Nouvel Hôtel de Ville, salle des Adjudications, armes stylisées de Saumur sur la cheminée

 

Chapitre 38 :

 La société militaire au XIXe siècle


    

 

  Après avoir étudié au chapitre précédent l'Ecole en qualité d'institution, ses fondations successives, ses structures, ses services annexes, son enseignement et ses exercices, nous présentons maintenant les militaires et leur entourage, soit un total d'environ 2 000 personnes, d'après le recensement de 1896. Nous allons scruter cette société militaire, ses caractérstiques démographiques, ses valeurs, ses sentiments politiques, ses relations avec la ville de Saumur et ses rapports à la culture. En appendice, sera évoquée la petite garnison d'infanterie du château.

 

   UNE SOCIÉTÉ MASCULINE ET HIÉRARCHIQUE 

   

1) Une masse de célibataires 

  Les quelque 900 militaires logés dans les locaux de l'Ecole et les 180 ordonnances sont tous des jeunes hommes célibataires. L'Annuaire indicateur de Saumur et des environs, 1913, publié par Roland, signale la situation matrimoniale des officiers logeant en ville. Sur 65 sous-lieutenants officiers-élèves, 64 sont célibataires, les 10 aides-vétérinaires stagiaires le sont également. Parmi les lieutenants officiers d'instruction, déjà plus âgés, 40 sont mariés sur un total de 117. L'affirmation traditionnelle, selon laquelle les militaires se marient à un âge plutôt tardif, est bien fondée. A l'inverse, la statistique nationale qui donne, vers 1900, 25 % des officiers célibataires à 50 ans, soit le double de la moyenne nationale, ne se vérifie pas à Saumur & (1). En 1913, sur 47 officiers du cadre, dont certains sont jeunes, 37 sont mariés ; on ne compte que 5 célibataires au-dessus du grade de lieutenant. Une forte pression locale invite ces cadres à prendre une épouse qui donnera des réceptions. En dépit de ce fait remarquable et en ajoutant les divers services, on atteint à peine la centaine d'officiers mariés à la veille de la Guerre 14-18.
 La présence militaire à Saumur, c'est d'abord une masse d'environ 1 200 jeunes hommes célibataires, fringants et parfois riches. Il s'ensuit un fort développement des lieux de loisir et de plaisir, ainsi que de l'amour vénal ( étudié dans Notes sur la prostitution ), encore que les mémorialistes qui décrivent Saumur comme un gigantesque lupanar grossissent les faits ; à son maximum, la galanterie a regroupé une cinquantaine de professionnelles, trois maisons closes et un nombre plus élevé de " filles légères ", prostituées occasionnelles, et de " femmes entretenues ".
   

2) Une basse natalité

  Les militaires mariés sont-ils au moins prolifiques ? Il convient de se garder de projeter vers l'arrière des attitudes actuelles. Bien des éléments portent à croire qu'ils partagent avec les autres Saumurois le modèle de la famille peu étoffée et même de l'enfant unique ; quelques reconstitutions de fratries permettent de le penser ; dans le recensement de 1896, on peut seulement exploiter le traitement à part de 132 cavaliers de manège, tous fixés sur place et d'âges variés ; si l'on admet que la plupart sont mariés, ils n'auraient que 1,2 enfant par couple - en donnée assurément très grossière.
 Tous comptes faits, cette photographie d'Henri Guionic représentant un officier supérieur, son épouse et leur fils unique, peut être considérée comme représentative.

Photo d'Henri Guionic, Saumur, vers 1910.
    

 3) Une société hiérarchique

  Tous ces militaires ont en commun l'esprit patriotique, qui se montre de plus en plus ardent à mesure qu'approche la Grande Guerre. Ils partagent également un même esprit de discipline et une conception hiérarchique des relations humaines.
 Cependant, de forts clivages traversent cette société formée dans les mêmes moules. Le corps des officiers affiche un superbe mépris envers la piétaille des sous-officiers et des hommes de troupe ; dans ses écrits sur l'Ecole, Louis Picard adopte le parti de ne parler que des officiers et futurs officiers. A l'intérieur même de ces corps, des cassures sont évidentes. Les instructeurs d'équitation, c'est-à-dire les écuyers et sous-écuyers, se considèrent comme des dieux ou des demi-dieux par rapport aux professeurs et aux autres instructeurs. Les officiers passés par la voie royale de Saint-Cyr montrent quelque condescendance à l'égard des officiers sortis du rang et promus par la longue filière des élèves-officiers. La différence n'est pas tellement dans les origines sociales, comme on pourrait l'imaginer : en 1913, on compte le même pourcentage ( 28 % ) de noms à particule parmi les officiers-élèves et parmi les élèves-officiers, alors appelés les aspirants. Ces derniers ont simplement échoué au concours d'entrée à Saint-Cyr, et ils tentent de compenser en prenant une voie plus lente, plus besogneuse et promise à de plus modestes perspectives de carrière. Les deux mondes suivent des formations différentes, ils sont séparés jusque dans leurs caisses de secours mutuels, les premiers peuvent adhérer à la Saint-Cyrienne, alors que les seconds s'associent dans la Saumuroise, « société de secours mutuels approuvée entre les officiers et anciens officiers de cavalerie sortant du rang et les élèves-officiers présents à l'école de Cavalerie » & (2). En 1906, la cotisation annuelle se monte à 10 F, plus un franc pour le livret.

La Saumurienne

 De même, les cadres médicaux et vétérinaires, les responsables des services annexes, de l'intendance ou du génie vivent un peu à l'écart.

 

   UNE SOCIÉTÉ DU SPECTACLE  

    

 4) Le respect des conventions

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Dossier 1 : L'affaire La Roncière

  Le XIXe siècle est très strict sur les conventions sociales, sur la tenue vestimentaire, sur les formes de la politesse. La société militaire se montre encore plus exigeante sur ces points. Les uniformes de chaque corps sont minutieusement réglementés, tout en étant sujets à des interprétations, à des modes et à des changements fréquents. Sous le Second Empire, ils se couvrent de chamarrures, ils demeurent rutilants au début de la Troisième République et sont un peu simplifiés à partir de 1900 ; il existe en outre une « mode Saumur », à laquelle il convient de se conformer, qui amincit la taille et donne une silhouette élancée : ajoutons-y le monocle, la fine moustache, la cigarette au bec et la compagnie d'un petit chien. Un beau soldat est la moitié d'un bon soldat, disent les militaires, qui se jaugent d'abord sur leur tenue.
 La participation à une succession de mondanités doit être considérée comme obligatoire, aussi bien aux réceptions fréquentes, au bal du général, aux fêtes de carnaval, qu'aux courses, aux rallyes, aux parties de chasse. Les invitations sont des convocations. William Serman, Les officiers français dans la nation ( 1848-1914 ), Aubier, 1982, p. 134, raconte un épisode peu connu : « A l'Ecole de cavalerie de Saumur, les sous-lieutenants-élèves provoquent un scandale en s'abstenant de paraître au bal donné, le 15 février 1851, par leur chef, le général de Goyon, qui les avait humiliés quelques jours auparavant en leur faisant faire à pied les évolutions qu'ils n'arrivaient pas à exécuter à cheval. » Le général leur reproche « leur ignorance complète des convenances du monde » et prend des sanctions.
 Les épouses des officiers du cadre et de la plupart des lieutenants d'instruction rendent public leur jour de réception, dans un salon qui devient la pièce essentielle du logis. En 1913, 59 d'entre elles reçoivent un jour par semaine, 13 stakhanovistes reçoivent tous les jours, 11 autres n'ont pas de jour précis ; quelques unes ne reçoivent pas du tout, mais se donnent une excuse en invoquant un deuil. Il est fortement recommandé de faire un tour dans les salons après 4 heures du soir. Les jeunes stagiaires doivent y jongler avec leur képi, leur sabre et une tasse de thé ; ils affirment s'y ennuyer ferme, préférant des compagnies féminines plus attrayantes. Mais ces dames intriguent volontiers et forment un réseau qu'on dit fort influent...
 S'affranchir du cercle d'obligations et de mondanités, c'est renoncer à une brillante carrière. S'écarter du moule, se montrer non-conformiste, voire insolent, c'est s'exposer à la vindicte publique. Le célèbre procès du lieutenant de La Roncière, condamné pour tentative de viol sur la personne de Marie de Morell, la fille du commandant de l'Ecole, ne peut s'expliquer que sous cet éclairage ( dossier 1 ).
    

 5) Les grandes représentations militaires

 

  Dossier 2 : Le premier carrousel

 

  Dossier 3 : Le carrousel équestre

 Dossier 4 : Le carrousel militaire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Dossier 5 : Fêtes et courses

  L'Ecole organise souvent d'imposantes cérémonies : prises d'armes, remises de décorations, arrivée et départ des promotions, inspections, défilés, revues pour la fête du roi, puis pour le 14-juillet. Longuement répétées, ces manifestations sont en permanence décrites comme impeccables. Plus exceptionnellement, en 1860, le retour triomphal de régiments rentrant d'Italie, drapeaux déchiquetés en tête, est l'occasion d'un grand défilé sur la place de la Bilange.

 Le carrousel est de loin la manifestation la plus importante et la plus réputée. Nous lui consacrons trois dossiers fortement illustrés, l'un sur le premier carrousel du 20 juin 1828, un autre sur la partie équestre ( la plus traditionnelle ), le dossier 4 enfin sur le carrousel militaire, qui prend de plus en plus d'importance vers la fin du XIXe siècle.
 Le carrousel, implanté sur la cour d'Iéna dans la seconde moitié du siècle, attire des foules nombreuses, d'abord les familles des participants, des amateurs d'art équestre venus de loin ( les hôtels sont pleins ), des familles saumuroises qui ont pour règle d'y assister tous les ans, des ruraux des environs, bons connaisseurs en chevaux et très fidèles aussi. Les témoins décrivent un imposant rassemblement de voitures hippomobiles, depuis le clinquant équipage du marquis de Jalesnes jusqu'aux simples carrioles paysannes. Les entrées sont gratuites, il suffit de retirer un carton d'invitation pour la tribune de l'Ecole ou pour la tribune de la ville, comme ici, le lundi 5 août 1901 ( publié par publié par S. Kiritsé-Topor, Mémoires de tuffeau, p. 94 ).

Carton d'entrée au carrousel, publié par S. Kiritsé-Topor, Mémoires de tuffeau, p. 94

 En 1829 et années suivantes, trois représentations annuelles sont données, deux vers la fin du siècle, normalement le lundi, au lendemain des courses et à la veille des concours hippiques.
 Le carrousel est la manifestation saumuroise la plus souvent figurée, au point qu'il est difficile de répertorier les artistes, qui, après Aubry, le représentent en grand nombre, lithographes ou graveurs sur bois ( à partir de 1843 ). Les photographes prennent le relais dans les années 1900 et, grâce à des objectifs instantanés, en fixent les différentes étapes ; chaque éditeur offre sa série. En 1897, la maison Lumière envoie un opérateur tourner huit bobines de 50 secondes et pratiquer ainsi le premier tournage cinématographique opéré dans la ville.

 D'une façon générale, l'Ecole est considérée comme la grande organisatrice des fêtes locales ; le maire et le général correspondent au sujet des cartons d'invitation aux bals. Les élèves organisent des défilés costumés à travers la ville et se lancent dans des cavalcades endiablées à l'occasion du mardi gras ou de la mi-carême. Les courses hippiques de Varrains et de Verrie, les concours de sauts d'obstacles du Breil reposent sur une forte participation militaire.

 

   SENTIMENTS POLITIQUES  

   

 6) Un corps bonapartiste

  Dossier 6 : Les militaires et la politique

  Mettre au clair les sentiments politiques des militaires de l'Ecole est chose malaisée, voire impossible, tellement lourde est la chape de silence qui pèse sur ce sujet. Nous tentons de le traiter avec les nuances nécessaires dans le dossier ci-contre.
 En résumé, le bonapartisme est certainement l'opinion dominante ; au départ, un bonapartisme encore proche de ses racines révolutionnaires, hostile à la Restauration, à l'occasion comploteur et proche des républicains ; sous le Second Empire, un bonapartisme nettement plus conservateur et teinté de césarisme ; sous la IIIe République, un bonapartisme sentimental, reposant sur le culte du grand homme.
    

 7) Une grande muette peu républicaine

  De fréquents incidents dans les années 1880, des fiches de renseignements prouvent que les ralliements à la République sont rares et très discrets. Tous les militaires ne sont pas pour autant des royalistes convaincus. Dans tous les cas, ils se cantonnent dans le cadre d'une stricte discipline.

 

   L'ÉCOLE ET LA VILLE  

   

 8) Une ville attachée à son Ecole

 

  Dossier 7 : Le poids économique de l'Ecole

  L'Ecole de cavalerie, telle qu'elle se développe au cours du XIXe siècle, pèse lourd dans la vie de la cité. Par l'ampleur de l'espace occupé, tout l'ouest de la ville. Par son nombre, que nous avons évalué pour la fin du siècle à 13,3 % de la population totale, en y incluant épouses, enfants, domestiques et ordonnances. Par son apport économique, que nous tentons de reconstituer dans le dossier n° 7, l'Ecole est vraisemblablement la première ressource de la ville dans les débuts du XIXe siècle et la seconde, après les mousseux, à la veille de la Guerre 14-18.

 La municipalité et les milieux influents n'ont jamais oublié qu'à la fin du XVIIIe siècle, la caserne des carabiniers avait porté le titre d'Ecole de cavalerie et que son implantation avait revigoré la ville. Dès le 19 novembre 1807, le Conseil municipal autorise le maire à faire des demandes pour obtenir l'établissement à Saumur d'une école de cavalerie ( A.M.S., 2 D 5 ). Sans doute ce dernier est-il au courant des projets de Napoléon. Quand l'empereur passe à Saumur le 12 avril 1808, le voeu est renouvelé avec une certaine solennité. Il n'est pas exaucé, puisque, par un décret du 8 mars 1809, l'école spéciale de cavalerie est créée à Saint-Germain-en-Laye, sous le commandement du général de La Roncière. Cependant, des études des bureaux de la Guerre montrent que l'implantation à Saumur est toujours envisagée, car le nouvel établissement fonctionne mal ; sans doute soucieuse de s'en démarquer, la première Restauration décide d'installer à Saumur l'Ecole d'instruction des troupes à cheval.
 Désormais, la ville défend bec et ongles la possession de son école ; elle se dit ruinée par la suppression de 1822 et par les fermetures occasionnées par les guerres. A nouveau, sous Vichy, le chef d'escadrons Gaston Agnus, nommé premier adjoint de la ville, s'adresse au maréchal Pétain en 1941 et obtient promesse du retour de l'Ecole ê (3).
  

 9) Des égards particuliers

 

 

 

 

 

  Dossier : 8 :  Les hôtels du commandement

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  Dossier 9 : Nos farces à Saumur

  La ville tient tellement à son Ecole qu'elle lui accorde des égards particuliers, qui prennent parfois la dimension de privilèges.

- Plaire au général. Les commandants de l'Ecole sont l'objet de vives attentions de la part des municipalités, quelle que soit leur sensibilité politique. Le Conseil municipal vote l'attribution d'une épée d'honneur au lieutenant-général La Ferrière L'Evesque en mai 1819, puis au colonel-baron de Morell en septembre 1831.
 Quand le commandant de l'Ecole adresse à la ville une demande, toujours en termes fort courtois, cette demande est pratiquement satisfaite aussitôt, par exemple, en matière de voirie. Le général L'Hotte estime que les premiers bicycles effraient ses chevaux, le sous-préfet, par un arrêté du 27 juillet 1878, interdit toute circulation de bicyclette à l'intérieur du périmètre de l'octroi. Quelques commissaires de police répriment avec fougue les incartades des stagiaires ; si le capitaine de semaine s'en plaint, si les élèves commencent à boycotter les boutiques, le commissaire est aussitôt sacrifié.

- L'Hôtel du commandement. Curieusement, la ville prend à sa charge le logement du général ; voir dossier 8 sur les hébergements successifs.

- L'abandon du Chardonnet. Le vaste terrain du Chardonnet appartenait et appartient toujours au domaine municipal « (4). Au XVIIIe siècle, il formait une belle promenade publique ; lorsqu'il fait construire la caserne des carabiniers, l'intendant de Tours en retire la jouissance à la ville et le transforme en champ de manoeuvres ; la municipalité déplore cette perte, sans vraiment protester. De même, tout au long du XIXe siècle, elle concède gratuitement des parties du terrain, afin de favoriser les réalisations nouvelles. Parfois existe un acte formel : le 12 avril 1825, le Conseil municipal cède la moitié de son champ de foire pour la construction des écuries du Manège ; le 29 juillet 1847, il donne à l'Etat le terrain où sera élevé l'hôpital militaire ( le mess ) ê (5). Parfois, aucune délibération n'est enregistrée. Parfois, on trouve un dédommagement financier : après avoir demandé un loyer, la ville, en 1858, vend pour 42 000 francs un terrain destiné à l'agrandissement des prairies du haras d'étude. Elle procède également à des travaux sur le Chardonnet, notamment en 1853-1854, où elle rehausse et assainit le terrain. Elle installe et remplace une tribune sur la carrière du carrousel.

- Une contribution exceptionnelle. En 1874, le ministre de la Guerre décide d'édifier un nouveau manège présentant de belles proportions architecturales, orné de pilastres et d'arcatures en plein cintre ( c'est aujourd'hui le manège Lasalle ). Le premier devis s'élève à 195 000 francs et, faute d'argent, le ministre de la Guerre demande une contribution de 200 000 francs à la ville, qui a alors beaucoup de peine à reconstruire son collège de Garçons. Le gouvernement de l'Ordre moral sanctionne-t-il une ville ardemment républicaine ? Il faut aussi rappeler que ce genre de contribution n'est pas rare, que la ville d'Angers a payé ses casernes. Le maire Jacques Bury renâcle, si bien qu'une crise sérieuse éclate. Le ministre de la Guerre, le général du Barail, fait du chantage et annonce que la ville d'Angers se dit prête à recevoir l'Ecole de cavalerie, à fournir des terrains et à payer elle-même toutes les constructions nécessaires. Accompagnant Mac-Mahon lors de sa visite du 5 mai 1874, il étudie sur place les avantages et les inconvénients d'un transfert. Finalement, le 18 juillet de cette même année, le Conseil municipal vote une contribution de 100 000 francs & (6). L'Ecole reste à Saumur et le manège, moins ornementé, coûte finalement 150 000 francs.

 Une conclusion s'impose : l'Ecole rapporte des sommes considérables aux commerçants, aux artisans et aux bailleurs de logements ; en contrepartie, elle est plutôt une charge pour le budget de la ville. Les bénéficiaires de sa présence manifestent-ils au moins de la reconnaissance ? Pas vraiment, car ses élèves sont turbulents, parfois franchement déplaisants ; dans de nombreux récits rétrospectifs, ils racontent leur folle jeunesse et leurs équipées nocturnes ( voir dossier 9 ). Entre militaires et civils, on peut tout au plus parler de coexistence pacifique.
    

10) Les militaires retraités

  Les anciens militaires constituent les premiers retraités de la société française. Ils sont nombreux à Saumur au début du XIXe siècle, car beaucoup de jeunes gens s'étaient portés volontaires dans les armées de la Révolution et de l'Empire et car la conscription avait été plutôt bien acceptée. A l'époque de la Restauration, la police se plaint d'avoir à surveiller un nombre élevé d'anciens soldats. En août 1857 est créée la médaille de Sainte-Hélène, destinée à récompenser les anciens soldats, encore vivants, des campagnes de 1792 à 1815 & (7). A Saumur, 99 anciens militaires, d'un âge forcément élevé, l'obtiennent, 135 au total pour l'ensemble de l'agglomération. Comme bien d'autres retraités de l'armée sont venus s'ajouter, ce nombre donne une première idée de l'ampleur des effectifs.
 L'Union saumuroise des Anciens Combattants 1870-1871 s'est aussi montrée active. En outre, d'anciens membres du cadre de l'Ecole prennent leur retraite sur place, habituellement aux environs de 65 ans. Le retraité le plus connu est le général Michel, qui avait été nommé à la tête de de l'Ecole impériale de cavalerie le 28 décembre 1868, puis avait commandé une brigade de cuirassiers à Morsbronn et ensuite dans la première armée de la Loire. Devenu inspecteur général de la cavalerie, il avait pris sa retraite en 1882 et s'était installé rue de Bordeaux, où il fréquentait les généraux de brigade de Bouligny et Delorme ê (8).
 Faute de statistiques utilisables, il faut se contenter d'affirmer que les militaires retraités sont nombreux et jouent un certain rôle. D'anciens sous-officiers sont moniteurs dans les sociétés sportives. D'anciens officiers se lancent dans la vie politique ; Louis Anis, un officier qui avait démissionné par refus des inventaires et qui s'était installé comme avocat, et Léon Rolle, un ancien capitaine de l'Ecole de cavalerie, sont tous deux candidats sur la liste conservatrice dans le quartier des Ponts, sans être élus. Pendant la période de l'Occupation, le chef d'escadrons Gaston Agnus, ancien capitaine chargé du matériel à l'Ecole, nommé premier adjoint, se montre un partisan actif de la collaboration.

 

LES MILITAIRES ET LA CULTURE

    

11) La religion des militaires

  Les convictions religieuses des militaires sont encore plus dissimulées que leurs opinions politiques, c'est là un sujet tabou dans les conversations. Pendant la période concordataire, ces derniers exécutent les obligations du culte officiel établi, ils assistent à la messe militaire, le dimanche à midi, en l'église Saint-Nicolas, ainsi qu'aux cérémonies religieuses officielles en mémoire des disparus. Ces manifestations font partie du service ( quelques rares protestants obtiennent des dispenses ) ; cependant, elles vont en déclinant au cours du siècle ; on ne chante plus de Te Deum ; Madame Dondel du Faouëdic regrette qu'on ne bénisse plus les drapeaux. Sous le Second Empire encore, le général de Rochefort participe aux processions de la Fête-Dieu ; après lui, la vie militaire va en se laïcisant. L'aumônier de l'Ecole, malgré son rang de capitaine et inspecteur de la bibliothèque, est très discret ; il ne dispose pas de chapelle ; on ne parle guère de lui, sauf pour en sourire : les anciens font croire aux nouveaux venus qu'il monte en amazone.
 Derrière cette religion officielle et formelle, quelle est la part des convictions personnelles ? Quelques officiers sont étiquetés comme cléricaux, certains manifestent une grande piété, d'autres, après la loi de Séparation, assistent à la messe en uniforme ; quelques jeunes officiers participent à l'animation du patronage Notre-Dame du Fort. Les cas cités sont relativement peu nombreux et c'est tout ce que nous avons trouvé. Faute de renseignements locaux, il faut se référer à l'étude générale de William Serman sur Les officiers français dans la nation ; ce dernier estime qu'à la façon des hommes du temps, les officiers dans leur ensemble ont peu de sentiments religieux.
   

 12) La pratique du dessin

 

  Dossier 10 : Charles Aubry

  Vus rétrospectivement, nos stagiaires de l'Ecole n'apparaissent pas comme des intellectuels ; à la lecture, ils préfèrent les exercices sportifs et la chasse. Ils s'intéressent cependant beaucoup au dessin. Cette pratique est obligatoire, car elle permet de dresser des croquis renseignés et oblige à une observation minutieuse des chevaux. En 1825, lors de la mise en place de l'Ecole, est nommé comme professeur de dessin, Charles Aubry, un important artiste local qui mérite quelques développements ( dossier 10 ).
 De nombreux militaires dessinent des paysages ou des scènes de genre, notamment F. Lavoye et H. Walter, les sous-officiers Bulté et Lemareschel ; Georges Gasser, appartenant une lignée de militaires, représente, sous le Second Empire, des scènes historiques et contemporaines. A la même époque, Jean Marchand-Dubois d'Hault, dit Jehan Marchant, enseigne le dessin à l'Ecole de cavalerie et produit une abondante série de lithographies représentant des paysages de Saumur, des étapes du carrousel, des courses au Breil ou des déguisements de bals masqués. Son collègue, Hubert Clerget, professeur de dessin à l'Ecole d'Etat-Major de Paris, donne également d'intéressantes vues de Saumur. A la fin du siècle, Georges Laloy trace des croquis de la ville et de ses environs.
 Les instructeurs sont l'objet de caricatures amusantes ; d'abondantes séries de dessins humoristiques sont éditées en cartes postales, certaines décrivant la vie de l'Ecole, d'autres évoquant les bûches. Ces dessins sont codés et pour nous difficiles à interpréter. Ils utilisent parfois la technique des ombres chinoises. Parmi les signatures : " C.G. ", " Barthélemy ", " G.D. " ( en 1919 ), ou bien " Petit ", dans cette série peu connue :

Signé Petit   Signé Petit
        

 13) Le goût de l'histoire

 

 

 

 Dossier 11 : Les officiers et l'histoire locale

  En permanence, l'armée entretient le culte du souvenir et des faits d'armes, ce qui peut déboucher sur de l'histoire. Le point culminant de cette exaltation du passé se situe dans les années 1877-1880, lorsque le général l'Hotte attribue à tous les lieux de l'Ecole un nom de général ou de bataille et fait poser de grandes plaques de marbre rappelant les gloires de la cavalerie.
 Deuxième date : 1889, année où Louis Picard, alors capitaine, publie chez Milon fils un monumental livre officieux en deux volumes donnant des dimensions mythiques au passé de l'établissement, Origines de l'Ecole de Cavalerie et de ses traditions équestres.
 Troisième date : 1912, année où est ouvert au château le musée du Cheval, un projet ambitieux lancé par le vétérinaire-major Joly, qui se propose de retracer la place du cheval dans l'histoire des civilisations & (9).
 Enfin, dans les recherches sur l'histoire locale, des officiers retraités ont joué un rôle de premier plan, qu'il convient de retracer.

 

   L'INFANTERIE   

       

 14) L'infanterie au château

   Après la fermeture de la prison d'Etat, le château est reconverti en 1817 en un gigantesque entrepôt d'armement : 30 000 fusils y sont stockés, ainsi qu'une quantité considérable de fers à cheval. Sous le Second Empire, des canons sont entassés dans la cour inférieure. Une nouvelle poudrière souterraine, conforme aux règles de sécurité, est aménagée à l'arrière du bastion nord ( voir photos dans le dossier consacré au château ).
 Même s'il est de modèle ancien, cet armement doit être gardé militairement. Le chemin de ronde et les ponts-levis sont restaurés. Une compagnie d'infanterie assure une surveillance permanente et des sentinelles sont en faction à chaque angle des bastions. Cette petite troupe d'une centaine d'hommes est logée dans la basse cour, dans des bâtiments flanqués de galeries de bois, qui sont baptisés " caserne Feuquières ", Après 1886, car Coué est installé 57 rue d'Orléansdu nom d'un général né à Saumur, tué au combat en 1640. La vie s'y déroule selon un confort tout spartiate, surtout dans les périodes où deux compagnies sont installées.
 La présence de cette unité militaire répond à une seconde préoccupation. Sous la Restauration, l'Ecole de cavalerie est très turbulente et s'associe aux complots regroupant bonapartistes et jacobins ( voir chapitre 30 ). La garnison du château doit faire contrepoids ; elle a l'ordre, à la moindre alerte, de se barricader derrière ses murailles et de n'ouvrir à personne. Elle est relevée tous les trimestres. Au début, ce sont des éléments de la légion de Vendée qui sont envoyés à Saumur, mais des heurts se produisent avec la population. Des compagnies détachées d'Angers prennent la suite, provenant d'abord du 44e R.I., puis du 135e R.I. A droite, ce sergent du 135e R.I., photographié par Coué après 1886, est vraisemblablement en garnison au château.
 En 1889, l'entrepôt est fermé ; les détachements d'infanterie ne viennent plus qu'épisodiquement à Saumur.
    

 15) Les projets de caserne d'infanterie

  Même si cette garnison n'a jamais pris une grande importance, la ville connaît l'intérêt économique des installations militaires. En outre, l'Ecole de cavalerie souhaite la proximité d'un bataillon d'infanterie ( environ 800 hommes ), avec lequel elle pourrait manoeuvrer, mais qu'elle n'est pas en mesure de loger.
 La ville songe à créer de ses deniers une seconde caserne ; le Conseil municipal en vote le principe le 11 novembre 1890, sans pousser bien avant le projet ( A.M.S., 2 D 4 ). En 1892, la ville jette son dévolu sur le collège Saint-Louis, mis en vente après le décès de Monseigneur Freppel. Elle y installerait, soit une école d'enfants de troupe, soit un bataillon d'infanterie de ligne. Le maire Vinsonneau ne fait pas aboutir cette tentative.
 Trois projets de construction d'une caserne d'infanterie apparaissent dans les archives municipales, en 1895, 1911 et 1919 ê (10). La première ébauche, estimée à 1 500 000 francs est rejetée par le ministère de la Guerre. Les emplacements varient sans cesse : construire un bâtiment neuf dans la cour du château est reconnu comme très critiquable ; une installation dans l'île Millocheau est rejetée pour cause de terrain inondable ; on songe un temps à une construction au bout de la rue des Moulins, au lieu-dit les Châteaux, puis au Clos Bonnet, sur l'emplacement d'abord envisagé pour l'hôpital.
 Ces études sont restées très imprécises. Elles prouvent seulement l'attachement de la ville à une forte présence militaire.