1) Des souvenirs de jeunesse
De nombreux auteurs retracent leur séjour à l'Ecole de cavalerie, par le récit ou par des dessins, parfois à un âge avancé et toujours avec un accent de nostalgie pour leur folle jeunesse.
- Arthur X [ des Varannes ] et Gustave W, Voyage en Touraine - 24 heures d'arrêt à Saumur, recueil de caricatures lithographiées sur l'équitation et l'hippologie, exaltation patriotique des années 1868-1869, marquée par la pancarte " route de Berlin " ( B.N.F., Estampes, Tf 502 (6) ).
- Louis d'Or ( Louis-Auguste
Picard ), Souvenirs de Saumur, Milon fils, 1881.
Officier-élève à Saumur en 1874-1875, puis
professeur à partir de 1879, Picard reprend quelques détails
dans Gaîtés de Sabre, Milon, 1881.
- Jules-Nicolas-Théodore Cahu ( 1854-1928 ), sous-officier-élève en 1879-1880, publie de nombreuses fantaisies militaires sous le pseudonyme de Théo-Critt. Il devient chef de cabinet du général Boulanger, quitte l'armée et écrit une masse de livres habituellement légers ( " Les loisirs d'un hussard ", " Celles qui se prêtent " ). Il publie une première édition de " Nos farces à Saumur " chez Ollendorff en 1882, avec des petites vignettes lithographiées de O'Bry. Après plusieurs rééditions, il en donne une nouvelle version, nettement augmentée et illustrée par dix artistes célèbres : Théodore Cahu, Théo-Critt à Saumur, Paris, E. Dentu, 1889. Ne craignant pas de se recopier, il évoque aussi ses séjours à Saumur dans : Théo-Critt, Journal d'un officier malgré lui, Georges Hurtrel, 1887. On trouve de nombreux détails utiles dans ces ouvrages rapides et superficiels, qui tiennent parfois du plagiat ( les pages 132-133 de Théo-Critt à Saumur recopient les p. 18-19 de Louis d'Or. Le copier-coller, souvent pratiqué sur ce site, existait déjà ! ).
- Henri Follavoine est encore plus léger dans ses deux publications : Les Rogneuses, rimes fantaisistes à l'usage des élèves de l'Ecole de cavalerie, Milon fils, 1887 ( B.N.F., 8° Ye.pièce.1723 ) ; Les Ecuyères, silhouettes et croquis saumurois, à la plume et à la cravache, Milon fils, 1888 ( B.N.F., 8° Ye.pièce.1892 ).
- Maxime Weygand parle surtout de l'enseignement et rarement de la vie quotidienne, à propos de ses séjours de 1887 à 1912, Mémoires. Idéal vécu, Flammarion, 1953, p. 17 à 39.
- Général de La Laurencie, « L'Ecole de Saumur », S.L.S.A.S., avril 1935, p. 8-24. Evocation des années 1900.
- Général Durosoy, Saumur. Historique de l'Ecole d'Application de l'Arme Blindée et de la Cavalerie, G.L.D., 1964. Saumur, belle époque, p. 79-86.
- Jean des Cilleuls, « L'Ecole de Cavalerie aux derniers mois de la Belle-Epoque », S.L.S.A.S., 1972, p. 34-40.
2) Les Saumurois vus par les Saumuriens
Ces auteurs opèrent une stricte distinction entre les Saumuriens ( dits aussi Salmuriens ), c'est-à-dire les cadres et les élèves de l'Ecole, et les Saumurois, les bourgeois de la ville. Parmi ces derniers, ils n'estiment guère ceux qu'ils fréquentent, le commissaire de police, quand il fait de la répression, les hôteliers et restaurateurs, qui vendent hors de prix le mousseux et le vin bouché, les commerçants et les fournisseurs, dont les manières obséquieuses cachent des convictions républicaines et qu'ils accusent d'ajouter un zéro à la droite de leurs additions. Le sport favori de quelques écervelés est de décamper de la ville sans régler leurs factures. Les plaintes affluent au cabinet du général, qui, au début du XIXe siècle, se montre indulgent et qui, ensuite, se voit obligé de sévir. Dans les punitions des années 1853-1855, dix sont infligées pour dettes locales ( A. Conraux, p. 661-664 ). Le général adresse systématiquement aux familles les notes impayées, qui atteignent parfois un montant astronomique. Rappelons encore une fois que les soldes sont très modestes : toutes primes comprises, environ 2 000 francs par an pour un sous-lieutenant à la fin du siècle. Cette somme ne permet guère de folies ; en outre, il ne faut ni s'en plaindre ni la mépriser : Charles de Foucauld est sanctionné pour avoir négligé de percevoir ses mensualités. Dans la réalité, les stagiaires qui mènent grand train sont assistés par leurs familles.
Le ton est tout différent
sur les Saumuroises, présentées comme séduisantes
et faciles à séduire, aguicheuses, habillées
à la dernière mode de Paris et admiratives du pantalon
garance. Derrière ces louanges, se cache un fond de mépris
; ces fils de famille attendent qu'elles deviennent leurs maîtresses
ou des filles entretenues, pour les plus riches, ou des concubines,
pour les sous-officiers. En principe, on n'épouse pas ces
« petites alliées », on se contente de
les séduire, souvent à grands frais.
Un seul
mariage fait quelque bruit : l'un des plus beaux partis de
la région, Marie-Augustine Niveleau, héritière
du château de Montreuil-Bellay, de quelques autres gentilhommières
et d'un immense vignoble, avait épousé le baron
Alexandre-Adrien-Pierre Millin de Grandmaison, ancien garde du
corps de Sa Majesté. Le neveu de ce dernier, Georges Millin
de Grandmaison, ancien sous-lieutenant de Saumur, hérite
du domaine, qui devient la base d'une brillante carrière
politique locale. Cependant, ce cas est rarissime. Dans la presse,
les seuls mariages qu'on relève souvent, sont ceux de cavaliers
de manège ou de remonte avec des ouvrières saumuroises.
A l'égard des modestes marchandes de chocolat et de gâteaux qui hantent le Chardonnet, plusieurs dessins " humoristiques " sont d'un goût exécrable.
3) Une coexistence tout juste pacifique
Deux types d'hommes fréquentent
les rues de Saumur, des civils, habillés de couleurs sombres
et quelque peu ventripotents, les militaires, efflanqués
et porteurs de tenues chatoyantes. Sauf pour aller à
la messe après la loi de Séparation, les autorités
militaires imposent le port permanent de l'uniforme, avec sabre
l'après-midi. A ce sujet, Weygand rapporte un épisode
pittoresque ; un officier-élève avait sollicité
l'autorisation de s'habiller en tenue bourgeoise pour se livrer
à la pêche à la ligne ; cette dispense
lui étant refusée, le dimanche suivant, soixante-dix
de ses camarades, en grande tenue, sabre au côté,
s'alignent sur le pont Cessart, équipés de cannes
à pêche, et prennent... des harengs saurs. Imperméables
à tout humour, les cadres de l'Ecole y voient un acte caractérisé
d'indiscipline collective visant à ridiculiser une décision.
Le général commandant le IXe corps d'armée
vient exprès de Tours, afin d'admonester les élèves
et de prendre des sanctions sévères...
Uniformes ou non, les hommes ne se ressemblent guère,
n'ont pas le même genre de vie, les mêmes mentalités
et les mêmes opinions ; ils se côtoient sans
vraiment se fréquenter. Au début du siècle,
ils se retrouvent un temps parmi les Chevaliers de la Liberté ;
vers la fin, on voit quelques militaires au cercle Saint-Hubert
ou dans les sociétés de courses et de chasse. Les
rapports ne deviennent étroits qu'avec les retraités,
qui s'intègrent davantage dans la vie locale. Chacun chez
soi ; à partir de 1873, le mess offre un lieu de convivialité
pour les cadres ; les civils saumurois sont patriotes et,
tout en étant attachés à l'Ecole, ils s'en
tiennent à des rapports professionnels avec les militaires.
Au reste, les relations vont plutôt en se civilisant :
les bagarres, les injures entre jeunes gens, souvent évoqués
vers le début du siècle, sont plus rares vers la
fin.
4) Les expéditions nocturnes
« Nous devenions,
à la nuit tombée, les maîtres de la ville
» ( La Laurencie ). Tous racontent avec délectation
les tours pendables qu'ils ont perpétrés. Les plus
déchaînés sont les sous-lieutenants, qui,
jusqu'alors à Saint-Cyr avaient mené une existence
de pensionnaires strictement encadrés et qui découvrent
la liberté toute nouvelle de sortir jusqu'à onze
heures du soir, les autres catégories d'élèves
ayant déjà un peu vécu.
La nuit venue, des bandes bruyantes d'élèves
parcourent les rues, parfois déguisés. Ils peuvent
aller chahuter au théâtre et se retrouver au poste
de police. Ils manifestent sous les fenêtres des lieutenants
d'instruction mariés, qui doivent apparaître au balcon
en compagnie de leur épouse et leur payer à boire.
Si les portes ne s'ouvrent
pas, ils prennent d'assaut la maison, en passant par le premier
étage ; au cours du procès de La Roncière,
des élèves reconnaissent qu'ils disposent d'échelles
de corde pour leurs escalades ou pour leurs escapades amoureuses.
Ils tirent les sonnettes, ils échangent les enseignes des
magasins ; la plaque de la sage-femme de la rue Courcouronne
se retrouve sur la porte du presbytère de Saint-Nicolas
ou sur celle de la sous-préfecture, la lanterne de la maison
close de la rue du Relais sur les grilles du palais de Justice.
Les télégraphistes s'amusent à provoquer
des décharges électriques.
A ces farces innocentes, quoique un peu répétitives,
s'en ajoutent d'autres de plus mauvais goût. Un élève
brise à coups de revolver les vitres d'un camarade. Tous
les fiacres de la ville sont convoqués devant la demeure
d'un élève mis aux arrêts ; un corbillard
est envoyé à l'adresse de bourgeois protestataires.
Une promotion a décrété qu'une maison en
construction sur la rue Beaurepaire ne devrait pas dépasser
la hauteur d'un mètre ; chaque nuit, des élèves
viennent déposer les assises placées durant la journée.
Les cordages de bateaux amarrés sur le port sont tranchés,
si bien que des embarcations dérivent au loin à
vau-l'eau ( plusieurs témoignages ). Un wagon
en correspondance est détaché de son convoi et raccroché
à un autre ; la vingtaine de voyageurs, terrorisés,
n'osent pas récriminer.
Ces jeunes gens adorent
se faire photographier en compagnie de ridicules petits chiens.
A l'inverse, ils ont les chats en horreur ; dressés
dans un esprit de violence, ils leur tordent le cou sans pitié.
Le père Lambourg, propriétaire de l'Hôtel
du Belvédère, s'intéressait plus à
ses figurines en verre filé qu'à ses fourneaux.
En 1855, à l'occasion d'une cavalcade, un officier de l'Ecole
l'accuse de fabriquer ses civets avec les matous du quartier et
compose une " Complainte sur la Saint-Barthélemy
des chats ". Les élèves jettent l'interdit
sur l'établissement et,
par mesure préventive, ils exterminent les minets des environs.
Dans leurs expéditions punitives, les élèves
ont un complice qui est loin d'être jeune. Un ancien militaire
du Second Empire, se proclamant « premier cor de chasse
de Saumur », hante en permanence le Chardonnet. Voelcker
le photographie devant sa toile de fond figurant l'Ecole. Les
élèves le surnomment " la Broussaille "
et ils l'adoptent comme mascotte, ou plutôt comme leur " Ferdinand
Lop ". La Broussaille les accompagne dans leurs équipées
nocturnes et sonne l'hallali quand un chat est aux abois...
Ces jouvenceaux jettent leur gourme ; les autorités militaires gardent un silence complice ( les cadres en ont fait autant quand ils étaient élèves ). Le capitaine de semaine a des mots avec le commissaire de police, quand il vient récupérer ses ouailles au poste ; aucune plainte n'est reçue... Il n'est guère surprenant que bien des Saumurois n'apprécient guère les Saumuriens.