Robert Amy, un radical-socialiste

 

 Robert Amy n'est pas un théoricien, ses professions de foi électorales, maladroitement rédigées, restent dans le vague. Ses convictions, il faut les rechercher dans son action publique et dans les reproches véhéments de ses adversaires.

1) Un passé socialiste

 Le 11 novembre 1906, est organisée l'élection d'un conseiller municipal dans la première section, élection préalable au choix d'un nouveau maire, à la suite de la démission de Léon Voisine ( voir, La crise municipale de 1904 à 1907 ). Le comité radical et radical-socialiste de Saumur, réuni en assemblée générale, a décidé de ne présenter personne, car il considère le scrutin comme dénué d'intérêt, seule la dissolution du conseil pouvant dénouer la crise. Robert Amy se porte comme candidat sous l'étiquette « socialiste » ( A.D.M.L., 3 M 804 ). Il ironise même sur les radicaux, qu'il présente comme des « incapables » ( Courrier de Saumur, 9 novembre 1906 ). Il obtient 200 voix, soit 29 % des suffrages exprimés, somme toute un résultat honorable dans une section taillée sur mesures pour la droite. Les électeurs radicaux ont voté pour lui ; le Courrier de Saumur le classe alors comme « candidat républicain ». Malgré tout, le « candidat réactionnaire », Ludovic Brunet, négociant en tissus, est largement élu, avec 68 % des suffrages exprimés.
 On n'entend plus parler de Robert Amy au sein du parti socialiste. Peut-être était-il consterné par les débats idéologiques et par les conflits de courants...
Amy franc-maçon Ces choix de jeunesse ont laissé des empreintes. En 1905, la loge " la Persévérance " éclate ; ses membres socialistes partent fonder un nouvel atelier, " la Sociale saumuroise n° 368 ", affiliée à la Grande Loge de France ( voir Historique de la Persévérance ). Robert Amy a été initié dans cette loge, si l'on en croit ces extraits d'annuaires trafiqués par L'Echo saumurois du 27 avril 1932, lorsque le maire se présente aux législatives. Dans la réalité, la Sociale saumuroise n'a plus guère d'activité locale. Elle est devenue " l'Association fraternelle d'Etudes sociales ", relevant de l'obédience de la Grande Loge de France de rite écossais ancien. Elle se réunit parfois au 11 rue Jean-Jaurès et Robert Amy en est le député en 1936. A sa liquidation en 1940, elle est réduite à quatre membres et elle ne possède rien ( A.D.M.L., 12 W 72 ). Robert Amy n'est donc pas affilié à la Persévérance ; il en est toutefois proche ( son premier adjoint Edmond Apparu y est vénérable ) ; après sa troisième élection, la loge le reçoit comme visiteur le 22 octobre 1935 ( A.M.S., 33 Z 29 ).
 Robert Amy entretient toujours de bonnes relations avec les socialistes. En 1925, quand il commence sa campagne électorale, il organise une conférence sur J. Jaurès et A. France dans la salle de l'U.A.S. Selon l'Echo saumurois du 14 janvier 1925, « le président de la société sportive est une personnalité politique des plus actives..., les conférenciers étaient deux députés socialistes unifiés ».
 Au sein du Conseil municipal, le maire confie fréquemment des tâches de rapporteur aux élus socialistes, à Charles Lenué, en particulier. En mai 1925, quand le Conseil municipal choisit ses 12 grands électeurs pour les sénatoriales, des socialistes et un communiste sont désignés, sans appartenir à l'assemblée ; L'Echo saumurois s'indigne et titre : « Le Soviet en marche ».
 En permanence, Robert Amy apparaît comme un ferme partisan du Bloc des Gauches, puis du Front populaire. Il se situe dans l'aile avancée du parti radical ; il n'y milite que lorsque ce dernier s'allie à la gauche.

 

2) L'animateur sportif

 Entre temps, Robert Amy se dépense en faveur du sport, surtout en faveur du sport populaire et féminin, ainsi que nous l'avons vu dans son portrait. Ses fils font de la gymnastique, du basket, du rugby et du tennis. Ce militantisme n'est pas apolitique, il se proclame laïc, républicain et patriote ( il assure la préparation militaire ). La Fédération des Sociétés Agréées de Gymnastique ( S.A.G. ) regroupe les clubs de la région. Elle remet de belles médailles ornées par l'élégante République du sculpteur Henri Dubois, comme celle-ci récompensant un concours de 1912 :

Médaille décernée à l'occasion d'un concours de gymnastique

 Président de cette organisation, qui regroupe 700 membres, Robert Amy s'y constitue de précieux réseaux.

 

3) Quatre thèmes permanents

- La laïcité est placée en tête du programme. Le jour de sa première élection, le nouveau maire se place « sous l'égide de la République laïque ». Chaque année jusqu'en 1938, un combat rituel secoue le Conseil municipal lors du vote du budget : le maire s'oppose à toute subvention à la Jeanne d'Arc ( à laquelle il reproche d'être confessionnelle et de ne pas participer aux fêtes publiques ), aux enfants indigents des écoles libres, à la Ligue des familles nombreuses ( une association catholique camouflée ) et à la section locale de l'U.N.C. ( qui appelle à voter pour la droite - le conseil ne le suit pas toujours sur ce dernier point ). Le différend, portant sur des sommes minimes, est avant tout une affaire de principes. Il n'est pas poussé plus avant : Robert Amy ne parle pas de revenir sur le rétablissement des processions accordé par Louis Mayaud.

- L'engagement en faveur des écoles publiques et des oeuvres scolaires est total et sera détaillé dans un dossier ( aménagement de deux écoles maternelles, études surveillées gratuites, nouveaux stades, colonies de vacances ).

- La municipalité Amy se veut sociale. Après sa réélection du 17 mai 1929, le maire se montre lyrique : « Nous nous pencherons sur ceux qui peinent et qui souffrent pour leur rendre l'existence moins âpre et moins amère... Vive la République laïque, démocratique et sociale ! ». La municipalité rouvre le fonds de chômage ; elle accorde la gratuité pour les enfants reçus par la crèche Chauvet ; elle favorise l'union locale CGT, en lui accordant l'immeuble Albert au 15 Grande-Rue et en la subventionnant ; elle ne fait rien pour la CGT-U, faute de moyens, dit-elle. Elle lance un programme ambitieux et cohérent de Logements à Bon Marché, qui constitue une nouveauté de taille dans le champ social. A l'égard du personnel municipal, le Conseil décide le 12 février 1927 l'égalité des traitements entre les personnels féminin et masculin ; le 2 juin de la même année, il leur accorde un congé annuel de deux semaines consécutives. En même temps, Robert Amy se révèle un patron exigeant envers le Syndicat des Employés et Ouvriers municipaux, assez revendicatif et ouvertement défendu par les élus socialistes ( c'est un point de friction avec les radicaux ). Les deux architectes-voyers, Jean Hennin et Louis Avisseau, se voient interdire tout travail extérieur au service et ne reçoivent qu'un pourcentage de 1 % sur les réalisations qu'ils dirigent.

- Bien que situées hors de son champ de compétence, les tensions internationales et la guerre d'Espagne entrent dans les préoccupations de la municipalité, qui s'inscrit dans le sillage de la détente initiée par Aristide Briand et qu'on peut placer dans la mouvance du pacifisme.

4) Un maire pugnace

 Robert Amy est décrit par le sous-préfet comme « un homme qui ne manque pas, ni d'habileté, ni d'ambition, ni de l'audace nécessaire pour réussir ». A l'égard de son opposition, il se montre souvent bourru ; après chacune de ses élections, au lieu, comme il est coutumier, d'appeler à l'entente, il verse de l'huile sur les feux mal éteints de la campagne. Le 19 mai 1935, le docteur Constant Petit propose l'élection d'un troisième adjoint pris dans la minorité ( afin d'éviter un adjoint socialiste ) ; R. Amy refuse tout net, « après la rude campagne menée par la réaction contre la République et alors que M. Petit et ses collègues partisans n'ont jamais voté le budget de la ville ». L'Echo saumurois, qui le déteste, le présente comme « sectaire et irascible » ( 27 avril 1929 ).
 En tout cas, il sait coordonner l'action municipale : 12 commissions et sous-commissions préparent les dossiers et prennent des décisions mineures. Quand se profile un objectif nouveau, Robert Amy crée une sous-commission spécialisée, qui se réunit à une forte cadence, le maire participant souvent à ses travaux. Il organise en 1928 des réunions de quartier ; il y déclare que lui et ses adjoints travaillent cinq heures par jour pour la ville, ce qui est vraisemblable, et cela sans la moindre indemnité ( le maire rencontre même des difficultés pour se faire rembourser des déplacements ; je suppose que ses deux fils aînés font marcher l'entreprise ). Le maire est omniprésent ; l'adjoint F. Sausset décède en cours de mandat, il ne se préoccupe pas d'en faire élire un autre.
 Les dossiers avancent plutôt vite. Les études préalables et les travaux des lotissements H.B.M. sont bouclés en deux ans et demi, bien que le maire envoie une lettre de protestation contre les lenteurs ministérielles.
 Il convient d'ajouter que la minorité de droite ne fait pas d'obstruction systématique. A part des réserves sur les budgets, les grandes réalisations de la période sont votées à l'unanimité.