Le premier carrousel ( 20 juin 1828 )

 

1) Références

- G. A. Crapelet, Le pas d'armes de la Bergère, maintenu au tournoi de Tarascon... et la relation du Carrousel exécuté à Saumur en présence de S.A.R. Madame, duchesse de Berry, le 20 juin 1828, Paris, Crapelet, 1828, p. 119-148. Récit communiqué par le marquis Oudinot.

- Compte rendu officieux du Moniteur universel, publié dans L'Anjou historique, t. 40, 1940, p. 116-119.

- Récit romanesque par J.-B. Coulon, Epoques saumuroises, Saumur, Javaud, 1844, p. 378-388.

- A.M.S., 3 K 2, les préparatifs de la ville.

- B.N.F., Lc 11/932, Affiches, annonces et avis divers de Saumur ( Maine-et-Loire ), 3 ème année, 1828.

- P.-A. Savette, Tournois et carrousels, Saumur, chez A. Roland, 1937.

2) La visite de la duchesse de Berry

 En raison de son intransigeance, le régime de Charles X est de plus en plus contesté, même dans le camp des légitimistes. Marie-Caroline, duchesse de Berry, veuve du duc assassiné et mère d'Henri, l'enfant du miracle, toujours primesautière et souriante, tête et cuisse légères, décide de faire un grand voyage dans l'Ouest, afin de ranimer les fidélités à la couronne.
 Partie en retard de Tours et ayant voulu visiter le château de Langeais, la duchesse, annoncée pour 10 heures, ce vendredi 20 juin 1828, n'est arrivée qu'à 2 h 30, accompagnée depuis Villebernier par le maréchal de camp Oudinot, marquis de Reggio, et par deux escadrons de l'Ecole royale de cavalerie. Elle se rend directement dans ses appartements aménagés dans l'hôtel du Commandement, situé à l'actuel n° 55 du quai Mayaud.
 Depuis l'annonce de sa venue, le 28 mai, les pouvoirs locaux se sont beaucoup démenés, d'autant plus qu'ils sont affaiblis. Le maire, Charles de Charnières, se contente de faire afficher une proclamation pompeuse sur la venue de « l'Auguste Mère du duc de Bordeaux » ( A.M.S., 3 K 2 ).

Partie supérieure de l'affiche du 8 juin 1828, A.M.S., 3 K 2

 Ce sont les deux adjoints, Péron et Jahan, qui organisent les préparatifs. Ils reçoivent des courriers fort aimables du marquis Oudinot, qui signale au passage que sa belle-mère, seconde épouse de son père, la « maréchale-duchesse de Reggio », fait partie du voyage et qu'elle intervient dans les invitations.

Lettre d'Oudinot, 7 juin 1828

 Il n'y a pas de sous-préfet, le précédent ayant été promu et son successeur pas encore installé. Noël-Henry Mayaud, conseiller d'arrondissement délégué, assure la suppléance et c'est le préfet de la Vienne qui représente l'Etat auprès de la duchesse.
 Les notables de la ville ont prêté des meubles précieux, des candélabres et des tapis, afin de rehausser le décor de l'hôtel du Commandement. La duchesse y reçoit les autorités locales et vingt demoiselles, qui lui offrent cinq corbeilles contenant les produits du sol et de l'industrie du pays, accompagnés de vers, franchement fadasses, et d'un discours également en vers.
 Après un déjeuner, elle se rend vers le Chardonnet par le quai et la rue Saint-Nicolas. Sur ce trajet, les frères Pineau ont installé une série de réverbères. A 4 heures, elle est accueillie par l'Ecole de cavalerie rassemblée sur le Champ de Mars. Le commandant lui présente ses officiers et la conduit ensuite dans un petit salon « élégamment décoré et dont le balcon donne sur le manège découvert » C'est de là qu'elle assiste au carrousel donné en son honneur.

3) Le premier carrousel

  Les anciens tournois se caractérisaient par des chocs violents entre des cavaliers lourdement armés. Ils sont proscrits au lendemain des morts accidentelles d'Henri II en 1559 et d'Henri de Bourbon en 1560. Les carrousels leur succèdent, venus de l'Italie de la Renaissance, y compris le mot qui les désigne. Ces parades équestres, aux figures réglementées, sont données par la Cour, notamment à Paris en 1662, à Versailles en 1664 et 1685, mais elles se raréfient au XVIIIe siècle.
 Dans le compte rendu qu'il inspire, le maréchal de camp Oudinot s'attribue l'initiative du carrousel : « cette Ecole a jugé l'occasion favorable de remettre en vigueur un genre d'exercice institué en l'honneur des Dames, mais oublié depuis trop long-temps, quoique bien propre cependant à former de bons et d'adroits cavaliers » ( p. 129 ). Tout est soigneusement préparé et répété. C'est par une formulation rhétorique que le carrousel est présenté comme un voeu des élèves et comme une sorte d'improvisation. Toutefois, le cahier d'ordres de l'Ecole n'annonçait qu'une garde d'honneur. L'exercice est ainsi présenté comme un hommage chevaleresque à la personne de la duchesse, soit un lien d'honneur plus fort que la simple obéissance à la monarchie. Les textes le répètent à l'envi en langage troubadour. Le professeur de dessin Charles Aubry presse devant la visiteuse une lithographie représentant « un groupe de tenans du carrousel qui saluent de la lance le buste de la Duchesse ».

Ch. Aubry, le salut au buste de la duchesse de Berry

 L'estampe représente également l'anneau offert à Son Altesse Royale, accompagné par un quatrain :

« Vous qui cherchez à briller dans ces jeux,
Songez au prix que le sort vous destine ;
En peut-il être un plus doux à vos yeux
     Qu'un sourire de CAROLINE ? »

 Sur les évolutions elles-mêmes, les récits ampoulés ne sont guère explicites. Tous évoquent les arabesques, les courses, les exercices d'adresse, les lancers de javelots, évolutions dirigées par Jean-Baptiste Cordier, « écuyer-commandant ». Il n'y a pas eu de reprises des écuyers et des sauteurs. Au total, les participants sont au nombre de 32, répartis en quadrilles organisées selon la robe des montures et en fonction des exercices, soit 2 quadrilles de 16 dirigées par MM. Rousselet et de Chenoise, soit 4 de 8, soit 8 de 4. Selon Coulon, le spectacle s'est terminé par la charge foudroyante d'un escadron accueillie par les tirs nourris d'une compagnie de grenadiers. Le carrousel est accompagné par 200 musiciens et se déroule en présence d'une foule nombreuse, venue de la ville et des environs, au total 15 000 visiteurs, selon le Moniteur universel.
 Tout le monde n'a pu prendre place sur les gradins et, comme la duchesse enthousiasmée souhaite revoir le spectacle, une seconde représentation est organisée le lendemain. La tradition est née ; les comptes rendus parlent parfois de " fête équestre ", de " tournoi ", mais le mot " carrousel ", emprunté à La Guérinière, l'emporte dès 1828.

4) Les activités fébriles de la duchesse

 A l'issue du carrousel, Madame visite l'Ecole, elle préside ensuite un dîner de 40 couverts organisé par la ville sous la halle de la place de la Bilange. Une affiche municipale ( A.M.S., 3 K 2 ) annonce que les badauds pourront être autorisés à circuler autour des tables, par groupes de 50 au maximum, et à la condition d'être correctement habillés.

Affiche sur le dîner, A.M.S., 3 K 2

 Revenue à l'hôtel du Commandement, la duchesse apparaît au balcon et y embrase un dragon, qui transmet sa flamme à un gigantesque feu d'artifice tiré sur la Loire ( coût 465 francs ). Elle repart pour ouvrir le grand bal donné dans les salons du premier étage de l'Ecole de cavalerie, en présence de près de 1 600 invités. Les dames ont revêtu de splendides toilettes. Les Affiches de Saumur annoncent qu'à cette occasion huit coiffeurs venus de Tours se sont installés pour la journée dans les hôtels de l'Oie rouge et de l'Epée royale. La duchesse soupe à une heure après minuit.
 Le lendemain matin, elle visite le château, elle assiste à un second carrousel, installée à la même place. A 11 heures, elle visite le chantier du pont du Duc de Bordeaux, elle rentre pour déjeuner à son palais, avant de prendre la route d'Angers. La vie des grands personnages est harassante, si l'on en croit les récits officiels, manifestement un peu arrangés ( selon d'autres sources, elle n'est pas montée au château ).

5) Dans quelle carrière s'est tenu le premier carrousel ?

 La carrière dite d'Iéna, à l'arrière de l'Ecole, n'a été aménagée que vers 1840. Le carrousel ne pouvait donc pas encore se tenir en ce lieu. Une tradition locale, lancée par l'aventureux Picard ( t. 2, p. 61 ) le place dans la carrière des Ecuyers ( appelée plus tard carrière Marengo et aujourd'hui recouverte par le hangar Bossut ). Les récits de 1828 ne sont pas clairs sur cette localisation. Ils évoquent tous « un vaste espace », que le Moniteur universel décrit comme « un parallélogramme long de 300 pas et bordé de gradins ». Or la carrière des Ecuyers était quatre fois plus courte et entourée de murs ; en raison de ses dimensions réduites, on voit mal comment pourraient s'y entasser, outre les cavaliers, des musiciens, des gradins et une foule nombreuse. On cherche en vain un petit salon donnant sur cette carrière. L'ancien manège des Ecuyers présentait bien un escalier extérieur donnant accès à des tribunes, mais il ne peut guère être qualifié de salon. Examinons cette lithographie tracée par Charles Aubry, témoin oculaire, et figurant les tenants du carrousel offrant une bague à la duchesse de Berry :

Charles Aubry, Les tenants du carrousel offrant une bague à la duchesse de Berry 

 Le vaste espace découvert où est tracée la carrière ne peut être que le Chardonnet, vu vers l'ouest. Au fond, on devine les écuries de la Moskova et les écuries privées. A gauche, surmontant la tribune où trônent ses dames d'honneur, la duchesse de Berry apparaît à un petit balcon plus difficile à identifier. Je pense qu'il s'agit du pavillon, en légère avancée, des écuries du Manège, tout récemment construites. Il y a bien des petites pièces au premier étage et certains plans originaux prévoyaient un balcon ( qu'on voit sur les anciennes cartes postales et qui a aujourd'hui disparu ).
 La carrière attenante au premier manège des Ecuyers ( rarement figuré ) servait bien pour les répétitions du carrousel, comme on le voit sur cette autre lithographie d'Aubry ( Cours d'équitation de Saumur ). Mais il ne s'agit pas alors des représentations solennelles en présence d'un nombreux public.

Ch. Aubry, cours d'équitation de Saumur