Sources : A. Girouard, « Les "Civils" Saumurois dans la Bataille », articles parus dans Le Petit Courrier du 21 décembre 1940 au 4 février 1941, recueillis par M.-Th. Pessonnier, B.M.S., A br4/254 ; articles parus dans L'Ouest du 7 au 20 décembre 1940, par Pierre Collier, et dans la Dépêche du 29 novembre au 12 décembre 1940, par René Marnot, A.M.S., 8 Z 187 ; A.D.M.L., 56 W 16 et 95 W 36 ; Michel Ancelin, Saumur déchirée. Photos des heures sombres : 1940/1944, 1ère édition, 1990.
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1) Les habitants aux abris
Malgré l'interdiction
du gouvernement, beaucoup de Saumurois avaient quitté la
ville dans les jours précédant les combats, se réfugiant
chez des parents ou chez des connaissances des environs. D'autres
partent à l'aventure au dernier moment ; ils se réfugient
parfois dans les prés de la périphérie ou
tout simplement dans des tranchées creusées dans
les jardins. La famille de Josiane Davout avait quitté
la rue du Petit-Pré en voiture, avait atteint Bagneux,
puis, regrettant ce départ irréfléchi, était
revenue à pied pour s'installer dans sa maison de l'île
du Saule. C'est partout l'affolement. Dans la ville, il reste
surtout des personnes âgées ou des gens dépourvus
de voiture et de bicyclette, ainsi que les fonctionnaires, qui
sont mobilisés sur place. Dans la journée du mardi
18 juin, plusieurs alertes ont été déclenchées
et des habitants ont commencé à rejoindre les abris
des caves.
Dans la nuit, contrairement aux codes de la Défense
passive, aucune alerte par sirène n'a été
donnée, mais, quand ils entendent les formidables explosions
marquant la destruction du pont Napoléon et du pont de
fer, les derniers habitants comprennent que la bataille commence
et qu'il est grand temps de rejoindre des abris. Ils emportent
avec eux de vieux matelas, des couvertures, des chaises pliantes,
du pain et quelques conserves. Les rares résidents du quartier
des Ponts franchissent la Loire pour aller se réfugier
dans les caves du coteau.
A mesure que le bombardement prend de l'ampleur, on comprend
qu'il faut déménager les personnes impotentes. A
la maison de retraite des Ardilliers, les 70 pensionnaires, des
vieilles dames souvent invalides, sont descendues dans la grande
cave ; elles échappent de peu à la destruction
des bâtiments, à l'exception d'un domestique sourd
et muet, qui n'avait rien entendu.
Les toits de l'hôpital mixte portaient une immense
croix rouge, ce qui devait en théorie sanctuariser ces
lieux. Cependant, les artilleurs ennemis ne la voient pas et ils
arrosent le quartier comme le reste de la ville. Dès le
premier jour, les vieillards et les infirmes sont déplacés
dans les caves voisines. L'hôpital militaire, dirigé
par le médecin capitaine Richoux, soigne 138 blessés,
dont un lieutenant aviateur allemand. Dans la matinée du
jeudi et sous les explosions, les blessés sont transférés
dans la cave des Récollets, s'ouvrant sur la rue Pascal.
Cependant, les chirurgiens continuent à opérer et
à accoucher dans leurs locaux privés d'eau et d'électricité.
Le gros de la population trouve donc un asile sûr
dans les grandes caves désignées à l'avance,
mais non aménagées pour un séjour durable.
Des responsables d'abri s'efforcent d'organiser l'installation
des groupes à la maigre lueur de lampes à pétrole.
Des « ravitailleurs » font des sorties pour
aller chercher des vivres dans les boulangeries et à la
succursale de la laiterie d'Avoine.
Les caves de Grenelle, les plus spacieuses, accueillent
2 200 personnes. Très fréquentées aussi
les deux caves superposées de la rue Pascal et de la rue
des Basses-Perrières, la cave du 47 Grande-Rue, où
est installé l'état-major de la Défense passive,
les nombreuses caves du quartier de Fenet, la cave du Presbytère
de la rue Fourier, où le curé Moreau et son frère
Louis, professeur à Saint-Louis, organisent le campement.
Les riverains de la rue Saint-Nicolas préfèrent
ne pas s'éloigner et se retrouvent dans la cave renforcée
de la menuiserie Gelineau au n° 80.
Les habitants sortent des abris dans la matinée du
vendredi 21, quand les bruits de la bataille se sont tus. Ils
ne sont pas au bout de leurs peines. Le procureur Ancelin écrit
le 3 juillet : « Pendant 8 jours, nous avons vécu
sans eau, sans électricité et sans gaz ; obligé
de se disputer pour avoir du pain, la plupart des boulangeries
étant détruites ou abîmées et les boulangers
étant absents. Bien entendu ni téléphone,
ni télégraphe, ni train et sans nouvelle d'aucune
sorte du reste du monde ».
2) Le maintien des services publics
Tout le monde n'est pas
allé aux abris. Certains entêtés sont restés
chez eux, en prenant des risques parfois mortels. Quelques commerçants
sont demeurés chez eux, afin de protéger leur boutique
du pillage.
D'autres restent pas devoir. Des boulangers essaient de
faire du pain tous les jours. Albert Bonneau, chef-machiniste
à l'usine des eaux et affecté spécial, met
en route les moteurs Diesel après la coupure de l'électricité
et, malgré de sérieuses blessures, s'efforce de
remettre en service les pompes endommagées. A la Poste,
le service commence par mettre à l'abri les abondantes
espèces dans la cave des Basses-Perrières ;
ensuite, neuf agents maintiennent les communications, en particulier
vers le 5.84, le PC du colonel Michon ; des techniciens parcourent
les rues pour réparer des fils sectionnés ;
finalement, après la destruction du central par un obus,
l'ensemble du personnel se réfugie dans la gendarmerie
abandonnée. A la Mairie, Alexandre Roux, le secrétaire
général, assisté par le concierge, s'affaire
avec une camionnette de la ville à transporter les morts
et les blessés vers l'hôpital. Un médecin
et une infirmière bénévole procèdent
à un accouchement.
En ces temps-là, la dévotion connaît
un renouveau. Une jeune fille se précipite dans la chapelle
des Ardilliers en feu et en retire la statue de la Piétà.
Aux aurores du mercredi 19, le curé de la Visitation célèbre
sa messe, comme si de rien n'était, en présence
d'une unique paroissienne ; il en est arrivé au Gloria,
quand un obus explose sur la chapelle de la Vierge et que des
blocs de tuffeau roulent jusqu'à ses pieds ; sa paroissienne
voit ses lunettes s'envoler ; il s'enfuit vers le sud, traverse
le pont Cessart, sans tenir compte des grands gestes que lui font
les défenseurs de la ville, et il se réfugie à
la maison de santé de Bagneux.
3) La pluie d'obus
Les tirs de l'artillerie
allemande débutent très tôt le mercredi 19
et se poursuivent pendant toute la journée avec de rares
accalmies. Ils redoublent à l'aube du lendemain pour préparer
l'attaque, ils se renforcent alors sur la zone de Beaulieu, du
Petit Puy et de la ferme d'Aunis, mais touchent encore sporadiquement
la ville, surtout dans sa partie orientale. Une batterie, vraisemblablement
installée à la Croix Verte prend la percée
centrale en enfilade et en rend la traversée fort périlleuse.
Les obus sont de faible calibre et leur effet de souffle est limité.
Cependant, des obus incendiaires sont plus redoutables et causent
d'énormes ravages. Les 16 sapeurs-pompiers de la ville
sont inopérants : ils ne peuvent accéder dans
l'île par suite de la coupure du pont ; même
dans la partie sud, le service d'eau n'a plus aucune pression
et ils ne disposent pas de citernes. Il n'y a pas grand monde
pour lutter contre les incendies, qui s'étendent parfois
aux maisons voisines ; les secouristes s'efforcent de retirer
les objets précieux et laissent les maisons se consumer.
Les zones touchées par un incendie sont complètement
détruites, alors qu'ailleurs les obus endommagent surtout
les toits et l'étage supérieur des immeubles. Ponctuellement,
des avions allemands complètent les ravages par des mitraillages
et par le lâchage de quelques bombes, en particulier dans
le quartier de la gare de l'Etat. Au moins, ces actions s'expliquent-elles
assez facilement.
A l'inverse, on ne trouve aucune logique militaire dans
les destructions opérées par l'artillerie, pas de
cibles stratégiques, pas d'indices de tirs d'encagement,
de la terreur pure, de simples actions de représailles.
D'après les témoins oculaires, environ 2 000
obus sont tombés sur la ville et ses environs immédiats.
Le quartier des Ponts
Situé
aux avant-postes, le quartier des Ponts est de loin le plus endommagé.
En dépit de leur médiocre qualité, car ils
sont tirés au format 6x9, les clichés suivants en
attestent.
Cette photo a été prise par un soldat allemand à partir du milieu du pont Cessart, dans les jours qui suivent la prise de la ville. Tout est désert.
Les Saumurois, bons badauds, viennent voir l'état des lieux dans les premiers jours de l'Occupation, alors que les gravats encombrent toujours les trottoirs. Ci-dessous, l'entrée de la rue Nationale, ravagée par les obus et par les incendies ; à droite, le bel immeuble du XVIIIe siècle, hôtel du commandement en 1834, devenu la quincaillerie Lelogeais. Plus loin, sur la rue alors étroite, on aperçoit les trous béants des maisons détruites.
L'immeuble Lelogeais était prolongé vers la droite par l'hôtel du général du Peyrat. Cet élégant front de Loire est déclaré irréparable et est nivelé pendant la guerre. Je suppose que la photo de droite a été prise au début de la destruction de cet imposant immeuble.
Ci-dessous, l'entrée gauche de la rue Nationale, dans les premiers jours de l'Occupation. Les trottoirs sont désormais dégagés, des soldats allemands se pavanent devant les ruines. Le spectacle est toujours aussi désolant, de nouveaux pans de murs se sont effondrés.
Toujours sur la partie gauche de la rue Nationale, à l'angle de la rue Jules-Ferry, les établissements Goblet, une importante épicerie en gros, sont ravagés, encore qu'une sorte de belvédère ( au-dessus, à droite ) soit resté debout, mais à l'arrière, les vastes entrepôts sont anéantis.
C'est là que l'incendie
a commencé sur des bidons d'essence ; il s'est propagé
aux maisons voisines et a menacé l'usine à gaz.
Plus loin, a été victime des obus et du feu le magasin
du photographe Jean Decker, surmonté par des pans de murs
sur deux étages.
Ensuite vient la maison du docteur Astié, qui avait
été maire, dont les murs paraissent en meilleur
état, mais la photo de droite montre que l'intérieur
est totalement éventré.
Un peu plus loin, à droite, un autre ensemble écroulé correspond à l'ancien numéro 18 ( charcuterie Vincent, électricité Rocques, bureau de tabac, chaussures Daigneau, boucherie Grolleau ).
L'extrémité de la rue Paul-Bert, du côté de la rue Nationale, ne vaut guère mieux :
A proximité, la petite rue du Canon est ravagée par les obus et par le feu. Elle disparaît définitivement. Aucune intervention des pompiers pour limiter les incendies n'est possible à cause de la rupture des ponts. Au contraire, après avoir couvé plusieurs jours, les flammes se réveillent dans le magasin de mode " A la Châtelaine ", qui est détruit avec les maisons voisines :
La partie nord de l'île est curieusement un peu moins touchée, alors que c'est là que se tenaient les défenseurs français. Quelques maisons sont atteintes sur le quai Comte-Lair, les établissements Boret sont endommagés, l'hôtel du Roi-René ( à droite ) est touché de plein fouet par trois tirs, mais il est encore réparable, à la différence des ravages de 1944. La Maison de la Reine de Sicile, dont la restauration s'achevait, est touchée par des projectiles, avec quelques dommages aux toits.
Les Ardilliers et le coteau
Les artilleurs allemands se sont acharnés sur les Ardilliers à coups d'obus incendiaires, qui font de gros ravages ; on n'en comprend pas les raisons, car l'ensemble des locaux n'abritait aucun combattant. Les observateurs d'en face voyaient sûrement l'effet des tirs ; la fureur dévastatrice est manifeste.
Une partie de la voûte de la chapelle s'est effondrée. Cependant, le maître-autel, son retable de Biardeau et Charpentier, ainsi que le pignon élancé sont pratiquement intacts. Très vite bâchés, ils seront protégés.
En arrière, la
rotonde et sa coupole ont résisté ; ce sont
les toits qui ont flambé et qui ont détérioré
les parties hautes des édifices, comme on peut le constater
sur les photos suivantes.
Remarquer aussi la travée du pont de fer cisaillée
par l'explosion du 19 juin, vers 3 heures.
La dernière photo, prise
en 1941, représente la Maison de l'Oratoire sommairement
étayée et la coupole de la rotonde protégée
par des planches.
Tout près, le Jagueneau
reçoit deux obus, mais est réparable ( il sera totalement
écrasé sous les bombes en juin 1944 ).
Sur le coteau, la pluie de projectiles est un peu moins dense, mais de nombreuses maisons sont touchées. Ci-dessous, la villa de la Charte, construite sur l'emplacement du moulin de ce nom, est gravement atteinte.
Le château a constitué une cible de choix ; alors qu'il n'abrite aucun combattant, il est atteint par une centaine d'obus, dont une vingtaine n'a pas éclaté ( selon Henri Enguehard ). Les murs des grandes salles du musée municipal sont percés ; plusieurs tableaux sont détruits par l'effet de souffle des explosions ; quarante autres, seulement endommagés, seront restaurés par les soins de l'artiste local Georges Pichard. La "Carmagnole" de Richefeu danse au milieu des gravats. Le musée du Cheval, situé sous les toits, subit des pertes encore plus importantes, par l'effet des obus, par les intempéries des jours suivants, par les vols dans ses collections et par la stupéfiante incurie des gardiens.
Les quais
Les quais sont balayés par les tirs ; le théâtre reçoit trois obus et son plafond est à reconstruire. L'Hôtel de Ville est touché à deux reprises. Sur la photo de gauche prise par un soldat allemand le 22 juin 1940, apparaissent les coups portés sur la façade. Des éclats restaient visibles du côté de la rue Bonnemère jusqu'à une restauration récente.
Le quartier de Nantilly
A part la gare de l'Etat
et le central téléphonique qui pourraient expliquer
une relative concentration des tirs, le quartier de Nantilly ne
constituait en rien un objectif militaire. Il est cependant durement
touché. La zone entourant la rue du Petit-Mail est ravagée
par les incendies.
Cette médiocre photo, prise sans doute le 21 juin
dans la rue Duruy, devant le Collège, témoigne de
l'épaisse fumée et des gerbes d'étincelles.
Des gens avec une charrette à bras et une échelle
s'efforcent d'intervenir.
L'école de Filles de la rue du Prêche ne présente plus que les vestiges de ses élégantes arcatures. Jugée irréparable, elle a été remplacée par un parking. Le temple protestant est également endommagé ; la petite sacristie située à l'arrière est détruite.
L'autre côté
de la rue du Petit-Mail, entre l'Arche-Dorée et la rue
des Basses-Perrières, est ravagé par un incendie
qui de proche en proche s'est communiqué à toutes
les maisons. L'ensemble n'a pas été reconstruit.
Non loin, la percée centrale, prise par des tirs
en enfilade, a connu quelques dégâts. Le cinéma
" l'Anjou ", alors en cours de construction,
est endommagé.
Ci-dessous, une vue d'ensemble de l'îlot situé entre la rue Hoche, l'avenue de Cholet, la gare de l'Etat et l'impasse du Mouton, zone anéantie par une attaque de l'aviation lançant des bombes incendiaires :
5) Un lourd bilan
Finalement, huit civils
habitant Saumur ont trouvé la mort au cours du bombardement
ou des suites de leurs blessures ; la liste en est dressée
( A.M.S., 5 H 36 ) ; je crois qu'il faut en
ajouter deux autres, une habitante de Bagneux et une réfugiée
parisienne.
Les dégâts matériels sont colossaux ;
1 098 demandes d'indemnisation sont déposées
à la mairie, parfois pour des dommages mineurs ; en tout
cas, 800 foyers sont frappés, dont 450, qui ont tout perdu,
maison, mobilier et objets courants, ont besoin d'un secours immédiat.
Nous reviendrons plus loin sur les aides publiques et sur les
premiers travaux de réparations. En 1945-1947, 428 foyers,
dont le logement est déclaré irréparable,
touchent un premier acompte au titre des dommages de guerre ( A.M.S.,
5 H 20 ).
Tous les monuments publics sont plus ou moins gravement
atteints, à l'exception des deux gares. L'église
N.D. de Nantilly est la seule intacte. En plus de la chapelle
des Ardilliers, totalement ravagée, l'église de
la Visitation est mutilée et fissurée, tous ses
vitraux sont détruits ; à Saint-Nicolas, des
verrières sont anéanties ; à Saint-Pierre,
deux obus ont traversé la flèche sur sa base polygonale,
sans la faire tomber.
6) L'entrée des Allemands
Furieuses contre une ville
qui leur a résisté et redoutant la présence
de francs-tireurs, les troupes allemandes se montrent nerveuses
et brutales ; elles tirent sur les voitures qui ne leur obéissent
pas ; elles parcourent les rues en lançant des grenades
dans les maisons suspectes.
Dans les jours suivants, de longs convois de militaires
traversent la ville, après avoir fait un détour
par le pont de Port-Boulet et par Chinon ; des requis
de Saumur, portant un brassard blanc, sont placés dans
les carrefours, pris en otage pour prévenir tout incident ;
ce fait relaté par Marnot et Chamard n'est pas cité
par les autres auteurs.
La prise de Saumur s'est donc déroulée dans un climat sanglant. L'intense et hasardeux bombardement de la ville, sans nécessité militaire logique, est un acte de sauvagerie. Les vainqueurs, dans un premier temps, se montrent arrogants et féroces. Cet ensemble de faits va marquer la mentalité des Saumurois. Il peut expliquer pourquoi la collaboration sera si faible et si méprisée, l'hostilité à l'envahisseur aussi vive et aussi constante, à la différence de villes où les troupes ennemies s'installent sans coup férir, à Paris, à Angers, à Cholet, par exemple.
Pendant plusieurs jours,
la ville est à la dérive, beaucoup de maisons abandonnées,
les vitrines des magasins souvent brisées par les explosions.
Le ravitaillement fait défaut ; des gens font la queue
devant la roulante des soldats allemands afin d'obtenir quelques
restes de haricots ou de saucisses ( Davout, p. 42 ).
Dans cette période où les pouvoirs basculent, le
retour à la sauvagerie n'est pas loin. Selon le procureur
Ancelin, témoin oculaire : « des scènes
de pillage déplorables ont été commises,
tant par les Français que par les Allemands, et tous les
immeubles inoccupés, abandonnés par leur propriétaire,
ont été mis à sac et sont encore occupés
par nos vainqueurs... Le centre d'accueil installé au théâtre
municipal a été pillé..., tout avait été
emporté. Il n'est resté ni verres, ni assiettes,
ni plats, ni aliments, en bas de même qu'en haut ;
tout avait été emporté : linge, effets
d'habillement, couvertures, etc... Il est vrai qu'il n'y avait
plus alors à Saumur ni gendarmes, ni agents, les premiers
ayant reçu ordre d'évacuer Saumur et les autres
ayant pris d'eux-mêmes cette prévention avec leur
famille. »
Les hordes teutonnes se
jettent avant tout sur les boissons alcoolisées ;
elles dévalisent notamment la maison Combier ; dans
les cafés, elles boivent le Pernod directement au goulot
et, peu satisfaites du goût, elles cassent les bouteilles.
Le cliché de droite a été pris par une nouvelle
vague d'envahisseurs appartenant à la 11 ème Division
d'infanterie. Ils lèvent leur verre à la victoire,
posant sur le port Cigongne, devant un paysage qui paraît
intact, à part quelques coups visibles au château.
Sur
ce détail d'une petite photo ( à gauche ),
ils entassent dans leurs camions des bouteilles et des caisses
de vin mousseux pris dans les caves de la périphérie.
Selon J. Davout, ils se jettent aussi sur la lingerie féminine
exposée dans les vitrines des magasins. Elisabeth Suaudeau
( p. 56 ) a vu la rue Beaurepaire « envahie
de militaires qui, à coups de bottes et de coupe-choux,
brisaient les vitrines des magasins. Aucune ne leur résistait :
ils volaient bijoux, lunettes, nourriture, vêtements, chaussures
Ferret, n'importe quoi, un vrai pillage ! Ce qui n'avait
pas été cassé le devint. »
Enfin calmés, les
vainqueurs s'installent confortablement, ainsi que le montre le
cliché de droite, pris le 22 juin 1940, sans doute dans
une chambrée de l'Ecole de cavalerie.
La soldatesque allemande n'est pas seule à piller.
Des rôdeurs français prospectent tous les lieux à
l'abandon. Ils vident systématiquement les boutiques aux
devantures béantes, en particulier l'entrepôt des
établissements Goblet. Le magasin des Nouvelles Galeries
est totalement dévalisé le 20 juin ; il déclare
un préjudice total de 300 000 F, lorsque 16 prévenus,
tous Saumurois, sont jugés par le tribunal correctionnel
le 14 septembre. Des pillards s'en prennent aux musées
du château, où ils dérobent des objets et
des pièces d'or. Ils s'introduisent dans l'Ecole de cavalerie ;
quand les E.A.R. en captivité sont ramenés dans
leurs chambrées, ils constatent que leurs affaires personnelles
ont été visitées. Des maraudeurs fouillent
les maisons ravagées de l'île. Par exemple, Jean
Marboutin, 1 rue Basse-Censier, déclare 13 329,87 F
de dommages immobiliers ( qu'il a fait réparer ),
3 000 F environ de dommages mobiliers et 8 000 F
de pertes pour le pillage de sa maison ( A.D.M.L., 97 W 97 ).
L'ampleur de la razzia explique ce surprenant conseil affiché
le 29 juin par le maire et les élus des quartiers nord :
« Aidons les polices allemandes et françaises
contre les pillards de toutes nations... Ne contrarions pas le
contrôle des Chefs Allemands et des Autorités élues
françaises ». Tardivement, la police arrête
quelques maraudeurs, en particulier de Saint-Lambert-des-Levées.
Le Petit Courrier du 16 juillet annonce que des effets
ont été récupérés et que les
victimes sont invitées à venir reconnaître
leurs biens à la gendarmerie. En périphérie,
un train de marchandises abandonné sur une voie de garage
à Vivy est entièrement dévalisé ;
ultérieurement, 91 personnes sont poursuivies pour ce pillage
devant le tribunal correctionnel de Saumur...
Le souvenir cuisant de ces rapines inspire les décisions
prises au lendemain des bombardements de 1944 : du 3 au 17
juin, un détachement de 20 gendarmes et de 4 gradés
est implanté dans la zone ravagée ; il n'est
dissous que lorsque les maisons sont vidées de leurs derniers
effets précieux.