cinq membres sont des notables
de la ville ; le président, Paul Mayaud, prend des
initiatives, diffuse une abondante production de lettres ouvertes
et de brochures et ne craint pas d'affronter Charles
Louvet, alors que leurs familles sont alliées, son
neveu Albert ayant épousé une fille du maire.
La commission jette son dévolu sur un vaste terrain
de 4 hectares, situé au Clos Bonnet, sur une terrasse au-dessus
du niveau des inondations, approximativement dans l'angle formé
par les actuelles rues Fricotelle et Robert-Amy [ à peu
près à l'emplacement du Musée des Blindés,
en plus grand, car il n'y a pas alors de voie ferrée, et
finalement, pas si loin du nouvel hôpital ]. Ce projet
permet de revendre l'hospice de la Providence et l'Hôtel-Dieu
et est finalement estimé à 426 000 francs,
desquels on peut déduire 100 000 francs provenant
de l'aliénation des anciens hospices. Le montant final
de 326 000 francs épouvante les conseillers municipaux.
Ils vont finalement dépenser bien davantage !
Voici les emplacements de trois projets qui vont être
débattus pendant 12 ans. Le premier projet à droite
correspond au Clos Bonnet.
Il suscite de vives oppositions, car il est installé, alors, en pleine campagne, très loin des quartiers les plus populeux. Surtout, il se situe à proximité du cimetière et sur la voie qui y conduit.
Le maire, Louvet, s'oppose
constamment
à ce projet et emploie tous les moyens pour le torpiller.
Au départ, il se déclare hostile pour des raisons
financières. Il est exact que dans les années 1850,
la ville n'a pas le sou et que Louvet doit repousser de sept années
la construction de son cher Hôtel de Ville. Dans la décennie
suivante, la commune est plus à l'aise et, désormais,
elle emprunte. A défaut de déclarations publiques,
il faut rappeler que Louvet et Joly-Leterme
veulent remodeler le paysage urbain et le décorer par de
vastes bâtiments aux proportions régulières.
C'est sans doute ce qui motive leurs choix.
Les quatre curés de Saumur se déclarent également
hostiles à cette solution dans une longue lettre du 14
février 1864 ( qui a été suscitée
par le maire ). Ils y écrivent que ce nouvel hôpital
a déjà reçu « le surnom regrettable
" d'étape du cimetière " »
( G. Blandin, p. 128 ).
Georges Lecoy, bien que républicain et opposant à
Louvet, aboutit aussi à des conclusions négatives
dans son Rapport de la Commission du Conseil municipal de Saumur,
sur le projet de construction d'un hospice général,
route de Varrains, Saumur, le 15 juillet 1859, imp. Godet
( B.M.S., A br 8/56 ). Il reprend les arguments
financiers du maire : la situation est telle, qu'en 1859, on a
réduit le nombre des lits à 60 à l'Hôtel-Dieu
et à 100 à la Providence. Il ajoute trois autres
raisons : l'éloignement, « à l'Hôtel-Dieu,
les indigens sont admis tous les jours à consulter les
médecins gratuitement. Quand il faudra faire un trajet
aussi long, ils ne le pourront plus » ; le mélange
des malades, des vieillards et des enfants ; l'orientation
des bâtiments : les « vents du nord et de l'est
qui sont, croyons-nous, les meilleurs » seront interceptés
par le coteau.
Enfin, les médecins des deux hospices se réunissent
le 10 décembre 1861 ; à la majorité
de 7 voix sur 8, ils se prononcent en faveur du site de l'Hôtel-Dieu,
surtout pour des raisons d'éloignement.
6) Reconstruire aux Ardilliers ?
Après avoir présenté
cette coalition contre le nouveau projet, revenons en arrière.
Faute d'accord local, Louvet a demandé au préfet
Vallon de réunir une Commission spéciale sur les
hospices de Saumur. Renforcée par de nombreuses personnalités
« compétentes », cette commission
se réunit le 16 février 1854, sous la présidence
du préfet ; elle étudie quatre projets et accorde
sa préférence à une solution prévoyant
le réunion des deux hospices sur le terrain de Notre-Dame.
Le site des Ardilliers est donc loin d'être abandonné ;
il serait au contraire renforcé par des constructions nouvelles
de chaque côté de la chapelle. L'aile septentrionale
de la Maison de l'Oratoire, le long de la Loire, jugée
irrécupérable, serait reconstruite. Un vaste bâtiment
serait édifié sur la place Notre-Dame et toutes
les maisons situées au pied du coteau expropriées.
Cette grande commission n'est pas allée sur le terrain.
En fin de journée, elle est prise d'un doute, et elle désigne
une sous-commission qui ira visiter les lieux, afin de juger de
leur salubrité... Il ne résulte rien de ces conclusions,
pour le moins surprenantes.
En tout cas, Louvet a gagné du temps et, à
partir de ce rapport, il peut avancer une solution encore plus
économique. Le 4 juillet 1857, dans un exposé au
Conseil municipal, il évoque cinq projets rédigés.
Joly-Leterme produit des plans à la chaîne, mais
ses chiffrages paraissent hasardeux. Influencé par le maire,
il a manifestement tendance à surestimer les projets lointains
et à sous-évaluer les travaux effectués en
ville. Louvet propose un regroupement de tous les services aux
Ardilliers, sur plusieurs niveaux, mais seulement à l'est
de la chapelle ; un bâtiment pour les femmes serait
construit sur la terrasse, auprès de la cave Sainte-Anne,
où elle sont encore hébergées. L'ensemble
des travaux est estimé à 169 000 francs.
Ce nouveau projet n'est pas pris au sérieux par la
Commission des Hospices, qui le réfute dans une lettre
du 5 septembre 1857, mais qui, en même temps, fait une ouverture
en se déclarant prête à vendre une partie
de son patrimoine, afin d'alléger la charge de la municipalité
et afin de réaliser son projet du Clos Bonnet. En théorie,
la ville devrait payer les bâtiments, et la Commission financer
le seul fonctionnement des hôpitaux.
7) Le blocage
Cette ouverture produit un
effet contraire.
Le rapport de G. Lecoy au Conseil municipal, le 25 novembre 1857,
ne prévoit plus que de simples restaurations des deux hospices
sur leur site, pour un total de 95 000 francs. Des réparations
sont effectivement commencées ; effectuées
sur des murs délabrés, elles ne servent qu'à
gagner du temps. Cette solution minimale engendre une nouvelle
réponse de la Commission des Hospices, le 6 décembre
suivant, polie, mais argumentée et imprimée ( B.M.S.,
A br 8/47 ). Le Conseil municipal vote les 95 000
francs. La Commission des Hospices publie une nouvelle Réponse
à M. Louvet, elle aussi imprimée ( 13 juillet
1859, B.M.S., A br 8/65 ). Cependant, le Maine-et-Loire
a touché un nouveau préfet, qui oppose son veto
à la délibération du Conseil municipal. Ce
dernier, le 10 décembre 1859, influencé par le maire,
déclare qu'il retirera son crédit de 95 000
francs, si la Commission des Hospices, soutenue par des autorités
supérieures, construit un nouvel hôpital sur la route
de Varrains. Cette position est adoptée par 14 voix pour
et 11 contre. La majorité n'est pas si écrasante.
En tout cas, la situation est bloquée. Cependant, Conseil
municipal et Commission des Hospices, même s'ils ont monté
d'un ton, ne peuvent se faire durablement la guerre. Le préfet
intervient à nouveau ; il décide de s'adresser
en haut lieu, en demandant l'arbitrage du ministre de l'Intérieur,
qui dépêche un spécialiste reconnu, Jules
Joseph Gabriel de Lurieu. Il en résulte le Rapport sur
la question des hospices de Saumur adressé à M.
le Ministre de l'Intérieur par G. de Lurieu, inspecteur
général de 1ère classe des établissements
de bienfaisance, Paris, le 9 août 1861 ( B.M.S.,
A br 8/44 ). Lurieu estime que la rénovation
sur place des anciens locaux coûterait au total 447 220
francs et qu'il faut renoncer à cette solution. Il retient
seulement deux projets, soit la réunion des deux hospices
sur le site de l'Hôtel-Dieu agrandi par l'achat de maisons
voisines, pour un montant de 436 000 francs, soit la construction
nouvelle sur la route de Varrains qu'il chiffre à 371 717
francs. Lurieu est plutôt favorable à cette dernière
solution. Son rapport a l'avantage d'enterrer définitivement
le site des Ardilliers et de contredire les chiffrages fantaisistes
de Joly-Leterme.
Cette désolante chronique est loin d'être
terminée. La construction au Clos Bonnet revient devant
le Conseil municipal, qui, le 27 décembre 1861, se prononce
à égalité, 12 pour, 12 contre ; la voix
prépondérante du maire fait refuser le projet. La
situation est toujours bloquée.
8) Les choix définitifs
Devant l'entêtement de
Louvet,
la Commission des Hospices élabore un nouveau projet qui
apparaît en 1862. Elle trouve un terrain plus proche, situé
au Clos de Grenelle, partant, en désignations actuelles,
d'une part de l'embranchement entre les rues Robert-Amy et du
Chemin-Vert et, à l'autre bout, la rue Loucheur, donc situé
tout près de l'hôpital de la Fuye. Il porte le n° 1
sur le plan reproduit plus haut. Ce nouveau site n'enthousiasme
pas grand monde, il est toujours situé sur la route du
cimetière et le terrain présente une forte déclivité.
En outre, Joly-Leterme chiffre ce projet au montant de 471 217
francs, soit bien plus que l'installation au Clos Bonnet.
Louvet reprend l'initiative en se déclarant désormais
partisan d'une reconstruction complète de tous les services
sur le site de l'Hôtel-Dieu, en annexant tous les jardins
situés à l'arrière jusqu'à la rue
de la Chouetterie ( qui englobe alors la rue de Poitiers ).
Le nouvel Hôpital général occuperait ainsi
un vaste quadrilatère délimité par les actuelles
rues Pascal, de Nantilly, de Poitiers, de la Chouetterie, Coulon
et ruelle des Boires. La rue des Boires ( rue Seigneur )
deviendrait une impasse, qui déboucherait sur la cour centrale
et sur la chapelle de ce nouvel établissement aux proportions
grandioses et entouré de vastes espaces.
Dans ce projet, le vieil
Hôtel-Dieu
ne peut plus être revendu et il faut acheter au prix fort
des jardins et quelques maisons en milieu urbain. Sûrement
sous-évaluée, cette hypothèse est néanmoins
estimée à 541 649 francs. A noter encore
que cette version isole le faubourg de Nantilly du reste de la
ville.
Un personnage de poids entre alors dans le débat.
Le docteur Jacques Bineau est médecin en chef des hospices,
membre du Conseil municipal et auteur d'une solide étude
sur les finances de la ville. Présenté comme proche
de Louvet, il est sans doute exaspéré par les tergiversations
du maire sur ce dossier. Sa brochure De la question des hospices
de la ville de Saumur ( B.M.S., A br 8/45 ) est
rédigée en décembre 1863 et publiée
l'année suivante. Le ton est d'une parfaite courtoisie.
Cependant, Bineau souligne les défauts de ce dernier projet.
Selon lui, l'hôpital manquera d'air et d'espace ; il
ne pourra plus être agrandi ultérieurement ;
les maisons voisines auront vue sur les services. Un aspect que
nous avons trop oublié est particulièrement souligné :
la rue des Boires, ancien bras par où les crues du Thouet
venaient réapprovisionner les douves de la ville, était
à un niveau très bas - très exactement à
6,91 mètres au-dessous de la rue de l'Hôtel-Dieu
( rue Pascal ) ; il faudra d'énormes travaux
de terrassement pour rehausser les terrains et les niveler. Sans
le dire explicitement, Bineau suggère que l'estimation
de Joly-Leterme est minorée. Contre l'avis des autres médecins,
il se prononce en faveur du projet de la route de Varrains. Comme
le dernier vote du Conseil municipal avait donné 12 voix
pour et 12 voix contre, sa prise de position pourrait bien entraîner
une majorité en faveur de cette dernière solution.
Louvet et Joly-Leterme rendent alors public un autre projet,
qu'ils gardaient sans doute en réserve et qui est daté
du 5 décembre 1863. Il est moins ambitieux et moins cher
( 436 000 francs ) que le plan ci-dessus. Joly-Leterme
se contente de faire pivoter ses bâtiments d'un quart de
tour et de les resserrer. Il place l'entrée le long de
la rue Seigneur. L'espace situé entre cette dernière
rue et la rue de la Chouetterie est épargné, mais
il faudra acheter plusieurs maisons sur la rue de Nantilly.
On reconnaît l'hôpital actuel. Ce projet est adopté sans difficulté par le Conseil municipal du 29 juillet 1864. Il n'a jamais été question de revenir aux conceptions de Calderon, c'est-à-dire le maintien de l'essentiel de l'ancien Hôtel-Dieu, augmenté de bâtiments pour les vieillards. La Commission des Hospices a dû se résigner. Louvet et Joly-Leterme veulent un ensemble neuf, homogène, décoratif et plus fonctionnel.
9) La construction de l'hôpital général
Le marché de la construction, estimé à 443 000 francs ( premier dépassement, l'achat des maisons et des terrains est en plus ), est adjugé à Aubert, un entrepreneur d'Angers. Pose de la première pierre le 6 mars 1865. Destruction complète de l'ancien Hôtel-Dieu, y compris de la salle Saint-Augustin, qui devait présenter un réel intérêt archéologique. Cependant, subsiste un corps de bâtiment des années 1779-1781, le long de l'actuelle rue Pascal. La Commission des Hospices, qui regrette son ancien projet, se plaint de la désorganisation des services ; la ville a vécu sans hôpital pour les malades pendant quatre ans. Les maisons voisines sont achetées, en général à l'amiable, en 1865-1866. Les importants travaux sont plutôt rapides. Le nouvel hôpital fonctionne complètement en août 1869, soit un peu après la démission de Louvet et de Joly-Leterme.
Au total, malgré les conditions chaotiques de sa conception, ce nouvel hôpital général est plutôt réussi ; voir photos dans la description de la rue Seigneur.
L'établissement revient finalement à 870 331 francs, soit le double du projet approuvé. Joly-Leterme est coutumier de ces dépassements colossaux. La Commission des Hospices vend la Providence à la congrégation des Soeurs de Sainte-Anne pour 50 000 francs. Elle conserve La Présentation au Temple de Philippe de Champaigne, qu'elle replace dans la nouvelle chapelle de l'Hôpital, où elle souffrira moins de l'humidité. Pour faire face aux dépassements, la Commission vend diverses propriétés dispersées et la ferme de la Bigoterie à Saint-Lambert-des-Levées ; dans l'avenir, elle devra recevoir une aide accrue de la ville.
10) Le fonctionnement du nouvel hospice général
Tous les services hospitaliers
sont regroupés
au large dans des locaux majestueux : l'orphelinat ( 60
lits ), les 16 lits de la maternité, où naît
Coco Chanel le 19 août 1883, les services spécialisés
pour hommes et femmes malades ou blessés. Cent lits sont
attribués aux vieillards indigents. Avec 60 lits, l'hôpital
militaire y reste fixé ( l'Ecole est seulement dotée
d'une infirmerie ).
Pour l'essentiel, le personnel est composé de 2 chirurgiens,
de 4 médecins, de 22 religieuses, de 8 infirmiers ou serviteurs
civils et de 8 infirmières ou servantes civiles.
L'arrivée d'un personnel médical formé
aux méthodes pastoriennes entraîne l'installation
de nouveaux équipements à la fin du siècle.
Le docteur Peton, chirurgien
en chef, les présente dans un article publié par
les Archives médicales d'Angers, ( Germain et Grassin,
1901, B.M.S., A br 4/18 ). La salle d'opérations
est réaménagée en conformité avec
les préceptes de l'asepsie. Une étuve de désinfection
est installée. Un laboratoire pour les rayons X est créé
en 1900. Un nouveau laboratoire de bactériologie fonctionne
à partir du 1er juin 1901 ; le docteur Gandar, qui
en est chargé, le décrit dans une brochure imprimée
chez Roland ( B.M.S., A br 8/247 ). Il est gratuit
pour les indigents habitant Saumur ; un examen simple coûte
10 francs ; l'analyse complète détaillant les
différents germes revient au montant élevé
de 100 francs.
11) Les autres équipements
médico-sociaux
Les soeurs de Sainte-Anne avaient aussi acheté la grande propriété occupant tout le côté oriental de la Petite rue de la Gueule-du-Loup. Elles y avaient transféré la Maison Mère de la congrégation le 17 janvier 1843. Quand leurs nouveaux locaux de Saint-Hilaire-Saint-Florent sont achevés, elles créent dans le bâtiment la première maison de retraite de la ville, Sainte Anne de Nantilly, ouverte en 1872 et réservée aux dames.
A Bagneux, l'abbé René Brazier, un prêtre retiré à Nantilly, son beau-frère Leffet et le docteur Niverlet fondent en 1865 une « maison de santé pour le traitement des épileptiques et des maladies nerveuses ». Cette nouvelle création ressemble surtout à une maison de repos. Voici, à droite, la chapelle et un corps de bâtiment dans leur aspect primitif ( voir Gatien Fouqué, S.L.S.A.S., 2008, p. 89-91 ). Les soins sont assurés par des soeurs de Jeanne Delanoue, qui achètent le bâtiment en 1881. L'établissement devient une maison de retraite pour vieillards des deux sexes et, à partir de 1922, une clinique chirurgicale, quand plusieurs médecins de Saumur y sont associés.
Avec sa fontaine, sa statue de saint Michel, ses domestiques et leurs enfants, ses jardiniers armés d'arrosoirs et de brouettes, la religieuse qui surveille au premier étage, la scène ne manque pas d'un charme désuet.
Le docteur Gandar ( 1870-1954 ), qui avait succédé au docteur Seigneur comme médecin de l'hospice général, fonde avec le docteur Constant Petit une clinique privée, ouverte rue Fardeau vers 1911-1912. Un nouveau bâtiment aux amples proportions y est ajouté en 1927.
Il ressort de ce dossier que l'équipement hospitalier de la ville est demeuré franchement archaïque pendant les deux premiers tiers du XIXe siècle et qu'il est renouvelé et certainement amélioré par la suite.