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1) Dans l'espoir du débarquement
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Ignorant les retards dans la préparation de
l'armada américaine et la préférence britannique
pour les opérations en Méditerranée, les
Saumurois avaient espéré un débarquement
dès l'automne 1943. Mieux informés, les chefs de
la Wehrmacht n'avaient guère bougé à l'époque.
Ce n'est qu'à l'hiver 43-44 qu'ils transfèrent
des forces importantes dans l'Ouest de l'Europe. A Saumur, le
renforcement de la pression des troupes d'occupation apparaît
nettement à partir de décembre 43 ( dossier
1 ).
La cohabitation, assez bien organisée jusqu'alors
( voir chapitre
47 ) se détériore en raison du poids de troupes
sans cesse plus nombreuses et plus nerveuses, ainsi que de réquisitions
alourdies, qui se terminent par de véritables scènes
de pillage ( dossier 2 ).
Au début de mai 1944, le préfet régional
Donati reçoit à la mairie les maires de l'arrondissement ;
il se déclare « sceptique quant à l'exécution
d'un débarquement proprement dit, bien que cette possibilité
ne puisse être rejetée a priori » ê (1).
En réalité, tout le monde est convaincu de l'imminence
de l'attaque alliée. Le même Petit Courrier
des 17-18 mai écrit sur sa première page :
« Les préparatifs de l'invasion sont terminés »
; il donne une bonne analyse des nouvelles techniques de débarquement
et il en profite pour recommander l'attitude du maire de Dieppe,
qui avait résisté aux Anglo-Saxons. Les Allemands
sont donc parfaitement informés et l'on comprend qu'ils
préparent l'acheminement rapide de leurs troupes vers
le nouveau front. Seul le lieu est un secret bien gardé.
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2) La pénurie généralisée
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Faute de carburant, faute de charbon, faute de moyens
de transports, les maigres dotations accordées par le
service du Ravitaillement ne sont plus guère honorées.
C'est à partir de mai 44 que tous les rouages de l'économie
se détraquent, donc un peu avant le débarquement.
Les industriels n'ont plus le droit de consommer de l'électricité,
à l'exception de ceux qui travaillent pour l'Organisation
Todt. Le courant, avec de nombreuses coupures, est distribué
aux particuliers de 11 h à 13 h et de 19 h à 5
h du matin. Faute d'éclairage au théâtre,
la Fête des Mères est célébrée
sans éclat. Le gaz de ville vient aussi à manquer,
car l'usine ne reçoit plus de charbon. A partir du 23
mai, la distribution cesse totalement ê (2).
Pour beaucoup de foyers, le réchaud est le seul moyen
de cuire les aliments. Le Fourneau économique ouvre alors
des centres chargés de distribuer des repas chauds. Ce service, qui va s'avérer particulièrement
utile au lendemain des grands bombardements, n'est pas gratuit
; il en coûte 4 F pour le repas de légumes et 8
F pour le repas avec viande.
Le moral est au plus bas. Les secours de la religion sont
les bienvenus ; la population de la ville réserve
un accueil
triomphal à Notre-Dame de Boulogne du 21 au 23 avril.
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3) Le réveil brutal d'une cité insouciante
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Les grands bombardements frappant les villes
situées sur la Loire sont parfaitement connus ; le
Petit Courrier les décrit chacun sur trois numéros
et en profite pour traiter d'assassins les Anglo-saxons. En dernier
lieu, le raid sur Angers du 29 mai anéantit le quartier
de la gare. Tout le monde s'accorde à recommander la prudence
aux familles qui habitent à proximité d'une voie
ferrée. Radio-Londres le répète souvent.
A Saumur, le quartier historique est assez bien protégé
par ses galeries dans le roc et par ses caves solides et consolidées.
La Défense
passive s'inquiète à juste titre de la situation
dans l'île, ainsi que dans les quartiers de la Gare et
de la Croix Verte. Elle recommande aux habitants de creuser une
tranchée au fond de leur jardin. Quelques familles le
font.
Au contraire, les exercices d'alerte déclenchés
en 1942 avaient révélé de graves lacunes.
En 1943, la Défense passive se réorganise ;
elle répartit dans les abris des réserves de vivres
et des moyens d'éclairage ; elle continue à
s'équiper en appareils contre les gaz ; elle prévoit
des hôpitaux de repli pour accueillir les blessés ê (3).
Le déclenchement des alertes fonctionne bien, trop
bien peut-être. Les sirènes retentissent dès
l'approche d'un groupe de plus de 10 avions, ce qui devient quasi-quotidien.
Certains Saumurois, épuisés par ces dérangements
nocturnes continuels, restent chez eux ; d'autres en profitent
pour flâner en ville, puisque le couvre-feu est levé
( ils sont verbalisés par la patrouille de police ).
Heureusement, il reste peu d'habitants dans le quartier des Ponts,
ravagé en 1940.
Brutalement, les 1er et 2 juin, les quartiers nord
de la ville sont dévastés par deux raids massifs
et meurtriers à 24 heures d'intervalle, faits que nous
décrivons dans trois épais dossiers.
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4) La difficile coupure du passage sur la Loire
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Ces attaques aériennes doivent être
mises en relation avec le débarquement. Elles ne visent
que très secondairement la gare et la ligne Tours-Nantes,
ainsi que les Saumurois l'avaient cru. Elles ont pour but principal
d'empêcher la remontée de renforts vers le nord,
en coupant l'axe routier au pont des Sept-Voies et en sectionnant
la voie ferrée Paris-Bordeaux à sa jonction avec
l'autre ligne. C'est pourquoi cette zone est intensément
pilonnée.
L'objectif est atteint pour l'axe routier, au moins pour
deux mois. Cependant, les rails sont vite dégagés
et remis en état. La coupure définitive ne peut
être réalisée que par des attaques contre
le pont de fer et le tunnel ( dossier 6 ). D'où,
sept raids spectaculaires et longtemps infructueux. La circulation
ferroviaire n'est définitivement interrompue que le 9
juillet.
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5) Le Saumurois au bord de la guerre civile
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La nouvelle du débarquement fait naître
l'espoir d'une libération très prochaine. Auparavant,
les Saumurois vont connaître bien des épreuves et
bien des déceptions. Les bombardements et les mitraillages
sont quasi quotidiens en juin et en juillet ; certains jours
des alertes sont déclenchées à plusieurs
reprises. Harcelées, les troupes allemandes sont de plus
en plus nerveuses ; le 10 juin, une sentinelle tire de nuit
sur la patrouille de la police française passant par la
passerelle du pont Cessart ( A.D.M.L., 87 W 16 ).
L'approvisionnement devient encore plus difficile, les logements
disponibles sont occupés.
Si encore les habitants étaient unis ( dossier
7 ). En juin-juillet, on ne trouve à Saumur aucune
trace d'un réseau de résistance opérationnel.
La répression policière se renforce ; les
partis collaborationnistes perdent leurs chefs, qui prennent
la fuite, mais les seconds couteaux radicalisent leurs positions
et s'engagent dans des milices armées. L'assassinat politique
d'un collaborateur notoire, survenu à Brézé,
montre que le Saumurois est au bord de la guerre civile.
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6) Juillet 1944, un mois d'attente
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Le Petit Courrier annonce à longueur
de colonnes les sérieux déboires que les Alliés
subiraient en Normandie ; il est vrai qu'ils progressent
lentement. La situation est également stationnaire à
Saumur, où les Allemands restent les maîtres sans
conteste possible. Ils durcissent même leur contrôle
policier et procèdent à de nombreuses arrestations -
au moins quatorze noms cités pour le mois de juillet,
dont ceux de Maurice Déré, directeur de l'hôpital,
de Lucien Méhel et de son épouse, qui vient d'accoucher.
Des faits de résistance sont certains, mais assez mal
connus. La Gestapo n'y regarde pas de si près ; ainsi
elle déporte le policier Moïse Ossant ( qui
a été dénoncé par des collègues
de la police, selon Marnot, et qui décède à
Wilhelmshaven ) ; l'avoué Louis-Joseph Gazeau
( capitaine en 14-18, prisonnier en 40, puis libéré,
vraisemblablement dénoncé par un homme d'affaires
pro-allemand contre lequel il avait plaidé au tribunal,
disparu au camp de Neuengamme ) ; l'étudiante
en médecine Marie Pirson, influencée par Marie
Talet, membre des F.T.P., déportée à Ravensbrück.
La Gestapo, bien épaulée par de nombreux agents
et correspondants français continue à faire régner
la terreur. Les personnes qu'elle arrête sont détenues
la nuit au commissariat de police français.
Par groupes de deux, les gardiens de la paix effectuent
leurs trois rondes nocturnes réglementaires, à
partir de 21 h, de 23 h et de 1 h du matin ê (4).
Le 30 juillet, ils exécutent leur traditionnelle patrouille
commune avec la Feldgendarmerie ( il semble que ce
soit la dernière ). Dans leur ronde nocturne du 1er
août, les agents relèvent des inscriptions à
la peinture toute fraîche : « A bas les
boches », « Vive l'Angleterre »,
« Vive de Gaulle » ; ils trouvent
des papillons jetés place de la Bilange et rue Molière :
« Seuls les Français peuvent sauver la France,
seule la France peut sauver les Français ».
Les Saumurois manifestent davantage d'insolence. Lors des continuelles
réquisitions de main d'oeuvre, un certain absentéisme
est signalé, sans être pour l'instant massif. La
terreur exercée limite tout de même ces manifestations ;
le 14 juillet, aucune gerbe provocatrice n'est posée devant
le monument aux morts, à la différence des années
précédentes ( A.D.M.L., 87 W 16 ).
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7) L'offensive de Patton et le front de la Loire
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Le 31 juillet, le général Patton
réussit la percée d'Avranches et s'enfonce vers
le sud. Rennes est prise le 4 août, Brest atteinte le 6,
Le Mans libéré le 9. En Anjou, une colonne américaine
arrive à Pouancé le 5 août, mais les Allemands
s'accrochent dans Segré ; après quelques combats
sporadiques, Angers est libérée le 10 août,
Baugé le 10 également et Noyant le 11. Les événements
s'accélèrent et à Saumur, on imagine que
l'arrivée des chars américains est une question
d'heures. En réalité, la 3ème armée
américaine fonce plein ouest sur un axe Le Mans-Orléans
( qui est libérée le 17 août, donc bien avant
Saumur ), puis elle remonte vers la Seine, afin d'encercler
les troupes allemandes de Normandie. Elle néglige de franchir
la Loire, alors qu'elle n'aurait fait qu'une seule bouchée
des maigres forces de la Wehrmacht.
Le flanc droit de l'armée américaine est
composé de régiments d'infanterie, qui stationnent
sur l'axe de la grande route Baugé-Noyant-Château-la-Vallière.
Plus au sud, l'occupation du terrain est confiée aux F.F.I.,
qui s'emparent de la zone jusqu'à la Loire, derrière
laquelle les Allemands se retranchent. Il en résulte un
nouveau front de part et d'autre du fleuve.
Dans cette atmosphère fiévreuse, les actions
de résistance se multiplient, impulsées par des
personnes isolées ou par les maquis constitués
dans les forêts entourant Saumur. Avec beaucoup de difficultés,
nous en avons dressé un historique ( dossier 9 ).
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8) Du 11 au 18 août, une première vague
de destructions
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Les événements s'accélèrent
et nous les racontons désormais au jour le jour & (5). Dans la semaine qui
suit l'installation des Américains au nord de la Loire,
les combats sont de faible ampleur, mais le commandement allemand
détruit tous les ponts sur le fleuve, bien au-delà
des strictes nécessités militaires. On peut parler
d'une politique de la terre brûlée. Les mesures
policières sont de plus en plus strictes. Toute la rive
gauche de la Loire doit être évacuée en trois
étapes « (6).
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9) Du 19 au 30 août, la terreur finale
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Les dix derniers jours de l'Occupation sont encore
plus tendus. Ils sont marqués par l'exécution de
11 otages arrêtés dans la cité Saint-Jacques
et par un durcissement de la répression policière.
Le repli allemand n'est pas une déroute et s'accompagne
même d'un soubresaut : le 23 août, une unité
d'artillerie tire sur la Ronde ; cette action attire une
riposte alliée et le 24, Saumur subit son 16 ème
bombardement ( dossier 11 ).
Le départ régulier des troupes allemandes,
habituellement à bicyclette, est accompagné par
une nouvelle vague de destructions, notamment du pont de Saint-Florent
et du pont Fouchard. Après d'autres déprédations,
le mercredi 30 août, vers 1 h 30 « (7), l'arrière-garde
quitte la ville discrètement et nuitamment. L'Occupation
est terminée.
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10) Une libération sans coup férir
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Philippe Buton ( Les lendemains qui déchantent )
distingue trois types de libération :
1 - une libération par les FFI après une insurrection
populaire armée, comme à Paris et à Villeurbanne ;
2 - une libération par les troupes alliées, qui
chassent les occupants ;
3 - une libération par les FFI, après le départ
des Allemands et sans insurrection populaire.
Le Saumurois appartient au troisième type ;
aucun groupe de résistance n'y organise de révolte,
les FFI et les maquisards sont trop faibles pour mener des attaques
d'envergure. Ceux qui attendaient des événements
spectaculaires, de préférence une entrée
des chars américains, s'avouent un peu déçus.
Josiane Davout et Elisabeth Suaudeau l'écrivent en des
formules voisines & (8). Les habitants sont
encore un peu craintifs ce mercredi 30 août.
Le lendemain, la fête prend des aspects spontanés,
éclatants et parfois sauvages. Le 1 er septembre, dans
l'après-midi, est célébrée une fête
officielle selon les codes classiques : dépôt
de gerbe au monument aux Morts, défilé des FFI,
discours depuis le balcon de l'hôtel de Ville...
Après un cauchemar de plus de quatre ans pour
les bons citoyens, après les bombardements meurtriers
de juin 44, après trois semaines de terreur, la ville
peut enfin respirer, se sentir libre et mener une vie normale.
Mais elle a subi de lourdes pertes humaines et matérielles
au cours de cette guerre, qui est loin d'être terminée.
Le chapitre suivant sera consacré
à ce bilan, à l'épuration, aux premières
étapes de la reconstruction et enfin, aux élections
municipales, qui coïncident avec la capitulation de l'Axe.
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