Les bouleversements de la fonction militaire et équestre

 

 Bel exemple de l'accélération de l'histoire : l'Ecole de cavalerie avait vécu de longues décennies paisibles dans l'immobilisme et dans le culte de la tradition, préparant avec ardeur la guerre de 1870 en 1914 et la guerre de 14-18 en 1939. Désormais, tout au contraire, elle est secouée , à peu près tous les vingt ans, par des changements radicaux.

1) La mise en place de l'EAABC

 Réfugiée à Tarbes, l'Ecole de Saumur était devenue " l'Ecole militaire de la cavalerie, du train et de la garde ". Afin de surmonter le traumatisme de la défaite, elle pratique un entraînement intensif et des exercices sportifs soutenus, tout en restant pratiquement désarmée ( voir blog : ecolesaumur1940 ). Le magazine " l'Armée nouvelle ", n° 3, de juillet 1942, évoque l'ampleur de ses manoeuvres sur le plateau de Ger, sous le titre « Saumur, chef-lieu des Hautes-Pyrénées ». En novembre 1942, quand l'armée allemande envahit la zone libre, son ancien commandant, le général Bridoux, devenu secrétaire d'Etat à la Guerre et chef d'Etat-Major général, interdit toute tentative de résister. L'Ecole est dissoute et ses cadres se dispersent. Un bon nombre rejoint la France libre en Afrique, à l'exemple de son commandant le général Méric de Bellefon ; d'autres trouvent des activités civiles, plusieurs à l'école de réforme de Chanteloup, dans le camp de Fontevraud ; on n'en aperçoit peu dans les rangs de la L.V.F. En tout cas, l'Ecole disparaît sans postérité.
 Le général Maurice Durosoy, Saumur, GLD, 1964, p. 130-133, bien placé pour retracer l'historique de cette époque et suivi par Jean-Pierre Bois dans Landais, p. 348, fait de la nouvelle école la fille de l'arme blindée reconstituée en Afrique du Nord et victorieuse en Provence, en Alsace, sur le Rhin et sur le Danube. Cette armée renaissante manquait de cadres formés à la guerre des chars et avait ouvert à Meknès le Centre d'Instruction de l'arme blindée, formation toute théorique, étant donné que ce centre ne disposait pas d'engins blindés. Après le débarquement de Provence, le CIAB traverse la Méditerranée et le général Durosoy affirme qu'il s'installe à Saumur le 1er janvier 1945. Cette création doit être purement bureaucratique, car je n'en trouve aucune trace concrète sur place ; le CIAB n° 1 est en réalité implanté à Besançon, puis à Saverne. A cette époque, le Conseil municipal de Saumur s'inquiète à plusieurs reprises du retour de l'Ecole de cavalerie, en particulier, le 28 novembre 1944. Le ministère lui répond que ce retour est certain, mais sans pouvoir avancer de date précise. Les bâtiments sont pratiquement déserts ; on y aperçoit le lieutenant-colonel Guibourd de Luzinais, commandant d'armes, qui s'occupe avant tout des délicates opérations de déminage. Le Courrier de l'Ouest du 24 juillet 1945 annonce que le musée Barbet de Vaux, mis à l'abri en 1939, vient d'être réinstallé dans l'Ecole de cavalerie. Le 6 septembre suivant, ce même journal annonce que l'Ecole va renaître et que des éléments dispersés du 4 ème Hussards vont être regroupés à Saumur. La décision ministérielle de créer " l'Ecole d'application de l'Arme blindée et de la cavalerie " remonterait au 1 er août 1945 ( date non garantie ), mais l'institution ne commence à fonctionner que le 1 er octobre suivant et sur des bases encore bien modestes. Elle ne marche à plein qu'à la rentrée de 1946, quand le colonel Durosoy accueille une promotion exceptionnelle formée de 250 sous-lieutenants issus des combats de la Résistance.
 La rupture avec l'avant-guerre est radicale. L'association avec l'arme du train, officialisée dans le nouveau titre de 1928, est rompue. Des liens existaient bien avec les engins cuirassés, sous la forme d'automitrailleuses de cavalerie ; ce centre de formation était plus actif qu'on le croit, mais le « cambouis », plutôt méprisé, était tenu en marge. Désormais, les blindés passent au coeur de l'Ecole et c'est l'équitation qui devient complémentaire.

2) Les débuts de l'Ecole

 La nouvelle école doit former des chefs de peloton de chars moyens et d'automitrailleuses, des tireurs, des mécaniciens, des opérateurs-radio, ainsi que des élèves officiers de réserve, plutôt orientés vers une formation interarme. Elle doit réaliser un difficile amalgame entre les cadres de l'ancienne armée, rentrant souvent des camps de prisonniers, entre les cadres de l'armée d'armistice, parfois restés fidèles à Vichy, entre les cadres de la nouvelle armée de la France libre et enfin, de nouveaux combattants venus des FFI.
 Les premiers commandants et instructeurs ont pour la plupart appartenu aux unités blindées qui ont combattu pour la libération du territoire et pour la victoire sur l'Allemagne nazie ; à l'évidence, ils sont compétents et aguerris. Le maître à penser de la nouvelle arme est le général de Lattre de Tassigny, lui-même stagiaire à l'Ecole en 1911-1912, comme son fils Bernard, en 1946-1947 ; devenu inspecteur général de l'Armée, il vient opérer à Saumur des visites fréquentes et tonitruantes. En janvier 1952, la dépouille mortelle du maréchal est veillée dans le péristyle de l'Ecole, au cours d'une étape de son transfert de Paris vers le cimetière de Mouilleron-en-Pareds.
 L'armement français d'avant-guerre s'avérant périmé, l'équipement est avant tout américain, carabines US M1, fusils Garand, mitrailleuses de calibre 30 et 50, postes de radio SCR 508, jeeps, half-tracks, chars M4 Sherman et M24 Chaffee, dans l'attente de l'arrivée en 1955 des premiers AMX 13. La division blindée est devenue la reine des batailles et tout l'entraînement des escadrons et des pelotons de chars, pour des missions de sûreté et d'attaque, est organisé selon les modèles de la division américaine, avant l'adoption de la division française type 59. Les manoeuvres se font souvent sur des modèles réduits au « tactic club » bricolé par le futur général de Galbert.

3) La reconstitution du Cadre Noir

 Les chevaux et les instructeurs d'équitation ont pendant la guerre retrouvé l'Ecole à Tarbes. Quand cette dernière est dissoute en novembre 1942, le Cadre Noir survit discrètement sous la forme d'un manège civil de 200 chevaux et de quelques instructeurs ; on le retrouve installé dans le dépôt de remonte d'Anglars-Juillac, dans le Lot. Mais il n'est pas tombé dans l'oubli ; la ville de Fontainebleau fait tout pour le récupérer et y parvient : en mars 1943, le Cadre Noir est transféré au quartier du Carrousel, sous la tutelle du Commissariat aux Sports. Le cabinet militaire du maréchal Pétain avait annoncé ce transfert, à titre provisoire et avec l'accord des autorités allemandes, dans une lettre au préfet de Maine-et-Loire du 15 février 1943 ( A.D.M.L., 303 W 274 ). Le Progrès de la Côte d'Or du 20-21 mars 1943 annonce l'implantation récente à Fontainebleau d'un premier groupe de 150 cavaliers. Rebaptisé sous le nom d'Ecole Nationale d'Equitation ( une anticipation ), le Cadre Noir est placé sous la direction du commandant Gérard de Balorre, ancien instructeur de Saumur et champion de dressage.
 Nos édiles protestent avec beaucoup de retard et en vain. Rétabli dans sa mairie, Robert Amy obtient une entrevue du ministre de la Guerre le 10 novembre 1944 et arrache la promesse du retour du Cadre Noir à Saumur, mais sans date précise. Il faudra attendre la renaissance de l'Ecole et vaincre les résistances des Bellifontains, qui bénéficiaient de séances d'équitation gratuites et qui conservent le " Centre national des sports équestres militaires " préparant aux compétitions internationales. Le retour est opéré par petites étapes au début de l'année 1946, sous le commandement temporaire du lieutenant-colonel de Minvielle, spécialiste du dressage et, par ailleurs, remarquable sculpteur.
 Tout est à refaire. Définir la place de l'instruction équestre, forcément réduite, au sein d'une école de blindés. Rassembler un corps d'instructeurs. Former des chevaux valeureux. Reconstituer la reprise de Manège et, plus malaisé encore, la reprise des sauteurs. L'artisan de cette renaissance est Georges Margot, déjà présent au carrousel de 1939 en qualité de lieutenant sous-instructeur, nommé en mars 1946, au lendemain de son retour de captivité et alors capitaine ( et par ailleurs remarquable dessinateur ). Carrousel de 1947Il est surtout soutenu par la ville de Saumur, qui recouvre le Chardonnet d'une épaisse couche de sable et qui y reconstitue des carrières et des obstacles. Commandant l'Ecole à cette époque, le général Durosoy ne dissimule guère sa prédilection pour les engins blindés.
 Finalement, en 1947, Margot et ses instructeurs peuvent présenter un nouveau carrousel, qui est décrit comme réussi et qui est largement renouvelé. Il se déroule désormais sur le terrain du Chardonnet et dans une enceinte de nouvelles tribunes construites par la ville. Les parties équestres traditionnelles demeurent, mais on voit apparaître des matches de horse-ball et des acrobaties motocyclistes, tandis que des chars sont présentés sur un plateau voisin.

 

4) L'Ecole va-t-elle rester à Saumur ?

   A peine les nouvelles institutions sont-elles en place qu'on parle de leur départ. Installée en pleine ville, cette école de blindés est très gênante ; elle défonce les rues du quartier dans un bruit d'enfer et dans des nuages poussiéreux ( les voici manoeuvrant devant les grilles d'entrée ).Chars devant l'Ecole

 

 

 Les riverains adressent à la Mairie des protestations vigoureuses. Des manoeuvres dans les environs engendrent des heurts avec les paysans. En outre, Fontainebleau ne s'est toujours pas résigné à la perte du Cadre Noir. Aussi, la présence de l'Ecole à Saumur est-elle sans cesse menacée. Un rapport des Renseignements généraux du 10 janvier 1947 ( A.D.M.L., 303 W 274 ) parle d'un départ dans un avenir proche. Le 24 mars de la même année, le Conseil municipal émet un voeu en faveur du maintien du Cadre Noir, mais sans parler de l'arme blindée, à laquelle le maire Clairefond ne tient guère ; il le dit franchement devant le Conseil général ( Nouvelle République du 1er octobre 1948 ). Le général Revers, chef d'Etat-Major général de l'Armée, met un point final à ces supputations, en affirmant qu'il n'était pas question du départ du Cadre Noir, ni de sa dissolution. La cavalerie se consolide alors par un premier agrandissement du camp de Fontevraud, ce qui constituait la solution évidente.
 Une alerte beaucoup plus sérieuse se produit dans les derniers mois de 1969. En octobre, le Conseil d'administration de l'Institut national d'équitation se prononce en faveur du transfert à Fontainebleau d'un Cadre Noir déjà privé de la moitié de ses chevaux. A Saumur, l'émotion est vive ; le Conseil municipal se réunit en séance extraordinaire le jeudi 4 décembre ; le sénateur-maire Lucien Gautier organise un défilé qui regroupe mille manifestants jusqu'à la sous-préfecture et menace de démissionner. " Le Monde " du 3 décembre 1969 dépêche un envoyé spécial et tout la presse s'en fait l'écho.

Manifestation

 Finalement, Michel Debré, ministre des Armées, tranche en faveur de Saumur. Plusieurs alertes se déclenchent jusqu'en 2016.

5) A l'écart, un contingent de prisonniers allemands

 Par une curieuse inversion des rôles, l'ancien Frontstalag 181 héberge à son tour des prisonniers allemands, qui sont installés au nord du Chardonnet, dans les anciennes écuries Isly et dans les bâtiments voisins. On y a affecté de préférence des mécaniciens, qui, pour la plupart, travaillent au service auto et qui ne sont pas bien malheureux, selon quelques souvenirs ( dont ceux de Jean de la Roche ). Cependant, la mémoire est souvent sélective ; les archives nous révèlent des aspects moins reluisants, tant est vive l'aversion contre les "Boches".
Dans l'immédiate après-guerre, la situation alimentaire est désastreuse ; à plusieurs reprises, surtout en été, à l'époque de la soudure entre les deux récoltes, la ville de Saumur se retrouve sans pain. On ne va tout de même pas se priver encore davantage pour des ennemis ! Le 5 octobre 1944, l'hebdomadaire Témoignage chrétien publie des lettres de ses correspondants dans la région ; ils évoquent les conditions de vie désastreuses des prisonniers allemands, en particulier les nombreux morts du camp de Thorée-les-Pins dans la Sarthe. L'un ajoute : « A Montreuil-Bellay, près de Saumur, les plus étranges rumeurs circulent au sujet des gardiens. De plus, dans de nombreux cas, ils se seraient appropriés les montres et les bagues des morts. A l'école de cavalerie de Saumur, les prisonniers doivent, en plus de leur travail, cirer les bottes des soldats pour être admis à ramasser les miettes de leur repas » ( A.D.M.L., 22 W 123 ). Le commissaire de la République et le ministre de la Guerre ordonnent des enquêtes ; les réponses se sont pas conservées, mais dans la même liasse, d'autres rapports confirment la gravité de la situation. Le 5 novembre 1945, le lieutenant-colonel Pinon, commandant régional des prisonniers de Guerre de l'Axe, qualifie « d'alarmant » l'état des captifs dans les dépôts de transit,pour lesquels il relève 11 décès par jour dans le mois d'août précédent ; il ajoute : « certains de ces P.G., réduits à l'état squelettique, sont déjà à l'extrême limite des forces ; pour ceux-ci, on ne peut espérer une amélioration de leur misère physiologique ». Cette évocation ne vous rappelle rien ? Ainsi, ces simples centres de transit, par incurie administrative et sans intentions meurtrières, peuvent devenir pendant quelque temps des camps de la mort. Le commandant ajoute d'autres explications : les Américains ont transmis aux Français des prisonniers inaptes au travail ; beaucoup venaient des régions de Coblence et de Mayence et les deux tiers étaient déjà atteins de cachexie. Il ajoute en plus que la situation s'améliore. Nous n'avons rien trouvé de précis sur la situation particulière du camp de Saumur. En ajoutant toutefois que 29 soldats allemands sont enterrés au cimetière de la ville après août 1944 ( A.M.S., 5 H 38 - il est cependant possible que certains étaient hospitalisés pour des blessures reçues avant la Libération ). Un autre rappel : en mars 1945, quand les corps des otages de la Croix Verte sont découverts sur le terrain du Breil, les autorités réquisitionnent les prisonniers allemands, afin qu'ils dégagent les corps et qu'ils constatent les forfaits de leurs compatriotes ; le spectacle est horrible. Les prisonniers allemands sont-ils si bien traités ?

6) L'ami américain

 Dans ce panorama des militaires du Saumurois, n'oublions pas la forte présence américaine de 1952 à 1966, sous la forme du Saumur Signal Depot, qui stocke et entretient le matériel des Transmissions dans les ateliers de Saumoussay et de Méron ( étudiés plus haut sous l'aspect économique ). Ce bataillon, commandé par un colonel, entretient quelques relations, surtout protocolaires, avec l'Ecole de cavalerie.
 Déjà, le premier carrousel de 1947 s'était placé sous le signe de l'amitié franco-américaine et en présence d'un représentant de l'ambassadeur des Etats-Unis, le brigadier-général Tate, qui coupe un ruban tricolore à l'entrée de la rue qui portera le nom de Franklin-Roosevelt. Egalement, le 109 ème Carrousel de 1955 est coprésidé par le général Koenig, ministre de la Défense nationale, et par le général Alfred Gruenther, commandant en chef du SHAPE.

7) L'Ecole dans les années 60-70

 Quand elle prend son rythme de croisière, l'Ecole doit assurer les formations suivantes :
- le cours des capitaines récemment promus et préparant en cinq mois l'entrée à l'Ecole d'état-major ;
- le cours d'application des sous-lieutenants, à leur sortie de l'Ecole spéciale militaire ou de l'Ecole militaire interarmes, préparés à devenir chefs de peloton du 15 septembre au début d'août ;
- le cours des officiers-élèves issus des grandes écoles ( du 1er octobre à la fin de février ) ;
- le cours des élèves officiers de réserve, titulaires de la Préparation militaire supérieure et sortant sous-lieutenants ou aspirants au bout de quatre mois ;
- le cours des élèves sous-officiers d'active, tous engagés volontaires et recevant en douze mois une formation de tireur, de pilote ou de chef de char ;
- le cours des sous-officiers élèves sortant de l'ENSOA de Saint-Maixent et formés en trois mois aux fonctions de tireur ou de chef de char ;
- de nombreux stages périodiques pour les officiers supérieurs de l'arme et pour les officiers des transmissions ( A.D.M.L., 417 W 67 ).

- En outre, une formation équestre générale est donnée à tous les élèves par les écuyers, les maîtres et les sous-maîtres.
- Un cours de perfectionnement équestre est ouvert à des officiers subalternes de moins de 35 ans dans le but d'en faire en dix mois des cavaliers complets.Acrobaties motocyclistes
- Le cours des élèves sous-maîtres regroupe pendant dix mois dix sous-officiers qui deviendront des cavaliers d'extérieur, sauront diriger les sauteurs en liberté et débourrer les jeunes chevaux ; certains seront recrutés comme sous-maîtres de manège.

Elèves et stagiaires reçoivent aussi un bon entraînement motocyclistes, dont ils font la démonstration au cours des carrousels ( à droite, carrousel de 1972, photo Perrusson ).

 Cette variété des cours à tous les niveaux aboutit à des effectifs élevés. D'après les articles de Charles Gilbert ( La Nouvelle République du 23 juin au 1er juillet 1977 ), l'Ecole compte 370 officiers et sous-officiers encadrants, 1 200 élèves, 1 300 hommes du rang, auxquels s'ajoutent 130 employés civils. Pour tracer un tableau complet, il faut compter 500 conjoints et une multitude d'enfants qui, en général, fréquentent le Lycée d'Etat, considéré alors comme le meilleur établissement local. Les militaires louent environ 500 logements en ville ; à leur intention, le lotissement de l'Oillerie est édifié près de la Loire. Pour la troupe ou les élèves, les galetas inconfortables installés sous les combles sont remplacés par des bâtiments sans grâce construits à l'ouest de l'Ecole jusqu'au cinéma Murat ( 1976 ) ou à l'emplacement de l'Ecole de Maréchalerie, ou par la transformation d'anciennes écuries, les spahis disposant d'un quartier particulier.

 Si la formation à l'emploi des engins blindés reste la fonction essentielle, les guerres d'Indochine et d'Algérie imposent le retour en force de l'infanterie et de la formation interarmes. Le culte de la tradition reste prégnant ; le mot « adoubement », sorti tout droit du Moyen Age, fait son apparition. Un officier de Saumur se reconnaît d'abord à sa tenue. « A cette époque, écrit Jean de La Roche, il était encore de bon ton, pour un nouvel arrivant, de s'équiper en descendant la rue Beaurepaire en direction de l'Ecole. Il y trouvait successivement un culottier, Plazanet, un tailleur, Buisson, un bottier, Guillois, et en s'écartant de 200 mètres à gauche, dans la rue Gambetta, la « Mère Képi » qui conservait dans son fichier le tour de tête de tous les officiers de cavalerie. » ( Quatre officiers, une famille, Cheminements, p. 151 )
 L'équitation reste obligatoire pour tous, même pour certains stagiaires excédés par les exigences des « culottes de peau ». Le Cadre Noir reste malgré tout un peu marginal ; il devient le conservatoire de l'équitation de tradition française ; ses règles sont recueillies et codifiées dans un ouvrage dense et technique par le colonel François de Beauregard et Jean-Pierre Percy, L'Equitation à Saumur. Principes, méthodes et pratiques des écuyers militaires de 1900 à 1972, Charles Hérissey, 2001.
 Il serait fastidieux d'énumérer la longue liste des stagiaires passés par Saumur. Citons tout de même le roi du Cambodge Norodom Sihanouk, formé à l'Ecole de 1946 à 1948 ; très attaché à cette dernière, il vient lui rendre une visite officielle en 1964 et écrit au ministre Pierre Messmer pour demander le maintien du Cadre Noir à Saumur. Si Lionel Jospin fait un passage discret, Jacques Chirac suscite davantage de commentaires ; il avait d'abord été rayé de la liste des EOR, car il était suspecté de communisme pour avoir signé l'appel de Stockholm et vendu l'Humanité-Dimanche ; de hautes protections viennent gommer ce passé sulfureux et, à Saumur, le jeune Chirac se fait remarquer par son assistance à la messe matinale afin de sortir major. L'enfance d'un chef !

7) L'Ecole et les crises de la décolonisation

 Encore plus qu'ailleurs, les cadres de l'Ecole sont attachés à l'Empire colonial, aux spahis et à l'Algérie française, partageant le manque de clairvoyance politique de la masse des Français. En 1956, des cours d'arabe, oral et écrit, font partie du cursus scolaire. Une brochure imprimée par l'Ecole s'intitule : " Attitude et comportement envers les populations musulmanes d'Afrique du Nord. Quelques conseils ". Georges Sauge, fondateur du Centre d'Etudes supérieures de Psychologie sociale, vient y former des « colonels psychologues » de triste mémoire. C'est alors, en principe, le temps de l'assimilation. Voyons-la à l'oeuvre : Abdelkader Rahmani, berbère marié à une Française catholique, raconte qu'il est admis comme sous-lieutenant à l'EAABC, en compagnie de trois autres Algériens, anciens sous-officiers ( " L'affaire des officiers algériens ", Seuil, 1959, p. 6 ). « A Saumur, ce fut une révolution de palais. Dans cette enceinte sacro-sainte où régnaient l'esprit de caste, l'orgueil le plus ridiculement prétentieux et chatouilleux, on ne nous pardonna jamais cette intrusion. Nous finîmes par nous considérer là comme au sein d'une tribu de sauvages, tant en raison du manque d'éducation que nous y rencontrions que par le langage « petit nègre » dont on croyait devoir se servir en nous parlant pour faciliter notre assimilation. » Après une lettre au président Coty, Rahmani est emprisonné pour entreprise de démoralisation de l'armée ; il rejoint les positions du FLN et est interné. L'Ecole défend bien mal la cause de l'Algérie française, qui lui était pourtant si chère, selon les rapports des Renseignements généraux.
 Cependant, à l'exception de quelques officiers subalternes, ses cadres condamnent l'action de l'OAS, ainsi que nous le racontons ailleurs. Au contraire, ils apparaissent comme inconditionnellement gaullistes, cela depuis le 8 avril 1947, jour où le général Durosoy réunit officiers et sous-officiers pour leur demander de se tenir « si besoin était » à la disposition du général ( qui, opposant au tripartisme, vient de fonder le RPF - A.D.M.L., 303 W 274 ). On les retrouve fidèles à de Gaulle en 1958, 1962 et 1968.

8 ) Les extensions de l'Ecole

 Encombrante en pleine ville, l'Ecole se déploie dans plusieurs directions :

- Son annexe principale, le camp Charles de Gaulle à Fontevraud, est agrandi une première fois en 1947, puis sur 1381 hectares en 1975, malgré de fortes résistances, des manifestations de type Larzac et un matraquage de manifestants sur l'ordre de Michel Debré ( voir René Maréville, Grandeur et grenouillage autour d'une abbaye, 1973 ). Des groupes d'escadrons de manoeuvre en soutien de l'EAABC sont installés dans le camp ; ils deviennent le 3ème régiment de Chasseurs, qui est recréé le 11 septembre 1981 et complété par le 507 ème régiment de Chars de combat. De 1984 à 1994, l'ensemble est englobé dans la 12 ème Division légère blindée, sous les ordres du général commandant l'Ecole. Le 2 ème Dragons leur succède et une rupture se produit en 2005, quand le régiment devient le 2 ème Dragons NRBC ( nucléaire, radiologique, biologique, chimique ), autonome par rapport à l'Ecole.

- Sur les landes de Terrefort, en 1958, le domaine militaire est agrandi, afin de donner plus de profondeur au champ de tir ( A.M.S., 2 H 21 ).

- Une escadrille de l'Aviation Légère de l'Armée de Terre ( ALAT ) est déplacée en 1959 sur une lisière de l'aérodrome de Terrefort. Petite unité composée de quinze pilotes et de douze mécaniciens environ, dotée finalement de huit hélicoptères Alouette II et de quelques avions Piper, cette escadrille assure des missions de reconnaissance pour l'Ecole et pour d'autres unités de la région. Elle est dissoute en juillet 1989 ( voir site complémentaire ) et le ciel saumurois perd ses libellules aussi gracieuses que pétaradantes.

- L'instruction sur des engins blindés et la simulation des tirs nécessitait de nouvelles installations d'une conception renouvelée. Fort heureusement, on n'a pas touché à l'enclos du Chardonnet, qui est resté dans son jus du XIXe siècle. Les divers plans d'urbanisme de la ville de Saumur avaient prévu une zone d'agrandissement de l'Ecole et réservé à cet effet un espace de neuf hectares situé entre la rue des Ecuries et le boulevard périphérique, espace occupé pour l'heure par des jardins, des bâtiments légers et des hangars. Les terrains sont expropriés de 1971 à 1975 ( présentation par Philippe-Charles Peress, dans P. Garrigou Grandchamp, Saumur, l'Ecole de cavalerie, 2005, p. 179-182 ). La nouvelle école, très aérée, présente une certaine homogénéité avec ses bâtiments en verre aux formes pyramidales et aux ossatures extérieures marquées. L'ensemble de la réalisation, commencée en 1978, s'achève en juillet 1995 avec la livraison du bâtiment Leclerc ( cet ensemble est baptisé « quartier colonel Michon » en juin 2016 ).

9) La naissance houleuse de l'ENE ( 1972 )

 Pendant que naît la nouvelle école, l'ancienne est secouée par des ruades sans précédent. Si talentueux soient ses écuyers, le Cadre Noir a peine à définir son rôle militaire dans une école de blindés; affirmer qu'il inculque « l'esprit cavalier » reste une formule stéréotypée. Bon gré mal gré, il devient un centre de formation équestre dépendant de l'Institut national d'Equitation, créé en 1968 et placé sous la tutelle du Premier Ministre. Le coup décisif est porté par le décret du 16 mai 1972, créant l'Ecole nationale d'Equitation ( ENE ), y intégrant le Cadre Noir et le plaçant sous la tutelle du ministre chargé de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs. Sa fonction sportive devient désormais prépondérante. Il reste rattaché au ministère de la Défense en ce qui concerne la mise à disposition de personnels et il passe sous la co-tutelle du ministère de l'Agriculture, qui lui fournira les montures par l'intermédiaire des haras. En outre, un directeur est nommé à la tête de l'ENE, en l'occurrence le colonel O'Delant ( voir présentation par le général Pierre Durand ). Pour le colonel Jean de Saint-André, « grand dieu » depuis 1964,Saint-André maintenu comme vacataire du ministère de la Jeunesse et des Sports, ces bouleversements structurels et hiérarchiques sont intolérables ; il proclame publiquement que l'écuyer en chef doit être le directeur de l'ENE et qu'il ne peut servir sous un supérieur hiérarchique étranger au sérail ( Jacques Perrier, L'épopée du Cadre Noir de Saumur, 1992, p. 19 ). Le 26 octobre 1972, il est prié de rendre son commandement et il ne reste pas plus longtemps, si bien qu'est annulée la reprise prévue pour le 18 novembre à l'occasion de la visite de Michel Debré, ministre de la Défense, et de Joseph Comiti, secrétaire d'Etat à la Jeunesse, aux Sports et aux Loisirs ( à droite, Nouvelle République du 21 novembre 1972 ).

10) Le nouvel établissement de Terrefort

 Au cours de la période de restructuration, le Cadre Noir, regroupé autour du manège des Ecuyers et des écuries du Manège, flotte quelque peu et il est encore question de son départ de Saumur. Heureusement, 300 hectares sont affectés à l'ENE sur le plateau de Terrefort et à Verrie ; les architectes Jean-Jacques Faysse et Bernard Ogé présentent aussitôt un projet ambitieux. Son financement par plusieurs ministères est difficile, si bien que le Conseil général et la ville de Saumur doivent participer à la construction de cette école nationale. Une première tranche de travaux est effectuée de 1973 à 1976. A l'occasion de sa mise en service, Pierre Mazeaud, secrétaire d'Etat de la Jeunesse et des Sports, confirme le caractère irréversible de l'implantation de l'ENE et le transfert de 130 chevaux de Fontainebleau à Saumur (la Nouvelle République, 14 juin 1976 ). Une deuxième tranche est réalisée de 1982 à 1984, avec une nouvelle participation des finances locales ; en septembre 1984, le Cadre Noir quitte l'Ecole pour s'installer à Terrefort, dans un vaste ensemble doté d'un manège olympique, le plus grand d'Europe, de 18 carrières et de 40 kilomètres de pistes, mais encore dépourvu d'infirmerie vétérinaire ( Demain... l'Ouest, 1982, p. 62-67 ).
 Forte de 300 chevaux et de 150 personnes à plein temps, l'ENE reçoit un nombre croissant de stagiaires, souvent étrangers, et devient une université équestre où enseignent les membres du Cadre Noir ( qui disposent de moins de temps pour s'entraîner ). L'établissement trouve son rythme de croisière, alors qu'un nouveau chambardement est imposé : à compter du 1er février 2010, l'ENE est englobée avec les Haras nationaux dans l'Institut français du cheval et de l'équitation ( IFCE ). Le siège reste à Saumur, mais le secrétariat général est installé à Arnac-Pompadour. L'opération semble avoir pour but d'alléger le trop lourd appareil des haras, dont Saumur n'est nullement responsable. Mal financé, l'IFCE s'attire en 2016 un rapport sévère de la Cour des Comptes, qui recommande son extinction. De nouveaux chamboulements sont à prévoir...

11) Les écoles militaires de Saumur

 La vieille Ecole de cavalerie bouge elle aussi à une forte cadence. Les anciennes manoeuvres de divisions blindées se font sur le mode électronique et passent désormais par la numérisation du champ de bataille. A partir de 2008, une restructuration des forces armées crée la base de défense Angers-Le Mans-Saumur, dans lequel l'ensemble Saumur-Fontevraud sort renforcé. Dans l'ancienne école sont désormais implantés :
- l'EAABC, renforcée par des unités nouvelles ;
- le Centre d'enseignement et d'études du renseignement de l'Armée de terre ( CEERAT ), petite école de formation regroupant environ 80 permanents ;
- le Centre Interarmées de Défense Nucléaire, Radiologique, Biologique et Chimique, où une cinquantaine de spécialistes encadrent des stagiaires ;
- l'Ecole d'état-major de l'Armée de terre, transférée depuis Compiègne, a pour mission principale de préparer en quatre mois des capitaines aux fonctions d'officier supérieur .

  La mise en place de ces nouvelles structures est précédée par d'importants travaux de remodelage des bâtiments et par la construction d'un nouveau mess. L'ensemble Saumur-Fontevraud regroupe en permanence environ 1 700 militaires, plutôt jeunes et prolifiques, dont 56 % des conjoints exercent une activité professionnelle. Les stagiaires y affluent en nombre, environ 3 500 par an.

 A compter du 1er juillet 2016, vient s'ajouter l'Ecole du combat interarmes ( ECIA ), organe fédérateur qui rassemble l'Ecole de cavalerie, l'Ecole d'état-major, l'Ecole du génie d'Angers et l'Ecole d'infanterie et d'artillerie de Draguignan, dans le but de renforcer la cohésion opérationnelle de l'Armée de terre et en plaçant les Ecoles militaires de Saumur au coeur du dispositif.

12) Les musées militaires

- Commencé modestement en 1965 par le regroupement de vieux matériels dans les hangars de la rue des Ecuries, le Musée des blindés est au premier chef un centre de documentation. Un projet de construction nouvelle débouchant sur le boulevard du maréchal-Juin n'aboutit pas et les engins de collection sont un temps stockés dans le hangar Bossut. Les bâtiments du SEITA, spacieux et sans piliers, sont acquis par le ministère de la Défense en 1991. Sans grands travaux d'aménagement, le nouveau musée ouvre ses portes en 1996 ; sous la direction du colonel Aubry, il récupère et remet en état de nombreux matériels historiques de tous pays, rassemblant plus de 800 engins, dont 200 en état de marche. La France, pays de naissance des blindés, en présente ici la plus belle collection du monde. Rebaptisé " Musée des blindés Général-Estienne ", cet établissement attire 50 000 passionnés par an.

- Le Musée de la cavalerie a l'ambition d'évoquer l'histoire de l'arme depuis 1445 à l'intention du grand public. Il ouvre en janvier 2007 dans le bâtiment des écuries du Manège, en conservant intacts le pavillon des Ecuyers et les anciens boxes. Il est avant tout centré sur l'âge d'or de la cavalerie et manifeste un véritable culte pour l'Empereur.

13) Saumur, capitale du cheval

 A partir de ces musées ( y compris le musée du cheval au Château ), à partir de l'ENE, à partir du carrousel, à partir d'un bon nombre d'artisans spécialisés, Saumur possède de forts atouts pour s'affirmer comme une capitale équestre. Elle renforce cette position en organisant de fréquents concours hippiques sur les parcours réputés de Verrie, en érigeant sur l'autoroute A.85 " Archeval ", la plus haute statue équestre du monde, en multipliant les expositions artistiques et les colloques sur ces thèmes.
 Reconnaissons toutefois que la concurrence est rude ; Fontainebleau et Chantilly s'appuient sur de brillantes traditions ; la puissante Fédération Française d'Equitation favorise son parc de La Motte Beuvron. Pour rester au premier plan et améliorer les retombées touristiques, Saumur projette de développer les équipements de l'hippodrome de Verrie.
 Des carabiniers au concours complet, les mutations sont de taille.

 

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