1) Archaïsme des équipements hospitaliers au sortir de la guerre 39-45
Bâtiments solennels
et localisation pratique, les équipements hospitaliers
de l'agglomération saumuroise ont fière allure vers
1945. A l'intérieur, la situation est moins reluisante ;
l'équipement médical n'a guère évolué
depuis le début du siècle ; les chirurgiens
et médecins sont peu nombreux et en général
âgés ; l'ensemble du personnel, formé
en partie de religieuses, présente des effectifs réduits.
L'ancien hôpital de la rue Seigneur, très vaste
en apparence, offre peu de services médicaux. C'est un
ensemble hétéroclite regroupant un hôpital
traditionnel, un hospice pour vieillards, une petite maternité,
des salles pour la visite des prostituées, un centre antituberculeux,
un orphelinat et un hôpital militaire de 60 lits ( voir
Gino Blandin, Histoire du Centre hospitalier de Saumur,
Editions Hérault, 1996 ). Pas de chauffage central
pour l'ensemble de l'établissement ; les malades opérés
sont hébergés dans des salles communes de 14 à
20 lits. Cet hôpital n'a pas bonne réputation; seuls
les pauvres gens y sont soignés et quelques rares femmes
isolées viennent y accoucher.
Les milieux favorisés de la ville l'évitent
le plus possible et les classes moyennes se ruinent pour
y échapper. Tous préfèrent la clinique
de la rue Fardeau, ouverte vers 1911-1912 par les docteurs
Gandar et Petit et agrandie en 1927. La clinique Fardeau présente
une meilleure image, tout en peinant à s'adapter à
des techniques nouvelles. La clinique de Bagneux la complète.
Développée à partir d'une maison de santé
spécialisée dans les maladies nerveuses, elle devient
clinique chirurgicale à partir de 1922 ; elle met
en place des services variés, chirurgie viscérale
et urologie, chirurgie orthopédique, ophtalmologie, stomatologie,
et elle construit de nouveaux bâtiments. Enfin, puisque
les naissances médicalisées sont en progression,
la clinique Jeanne d'Arc, fondée en 1938 avec 18 lits,
pratique les accouchements dans la bonne société.
Cet aperçu témoigne d'un exercice de la médecine
à deux vitesses dans le Saumur d'après-guerre. Les
soins sont les mêmes, puisqu'ils sont effectués par
les mêmes praticiens qui officient dans le public et dans
le privé. Mais les conditions d'hébergement diffèrent,
sordides à l'hôpital, confortables dans les cliniques
et dans le secteur privé de huit lits toléré
rue Seigneur.
2) Les restructurations continuelles de l'ancien hôpital
Débordé,
l'ancien hôpital gagne d'abord de la place. Il supprime
le petit orphelinat qui fonctionnait encore durant la guerre.
Les salles militaires, qui prenaient beaucoup d'espace et qui
étaient peu occupées, sont complètement fermées
en 1967. Afin de gagner davantage d'espace au sol, l'intérieur
des bâtiments est bouleversé et l'on aménage
à grands frais trois étages, là où
Joly-Leterme en avait construit deux. De nouveaux bâtiments
sont ajoutés, en particulier, un pour le bloc opératoire,
un pour la radiologie.
L'équipement technique est sans cesse renouvelé :
appareils de radiologie, respirateur électronique, etc.
Enfin, en 1993, on perce le mur du côté de la rue
de Nantilly, afin d'implanter un énorme scanner.
Des services nouveaux apparaissent, le centre de transfusion
sanguine en 1946, une installation de chirurgie dentaire, un poste
de kinésithérapeute. Le centre d'I.V.G. ouvre très
discrètement en avril 1985, dix ans après la loi
Veil, sans manifestations hostiles et sans une grande activité :
250 I.V.G. en 1985 et en 1986, 173 en 1994, alors que la maternité
produit environ mille naissances ( la Nouvelle République,
28 février 1995 ).
Le vieil hôpital du XIXe siècle semble donc
se rajeunir à un bon rythme et se transformer en un établissement
polyvalent modernisé. Ce renouvellement et le maintien
du Centre hospitalier dans ses vieux murs correspond aux désirs
de la Commission administrative et du Conseil municipal, qui approuve
mécaniquement ses délibérations. Mais, désormais,
qui décide ? qui paie les travaux ? Pour l'hôpital
de la Fuye, l'Etat verse 40 %, la Sécurité
sociale 40 %, la commune 10 %, l'hôpital 10
% ( G. Blandin, p. 167 ). Le payeur devient décideur
et les représentants du Ministère de la Santé,
les commissions du Plan et l'Agence régionale de l'Hospitalisation
interfèrent de plus en plus sur les choix. Sans pour autant
mener une réflexion prospective approfondie. D'où
les décisions incohérentes qu'on va énumérer
maintenant.
3) Quoi faire des vieillards ?
Traités de façon
indigne dans l'hospice de la Providence aux Ardilliers ( voir
descriptions ), les vieillards
indigents sont transférés vers 1869 dans le nouvel
hôpital général tout neuf. Les locaux ont
de l'allure et la nourriture est meilleure. Mis en cause sur ce
point pendant la Seconde Guerre mondiale, le directeur Déré
prouve qu'il parvient à alimenter correctement ses pensionnaires
( ce qui n'a pas été le cas dans de nombreux
autres hôpitaux, en particulier psychiatriques... )
Cependant, le cadre est désolant : les vieillards
sont parqués dans des chambrées de 40 lits, sans
lieux conviviaux, à part quelques bancs placés le
long du bâtiment. Des fugues sont signalées, parfois
fort brèves vers les cafés de la rue de Nantilly,
parfois plus lointaines. Au cours du Premier Conflit mondial,
les vieillards de l'Hospice des
Incurables d'Ivry, déplacés à Saumur
en septembre 1914, ne parviennent pas à s'adapter et décèdent
pour la moitié. L'hôpital de la rue Seigneur souffre
du fait d'être d'abord un hospice, qui prend beaucoup de
place et qui lui donne une mauvaise image. Aussi, quand le Conseil
d'administration de l'Hospice, présidé par Emmanuel
Clairefond, apprend que les héritiers de René-Eugène
Coutard et de sa veuve mettent en vente le domaine de La Fuye, ils décident,
le 19 août 1951, de l'acquérir « pour
l'amélioration du sort des vieillards » ( A.D.M.L.,
98 W 34 ). Après des procédures compliquées,
en décembre 1952, sont achetés, pour 4 700 000
F, le clos de la Fuye, son élégant château,
mélange de gothique tardif et de style perpendiculaire
anglais, un remarquable pigeonnier, un vaste parc et le « Bas
des Chapes Noires », partie restante du legs Coutard.
4) L'incohérente opération de la Fuye
Les vieillards vont désormais
vivre dans le luxe. Les décideurs locaux annoncent en février
1953 qu'ils vont installer 22 lits dans le château et construire
à côté un hospice tout neuf de 145 lits. Ce
choix, qui libérait un vaste espace rue Seigneur, ne manquait
pas de logique, compte tenu des exigences et des moyens de l'époque.
Les plans sont confiés en février-mars 1954
aux architectes parisiens Maurice Puteaux et Georges Auberlet ;
leur projet ne donnant pas satisfaction, de nouveaux plans sont
demandés à Jean Gounaud, en février 1958.
Les travaux, effectués par les entreprises Bellati, pour
les fondations, et par Brochard et Gaudichet, durent d'avril 1959
à novembre 1962. Le financement est hasardeux ; le ministère
de la Santé, qui doit payer le tiers des travaux, émet
des réserves sur le projet ; l'hôpital met en
vente le clos Cristal, sans trouver d'acquéreur.
A mesure que la construction s'avance, des services de la
rue Seigneur, toujours à l'étroit et touchés
par les restructurations des bâtiments, obtiennent de s'installer
à titre temporaire dans les locaux tout juste finis et
nullement programmés pour leurs besoins. Ils occupent vite
les quatre étages, mais ces transferts improvisés
posent des problèmes : la maternité s'y est
implantée, mais si une parturiente souffre de complications,
il faut la transporter dans les locaux de la rue Seigneur, seuls
pourvus de salles d'opération et d'équipement radiologique.
Finalement, la maternité regagne le vieil hôpital.
Pendant ce temps-là, les vieillards restent en bas.
Des études préparatoires à la construction
d'un nouvel hospice à la Fuye ne débouchent sur
rien. Dans les années 1962-1966, les décideurs s'orientent
vers la solution suivante : les vieillards resteraient dans les
anciens locaux rénovés ; tous les services
à haute technologie seraient regroupés sur le site
de la Fuye, qui deviendrait le nouvel hôpital moderne et
qui serait agrandi. Un premier bâtiment comprenant l'Ecole
d'Infirmières et le service de pédiatrie est ajouté.
Quand les techniciens préparent de nouvelles extensions,
on fait semblant de découvrir que le terrain est trop exigu,
qu'il présente une forte déclivité et que
le sous-sol est peu sûr. Ces constations, qui étaient
pourtant évidentes, sonnent le glas de l'aberrante opération
de la Fuye. Un emplacement plus adéquat, au clos Grolleau,
a déjà été adopté dès
1966 et les expropriations commencent.
Fin de ces opérations : l'hôpital de la
Fuye est, pour l'essentiel, abandonné ; le château,
la fuie et le parc sont rétrocédés au privé.
Quant aux vieillards, ils sont longtemps trimballés dans
des locaux improvisés et ils sont enfin installés
au Centre de long séjour implanté au Vigneau en
1978 ou dans la résidence Antoine Cristal construite au
Chemin Vert en 1994.
5) Le nouveau Centre hospitalier du Vigneau
Malgré ces
choix hasardeux, " l'hôpital Jeanne-Delanoue "
ne se porte pas si mal. Il est classé en deuxième
catégorie et reçoit des subventions importantes ;
en 1982, il regroupe 603 lits et une vingtaine de médecins.
Cependant, il est réparti sur trois sites, dont aucun n'est
commode. Le regroupement des services dans un lieu unique et spacieux
est une nécessité évidente et le choix ancien
du Vigneau s'impose.
En 1990, le programme technique du nouveau Centre hospitalier
est adopté et les travaux répartis sur cinq tranches.
Le chantier est mené à une bonne cadence de 1993
à 1996. Le nouveau Centre hospitalier démarre en
octobre 1996 avec des services remodelés et un personnel
d'environ 700 personnes.
6) La nouvelle clinique chirurgicale de la Loire
Pendant ce temps-là,
les cliniques privées ont évolué. La clinique
Fardeau, ne parvenant pas à renouveler ses équipements,
est fermée en 1999 par décision administrative ;
elle ne pratique plus que des soins ambulatoires. La clinique
de Bagneux se développe, elle rénove ses vieux locaux
et se dote d'un nouveau bloc opératoire en 1991, tout en
manquant d'espace et en présentant une offre médicale
d'une étendue limitée, parfois en concurrence avec
l'hôpital public.
Finalement, sur pression de l'Agence régionale de
l'hospitalisation et après de dures négociations,
un premier accord est signé en mars 2000 : la clinique
de Bagneux ira s'installer dans une aile du Centre hospitalier ;
les deux établissements concluent un mariage de raison
et formeront le Pôle de Santé du Saumurois ;
tout en restant des entités séparées, ils
se répartiront les spécialités et partageront
le nouveau bloc opératoire de onze salles.
Plutôt bénéficiaire dans l'opération,
l'établissement de Bagneux, rebaptisé " clinique
chirurgicale de la Loire ", connaît de graves
problèmes financiers, car il doit aménager ses nouveaux
locaux et verser de lourdes indemnités à l'un de
ses praticiens. La nouvelle clinique ouvre en avril 2009. Pour
l'ensemble des deux unités, l'opération se solde
par une chute du nombre de lits, mais par une hausse du nombre
des praticiens.
7) Forces et faiblesses du Pôle de Santé du Saumurois
En comparaison avec l'état
des lieux de l'immédiat après-guerre, il n'est pas
exagéré d'avancer que Saumur a connu une véritable
révolution médicale. La topographie hospitalière
est bouleversée ; le vieil hospice de la rue Seigneur,
les cliniques de Bagneux et Fardeau ont cessé leurs activités
hospitalières. Vers 2000 encore, pour la population locale,
40 % des soins chirurgicaux étaient pratiqués
ailleurs. L'amélioration est en cours et le Pôle
de Santé constitue un centre attractif pour le Saumurois.
Malgré ce renouveau, de sérieuses lacunes
subsistent. Des maladies courantes exigent des déplacements
quotidiens, surtout vers Angers ; les spécialistes
sont difficiles à recruter ; leur pénurie favorise
de juteux dépassements d'honoraires.
Par ce biais de la santé, on mesure que Saumur demeure
une bien petite capitale. Même si l'espérance de
vie y est un peu supérieure à la moyenne nationale,
« Ars longa, vita brevis - l'art est long, la
vie est courte », ainsi que le disent les pages roses
du Petit Larousse, d'après Hippocrate.