Le sujet est immense. Je l'ai amplement traité dans Saumur en estampes, numéros 47 à 95 et 113 à 127, et dans Saumur en dessins, p. 42 à 55. N'aimant pas radoter, je renvoie à ces ouvrages, n'apportant dans ce dossier que quelques suppléments inédits ( l'abondante iconographie concernant l'Ecole de cavalerie relève des chapitres suivants ).
Les touristes anglais,
en particulier Stothard et Allom, ont été les premiers
à produire de remarquables vues de Saumur, abondamment
diffusées. Parmi eux, Turner est de loin le plus abondant
et le plus passionnant. Ses trois aquarelles sur papier bleu sont
à la source de nouvelles aquarelles et des célèbres
gravures des Rivières de France.
Les deux aquarelles établies à la tête
des ponts de la Boire-Torse et de la Croix-Verte n'ont pas laissé
de postérité, bien qu'elles soient d'un intérêt
exceptionnel, Turner s'aventurant volontiers hors des points touristiques
balisés. Aucune gravure sur acier n'en est sortie, sans
doute pour la raison que le bras principal de la Loire n'y est
pas visible.
Avec humour, Nicolas Jolivot ( à droite ) a figuré l'artiste en plein travail ; son héroïne, l'effrontée Ligérianne, critique l'exactitude de son aquarelle et s'invite dans son oeuvre...
Il convient d'abord de signaler
le site encyclopédique de la Tate Gallery
qui nous rend accessible la totalité de l'oeuvre de Turner. Hommage aussi à ses conservateurs, qui s'efforcent de suivre les pas de l'artiste à travers tous les pays d'Europe. Cependant, ces derniers méprisent un peu trop les travaux des érudits locaux, plus compétents qu'eux pour identifier un paysage ou un monument au début du XIXe siècle. La tâche n'est pas toujours aisée, car le peintre prend de grandes libertés avec le réel. Dans ses Sketchbooks, Turner esquisse au crayon des panoramas entiers ou des détails originaux dans un joyeux désordre, où lui-même ne se retrouve pas toujours par la suite. Voici une page parmi les plus claires sur Saumur ( Paul-Jacques Lévêque-Mingam, Turner et la Loire, C.L.D., Chambray-lès-Tours, 1996, p. 62 ). Nous l'avons contrastée électroniquement, afin de la rendre plus lisible.
Turner s'est posté à l'emplacement de l'actuel quai du Gaz et s'intéresse d'abord au pont Cessart ; il esquisse quelques postes, le dessin de vagues qui orne le parapet ; il prend soin d'écrire « 12 », afin de se remémorer le nombre des arches. Il repère le grand escalier qui donne accès à la tête du pont. Sur la rive du fleuve, il retient la levée d'une gabare et les arronçoirs, la planche en dents de scie destinée à caler les bâtons de marine. Plus haut, il note la façade des grands immeubles formant l'entrée de ce qui est alors la rue Royale ; ensuite, les parties hautes du château, de l'église Saint-Pierre et de l'Hôtel de Ville sont sobrement mises en place. Le panorama se poursuit sur la ligne du dessus, on identifie sans peine la salle de spectacle, la trouée de la place de la Bilange, puis les maisons donnant sur le fleuve jusqu'à l'église Saint-Nicolas et l'un de ses petits clochers. Une parfaite synthèse d'un paysage, dans laquelle se glisse néanmoins un détail incongru : le clocher du bas n'est pas un agrandissement de la flèche de Saint-Pierre ; je crois reconnaître le clocher de Saint-Martin de la Place. Dans la version gravée par J.T. Willmore, les libertés prises avec ce dessin sont spectaculaires : des laveuses apparaissent ; sur la Loire, auprès des gabares, sont ajoutés des eschargeaux, des trains de bois flottés ; le pont double le nombre de ses arches et le château retrouve son aile occidentale...
En complément, Turner a-t-il exécuté à Saumur d'autres oeuvres encore inconnues ? L'inventaire général de la Turner Bequest par A. J. Finberg identifie l'aquarelle sur papier bleu, CCLIX, n° 207, comme figurant Saumur :
Du rond-point de Bournan, la route plonge ainsi sur la ville et la Vallée. Du côté droit, les moulins de Bournan étaient encore debout. Cependant, ces monticules surmontés par des tours fortifiées sont loin de la réalité, les monuments de la ville esquissée en contrebas n'évoquent pas Saumur. Ces aquarelles sur papier bleu, souvent réalisées sur place, afin de fixer des souvenirs colorés, sont rarement aussi inexactes. Surtout, neuf pages de son carnet de croquis en font foi, Turner, à Saumur, n'a pas décollé de la Loire et des îles, il est allé à Montsoreau, mais il n'est pas monté à Bournan.
Dans le catalogue des passionnantes expositions de Londres, Blois et Nantes ( 1997-1998 ), Ian Warrell, Turner. Le voyage sur la Loire, Réunion des Musées Nationaux, 1998, p. 111-113 et p. 222, n° 82, présente « une vue de Saumur, identifiée ici comme telle pour la première fois », reconnaissant, à droite les murs du château, à gauche la tour du Papegault.
Finberg avait titré " Moutons dans une tranchée ", sans plus. Le conservateur de la Tate Gallery appuie sa localisation sur la troisième de couverture du carnet de dessins consacré à la ville. La voici en version contrastée :
Le mot " Saumur "
est inscrit à l'encre en bas à gauche. Le château,
à droite, est vu depuis l'actuelle place Sainte-Jeanne-Delanoue ;
la tour du Papegault est à son emplacement exact, mais
elle est sérieusement déformée, alors que
Turner la figure exactement ailleurs. Dans les mystérieuses
arcatures du bas, il faudrait rechercher quelques vestiges survivant
de la porte de Fenet ( abattue en 1780 ) ou de l'église
des Cordeliers ( détruite en 1821-1822 ; sa flèche
aiguë disparaît alors du paysage saumurois ; en octobre
1826, quand Turner est à Saumur, l'entrepreneur et architecte
Fromageau remporte l'adjudication du nouveau palais de Justice,
construit sur son emplacement ; il ne devait donc pas rester
grand chose de l'ancien couvent ). Surtout, cette esquisse
formée d'éléments divers n'a guère
de ressemblance avec l'aquarelle étudiée. Sur cette
dernière, la masse ocre à droite peut assurément
évoquer les remparts du château ; ailleurs,
on ne reconnaît absolument rien, la tour du Papegault est
méconnaissable, les mystérieuses arcatures aériennes
ne peuvent être localisées à Saumur. Les moutons
se dirigent vers une mare, en bas à gauche, elle aussi
bien hypothétique.
Cette identification aventurée a néanmoins
convaincu la revue " 303 ", n° 57,
p. 17, qui la reprend comme certaine. S'il faut absolument
localiser cette aquarelle dans le Saumurois, mieux vaut regarder
vers Souzay et le manoir dit de la Vignolle. Turner s'intéressait
au village, qu'il appelle " Suze ", auquel
il consacre trois pages de croquis ( notamment p. 45a
et 41a, en mélange avec Saumur ) et où il étudiait
les caves et les troglodytes. Cependant, mes repérages
sur place n'ont rien donné d'indiscutable, tellement les
lieux ont changé.
Britannique à l'existence mouvementée, professeur d'anglais à Angers et, en même temps, apôtre du Saint-Simonisme, Peter Hawke est un dessinateur nerveux et abondant. Pour V. Godard-Faultrier, L'Anjou et ses monuments, 1839, il représente à la pointe sèche les plus célèbres lieux historiques du département, dont Nantilly, le Château et l'Hôtel de Ville, que nous reproduisons à droite.
A l'encre lithographique, il reproduit la tapisserie de l'église Saint-Pierre racontant la vie de saint Florent ( 1842 ).
Les musées d'Angers ont recueilli un bon nombre de ses dessins, souvent non signés, mais reconnaissables à leur facture. Celui qui est reproduit ci-dessous est intitulé " Vue du vieux pont de Saumur . 1832. " ; il représente le pont des Sept-Voies, appelé aussi " pont Rouge ", un peu avant sa destruction. Il est aussi intéressant d'observer les vieilles maisons, aujourd'hui disparues, de l'îlot Censier, à l'extrémité de la Grande-rue des Ponts.
Le dessin suivant est établi plus près du centre, de l'autre côté des îles, au bord de la Boire Quentin. Il est signé " P Hawke - juillet 1840 " et est dédié à une demoiselle, qui n'en a guère pris soin.
En quittant Peter Hawke, rappelons les oeuvres exécutées à Saumur par deux autres artistes britanniques : George Clarkson Stanfield ( 1828-1878 ) a peint à l'huile une vue sur le château intitulée " Saumur by the Loire Valley " ; William Callow ( 1812-1908 ) laisse des dessins et une aquarelle, " The Castle and Town of Saumur on the Loire ".
3) Dessinateurs de passage
En permanence, la ville de Saumur inspire les dessinateurs de passage, amateurs ou professionnels, appliqués ou inspirés. Cette vue anonyme à la mine de plomb a été tracée à bord d'un bateau ; elle cherche à évoquer un coucher de soleil sur le château. Elle est antérieure à 1822, puisque la flèche de la chapelle des Cordeliers est encore en place. Les rives du fleuve, en aval du pont Cessart, sont présentées comme agrestes, sans indices d'aménagement portuaire, ce dont je doute, l'ensemble de la figuration paraissant fantaisiste.
Très réaliste au contraire est ce dessin, signé " L.A.", intitulé " Vue prise de la fenêtre du billard. Souvenir de la cure de St Pierre de Saumur . 1836 ".
Depuis l'ancien presbytère, le château, récemment restauré, est figuré avec une stricte exactitude et avec son mur carcéral ajouté.
Des artistes plus célèbres ont aussi représenté Saumur, en particulier, Rodin et Dufy. Voir également la vue des moulins peinte par le bon sculpteur local Alfred Benon.
4) Les lithographes du milieu du XIXe siècle
Les lithographes paysagistes du milieu du XIXe siècle ont fait le tour de la France et ont laissé une abondante production sur Saumur. Voici quelques inédits.
- Jehan Marchant, installé dans la ville, représente le dolmen de Bagneux ( un peu raccourci ) dans son album consacré à " L'Anjou pittoresque ".
Les chromolithographies de Léon-Auguste Asselineau sont considérées comme des travaux de second ordre. Celle-ci a le mérite de l'originalité. Elle figure la cour intérieure de l'Hôtel de Ville en 1854 et présente des bâtiments aujourd'hui détruits ou transformés.
A droite, l'aile étroite édifiée par Joly-Leterme le long de la rue Bonnemère a été supprimée.
Les travaux du nouvel hôtel de Ville ne sont pas encore commencés. Du côté gauche, une fine tourelle desservait les étages supérieurs ; elle est remplacée par une grosse tour d'escalier. Le grand corps de logis rétrécissant la cour constituait une importante annexe pour la mairie ; il a été rasé par Joly-Leterme.
De nombreux autres artistes locaux, dessinateurs et peintres, ont représenté Saumur. Il n'est pas possible d'alourdir ce dossier, déjà abondant et passablement décousu.
Les photographes ont droit à une section spéciale. Comme mise en bouche, voici un intéressant panorama par le photographe Christophe Delphin. Le cliché a été pris entre 1869, année où l'artiste s'installe en face de la Poste, et 1877, où des travaux remodèlent la coupole des Ardilliers. Le théâtre et clocher de Saint-Nicolas, tout récents, sont d'une éclatante blancheur. Le quai Mayaud, encore peu construit, semble une voie-express tracée dans la verdure. deux moulins émergent en avancée sur un promontoire ; à droite, le moulin Georget, pourvu de ses ailes et en fonctionnement ; plus à gauche, probablement, le moulin Godet.