Il est fini le temps où les prélèvements des troupes allemandes, constamment lourds, étaient régis par des procédures précises ( voir le dossier sur les réquisitions ). Désormais, les occupants, de plus en plus démunis, se servent parfois sans autre forme de procès, surtout au mois d'août 44. Les services municipaux, comptables méticuleux des biens publics, énumèrent avec effarement les rapines perpétrées ( A.M.S., 5 H 21 ). Les troupes allemandes ont pris les instruments de l'école municipale de musique, les pelles et les pioches de la voirie, à l'hôpital 29 lits et 127 couvertures, etc. Ces méthodes sont indignes d'une armée organisée, mais il n'y a tout de même pas mort d'homme...
1) Les réquisitions de véhicules
Progressives également
sont les réquisitions de véhicules, qui manquent
désormais aux troupes occupantes. Le plus souvent, des
véhicules locaux, avec leur chauffeur, doivent accomplir
des missions fixes pour une durée d'une journée
ou de plusieurs ( A.M.S., 5 H 13 ). Au cours du
dernier mois de l'occupation, les troupes allemandes font main
basse sur le fourgon des Pompes Funèbres de Saumur, sur
la benne de la répurgation et sur le car de police de la
Centrale de Fontevraud. Elles cherchent à s'emparer des
derniers véhicules des gendarmes, mais ces derniers ont
enlevé des pièces essentielles. En février
1944, un sous-officier SS arrête une voiture particulière
passant rue Bodin et s'en empare sans autre forme de procès
( A.D.M.L., 97 W 36 ). De toutes façons,
les Allemands manquent de carburant. En quittant Doué,
les derniers éléments de la division Götz von
Berlichingen restituent 11 voitures qu'ils avaient empruntées
à des particuliers ( A.D.M.L., 97 W 36 ).
Désormais, la traction hippomobile est utilisée
pour les convois lourds et la bicyclette pour les soldats. De
nouvelles présentations de vélos sont organisées
et assez peu productives, car les Saumurois y amènent de
vieilles bécanes hors d'usage. Les occupants trouvent des
méthodes expéditives pour s'approvisionner :
ils s'emparent de 18 bicyclettes déposées au greffe
du tribunal ; le 23 août, ils arrêtent en masse
les cyclistes sur les routes et ils les privent de leur monture.
Au total, un dossier de la Libération énumère
les demandes d'indemnité pour 159 vols de bicyclettes du
fait des troupes allemandes ( A.M.S., 5 H 13 ).
2) Les réquisitions de main d'oeuvre
Rien que de fort banal
dans les rapines précédentes. Les réquisitions
de la main d'oeuvre sont moins bien connues, alors qu'elles atteignent
une réelle ampleur et qu'elles sont préparées
de longue date.
En complément du recensement des jeunes hommes, qui
est opéré en vue du S.T.O., un nouveau recensement
des hommes de 16 à 60 ans est mené à bien
par la mairie en mai 44 ; il dénombre 3 127 cas ( A.D.M.L.,
97 W 42 ). Ce total est illusoire, car ceux qui ont de 16
à 18 ans et de 55 à 60 ans sont classés à
part et en principe exemptés ; les 485 Saumurois qui travaillent
pour des services allemands ne peuvent être requis ; sont
également dispensés 387 inaptes, 30 prêtres,
205 absents, etc. Finalement, au 1er août 44, Saumur peut
fournir une main d'oeuvre disponible de 326 travailleurs de force,
vivier qui permet de répondre immédiatement aux
exigences allemandes par un simple bon de réquisition.
En principe, doivent être recensées les femmes sans
enfants à charge, nées entre le 1er janvier 1899
et le 30 juin 1928 ( le Petit Courrier du 15 mai 1944
). Cette disposition qui choque l'opinion française n'a
pas été mise en pratique.
Un autre plan de grande envergure est évoqué
dans un rapport du sous-préfet au préfet ( A.D.M.L.,
97 W 36, 5 mai 1944 ). Les unités SS ( certainement
la division Götz von Berlichingen ) envisagent de réquisitionner
3 913 chevaux et 3 847 voitures hippomobiles avec leur conducteur
habituel, dans les cantons de Saumur-Sud, Montreuil, Doué
et Gennes. Les charretiers devront se munir de quatre jours de
vivres et risquent de participer à des opérations
de guerre. Toutes les communes concernées dressent de longues
listes de requis éventuels ; Saumur y compte pour
64 chevaux et 76 véhicules. A l'évidence, l'état-major
allemand prépare le transport de la division SS vers le
lieu du débarquement, prévu à quatre journées
de distance ! A ma connaissance, ce plan n'a pas été
mis en pratique, la division disposant de moyens de déplacement.
A l'inverse, les réquisitions pour la mise en défense
de la ville sont bien appliquées, et même à
plusieurs reprises, dans une évidente improvisation. Une
première vague est signalée dans un rapport du sous-préfet
du 22 janvier 1944 ( A.D.M.L., 97 W 41 ) ;
les autorités allemandes réclament au maire de Saumur
125 hommes pour des travaux de terrassement défensif. Le
maire dispose de 45 à 50 travailleurs disponibles ;
ce sont les jeunes gens de la classe 44 qui viennent d'être
recensés et que le directeur du S.T.O. n'enrôle pas
pour l'instant. Pour le complément, le maire demande le
renfort des communes de Bagneux, Saint-Hilaire-Saint-Florent et
Saint-Lambert-des-Levées ( le recensement spécial
n'est pas encore opéré ).
Des entreprises de plus grande ampleur sont lancées
du 12 au 27 mai ; elles concernent toute la région,
en particulier Saint-Just-sur-Dive et Saint-Clément-des-Levées,
où des travaux de nivellement préparent l'implantation
d'un aérodrome. Les agriculteurs des environs doivent venir
avec des outils et des tombereaux ( A.D.M.L., 97 W 46
et Petit Courrier des 20-21 mai ). Au total, environ
600 hommes sont au travail. C'est encore ce nombre de travailleurs
que réclament les Allemands le 30 mai, mais les chantiers
semblent s'arrêter alors.
Perturbés par les images cinématographiques,
nous imaginons volontiers des travailleurs forcés trimant
sous la menace de soldats en armes. En réalité,
ces derniers sont remarquablement absents, ils laissent les Français
se débrouiller entre eux ; ils se contentent de remettre
les plans et un général vient inspecter les travaux,
dont il se déclare satisfait. L'administration de Vichy
obéit aux ordres et les fait appliquer. L'entreprise de
Thouars, Lucchini Frères, assure la direction technique
et financière. Les mairies envoient les convocations ;
à Saumur, les agents de police viennent dresser la liste
des absents, qui peuvent se voir infliger une contravention. Ceux
qui sont malades doivent se présenter quand même
et des médecins sont convoqués sur place pour constater
leur état. L'absentéisme est réel, mais loin
d'être aussi élevé qu'on l'a dit à
la Libération, car, ne l'oublions pas, ces travaux sont
indemnisés à des tarifs honorables. L'ardeur au
travail fait davantage défaut, d'autant plus que l'organisation
semble incohérente.
A partir de convocations peu explicites, il est difficile
de reconstituer le plan de défense ébauché.
Apparaissent un grand retranchement sur l'aérodrome de
Terrefort, des tranchées disséminées le long
des levées périphériques, des fossés
antichars creusés au départ de la route de Varrains
et devant l'établissement Boret, au débouché
du pont Napoléon, des abris pour la DCA au panorama et
le long de la rue des Moulins. En somme, un projet de transformer
la ville en un vaste camp retranché, l'ennemi l'entourant
de tous côtés. Mais ce plan, qui sent un peu l'affolement,
n'est que très faiblement réalisé.
3) Les projets de réquisitions françaises
Ces réquisitions
allemandes, en cours ou en préparation, inquiètent
les autorités françaises, en particulier le service
de la Défense passive, qui élabore une stratégie
pour déblayer la ville en cas de bombardement et pour évacuer
les blessés. Un autre plan de réquisitions est prêt
le 20 avril 1944 : les communes environnantes ont promis
d'envoyer le quart de leurs hommes âgés de 18 à
60 ans ( A.D.M.L., 97 W 46 ). Ainsi Dampierre fournirait
10 travailleurs. Au total, 323 hommes sont en réserve pour
faire face aux conséquences d'un grand bombardement.
Ce printemps 1944 sent la veillée d'armes ; les autorités
allemandes et françaises se préparent activement
aux graves événements de l'été. Nous
verrons plus loin une multitude de travailleurs s'affairer à
déblayer les rues détruites et à procéder
aux réparations urgentes exigées par les occupants.
Ces préparatifs sont-ils à la hauteur de l'enjeu ?
Chez les Allemands, l'énervement et les contrordres trahissent
une désorganisation grandissante. Les autorités
françaises ont été surprises par l'ampleur
des deux bombardements des premiers jours de juin. En outre, les
fonctionnaires de l'Etat et des communes sont débordés
par l'ampleur des tâches exigées et, sentant venir
la fin du régime, ils ne manifestent aucun zèle :
leurs dossiers sont de moins en moins soignés.