Le temple



 1) A la recherche d'un lieu de culte

 Les premiers réformés de la ville célèbrent d'abord leur culte dans une maison privée se situant au n° 5 de la Montée du Fort ; la salle peut recevoir 130 personnes. Trouvant cet espace inapproprié, ils demandent à la municipalité de leur procurer un lieu adapté à leurs cérémonies. Suivant une suggestion qui lui est adressée le 6 mai 1642 par le sous-préfet Leroy-Beaulieu, le maire ordonne à Joly-Leterme, qu'il a nommé architecte-voyer l'année précédente, de préparer une implantation dans la chapelle Saint-Jean, qui est encore une écurie et un grenier privés et qui serait restaurée dans son état primitif. Il y avait là un énorme chantier à mener. Joly-Leterme n'a pas dû étudier bien avant le projet qu'il réalisera une quinzaine d'années plus tard. En effet, d'une façon habituelle, les réformés répugnent à s'installer dans d'anciens lieux de culte catholiques et, au début du XIXe siècle, ils affichent une préférence pour le style classique ( encore qu'à Angers... ).

 

2) Le choix d'une construction nouvelle

 En tout cas, l'impulsif pasteur Duvivier rejette ce projet et, dès le 24 mai, il écrit au maire de Saumur pour lui demander un terrain, afin d'y élever un nouveau temple. Il a porté son choix vers l'annexe du bureau de bienfaisance, qui avait été installée dans l'ancien tribunal désaffecté et qui est devenue ultérieurement la Crèche Chauvet. L'espace situé à l'arrière avait d'abord été occupé par une douve s'étendant en avant du rempart. Il avait été comblé et transformé en préaux pour les prisonniers. Pour l'heure, l'ancienne prison est fermée et la rue des Payens est prolongée jusqu'à la place de l'Arche-Dorée. Au carrefour avec la rue du Petit-Mail, l'emplacement demandé est devenu un entrepôt de bois pour les pauvres ; il est occupé par un simple appentis.
 Ce lieu présente un triple intérêt. Il est situé près du centre-ville, alors que les anciens temples réformés étaient souvent exilés dans les faubourgs. Il est à une cinquantaine de mètres à l'ouest de l'emplacement du temple édifié par Charlotte Arbaleste, l'épouse de Duplessis-Mornay ( ce temple était de l'autre côté du rempart, au-delà de la tour du Bourg ). Le plus long côté du terrain est strictement orienté vers l'est.
 Le Conseil municipal du 27 mai 1842 concède à la Société évangélique la jouissance du terrain demandé, à la condition que cette dernière reconstruise ailleurs l'appentis abritant le bois. Dans une lettre de remerciement, le pasteur Duvivier se dit également reconnaissant au Conseil d'avoir confié l'exécution des travaux à l'entrepreneur de la ville. Il s'agit certainement de Joly-Leterme, qui agit en qualité d'architecte-voyer et qui n'a pas touché d'honoraires. Les frères Gasnault exécutent les travaux de maçonnerie et Blaise Terrien assure gratuitement la pose de la charpente.

 

3) Un style dorique archaïque

Mur méridional du templeEau-forte illustrant une réédition de Vitruve Les imitations de temples antiques étaient fréquentes au début du XIXe siècle, y compris pour des monuments religieux. L'originalité de Joly-Leterme est d'avoir dressé les plans d'un temple franchement archaïque, aux petites dimensions, rappellant les monuments primitifs des îles grecques. Son oratoire n'est pas ceinturé par des colonnades continues, à la façon des grands temples classiques, qualifiés de périptères. Le mur du naos ( ou de la cella ) est visible sur les deux côtés et à l'arrière ; il est animé par de médiocres pilastres en tuffeau, d'une allure plus Louis-Philippe qu'antique ( à gauche ).

 Joly-Leterme, qui n'a voyagé ni en Italie ni en Grèce, a vraisemblablement pris son plan dans les recueils d'architecture du temps, peut-être dans une des nombreuses rééditions du traité " De l'architecture " de Vitruve ( dont on voit, à droite, une eau-forte souvent reproduite ). Le temple de Saumur se classe dans la catégorie des temples prostyles, qui sont décorés par un portique à colonnes sur un seul côté.

 

 

 

 

Façade du temple de Saumur
 C'est cette dernière partie, très soignée, qui fait l'intérêt du monument. Les quatre colonnes, au bombement peu accentué, sont particulièrement trapues. Leur hauteur fait 5 fois leur diamètre à la base, alors que, dans les normes de Vitruve et dans les grands monuments doriques d'Athènes, elle atteint le coefficient 8. La colonnade et le fronton, peu élevés, fortement charpentés, dégagent une impression de solidité et de force, plus que d'élégance.
 Le décor, réduit aux triglyphes et à quelques disques, est volontairement limité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Les colonnes sont striées par 20 cannelures aux arêtes vives, selon les traditions doriques. Pas de piédestal ni de base ( en bas, à gauche ). Dans leur partie supérieure, un énorme tailloir carré repose sur une puissante échine, seulement décorée à sa base par trois annelets ( en bas, à droite ). Près du sommet des colonnes, trois anglets ou rainures forment un détail inattendu dans ces ornements sobres, mais travaillés.

 

Base d'une colonne     Parties hautes d'une colonne

 


  Toutes ces dispositions appartiennent aux normes de l'ordre dorique dans sa forme primitive, qu'on qualifieD'après Mario Napoli, Paestum, 1970 aussi d'ordre toscan ou d'ordre étrusque.
Délos, le Trésor des Athéniens

 

 

 Joly-Leterme a pu puiser ces données dans un manuel d'architecture. On notera une certaine parenté avec le Trésor des Athéniens à Délos ( à gauche ) ; mêmes proportions, naos aux murs apparents, mais le temple de Saumur présente quatre colonnes en façade. Quelques ressemblances également avec les colonnes du temple de Neptune à Paestum, sans oublier que ces ensembles monumentaux de la Campanie sont entièrement entourés par des colonnades ( à droite ).

 

 

 

 

4) Une décoration minimaliste

 Le temple n'a rien de commun avec les palais de Justice du temps, qui présentent des colonnes de l'ordre corinthien, nettement plus élancées et décorées.

Carte postale, vers 1910

 

 

 


 Archaïque et païen, le temple de Saumur ne se christianise que dans sa partie supérieure, dans son fronton dédié « A la gloire de Dieu, Père, Fils et St Esprit » et dans une grande croix, haute à l'origine de 4 mètres, puis emportée par une tempête et remplacée par une plus petite.

 

 

 

 

 L'intérieur est d'une égale austérité : une grande croix, deux tables de marbre blanc, une chaire ornée de motifs en papier mâché.

Intérieur du temple

    L'éclairage est zénithal, surtout donné par trois verrières aux couleurs vives.

Les verrières au plafond du templeTemple après les bombardements de 1940.  Plan d'urbanisme d'A. Leconte

 

 

 

 

 

 

 

 

Chevet  du temple

 

 

 

 

 

 

 A l'origine, une grande croix lumineuse traversait le chevet ; la voici, au-dessus, à droite, après le bombardement de 1940, qui a totalement détruit une petite sacristie qui se trouvait à l'arrière. Le mur a été comblé.

 

 Les travaux du temple n'ont pas traîné. Dès le jeudi 18 mai 1843, le pasteur Duvivier peut y célébrer un premier culte, où il prononce une profession de foi intitulée " Le Salut par la Grâce ", qu'il fait imprimer à Paris. Il a manifestement brusqué les étapes, alors qu'il n'est pas encore élu par le consistoire d'Orléans et que l'église réformée n'est pas encore reconnue par le gouvernement.

 

5) Le paiement des travaux

 Les comptes sont apurés en décembre 1843. Le coût total des travaux s'élève à 30 837 F, selon le sous-préfet, à 37 473 F 48, selon la paroisse protestante. La souscription ouverte auprès des réformés ou des sympathisants a rapporté 12 000 F, qui sont immédiatement versés aux frères Gasnault. Il reste une somme considérable à réunir.
 Le Conseil municipal, sollicité à nouveau, répond le 26 février 1844 qu'il a fourni un terrain d'une valeur de 10 000 F et qu'il ne peut rien ajouter. Duvivier s'adresse au gouvernement : le ministre de la Justice et des Cultes accorde en mai 1844 une subvention de 15 000 F, qui sera versée en trois annuités de 5 000 F, qui transiteront par le budget municipal. Le compte n'y est toujours pas.
 En juillet 1845, le pasteur appelle à l'aide le consistoire d'Orléans. Sans doute jugé trop exalté, il n'en a pas reçu grand chose, car les entrepreneurs se plaignent d'être ruinés. Finalement, le 24 janvier 1848, le Conseil municipal de Saumur vote une nouvelle aide de 4 000 F, mais rejette les demandes de secours postérieures. Au total
Les Tables de la Loi de Dieu, carte postale ancienne, le temple a été aux 2/3 payé par des deniers publics.

 

 

 

6) Les tables de la Loi

 Le premier temple était orné par deux grandes plaques d'ardoise de 2 m de haut sur une largeur totale de 1,50 m, qui portait le texte du Décalogue ou les Tables de la Loi de Dieu, dans le français archaïque de la Bible de Genève. Lorsque la destruction du temple est entreprise, à partir du 20 février 1685, ce texte sacré est sauvegardé et déposé dans l'abbaye de Saint-Florent.
 Quand commence la démolition progressive des bâtiments conventuels, les plaques passent dans la famille de Fabien Cesbron, député, puis sénateur de Maine-et-Loire. Ce dernier, étant aussi conseiller municipal de Varrains, les donne en 1915 à son église paroissiale, où elles sont placées sous le clocher. A la suite de longs échanges entre le pasteur Meteyer et le conseil presbytéral de Saumur, d'un côté, l'abbé Jousset, curé de Varrains, l'évêque d'Angers et le conseil municipal de la commune, d'autre part, les tables sont restituées à l'église protestante en mai 1928. Complétées par une inscription, elles sont scellées à gauche de la porte d'entrée du temple.

 

 

 

 

 

 

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