Chapitre 53 :

 Derniers mois de guerre et nouvelles structures
( septembre 1944-mai 1945 )

 

  

 La libération ne signifie pas la fin de la guerre, qui se prolonge en Occident pendant huit mois. Notre point terminal correspond à la capitulation de l'Allemagne nazie et, au même moment, aux élections municipales.

 

 

UNE VILLE EN RUINES

           

1) Un bilan catastrophique

  Dossier 1 : Les pertes humaines

 Déjà citées au cours des chapitres précédents, les pertes humaines sont récapitulées dans un dossier de synthèse. Nous aboutissons à un total de 250 morts, surtout des civils.
 Inutile de reprendre ici l'énumération des pertes matérielles. Les destructions des bombardements de juin 40 sont décrites dans Saumur sous les obus ; celles de juin 44 sont étudiées dans le bilan des deux bombardements. La partie centrale de l'île d'Offard, les quartiers de la Gare et de la Croix Verte sont totalement ravagés ; quelques îlots sont touchés au sud de la Loire. A la suite des bombardements de juin 44, 799 familles regroupant 2 222 personnes ont été déclarées sinistrées. Pour l'ensemble de la guerre, le total atteint 3 500 personnes, selon le rapport d'Auguste Courtoison devant le Conseil municipal du 28 septembre 1944. Les autorités s'efforcent de les reloger avec beaucoup de peine, car la ville est à la limite de ses capacités. Les logements occupés par les Allemands sont libres, mais cinq immeubles sont réservés pour les Américains, dont on attend l'arrivée. La ville n'a pu récupérer les 16 baraquements implantés à Fontevraud. Elle en construit des neufs dans le quartier de la Gare, tout en constatant qu'ils ne seront pas achevés pour l'hiver.
 Le bilan alimentaire n'est pas plus brillant. Tous les ponts sont coupés et la ville est isolée. Pendant quelques jours, la situation est dramatique : les habitants des quartiers nord reçoivent des vivres de Saint-Lambert-des-Levées ; le sud dépend des villages de la Cote. Sous le titre " Ville fermée ", le Courrier de l'Ouest du 7 septembre écrit : « seuls des moyens de fortune permettent actuellement de ne pas laisser affamée une cité décidée à vivre et à rayonner à nouveau.
 Les Pouvoirs Publics ont paré sans délai à la déficience des ponts par des bateaux transbordeurs ou des bacs, et déjà sont en préparation des passerelles de franchissement, soit en Loire, soit sur le Thouet ». Malgré ces affirmations optimistes, les services publics se remettent en place assez lentement. Les habitants de la Croix Verte et de Bagneux sont longtemps privés de service d'eau ; ils tirent leur boisson de puits qui sont pollués. Le 5 avril 1945 seulement, le gaz est rétabli dans le centre-ville à l'heure des trois repas.
 Les autorités doivent faire face à une autre urgence : à leur départ, les Allemands ont posé des mines, qui sont nombreuses autour des ponts ou dans les carrefours et qui font de nombreuses victimes. Des artificiers volontaires venus de La Flèche procèdent à l'enlèvement de 536 engins explosifs dans la région de Saumur, dont 210 à la Croix Verte ( rapport du sous-préfet du 24 octobre 1944, A.D.M.L., 97 W 44 ). Encore en janvier suivant, trois démineurs sont tués sur le coup à Méron et plusieurs autres blessés.
   

2) Des privations renforcées

  Comme aux heures les plus noires de l'Occupation, les colonnes des journaux sont remplis d'annonces officielles sur les tickets de rationnement, sur les denrées en cours de distribution, sur les réquisitions. En raison de la coupure de la ville, un bureau annexe du ravitaillement est ouvert à la Croix Verte. Pas de charbon ; du bois a été coupé dans les communes voisines ; la Mairie demande des chauffeurs volontaires pour aller le chercher. Le chauffage fait gravement défaut pendant le rude hiver 44-45. Les prélèvements allemands sont finis, mais les récoltes de 1944 ont été médiocres, si bien que les denrées restent rares. Le Secours national, devenu le Secours social, a beaucoup de misères à assister.
 Le marché noir reprend de plus belle : en mai 1945, un notable de la ville est condamné à une amende pour recel d'essence volée aux Américains. L'été 1947 sera particulièrement difficile, avec des rations au plus bas. Les tickets vont rester en vigueur jusqu'en 1949.
 

DES STRUCTURES MODIFIÉES

  

 3) Les bases politiques : continuité et ruptures

 Dossier 2 :  La restauration de l'Etat républicain

 

 

 

 

 

 

 

 

  Dossier 3 :  Une épuration mesurée

  La guerre n'est pas finie. Le couvre-feu n'est levé que le 14 décembre et les bals restent interdits ( contrairement aux allégations de nombreux films, il n'y a pas de bal de la Libération ). Les structures étatiques reprennent vite leur cours normal, les maquis trop turbulents sont rappelés à l'ordre. Les administrateurs restent à peu près tous en place.
 Deux nouveautés sont surtout à signaler : le Comité de Libération de l'arrondissement de Saumur joue un rôle d'assemblée consultative et de moteur de l'épuration ; il compte dans le paysage politique pendant quatre mois ; l'ancien conseil municipal mis en place par Vichy est déchu et remplacé par la municipalité de Robert Amy et par le conseil élu en 1935, renforcé par six nouveaux membres.
 La presse locale change en apparence. Le Petit Courrier cesse de paraître avec le numéro du samedi 5 août 1944 ; le Courrier de l'Ouest publie sa première édition locale le lundi 4 septembre. La Nouvelle République du Centre-Ouest succède à la Dépêche du Centre à partir du 2 septembre. Les titres se renouvellent, le ton devient résistancialiste ; cependant, les rédactions locales sont inchangées. Paraissant d'abord sur deux pages de petit format, cette presse manque de place et est entravée par la pénurie du papier ; elle apporte d'utiles informations locales, quoique assez rares et peu fouillées.
 La presse et l'opinion publique exprimée réclament une vigoureuse chasse aux collabos. Pour les satisfaire, le comité de Libération et le sous-préfet ordonnent beaucoup de poursuites, ils placent un bon nombre de Saumurois dans des centres de détention administrative ou en assignation à résidence à leur domicile. Ainsi, 117 personnes au moins, de l'agglomération ont été l'objet de poursuites. Les tribunaux se montrent nettement plus circonspects. La cour de justice du département condamne les six principaux collaborationnistes à de lourdes peines ; la chambre civique inflige des années d'indignité nationale et d'interdiction de séjour à huit autres au moins. Quelques autres jugements, prononcés ailleurs ou plus tard, nous sont inconnus. Au final, j'aboutis à un total probable de 18 condamnations, ce qui justifie mon qualificatif " d'épuration mesurée ", d'autant plus que l'administration n'est guère purgée et que l'épuration économique est minimale ( dossier 3 ).
 A partir de mars 1945, la découverte du charnier du Breil, le retour discret des prisonniers et des travailleurs forcés, le retour poignant des déportés survivants relancent l'exaltation patriotique et la dénonciation des crimes nazis. L'hostilité envers les collabos ne retombe pas ; les Saumurois, qui se proclament à peu près tous anciens résistants, et surtout les associations locales, trouvent les tribunaux bien indulgents et restent très exaltés.
   

 4) Les essais de relance économique

  Dossier 4 :  Le prélude à la reconstruction

  Parler de reprise économique serait trop optimiste, car les années 1945-1947 sont marquées par une terrible pénurie. Cependant, les Saumurois se mettent au travail avec enthousiasme dans le cadre nouveau d'une économie dirigée et planifiée ; ils parviennent à aménager des transports provisoires, tous en place en avril 1945. En même temps, ils définissent les principes de la reconstruction à partir du plan d'André Leconte.
   

 5) Vers la reprise de la fonction militaire

  Dans les années 1930, l'Ecole de cavalerie atteint l'apogée de ses effectifs et environ 23 % de la population de la ville, dont elle constitue la principale ressource à cette époque. Cette population militaire reste voyante avec les troupes allemandes, particulièrement oppressantes à partir de l'hiver 43-44. Brusquement, au lendemain de la Libération, la présence de l'armée s'effondre, réduite à une garnison peu fournie, commandée par le colonel François Guibourd de Luzinais, auquel succède le colonel René Préclaire. A ces soldats français, il convient d'ajouter des prisonniers allemands.

 Les Saumurois se préoccupent du retour d'une véritable école de cavalerie et du Cadre noir, pour l'instant installé dans la ville de Fontainebleau sous le titre d'Ecole nationale d'Equitation ( déjà ! ). En septembre 1941, le maréchal Pétain avait promis que l'Ecole reviendrait à Saumur, dès que les circonstances le permettraient. Le Gouvernement provisoire n'est pas engagé par les promesses du précédent régime. Robert Amy harcèle le ministre de la Guerre, qui le reçoit le 10 novembre 1944 et lui confirme le retour de l'Ecole, tout en précisant que ce retour commencerait par des chevaux mécaniques ( A.M.S., 2 H 21 ). S'adressant au Conseil municipal, le maire ne peut avancer de date précise. A partir de janvier suivant, le Centre d'Instruction de l'Arme Blindée s'installe dans les bâtiments ; il est en mesure de présenter un puissant défilé pour les fêtes de la victoire. Finalement, des éléments dispersés du 4 ème Hussards sont regroupés à Saumur le 1 er octobre 1945, comme précurseurs de l'Ecole.
  

 6) Le réveil de la vie politique

 

 

 

  Dossier 5 :  Les élections municipales d'avril-mai 1945

  L'enthousiasme de la Libération et l'espoir de faire naître une société nouvelle donent une impulsion nouvelle à la politique, d'abord sous une forme peu conflictuelle. Les anciens partis reprennent leurs activités, d'abord le PCF, qui organise une réunion publique le 1 er décembre 1944, puis le Parti radical et radical-socialiste, ensuite le Parti socialiste SFIO. Très actif à partir de décembre, le MRP apparaît dans le paysage politique, succédant au petit Parti Démocrate Populaire.
 La vie associative repart avec ardeur ; parmi les créations, l'Union des Femmes Françaises, peu politisée à Saumur, se soucie avant tout des problèmes du ravitaillement. Sitôt rentrés, les déportés, les prisonniers, les travailleurs forcés se constituent en associations, qui très vite s'avèrent conflictuelles. Nous ne reprenons pas ici la présentation de ces querelles.
 Les élections municipales, organisées très tôt, relancent les frictions entre les tendances politiques, en dépit des appels à l'union de Robert Amy. L'entente patriotique n'a pas tenu jusqu'à la fin de la guerre. Nous racontons en détail cette campagne caractéristique qui installe durablement la droite au pouvoir local ( dossier 5 ).

 Nettement battu, Robert Amy quitte la mairie. L'un de ses derniers actes est cette proclamation qui annonce la capitulation allemande ( A.M.S., 5 H 12 ) :

A.M.S., 5 H 12