1) Les otages de la Croix Verte
Le samedi 19 août,
vers 16 h 30, une vingtaine de soldats allemands furieux envahissent
les modestes demeures de la cité Saint-Jacques, située
route de Rouen, sur la commune de Saint-Lambert-des-Levées,
tout près de la limite de Saumur. Ils rassemblent les personnes
présentes, des maraîchers sans histoire et sans activité
politique, six hommes, quatre femmes et une petite fille de 9
ans. Les familles sont incomplètes, car une partie des
membres avait été mise à l'abri dans des
métairies des environs. Les Allemands leur adjoignent une
femme de Longué qui passe sur la route ( Augustin
Girouard, Le Charnier de Saumur, A. Roland, 1945 ; Courrier
de l'Ouest, 23 août 1984 ). Ils emmènent
le groupe dans ce qui reste du garage Guillemet, puis, dans la
soirée, sous la garde de deux soldats, les prisonniers
passent la Loire en barque et sont emmenés à la
Feldgendarmerie, où ils sont interrogés.
La jeune fille est libérée et confiée d'abord
à la Croix-Rouge. Le lendemain, dans des conditions mal
connues, les onze adultes sont conduits sur le terrain du Breil,
abattus par des rafales de mitraillettes et enfouis dans une fosse
de DCA.
Les explications les plus diverses ont été
avancées pour rendre compte de ce drame. La version la
plus simple se réfère aux évacuations :
par suite d'un malentendu, les Allemands considéraient
que les zones de la Croix Verte et de la Gare devaient être
abandonnées par leurs habitants ; déjà,
le 17, il avaient voulu exécuter 11 personnes du quartier.
Si cette explication était la bonne, les victimes auraient
été abattues sur place, comme l'ont été
d'autres habitants isolés. En cette affaire, on a un semblant
d'enquête et d'interrogatoire. Certains ont parlé
d'une incursion des FFI de la Ronde, qui se seraient infiltrés
dans le quartier, ou bien d'une attaque isolée contre les
Allemands, qui auraient eu deux morts et un officier blessé.
Aucune preuve solide de ces faits n'a été produite.
Une affaire de réquisitions est aussi évoquée :
les Allemands exigeaient une voiture et deux tonneaux d'eau
potable ;
on leur fournit une auto sans batterie et de l'eau trouble, si
bien que le maire de Saint-Lambert est menacé. Une dénonciation
calomnieuse pourrait aussi être à l'origine de la
répression : un journalier agricole renvoyé
aurait accusé son ancien patron d'avoir étranglé
un cycliste allemand ( enquête de Jean Sorel ).
Egalement, Gilbert Edson,
déjà évoqué, ancien détenu
de Fontevraud, libéré pour passer au service de
la Felgendarmerie, a été vu à plusieurs
reprises dans le quartier ( selon des témoignages
recueillis par le Courrier de l'Ouest du 24 octobre
1945 ).
Cependant, dans le jugement qui condamne ce dernier à 10
ans de travaux forcés, la dénonciation des otages
n'est pas citée ( la Nouvelle République
du 6 juin 1946 ). Nous ne disposons pas de documents locaux qui
permettraient d'aboutir à des explications certaines...
Les familles des victimes
avaient entrepris des recherches pour savoir si les disparus n'étaient
pas déportés en Allemagne. Le 9 mars 1945, des militaires
évoluant sur le terrain du Breil remarquent des restes
humains sortant d'une fosse découverte par suite de la
décrue du fleuve. Le spectacle est atroce ; il faut
au préalable appeler les pompiers pour assécher
les lieux. Des prisonniers de guerre allemands détenus
à l'Ecole de cavalerie sont contraints de dégager
les corps. Une cérémonie grandiose est organisée
en l'honneur des otages, facilement identifiés : messe
en la chapelle de l'hospice présidée par Monseigneur
Costes, cortège funèbre de plus de 10 000 personnes,
emmené par les maires de Saumur et de Saint-Lambert-des-Levées.
Un monument est élevé à proximité
de la cité Saint-Jacques et une stèle à l'emplacement
de la fosse commune. L'avenue des Fusillés rappelle ces
souvenirs.
Par delà cette mémoire, aucune enquête
juridique n'a été diligentée pour rechercher
les responsables de ce crime de guerre. Le droit allemand déclare
ces crimes imprescriptibles ; c'est ainsi qu'un procureur
enquête sur le massacre de Maillé. Peut-être
trouverait-on des explications dans des archives militaires allemandes
qui nous sont inaccessibles.
2) Nouvelles mesures de répression
Les diktats du Kampfkommandant pleuvent sans arrêt. Tous les restaurants de la ville sont fermés, sauf quatre. Le maire doit annoncer que tout attroupement sera sévèrement réprimé ; les derniers habitants sortent le moins possible et en rasant les murs. Ils découvrent avec plaisir que l'escadron Bernard a fait une incursion nocturne dans la ville et a apposé des affiches prévenant de ses futures réquisitions.
3) Le 16 ème bombardement de Saumur
Le major Eckert place
ses derniers canons en arrière du Petit Puy ; ils
opèrent des tirs d'intimidation sur la Ronde et décampent
aussitôt après avoir été repérés.
Les Alliés ripostent le 24 août par un raid de huit
avions Hurricane portant les couleurs canadiennes ; ils arrivent
trop tard pour détruire les pièces d'artillerie ;
apercevant les huit réservoirs enterrés du service
des Eaux, les pilotes les prennent pour des casemates et les pilonnent,
si bien que deux réservoirs sont défoncés
et qu'il faut réduire la distribution d'eau.
Les avions alliés ont une totale maîtrise du
ciel : le 26 août, ils lâchent des tracts en
allemand sur Saint-Hilaire-Saint-Florent ; l'un d'eux, tombé
rue Théophile Vaugouin, est apporté à la
sous-préfecture ( A.D.M.L., 97 W 25 ).
Il explique aux fantassins allemands qu'ils sont sacrifiés,
qu'ils n'ont plus qu'à brandir un drapeau blanc et qu'ils
seront bien traités comme prisonniers de guerre.
Les dernières troupes
allemandes n'ont plus guère de moyens ; leurs canons
sont évacués en premier ; ils manquent de véhicules,
au point de réquisitionner la voiture cellulaire de Fontevraud
et un fourgon des Pompes funèbres. Ils s'emparent dans
les rues des dernières bicyclettes disponibles et le gros
des troupes part en vélo.
Franchement ridicule, leur retraite n'est cependant pas
une déroute, comme l'affirment quelques mémorialistes
décrivant des Allemands traqués par les maquisards.
Un grand réseau de résistance armé aurait
pu faire pression et limiter les vagues d'anéantissement,
mais, ainsi que nous l'avons démontré plus haut,
le réseau V.RAM est légendaire.
Les documents contemporains, les seuls fiables, présentent
une retraite assez structurée. A partir du 15 août,
des convois cyclistes venant de l'ouest, traversent
Saint-Hilaire-Saint-Florent
en direction de Saumur, surtout de nuit ; les derniers passent
dans la soirée du mardi 29 août de 22 h à
22 h 30 ( O. Le Peltier ). Ce même jour, les postes
avancés de la Croix Verte et de la Gare sont abandonnés ;
en partant, les Allemands détruisent le château d'eau
de la gare et quelques installations ferroviaires. Dès
le 24 août, le capitaine Englert vient annoncer son départ
au sous-préfet et la Felgendarmerie libère
l'hôtel Louvet-Mayaud. Le major Eckert et son état-major
s'accrochent dans le château de la Perrière jusqu'au
29. Pas de précipitation, la nouvelle vague de destructions
est effectuée avec méthode.
5) La nouvelle vague de destructions
Le Petit Anjou était le dernier train en circulation et pouvait encore atteindre Doué. Le 22 août, les Allemands le sabotent à son embranchement avec la voie se dirigeant vers Poitiers. Ils font sauter les rails et détruisent la petite station, qu'on appelait pompeusement " la gare de Nantilly " ( à droite ). En complément, ils sabotent aussi le pont sur le Thouet.
Les autres axes sont bloqués dans un ordre logique.
La solide structure en béton du pont de Saint-Florent est
minée le 25 août. Le lendemain, à 20 h 45,
elle est endommagée par une forte explosion. Jugeant les
dégâts insuffisants, les artificiers allemands posent
de nouvelles charges et anéantissent le pont le 27 août,
à 21 h 30.
Les occupants ne se contentent
plus de détruire les ouvrages d'art, ils posent des mines
très dangereuses et souvent meurtrières le long
des routes et dans les principaux carrefours. Leurs ravages poursuivent
un objectif avant tout militaire ; les Allemands ne s'en
prennent pas aux oeuvres commémoratives. Sur le monument
aux morts de l'Ecole de cavalerie, ils laissent intact un bas-relief
figurant le coq gaulois terrassant l'aigle allemand, symbole qu'ils
avaient en permanence sous les yeux.
A Saumur, seul survit le pont Fouchard, qui sert encore
aux communications allemandes. Il est traversé par des
convois de charrettes paysannes transportant des soldats depuis
Cholet et Nantes. Des fourneaux de mines sont creusés les
25 et 26 août par des ouvriers français réquisitionnés
( la Nouvelle République du 30 août 1984 ).
Le 29, vers 23 heures, la mise à feu du dispositif est
déclenchée depuis l'une des dernières maisons
de la rue de Bordeaux. La déflagration est retentissante
et des pierres retombent à plusieurs centaines de mètres.
Dès le lendemain 30 août, Georges Pichard trace l'aquarelle
suivante, où l'on voit les riverains improviser des passages en barque :
0
Le cliché suivant est un peu
plus tardif, puisqu'un bac est apparu :
Les trois arches sont cisaillées avec précision depuis leurs épaulements. Les deux petits pavillons de l'entrée sud ont curieusement survécu ( ils seront détruits lors de la reconstruction ). A remarquer en bas le bac, qui sera remplacé par une passerelle.
6) L'arrière-garde
Ce mardi 29 août,
les troupes allemandes se sont raréfiées. Les patrouilles
de la police française remarquent qu'elles ont déserté
leurs immeubles d'habitation en ville. Curieuse scène bucolique :
dans un jardin situé près de l'Ecole de cavalerie,
une femme employée à l'hôtel de Londres cueille
des haricots verts en compagnie d'un soldat allemand ( A.D.M.L.,
87 W 17 ). D'autres unités ont des activités
moins pacifiques. Elles détruisent le compteur d'eau de
l'Ecole de cavalerie. Elles font sauter le château d'eau
de Bournan. Une équipe s'en prend à l'usine de pompage
des eaux, elle y sabote un moteur diesel, sans faire de gros dégâts.
Un autre groupe s'introduit dans la poste et détruit le
central téléphonique.
Le mercredi 30 août, vers 1 h 30 du matin, les dernières
troupes allemandes abandonnent la ville en prenant la direction
de Montsoreau. Au passage, elles font encore sauter la passerelle
métallique reliant le tunnel au pont de fer. C'est leur
dernier méfait.