1) Un homme de culture
Noël COULET, Alice PLANCHE, Françoise ROBIN,
Le roi René, le prince, le mécène, l'écrivain,
le mythe, 1982
Christian de MÉRINDOL, Le Roi René et la
Seconde Maison d'Anjou, Emblématique, Art, Histoire,
1987
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A la suite de la mort de son frère aîné
Louis III, le roi René porte le titre de duc d'Anjou de
1434 à 1480. Les historiens, qui louent l'habileté
de sa mère, soulignent à l'inverse sa maladresse
politique. Perdu dans des rêves chevaleresques, adolescent
attardé, il se révèle naïf et velléitaire
en des temps machiavéliques ; héritier chanceux
d'une multitude de domaines et grand collectionneur de titres,
il perd l'essentiel de ses terres, se fait constamment battre
à la guerre et dispose finalement d'un pouvoir limité
sur ses propres domaines.
Dilettante, amateur de bonne chère et de jouvencelles,
ami des jardins et des plantes rares, collectionneur de bêtes
fauves, et en même temps sensible aux malheurs des gens
simples, le " bon roi René " s'est acquis
une solide popularité, qui a été amplifiée
par les historiens légitimistes du XIXe siècle.
En réaction, le réduire à un sympathique
épicurien serait méconnaître les dimensions
intellectuelles du personnage : pourvu d'une vaste bibliothèque,
le roi René manifeste de larges connaissances, y compris
dans le domaine théologique ; poète prolixe,
son registre va de mièvres bergeries à des méditations
d'inspiration franciscaine. Passionné de peinture, il
fait preuve d'un goût très sûr, encourageant
le première Renaissance italienne et discernant le génie
de l'école de Van Eyck.
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2) Saumur, douaire permanent
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René d'Anjou ne récupère réellement
Saumur qu'en 1442, à la mort de sa mère, Yolande
d'Aragon, qui en avait fait le coeur d'une petite principauté.
Aussitôt après, il fait don de la ville à
son épouse, Isabelle de Lorraine, mais cette décision
n'entraîne aucun effet immédiat. Le 8 octobre 1454,
la ville et le château de Saumur sont portés dans
le douaire de sa seconde femme, Jeanne de Laval, mais cette fois
en suppléance du comté de Beaufort, qui seul restera
aux mains de la reine après la mort de son époux.
Saumur, qui semble avoir vocation à constituer un
douaire, connaît donc une situation administrative complexe,
puisque qu'en même temps, le roi de France, le duc apanagé
et la douairière peuvent y intervenir et y percevoir des
revenus particuliers.
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3) Les bâtiments de la ville
Jean-Pierre ASTRUC, La Chambre des Comptes d'Anjou, Saumur
1450-1483, mémoire de maîtrise dactylographié,
Nantes, 1977
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La Chambre des Comptes de l'Anjou, très minutieuse,
nous renseigne sur l'état du domaine public dans la ville.
La bastille et ses deux ponts-levis
sont l'objet de travaux permanents, dont les premiers ont été
présentés plus haut. A l'inverse, la Maison
de la Reine de Sicile n'apparaît dans aucune comptabilité
publique, alors que le roi René affecte une somme à
la réparation des ponts en 1456.
A l'entrée du quartier Saint-Nicolas, le duc possède
et entretient les halles et les anciennes boucheries toutes proches.
De nouvelles boucheries apparaissent à l'intérieur
des murs auprès de la porte de la Tonnelle. Non loin,
devant l'église Saint-Pierre, la cohue correspond à
des halles qui abritent le marché au pain et au poisson.
Au quartier de Fenet, au bas de la montée du Petit-Genève,
le duc possède une "Ecurie", qui est un important
ensemble de locaux pour les écuyers et leurs chevaux et
qui est finalement mise en location ( voir rue
Raspail ).
Sur la colline autour du château, le trésor
ducal entretient deux ponts-levis, l'un tourné vers le
Boile, l'autre constituant la Porte des Champs. Devant cette
entrée, le terrain est laissé libre, car des joutes
y avaient été tenues, selon une notice citée
par Lecoy de la Marche ; c'est pourquoi le procureur de
Saumur interdit sa mise en labour. Je me répète,
avec l'espoir d'être entendu : il n'y a jamais eu
de vigne à cet endroit. Enfin, non loin du prieuré
de Saint-Florent, devant la porte principale, le duc possède
une fourrière, un hangar où l'on entrepose du bois
et du foin.
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4) Nouveaux chantiers au Château
A. LECOY DE LA MARCHE, Extraits des Comptes et Mémoriaux
du Roi René pour servir à l'Histoire des Arts au
XVe siècle, 1873
A. LECOY DE LA MARCHE, Le Roi René, sa vie, son
administration, ses travaux artistiques et littéraires,
d'après les documents inédits des Archives de France
et d'Italie, 2 vol., 1875
Henri ENGUEHARD, Roi René, 1975
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Malgré l'ampleur des travaux réalisés
par son grand-père et par son père, le roi René
entreprend un remodelage du château, qui est en chantier
de 1454 jusqu'à 1473, sous la direction de l'architecte
Jean Picard. La tour orientale, la "tour neuve", est
reprise et désormais flanquée par une tourelle
carrée adossée à la courtine est. A l'intérieur,
la chapelle est refaite et complétée par un oratoire
privé ; un nouvel escalier à vis est posé
dans l'angle de la cour. Désormais, les appartements privés
du prince sont transférés dans l'aile orientale.
Les toits de la plupart des tours sont restaurés
et leur base élargie, en sorte qu'ils recouvrent le chemin
de ronde ; on a écrit que le roi René songeait
au confort des soldats montant la garde ; en réalité,
des niches de repos suggèrent que le chemin de ronde est
devenu une galerie de plaisance, d'où l'on admire le paysage.
La tour neuve est recouverte par des ardoises fines, fixées
à deux clous. A la suite d'un contre-ordre, le plomb est
maintenu sur les autres toits. En outre, des cheminées
emportées par le vent sont refaites.
Finalement, toutes les parties hautes de l'édifice
semblent avoir été retouchées à cette
époque, et le roi, même s'il n'aime guère
y résider, est très fier de l'allure élancée
et aérienne de son château. Il en fait une « chose
célestielle », le palais idéal du dieu d'Amour :
« Ledit beau chastel estoit de façon telle
comme celui de Saumur en Anjou, qui est assis sur la rivière
de Loire, sinon qu'il estoit de grandeur et de l'espace la moictié
plus large et plus spacieux. Pour ce n'estoit pas merveille,
à la façon que le conte vous advise, s'il rendoit
grant lueur quant le souleil luisoit sus ». D'après
Lecoy de la Marche, cette dernière allusion s'expliquerait
par l'éclat de la couverture de plomb.
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5) Des fêtes de chevalerie
Christian de MÉRINDOL, Les Fêtes de Chevalerie
à la cour du roi René ( Emblématique, art
et histoire ), 1993.
Jean FAVIER, Le Roi René, Fayard, 2008, p.
144, distingue deux fêtes de chevalerie, le Pas du Perron,
donné à Launay, et l'Emprise de la Joyeuse Garde,
donnée à Saumur à « une demi-portée
d'arc du château », donc sur l'actuel parking
devant l'entrée. On ne trouve aucune trace de cette seconde
fête dans les relevés très minutieux de la
cour des comptes d'Anjou. Restons-en à une fête
unique relatée dans des récits fluctuants.
Françoise ROBIN, La Cour d'Anjou-Provence. La vie
artistique sous le règne de René, 1985, p.
49 et 173-174.
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Grand admirateur de la chevalerie, auteur du Traictié
de la forme et devis d'ung tournoy, le roi René organise
des "pas d'armes", où les joutes anciennes prennent
des formes moins brutales pour laisser le premier plan à
l'apparat, au décor et à la galanterie.
En juin 1446, s'inspirant des romans de la Table Ronde,
il donne l'Emprise de la Joyeuse Garde, appelée aussi
le Pas du Perron. Pendant quarante jours, excepté le vendredi,
dans la plaine de Launay, où est édifié
un château de bois orné de tapisseries, les assaillants
attaquent les tenants, qui défendent un "perron de
marbre", gardé par un nain entouré de deux
lions. Dans les combats singuliers, les vaincus doivent donner
une pierre précieuse ou un cheval à leur vainqueur ;
« l'autheur qui a descrit ce Pas dit qu'il y eut cinquante
et quatre diamans et trente-six rubis donnez aux Dames par ceux
qui furent vaincus ». Les deux grands vainqueurs reçoivent,
un destrier pour le premier, et pour le second un fermaillet
de diamants.
Les badauds de la région peuvent admirer un splendide
défilé à travers la ville, qu'on peut évoquer
d'après les miniatures du temps : chevaux revêtus
de caparaçons aux couleurs flamboyantes, dames couvertes
de bijoux et surhaussées par des hennins extravagants,
chevaliers protégés par des armures de parade et
portant des cimiers surmontés par des emblèmes
impressionnants. « Après toutes ces choses
ainsi heureusement achevées sans aucune querelle, le Roi,
la Reine et toute cette belle et noble assemblée s'en
retournèrent à Saumur en très magnifique
ordre, sa suite étant plus grande que lorsqu'il vint au
lieu de la joute, car tous les assaillants mêlés
joyeusement avec les tenants y accompagnèrent le Roi,
qui les festina et traita plusieurs jours très splendidement.
Que si les chevaliers avaient fait paraître leur valeur
et leur adresse dans ce noble pardon d'armes, les dames et damoiselles
firent aussi éclater leur beauté et leur gentillesse
dans le bal que la Reine donna fort souvent... » (
Marc Vulson de la Colombière, Le vray Théâtre
d'Honneur et de Chevalerie ou le Miroir héroïque
de la noblesse, 1648 ).
Les Saumurois ont bien droit à quelques miettes
du spectacle, car c'est le grenetier de la ville qui règle
les frais de la fête en 1455, pour un montant de 1 200
livres ( alors que la guerre de Cent Ans n'est pas encore
terminée... ).
Le roi René ordonne à des artistes provençaux
de fixer le souvenir de ces réjouissances dans une peinture
sur bois, mais il est mécontent du résultat. Aussi
fait-il venir des Pays-Bas deux compagnons de l'atelier de Jean
van Eyck ( "maître Jehanot le Flament", qui vient
de décéder ). Ces artistes représentent
des scènes de l'Emprise dans la grande salle du château
de Saumur, située dans l'aile occidentale, aujourd'hui
détruite ; ils en sont payés par mensualités
de 35 florins pour un total de 210 florins. Ces oeuvres disparues
( probablement des fresques ) devaient être du plus
haut intérêt ; il en subsiste un écho
dans les manuscrits enluminés relatant les festivités,
en particulier dans les 89 dessins conservés à
Saint-Petersbourg.
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6) Des Passions pour le bon peuple
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Le roi René n'oublie pas ses sujets, qui apprécient
les grandioses mises en scène de la Passion, se déroulant
sur plusieurs jours et mélangeant comique et tragique.
En octobre 1462 est interprété à Saumur
« le mistère de la Passion et de monseigneur
saint Jehan-Baptiste » ( il s'agit probablement de
la Passion d'Arnoul Gréban ). Afin d'encourager ses
sujets à dévotion, René leur accorde une
remise d'impôts de 600 livres, qui serviront à régler
les dépenses d'estrades et des costumes. L'année
suivante, il vient en personne assister à une représentation.
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7) Le tombeau de Tiphaine Maugin
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Par une touchante et rare attention, le roi René
fait élever dans l'église N.-D. de Nantilly un monument
funéraire en souvenir de sa nourrice. Entre 1459 et 1462,
Pons Poncet sculpte un gisant représentant « Thiephaine
la Magine », Tiphaine Maugin, tenant dans ses bras
les deux nourrissons royaux, René et sa soeur aînée
Marie, tous deux étroitement emmaillotés.
Le monument a disparu, mais les vers sans prétention
du roi René subsistent, gravés sur une plaque de
calcaire dur.
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8) Domine quo vadis
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Dans les années 1471-1477, le roi René
offre à l'église Saint-Pierre un retable sculpté
et peint qui est placé sur le maître-autel. Un groupe
de statues évoquait la rencontre de saint Pierre avec
le Christ. Au XVIIe siècle, seuls subsistaient les portraits
des donateurs, René d'Anjou et Jeanne de Laval, placés
de chaque côté de l'autel ( à gauche,
dessin par Gaignières ).
Le roi est représenté déjà
âgé et le visage troué de verrues. Le peintre
Coppin Delf a donné au groupe des couleurs flamboyantes,
qui mettent en valeur les armoiries royales disséminées
à travers les tapis.
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9) Le mythe
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En 1529, le chroniqueur Jean de Bourdigné lance
la légende du roi René, présenté
comme un personnage débonnaire et un bienfaiteur du peuple.
A Saumur circule l'histoire mythique de Pharouelle, sauvé
de la noyade par le roi René, qui l'autorise à
devenir le président d'une "République de
l'Ile d'Or", unissant des marins et des pêcheurs dans
le quartier des Ponts. [ Il n'y a aucune trace d'un Pharouelle
à Saumur avant le XVIIe siècle. ]
Plus près de nous, entre les deux guerres, un musée
est dédié au culte du roi René. Il est installé
dans la Maison du Roi. Il en subsiste le monument placé
à son entrée, sur lequel on retrouve le goût
du souverain pour les blasons et l'emblématique.
Loin de toute hagiographie, la longue énumération
qui précède suffit malgré tout à
prouver la multiplicité des interventions locales de ce
prince fastueux.
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