Les crises majeures de mai 1958 à juin 1968
 

 Comment les crises majeures du milieu du siècle ont-elles été vécues à Saumur ? Il est fructueux de confronter le déroulement parisien des événements avec les réactions locales.

1) Mai 1958, la peur de la guerre civile

 Le 13 mai 1958, des généraux factieux et les partisans de l'Algérie française se révoltent à Alger. Le 15 mai, de Gaulle se déclare prêt à assumer les pouvoirs de la République. Des menaces de parachutages putschistes pèsent sur la métropole.

 A Saumur, on commence à bouger le vendredi 16 mai, au cours d'une réunion organisée par Jean Amy, agissant au nom de la Libre Pensée, et par deux membres du PCF, Jack Blain et René Mahias ( source essentielle, A.D.M.L., 303 W 112 ). Les participants, au nombre d'une vingtaine, fondent un " Comité pour la Défense de la République contre le fascisme ", qui réclame « la dissolution de toutes les ligues factieuses et l'arrestation de leurs responsables » et qui rédige un tract se terminant ainsi : « La République est en danger. Le gouvernement ne doit pas transiger avec les factieux ». Cet appel est signé par l'UL-CGT, la Libre Pensée, le PCF, le SNI, le SNES, l'UFF, l'Union de la Gauche Socialiste, l'Association familiale ouvrière, filiale du Mouvement de Libération du Peuple. Les hospitaliers et les enseignants de la CFTC s'y associent, mais l'union locale de ce syndicat prend ses distances. La CGT-FO reste à l'écart. La SFIO n'a plus de responsable saumurois, mais sa fédération départementale refuse de participer. Le parti radical ne fonctionne plus. Autrement dit, seuls les communistes et quelques organisations très marquées à gauche semblent prêts à se battre. Enfin, le comité appelle à une réunion publique au Théâtre pour le mardi 20 mai.
 Les événements locaux se cristallisent autour de cette manifestation. Des tracts d'orientation contraire sont distribués. Le général de Clerck, commandant l'EAABC, présenté comme légaliste, vient informer le sous-préfet Francis Laborde ( qui semble attentiste ) de l'exaltation de ses subordonnés, en particulier de ceux qui viennent de rentrer d'AFN ; il ne peut garantir qu'ils n'iront pas empêcher par la force la tenue de la réunion. Ils seraient renforcés par de grands élèves du Lycée et de l'Ecole industrielle, en partie originaires d'Afrique du Nord ou fils de militaires.
 En application du décret du 17 mai 1958 sur l'état d'urgence, le préfet Jean Morin ( rallié à de Gaulle ) interdit la réunion publique de Saumur ( alors qu'il autorise celle d'Angers ). Cette décision est connue très tard, si bien qu'à l'heure prévue, aux abords du Théâtre, se tiennent une centaine d'officiers, dont plusieurs officiers supérieurs, et un assez grand nombre de collégiens. Un autre officier du cabinet du général est venu pour les calmer. L'interdiction a empêché de probables échauffourées, dans lesquelles les partisans des factieux auraient eu le dessus. Le Comité de Défense de la République contre le fascisme ne peut que prendre acte de cette décision sans protester, mais souligne la nécessité d'une grève générale en cas de tentative de coup d'Etat.
 Un ordre national de grève est effectivement lancé pour le 30 mai : il est suivi à 90 % dans l'enseignement primaire, mais on ne relève qu'un seul absent au Lycée et quatre seulement à la SNCF, aucun ailleurs. « La population reste indifférente à toute cette propagande et aucune réaction n'est enregistrée », écrit le commissaire de police ( plutôt favorable aux factieux, dans la mesure où l'on peut lire entre les lignes dans une documentation limitée ).

2) Les suites politiques des événements de mai

 La crise passe vite du niveau militaire au plan politique. La loi d'urgence du 17 mai est votée par les députés Angibault, Prisset et Sauvage, qui soutiennent le gouvernement légitime, alors que Victor Châtenay et Jean Turc votent contre. Les négociations entre de Gaulle et les dirigeants de la IVe République s'engagent le 26 mai ; les décisions sont prises au niveau national et il ne se passe plus grand chose en province.

 Quel est l'état des forces en présence à Saumur ?
- Le " Comité pour la Défense de la République contre le fascisme " serait soutenu par une centaine de personnes, aux dires de l'inspecteur des Renseignements généraux. Il manque d'autorité morale, parce qu'il est dominé par le PCF, qui deux ans plus tôt justifiait les répressions soviétiques à Prague et en Pologne.
- Les partisans des révoltés d'Alger sont sûrement plus nombreux ; ils peuvent compter sur les jeunes militaires, très exaltés, sur des anciens combattants et sur des renforts civils. Ils distribuent des tracts dans le quartier de la sous-préfecture.
- Les partisans du retour de Charles de Gaulle sortent de leur torpeur et collent des portraits du général. Mais ils sont alors très peu nombreux.
- Le gros de la population est en plein désarroi. Les Français, éduqués dans le culte de l'empire, peu conscients de l'irrépressible mouvement de décolonisation qui secoue le monde entier, ne sont pas mûrs pour envisager l'indépendance de l'Algérie. Ils redoutent par dessus tout la guerre civile menaçante et, fatigués par les crises ministérielles à répétition, sont prêts à remettre le destin du pays dans les mains d'un homme providentiel.
- L'administration est-elle fidèle au gouvernement Pflimlin ? Les rapports sont rédigés sur un ton circonspect. Les administrateurs sont d'accord pour enrayer l'engrenage de la violence. Le commissaire de police fait enlever des armureries les objets potentiellement dangereux. Le préfet Jean Morin interdit tout affichage nocturne et fait appliquer la censure de la presse. Les rapports policiers de l'époque ne disent manifestement pas tout et les fonctionnaires sont à l'évidence en désaccord entre eux.
 Une note de synthèse départementale du 23 juin affirme qu'il n'a existé aucun Comité de Salut public dans le Maine-et-Loire ( A.D.M.L., 303 W 112 ). Une autre note, saumuroise celle-là, plus tardive, ni signée ni datée, avance le contraire ; selon elle, un Comité de Salut public a été fondé dans l'Ecole de cavalerie le 2 juillet, à la suite d'une rencontre avec le général Chassin à Poitiers ; la note cite une partie de sa composition : président, l'amiral Commentry, vice-président, Lucien Gautier, 16 commissaires, 7 officiers, 7 anciens combattants et 2 civils ( certains noms avancés paraissent peu vraisemblables ) ; la note ajoute que le général de Clerck n'a pas participé à cette formation. Nous ne sommes pas du tout certain de cette création tardive, à une époque où le pays était stabilisé.

 La tension s'est relâchée quand la crise s'est déplacée sur le terrain électoral. Au référendum du 28 septembre 1958 sur l'approbation de la nouvelle constitution, les Saumurois participent en masse et répondent OUI à 88 % ( 80 % pour l'ensemble de la France métropolitaine ). Les élections législatives de novembre sont moins lisibles en raison de la variété des candidats et du retour au scrutin de circonscription. L'ancien découpage est modifié : la circonscription de Baugé devient Saumur-Nord et s'étend désormais jusqu'à la Loire. « Personne ne s'y trompa dans la région, beaucoup allant même expliquer ce découpage «sur mesure» par les bonnes relations que M. Rivain a toujours entretenues avec M. Debré, depuis qu'il fût son chef de cabinet au temps où ce dernier était commissaire régional à Angers. » ( Benoît Jeanneau ). En tout cas, ces élections placent les gaullistes en tête dans la ville de Saumur et deux d'entre eux sont élus députés, Philippe Rivain ( au premier tour ) et Robert Hauret ( au second ).
 Le général a les pleins pouvoirs. A lui de ramener l'armée dans l'obéissance et de résoudre l'épineuse question algérienne. Il pratique d'abord une politique d'assimilation, ce qui entraîne, à la rentrée de 1960, une circulaire ordonnant aux professeurs d'histoire de faire une leçon d'une heure sur l'oeuvre française en Algérie... Il relance la " pacification ", ce qui vaut aux élèves officiers de réserve un cours sur la torture donné par un officier psychologue. A la Maison de la Presse, les journaux sont souvent saisis, parfois d'extrême droite, plus souvent l'Humanité, Libération et France-Observateur ( A.D.M.L., 97 W 32 ).
 Quand de Gaulle passe à la politique d'autodétermination, une partie de ses partisans, s'estimant trahis, se remettent à comploter.

3) Les nouveaux complots d'extrême droite de 1960 à 1962

 Le " Mouvement Populaire du 13 Mai ", dirigé par le général Chassin, puis par Robert Martel, prépare l'avènement d'un « Etat chrétien, corporatif et décentralisé ». Il regroupe des royalistes, d'anciens poujadistes et des comploteurs d'extrême droite. Il se manifeste à Saumur à partir de novembre 1960 ; il y colle des affiches à la gloire de l'Algérie française ; son délégué régional vient rendre visite à des officiers de l'Ecole de cavalerie, mais « le général de Menditte, commandant celle-ci, demeure dans une prudente réserve et ne paraît pas être perméable à la propagande des ultras », affirme le rapport des Renseignements généraux ( A.D.M.L., 303 W 434 ), qui ajoute : « Les éléments favorables se recruteraient plus aisément parmi les jeunes officiers. Notons que le contingent d'officiers qui a été dirigé au mois d'août en Algérie comptait un assez grand nombre de sympathisants " ultras " ».  Autrement dit, les militaires de Saumur les plus anciens sont réservés à l'égard des putschistes, nettement plus qu'en 1958 et nettement plus qu'à l'Ecole du génie d'Angers... D'après des listes dressées, le MP13 compte peu de militants et aucun nom n'est donné pour Saumur.

 Le " Front national pour l'Algérie française ", créé par Jean-Marie Le Pen en février 1960 obtient plus de succès. Les inspecteurs de police signalent qu'il a tenu trois réunions privées entre activistes à Vernoil et à Saint-Hilaire-Saint-Florent ; elles regroupent à chaque fois sept à huit personnes, en particulier un hobereau de Vernoil, un géomètre-expert, un médecin radiologiste, un représentant de commerce, au total sept civils, qui sont en liaison avec cinq officiers d'active, un commandant, deux capitaines et deux lieutenants. Les divers participants ont décidé de rester en contact, sans envisager d'action précise.
 Quand le FNAF est dissout par décret gouvernemental du 23 décembre 1960, ses adhérents rejoignent en général le " Front national combattant " du même J.-M. Le Pen. Ils ont certainement des sympathies pour l'OAS, mais la police les suit de près. Cette dernière épie aussi les faits et gestes d'un général qui avait été relevé de son commandement en Algérie et qui s'est retiré à Villebernier. Les services de renseignement, désormais bien repris en main, enquêtent dans toutes les directions : ils recherchent les anciens miliciens et membres de la LVF de la période 39-45, en pensant qu'ils pourraient devenir des hommes de main de l'OAS, mais ils ne trouvent rien localement par cette piste.
 Ils ont finalement peu de faits à signaler pour Saumur : le 25 octobre 1961, un cerf-volant portant les lettres OAS vole au-dessus de la ville ( A.D.M.L., 303 W 434 ) ; le sous-préfet signale le 18 décembre qu'un tract de l'OAS a été remis à un militaire de l'EAABC sur l'avenue du Maréchal-Foch ( A.D.M.L., 97 W 2 ) ; dans la nuit du 4 au 5 janvier 1962, deux grandes banderoles portant le sigle de l'OAS sont accrochées entre des poteaux électriques sur la place Maupassant et sur l'avenue du Maréchal-Foch ; un document tracé au normographe, dans lequel de Gaulle est traité de « colonel félon », est envoyé au préfet depuis Saumur le 3 mars 1962. C'est tout ce que signalent les rapports, soit de simples manifestations provocatrices, pas de complot d'envergure.

 Les partisans irréductibles de l'Algérie française sont cependant assez nombreux. Leur audience peut être mesurée à l'occasion du référendum du 9 avril 1962 sur l'approbation des accords d'Evian, qui se déroule sur fond d'attentats et sans campagne locale ; 872 votants de la commune de Saumur répondent NON, soit 13 % des suffrages exprimés, donc plus que dans le département de M. et L. ( 8 % ) ou dans l'ensemble de la France métropolitaine ( 10 % ).

4) La crise de société de mai-juin 1968

   Après un bref répit, une nouvelle crise majeure secoue la ville en mai-juin 1968. Il faut d'emblée écarter les images stéréotypées : à Saumur, pas de barricades, pas de voitures incendiées, pas d'étudiants matraqués. Le net décalage chronologique doit aussi être pris en compte ; comme en 1936, la ville démarre avec un appréciable retard. La distinction classique entre phase étudiante, phase sociale et phase politique est peu opérationnelle, puisque la première est inexistante, faute d'enseignement supérieur, et que les deux autres se mélangent.
 La révolte étudiante est minimisée dans le Courrier de l'Ouest des 11 et 12 mai ; ces événements ne font pas les gros titres, il est seulement dit que 20 000 étudiants sont dans la rue à Paris et il faut scruter l'article pour y découvrir des barricades au Quartier latin. Le 13 mai, le journal publie une photo de voitures renversées, ce qui impressionne toujours, et porte en grand titre : « Ordre de grève maintenu pour aujourd'hui », tout en annonçant une manifestation à Saumur. Toutefois, la presse locale, toujours en retard sur les événements, n'est plus le seul vecteur des informations. En période de crise, c'est alors la radio qu'on écoute avec passion. Pas beaucoup la télévision, encore rare et cadenassée.

 La région vivait déjà dans un climat fiévreux ; elle venait de se mobiliser sur le thème : « Tous unis, l'Ouest vivra » ; des liaisons organiques avaient été établies entre la CGT, la CFDT et les organisations agricoles ; le 8 mai, les neuf départements de l'Ouest sont paralysés par une grève massive de 24 h et par d'imposants défilés dans les neuf chefs-lieux ; à Angers 8 000 manifestants, selon le comptage policier. Cette manifestation, placée sous le signe de la spécificité régionale et marquant une volonté de vivre et de travailler au pays, est déjà dans l'air du temps et témoigne d'une large méfiance à l'égard d'un gouvernement, pourtant soutenu par les six députés du département.
 Pour le cadre général : Marc Bergère, « Mai-juin 1968 en Anjou : entre mutations et contestations », Archives d'Anjou, n° 2, 1998, p. 207-219 ; tableau départemental des grèves dans Jean-Luc Marais,Le Maine-et-Loire aux XIXe et XXe siècles, Picard, 2009, p. 325-326.
 Le 13 mai, un ordre de grève de 24 h est lancé par les grandes organisations syndicales et par l'UNEF, afin de protester contre les violences policières parisiennes. Le mot d'ordre est assez suivi à Saumur, et même à 80 % dans le secteur public, et un défilé de 1 000 participants parcourt les rues de la ville. Cependant, chacun reprend le travail le lendemain, mais les deux journées de grève ont préparé le terrain.

 Alors que le pays tombe en paralysie, la grève illimitée avec occupation des locaux est lancée à Saumur le vendredi 17, à partir de minuit, par les cheminots, qui occupent la gare. Les salariés saumurois, surtout du secteur public, tiennent des assemblées générales sur leur lieu de travail le lundi 20 mai et votent la grève générale reconductible. Ce jour-là, l'enseignement secondaire, public et privé, se met en grève au cours de la journée. L'Association des Parents d'Elèves des établissements d'enseignement public conseille à ses adhérents de garder à la maison les enfants du premier cycle. Les internes sont renvoyés chez eux. Les grands élèves au contraire tiennent des assemblées générales dans leurs établissements ; ils songent déjà au baccalauréat et ceux du Lycée d'Etat portent au rectorat une motion réclamant des épreuves orales pour tous et la double correction des copies. Les cheminots sont présents sur leur lieu de travail, mais les trains ne circulent plus. Grève à 80 % à l'EDF. Le courrier n'est plus distribué. Les ouvriers de Rubanox se déclarent en grève illimitée et ceux de Morineau décident de cesser le travail pendant 24 heures le lendemain 21 mai, jour du vote sur la motion de censure à l'Assemblée nationale.
 Le Courrier de l'Ouest du 22 mai annonce que « le mouvement de grève s'intensifie dans le Saumurois » ; des débrayages limités touchent les entreprises privées comme César et les conserveries ; dans le secteur public, les instituteurs se mettent en grève à partir du mercredi 22, de même que les agents du Trésor.
 Le carburant se fait rare dans les stations-service, en raison de la fermeture de la raffinerie de Donges ; d'aucuns commencent à stocker du sucre et des produits alimentaires. Dans l'enseignement, des commissions et des assemblées générales d'enseignants, d'élèves et de parents discutent sur la reconstruction du système scolaire. Dans une classe de 6 ème, « l'on a voté pour savoir si l'on ferait ou non la dictée » ( Nouvelle République du 24 mai ).
 La crise est contagieuse et prend des aspects multiformes : crise sociale classique portant sur les salaires et la durée du travail ; crise sociétale par la remise en cause des hiérarchies autoritaires ; crise politique, très tôt aussi, car l'ancien ministre Edgard Pisani a voté la censure et a démissionné de sa fonction de député, ce qui entraînera une nouvelle élection dans la 1ère circonscription d'Angers. Les communiqués qui paraissent dans la presse révèlent que la tonalité diffère selon les syndicats. La CGT insiste sur le paiement intégral des journées de grève et sur le niveau des salaires, dont aucun ne doit être inférieur à 600 F. La CFDT met sa priorité dans l'extension des pouvoirs syndicaux et dans l'autogestion ; la FEN insiste sur la transformation de l'université.
 Dans une assemblée générale tenue le 28 à 20 h 30, l'administration, les enseignants, les parents et les élèves du Lycée mixte tombent d'accord pour les réformes essentielles suivantes :
« 1 - Effectifs des classes définitivement réduits à 25 élèves ;
   2 - Formation de maîtres titulaires en nombre suffisant avec stages pédagogiques obligatoires et rémunérations correspondant aux responsabilités ;
   3 - Augmentation des crédits, notamment pour l'utilisation des méthodes modernes d'enseignement... » [ Aucune de ces revendications n'est vraiment satisfaite à ce jour. Une autre l'a été, pour des résultats contestables : « ouverture d'un tronc commun de 6 ème en 3 ème » ].

 Le jeudi de l'Ascension et le week-end suivant gèlent la situation. Le lundi 27 mai, les conserveries et le personnel communal reprennent le travail, mais le champ d'action s'élargit : les salariés des mousseux et de Combier, le personnel des banques rejoignent le mouvement ; les travailleurs des Etablissements Tézier lancent une grève de solidarité pour deux jours.
 Ce même lundi après-midi, au théâtre, se tient un meeting organisé par la CGT, la CFDT et la FEN, qui réunit un millier de participants. Les orateurs soulignent l'ampleur du mouvement social, le plus important jamais vu à Saumur ; ils se déclarent insatisfaits par les négociations de Paris et hostiles au référendum annoncé. La séance se termine par un grand défilé, qui rejoint la sous-préfecture dans un ordre parfait.
 Le mardi 28, le personnel des Etablissements Combier, ayant obtenu une augmentation de salaire, reprend le travail, alors que, faute de réunion de la commission paritaire, les salariés des mousseux poursuivent le mouvement.
 Le mercredi 29, la situation est toujours bloquée ; la grève se durcit dans le Bâtiment, les Transports et aux Tabacs ; elle est levée chez les hospitaliers, qui ont obtenu le raccourcissement de la semaine de travail de 45 h à 42 h,30, et chez Morineau, où la loi sur l'intéressement sera intégralement appliquée ; la grève n'a duré que 24 heures dans les entreprises Balme, Martineau et Dechosal.Ce même jour est mis en place un Comité d'Action lycéen, qui crée de nombreuses commissions sur les réformes.
 Le 30 mai, rentrant de Baden-Baden, de Gaulle dans une allocution radiodiffusée annonce la dissolution de l'assemblée et de nouvelles élections, déplaçant ainsi le débat sur le terrain politique. La CGT saumuroise lui répond qu'il n'a rien compris et appelle au renforcement des piquets de grève. Le climat n'est pas à la reprise, bien au contraire : le travail cesse à nouveau chez Morineau, dans les Mousseux, chez Combier et chez les Municipaux.

5) A partir du 30 mai, la crise politique

 A Saumur, la crise est avant tout sociale et lycéenne. Elle change de nature à partir des derniers jours de mai. Le 30, le défilé quotidien des grévistes réunit des effectifs plus maigres d'environ 500 participants, derrière de grands drapeaux tricolores, afin de répondre aux critiques ( seul un drapeau rouge flotte sur la Bourse du Travail ). Les défilés parcourent la ville, tout en évitant le quartier de la sous-préfecture et de l'Ecole de cavalerie. Le double titre de la Nouvelle République du 1er juin montre que nous sommes à un tournant :

Nouvelle République du 1er juin 1968

 La riposte concertée des gaullistes est lancée le samedi 1er juin ; ils se retrouveront devant le monument aux Morts à 18 h ; ils parviennent à mobiliser la majorité silencieuse des gens excédés par cette longue paralysie ; des commerçants ont fermé leur magasin plus tôt afin d'être présents. Seul le drapeau tricolore est admis. Derrière Lucien Gautier, sénateur-maire, et Philippe Rivain, député-maire de Longué, se retrouvent environ 2 500 personnes pour protester « contre l'anarchie », soit trois fois plus de monde que dans les défilés syndicaux.
 Désormais, la tendance est à la reprise : les employés des Mousseux et de Prisunic, les Municipaux se remettent au travail. Pendant le long week-end de la Pentecôte, des accords salariaux sont signés.
 Le mercredi 5 juin, les banques rouvrent leurs guichets, l'EDF reprend. Les secteurs les plus déterminés sont la SNCF, les PTT et l'enseignement secondaire. Le vendredi 7, les écoles primaires accueillent les élèves et les cours redémarrent à la Cité technique.
 Le lundi 10, les ouvriers de Rubanox reprennent le travail après trois semaines de grève et des hausses de salaires. Ainsi s'achève le plus important mouvement social connu dans la ville. Seul le lycée d'Etat mixte reconduit la grève, puisque le ministre n'a fait aucune ouverture précise. Ses enseignants finissent par reprendre les cours le mercredi 12. Ils n'ont obtenu que de vagues promesses et leurs conditions de travail vont se dégrader ( durée de présence, réunionnite chronique ). Les élèves pourront participer à la vie des établissements [ bravo ! ], leurs parents aussi [ hélas ! ]. Le BEPC et le baccalauréat sont réduits à des oraux fort bienveillants.

 Les élections législatives du 23 juin 1968 sont une formalité sans surprise, que les responsables syndicaux auraient dû prévoir. De la rue, le pouvoir passe aux urnes et ceux qui ont été effrayés par la « chienlit » représentent une forte majorité. Les candidats de l'Union pour la Défense de la République, Robert Hauret et Philippe Rivain, obtiennent 50,25 % des suffrages dans Saumur-ville et sont élus dès le premier tour. Edgard Pisani ( Mouvement pour la Réforme ) est à 27,46 %. La FGDS et le PCF sont écrasés. Une chambre introuvable est mise en place.

 Les fièvres soixante-huitardes ne retombent pas si vite. Quand le 14 avril 1969, le Ciné-Club présente " la Chinoise ", film prophétique de Jean-Luc Godard, des jeunes gens viennent chahuter et réclamer un débat sur la guerre du Vietnam. Ils disparaissent à l'apparition de la police, tout en laissant des tracts commençant par la formule : « L'injure est la meilleure critique pratique du faux-dialogue avec les cons ». Si l'on jauge les événements à plus long terme, le gaullisme, sous sa forme historique et patriarcale est mort. Il subit une longue éclipse à Saumur. Une société hiérarchique et de droit divin s'écroule et laisse la place à des structures de débat et de concertation. Un progressisme catholique s'est affirmé et a apporté un sang neuf à une gauche qui fait un bond en avant dans les années 70 ; passées inaperçues, les réflexions des prêtres du district de Saumur parues dans la presse du 4 juin 1968 marquent une grande compréhension à l'égard du mouvement. Les événements de mai-juin 68 donnent un puissant coup d'accélérateur à des évolutions en cours et constituent un tournant dans la société du second XXe siècle.

 

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