Le nouveau mur de Ville   

 

Porte de la Bilange par Nicolas Poictevin (1697)


1) Le plan de l'enceinte urbaine

 De forme triangulaire, longue d'un peu plus de 1 100 mètres dans sa partie récente, la nouvelle enceinte urbaine est renforcée par 24 tours semi-circulaires ( dont dix-neuf attestées ) et surveillée par 5 portes. Elle est parfaitement connue : d'imposants vestiges en subsistent et les plans anciens permettent de la reconstituer en entier. Voir plan de la ville en 1508.

 Les cinq portes ont disparu, la dernière en 1812, mais nous disposons d'une figuration de la porte de la Bilange dessinée par Nicolas Poictevin. Haute de 14 mètres, cette énorme tour surplombe les murailles et s'avance sur une douve, sans aucun doute peu profonde, mais constamment alimentée en eau.

 Cette porte est pourvue de plusieurs sécurités : un pont-levis double ( un passage pour piétons, un passage charretier ) ; en arrière, une grosse porte de bois, fermée tous les soirs ; enfin, une herse encastrée dans la muraille peut s'abaisser ( on en voit la glissière ).


 

 

2) Un jugement de 1364

 Autant il est possible d'être précis sur la description de cette muraille, autant son histoire est problématique. Un seul document fait allusion à sa construction ( A.D.M.L., E 4385, n° 1 ). C'est une ordonnance rendue le 10 mars 1363 ( 1364 de notre style ) par le juge ordinaire d'Anjou et adressée pour exécution à Hues du Bellay, capitaine de Saumur, et à Pierre Poullain, lieutenant représentant le duc dans la ville. Le parchemin est en lambeaux ; voici ce que j'ai pu déchiffrer : par choix du « lieutenant et autres bourgais qui pour le temps se entremetaient de faire couronner et emparer la dite ville de Saumur » ( de faire entourer par un rempart la cité ), Jehan Loyseau est commis comme maître d'oeuvre des travaux de charpente, qu'il a charge d'inspecter. Il s'occupe également de « faire charier mout grant nombre de boais de la forêt de Chinon jusques au port de Cuse » ( aujourd'hui Cuzé, un petit port sur l'Indre, près de Rigny-Ussé ). De là, il fait mener le bois par eau jusqu'à Saumur. Pour salaire et dépenses de mission, il se voit promettre quatre sous par jour. Il est en désaccord avec les quatre bourgeois qui organisent les travaux, et finalement, il reçoit une somme d'environ 60 livres ( si j'ai bien déchiffré ), ce qui correspond à 300 journées de travail de cet expert.

 

 

3) Des travaux du milieu du XIVe siècle

 Lors du procès, les travaux sont terminés « ja piecza - depuis longtemps », ce qui est difficile à interpréter. Le contexte peut apporter quelques éclairages. Jean le Bon est capturé lors de la défaite de Poitiers en 1356 ; il s'ensuit les ravages des grandes compagnies, le désastreux traité de Brétigny ( 1360 ) et des menaces anglaises précises sur la région. A cette époque, les villes non protégées prennent peur et s'enferment à la hâte derrière des remparts. L'année 1364, année du procès, constitue un terminus ad quem pour ces travaux qui ont pu être effectués dans les huit années qui précèdent. Un autre document, établi trois siècles plus tard d'après ce procès, vient corroborer ces données.

 

 

4) Les maîtres d'oeuvre

 Jehan Loyseau n'est qu'un contremaître. Le jugement nous renseigne sur les organisateurs des travaux, qui sont le receveur Thomas Prod'homme, qui lève une taxe spéciale, sans doute un appétissement ( cf. dossier sur les nouveaux impôts ), ainsi que Jehan Touselin, Pierre Hamon et Geoffroy Masse, dont les fonctions ne sont pas précisées. Sont-ils les premiers échevins de la ville ? En tout cas, ils sont des agents municipaux et ce sont les habitants de Saumur qui paient les travaux.

 

 

5) Des travaux en plusieurs étapes ?

 La construction de cette ceinture de murailles est une énorme entreprise qui a dû susciter de vives contestations ( il fallait abattre des maisons, des quartiers restaient hors les murs ) et qui a forcément constitué un long chantier. Quelques indices permettent d'entrevoir plusieurs étapes successives.
- Le chantier est-il commencé dès 1335, où un texte parlant du mur du Boile le qualifie " d'ancienne clouaison ". La nouvelle enceinte serait-elle déjà commencée ? Ou plus vraisemblablement, l'ancienne enceinte, en mauvais état, est considérée comme désaffectée.
- La longue façade sur la Loire, qui surveille le fleuve et les ponts, ainsi que la partie occidentale du mur, depuis la tour Cailleteau jusqu'à la Porte Neuve pourraient avoir été construites en premier lieu, au milieu du XIVe siècle ; leurs tours et leur courtine ( en général épaisse d'environ 2 m ) présentent de réelles similitudes.Courtine et tour en arrière de la rue de la Petite-Douve Aux approches de la Maison du Roi, l'enceinte dessine une courbure, comme si elle rejoignait directement le mur du Boile en arrière de la Grande-Rue. L'examen du parcellaire sur le premier cadastre et la séparation - sûrement ancienne et nullement due au hasard - entre les paroisses Saint-Pierre et Nantilly permet de retenir cette hypothèse comme plausible.
- L'importante ordonnance de Charles V du 19 juillet 1367 prescrit à toutes les bonnes villes du royaume de remettre en état leurs fortifications dans de brefs délais. Saumur est en règle. Seulement, le roi précise que les faubourgs non protégés devront être rasés et qu'il enverra des inspecteurs. Les Saumurois n'ont évidemment pas les moyens d'enclore Nantilly et Saint-Nicolas, mais ce pourrait être au lendemain de cette ordonnance qu'il ont agrandi leur enceinte en entourant le quartier des " basses rues " et en créant la " Porte Neuve ", au nom révélateur, et la porte du Bourg ( de Nantilly ). La partie du mur qui relie la Porte Neuve à la Tour Grenetière ( photo de gauche ) est de construction plus tardive ( de construction homogène, cette partie pourraît être du XVe siècle ) ; elle passe dans une zone marécageuse, qui semble correspondre à un ancien bras du Thouet et qui devait être peu construite ; sur ce tronçon, les douves n'étaient pas au pied du mur, mais quelques mètres en avant.

 

 

6) Des hourds en bois au sommet des remparts ?

 La muraille n'est pas haute ( environ 8 mètres au-dessus du sol actuel ) et, en plusieurs endroits, des reprises évidentes prouvent qu'elle a été surélevée ultérieurement ; je pense qu'il s'agit des travaux du dernier tiers du XVe siècle. Sous leur première forme, les murailles pourraient être couronnées par des hourds ( des galeries de bois posées en encorbellement ), tout au moins dans les points stratégiques ; cette technique est alors plus répandue que les mâchicoulis et elle est localement très employée : les comptes de Macé Darne prouvent que des hourds couronnaient les anciennes tours rondes du château et que d'autres sont ajoutés au-dessus du pont-levis de la porte des Champs. Au début du siècle suivant, à Saint-Florent, les hourds coexistent avec les mâchicoulis. Cette hypothèse rendrait compte de la grande quantité d'arbres que Jehan Loyseau fait venir de la forêt de Chinon. Au contraire, au château, les dépenses de bois et charpentes ne représentent que 5 % des dépenses de Macé Darne.

 Ce qui nous amène à faire un lien avec les semblables travaux de fortification lancés au château, à la même époque ou peu après, mais ces travaux sont à la charge directe du duc et ils sont conduits par son maître des oeuvres. Encore une fois, ce dossier comporte une part de conjecture, mais il est certain qu'en 1369 la place est solidement fortifiée.

 [ Relecture de septembre 2015. La construction du mur de ville par saint Louis, selon l'opinion de Célestin Port et d'Hubert Landais, me paraît toujours devoir être abandonnée, faute de preuves matérielles et de besoins stratégiques. A l'inverse, une réalisation commencée au milieu du XIVe siècle est assez bien étayée par un document, par une évidente nécessité militaire et par des constats archéologiques présentés par EricCron, Saumur. Urbanisme, architecture et société, 303, 2010, p. 72-76. ]