1) Les manoeuvres classiques
Jusqu'à 1870, l'Ecole dispose d'une assez large autonomie dans la définition de ses méthodes, qui sont décidées par le général et par le Conseil d'instruction de l'établissement. Pour eux, la période napoléonienne représente le sommet insurpassable de l'art militaire ; leurs exercices et leurs manoeuvres s'efforcent de reproduire les méthodes de ce temps-là, déjà apprises dans les classes d'histoire. Dans les quatre lithographies de ses Leçons pratiques du Cours d'art militaire, Charles Aubry représente en 1832 les manoeuvres effectuées aux portes de Saumur : passage de bac à Saint-Florent, grand'garde ( dans les bois de Marson ), embuscade route de Doué et, ci-dessous, " Passage de défilé en avant. Vue de Saumur ", dans lequel la cavalerie occupe les points hauts auprès du petit dolmen de Bagneux.
L'expression la plus achevée de ce culte de la tradition est donnée par Fortuné Brack, devenu le maréchal de camp de Brack, commandant l'Ecole en 1838-1840. Ce dernier avait publié en 1831, chez Anselin, Avant-postes de cavalerie légère. Souvenirs, ouvrage vivant, dans lequel sous une forme dialoguée, il donne des conseils simples, appuyés sur des anecdotes tirées de ses campagnes dans l'armée impériale ( ce livre, très lu dans la cavalerie, est encore réédité en 1880 ). De Brack y reconnaît qu'il n'a reçu aucune instruction préalable, qu'il s'est formé dans les combats. Il est devenu commandant d'une école, alors qu'il est sceptique sur cet enseignement : « La guerre seule apprend la guerre. Les exercices classiques auxquels nous venons de nous livrer ne sont qu'une théorie plus ou moins parfaite » ( p. 6 ). Il prêche pour l'audace, la légèreté des interventions et la souplesse de manoeuvre. Souvent non conformiste, il estime que la cavalerie légère n'emploie pas assez d'espions, faute d'argent. Il regrette ouvertement le temps de la guerre permanente : « Un des malheurs attachés à l'état de paix, c'est que ni le cheval, ni les armes d'un cavalier ne sont à lui » ( p. 17 ). Il s'affirme aussi comme un nostalgique du « grand capitaine », oubliant, comme le gros de l'armée française, que depuis les nouveaux choix tactiques de Wellington, Napoléon est dépassé.
2) La robotisation du règlement de 1829
On reprochait à
la cavalerie impériale l'hétérogénéité
de ses mouvements et son incapacité à manoeuvrer
de concert. La création des écoles successives de
cavalerie, l'envoi de stagiaires de chaque régiment avaient
pour but d'unifier les pratiques. En s'inspirant de méthodes
prussiennes du temps de Frédéric II, le règlement
de 1829 poussait cette normalisation jusqu'à la caricature.
Il distinguait douze types d'évolutions en ligne et prévoyait
une cascade d'ordres longs et compliqués pour les exécuter.
Quand une troupe effectuait un changement de direction, son chef
devait calculer mathématiquement l'arc de cercle de l'opération.
Le général du Barail ( Mes Souvenirs, t. III,
1854-1879, Plon, 1898, p. 534-535 ) en donne une
description féroce : « au fur et à
mesure qu'avec le nombre des galons sur mes manches avait crû
le nombre des hommes et des chevaux qui obéissaient à
ma voix, j'avais senti croître aussi mon horreur pour ce
fatras théâtral de commandements et d'exercices enchevêtrés
qui ne pouvaient aboutir qu'à des désastres sur
le terrain des combats et qui, pas une seule fois, n'avaient pu
être exécutés correctement sous mes yeux sur
un terrain de manoeuvres... J'avais passé ma vie à
organiser de véritables carrousels en temps de paix et
à les oublier en temps de guerre... Donc, la cavalerie
perdait son temps pendant la paix à exécuter des
exercices qu'elle n'exécutait jamais pendant la guerre. »
Ce règlement inapplicable, l'Ecole de cavalerie est
chargée d'enseigner son application. Elle s'en tire en
le faisant apprendre par coeur et en évitant le plus possible
de le mettre en oeuvre sur le terrain. Les contestations sont
rares. Dans un rapport du 25 septembre 1869, intitulé Réflexions
sur l'enseignement professé à l'Ecole de Cavalerie
et adressé au général Feray, inspecteur
général de l'arme, le capitaine Longuefosse, instructeur
à Saumur, critique les cours très stéréotypés,
le par-coeur imposé aux officiers et à la troupe
( Service historique de la Défense, ms. 1990, n° 25
). Il ajoute : « Le cours d'art militaire a remplacé
le service en campagne » ; il propose aussi le
redoublement pour certains officiers très paresseux. Il
n'est pas besoin d'ajouter des commentaires ; la catastrophe
de 1870 n'est pas un accident.
3) Les publications théoriques
Voyons maintenant si l'on trouve au moins des idées nouvelles dans les publications liées à l'Ecole de cavalerie.
- Les brochures techniques du général Oudinot. Bien qu'un peu à l'écart de l'armée et devenu député, le général marquis Oudinot publie trois brochures consacrées à des problèmes techniques militaires ( B.M.S., P 2 606 ). " De la cavalerie et du Casernement des troupes à cheval ", Paris, Bourgogne et Martinet, 1840, recommande une meilleure hygiène et des écuries plus spacieuses. Le général préfère des casernes de plan traditionnel, les écuries au rez-de-chaussée et les hommes au-dessus, contrairement aux dispositions adoptées à Saumur. " Des remontes de l'Armée, de leurs rapports avec l'administration des haras ", Paris, Laguionie, 1842, constate que la France manque de chevaux et qu'elle en a constamment importé de 1823 à 1840 ; la brochure parle beaucoup de Saumur, elle décrit le haras annexé à l'Ecole et en donne un plan lithographié. " De l'Armée et de son application aux travaux d'utilité publique " , Paris, Dumaine, 1845, admet les grands travaux exécutés en Algérie, mais pense qu'en métropole, l'armée ne peut effectuer que certains chantiers urgents nécessités par la défense de l'Etat. Député, Oudinot demande une loi claire sur ce sujet. La clarté est la qualité majeure de ces brochures.
- Les écrits historiques. Joachim Ambert ( 1804-1890 ),
fils d'un général, devenu général
lui-même, est un écrivain abondant, tourné
vers l'histoire et très attaché à Saumur.
Officier de dragons, il est lieutenant instructeur à l'Ecole
en 1835, quand il publie ses " Esquisses historiques
et pittoresques des différents corps qui composent l'armée
française ", à Saumur, chez A. Degouy.
L'ouvrage est repris sur
un format plus petit à Bruxelles en 1840. Nous y reviendrons
à propos des intéressantes illustrations de Charles Aubry.
En 1847, Ambert publie la première biographie solide
de Duplessis-Mornay, qu'il reprend et augmente par la suite.
Enfin, toujours dans ce même registre, le premier professeur d'histoire de l'Ecole, Jacquinot de Presle, publie chez A. Degouy, en 1829, son " Cours d'art et d'histoire militaires, à l'usage de MM. les officiers de l'Ecole royale de Cavalerie ", augmenté de trois planches sur les batailles napoléoniennes.
- Un point de vue révélateur. Le général comte Camille de Rochefort ( 1799-1863 ) a mené une belle carrière. Habile et bon courtisan, il commande l'Ecole de 1852 à 1859, année où il prend la tête d'une brigade dans la campagne d'Italie ; il commande ensuite la cavalerie d'occupation et finit inspecteur de l'arme. Ses " Idées pratiques sur la Cavalerie, ouvrage dédié à ses anciens Elèves de l'Ecole de Saumur ", paru à Paris, chez Dumaine, en 1865 et réédité l'année suivante à Saumur, chez Javaud, est un ouvrage posthume et inachevé, qui avait pour but principal de répondre aux critiques sur les manoeuvres de la cavalerie en 1859. Cependant, le livre n'est pas seulement une autoglorification. Déjà, Rochefort avait voulu renforcer l'enseignement militaire à l'Ecole et s'était heurté au comte d'Aure. Il est conscient de la lourdeur archaïque du règlement de 1829 et il souhaite tout au moins le raccourcissement des ordres ( d'autant plus que lui-même a la voix fluette ). Il se dit conscient de la montée de la puissance de feu et des ravages des armes rayées. Il recommande d'approcher l'ennemi par les angles morts. Cependant, ses propositions sont bien timides.