1) Les premiers représentants de la ville
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- 1138 : lors du rachat des droits sur les vignes apparaît
Etienne, représentant les bourgeois de Saumur ;
- 1162 : il est précisé que le pont de bois
a été construit par les bourgeois et les chevaliers ;
- 1264 : ces mêmes bourgeois de Saumur nomment l'un des
jurés qui surveilleront la reconstruction du pont de pierre
par l'abbé de Saint-Florent.
Ces quelques témoignages prouvent l'existence de
délégués parlant au nom de la ville et donc
d'un embryon d'organisation locale. Le très imaginatif
J.-B. Coulon ( p. 84 ) suppose même l'existence d'une
commune, jouissant « de l'administration municipale
et du régime électif ». Cette allusion à
une charte de franchise est à rejeter sans nuance.
Les premiers représentants de la ville étaient-ils
nommés par le pouvoir comtal - ou bien élus dans
le cadre d'une assemblée de paroisse - ou encore désignés
par une association de marchands, comme c'est le cas dans de
nombreuses villes, notamment à Paris ? Même
si la dernière hypothèse est la plus probable,
rien ne permet de trancher pour Saumur.
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2) D'abord, un receveur des deniers communs
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En même temps que se met en place la nouvelle
gamme d'impôts royaux apparaissent les premières
taxes locales destinées aux fortifications de la
ville : l'appétissement
et la cloison. Le premier agent de la cité est donc
un percepteur, le receveur des deniers communs ; le plus
ancien, cité en mars 1364, est Thomas Prod'homme, à
qui succède Thomas Lechanteur.
Cependant, cette fonction devient aussitôt après
un office qui est mis en vente ; désormais, propriétaire
de sa charge, le receveur dispose d'une marge d'autonomie par
rapport aux habitants de la ville. De vifs conflits s'ensuivent.
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3) Un acte de Charles V en 1371 ?
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L'auteur, déjà cité, d'une liste
des premiers dirigeants de la ville ( A.D.M.L., IV B 3 )
débute son résumé comme suit :
Très minutieux par ailleurs, notre compilateur
semble nous tendre une fausse piste. Ce droit d'Hôtel de
Ville n'apparaît nulle part ailleurs pour cette année
1371. A l'inverse, la perception de deniers communs est plus
ancienne.
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4) Un acte de Charles VII ?
A.M.S., BB 14, n° 15 et BB 6, fol. 43 = 17
janvier 1437
A.M.S., BB 5, fol. 131 et CC 22, n° 17 = 17
février 1437
F. BOURNEAU, Le Déluge de Saumur, 1618, p. 39
= nov. 1445
F. BERNARD DE HAUMONT, Notes... p. 54-55 = 1443
A.M.S., JJ 1 ( 1659-1660 ), JJ 2 ( 1671-1690 ),
JJ 3 ( 1750-1762 ), fol. 2.
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Afin de défendre leur autonomie au temps de
la monarchie absolutiste, les édiles locaux se réfèrent
sans cesse à Charles VII, qui aurait créé
la municipalité de Saumur par des lettres patentes données
à Montreuil-Bellay.
En scrutant les multiples versions des Archives municipales,
je suis allé de surprise en surprise. L'acte original
, ou seulement des copies authentiques, ont tous disparu. Les
lettres sont seulement résumées sous des formes
différentes ; leur date varie sans cesse dans les
références des registres municipaux ou chez les
premiers historiens de la ville. En 1616 est évoquée
une confirmation du 29 décembre 1442 qui demeure tout
aussi introuvable.
Trois inventaires des archives municipales ont été
dressés sous l'Ancien Régime. Les deux premiers
ne citent pas d'acte antérieur à 1616. Seul le
classement du XVIIIe siècle fait une vague allusion à
une décision royale antérieure à 1437.
Un extrait est soumis en 1759 au procureur général
du Parlement de Paris, Joly de Fleury, qui le qualifie de copie
informe et sans valeur ( B.N.F., coll. Joly de Fleury, n° 360 ).
Enfin, si l'on prend le soin de vérifier où
était Charles VII aux dates évoquées, il
n'est jamais à Montreuil, même s'il séjourne
à Saumur de septembre 1443 à février 1444.
Faut-il conclure à une invention pure et simple ?
Ou plutôt à un acte peu significatif qui a été
déformé par la suite selon les besoins de
la cause ? D'après la version de Bernard de Haumont,
les Saumurois se plaignent auprès de Charles VII de leurs
receveurs. « Ensuite de quoy le Roy commet les eslus
aveq quelques notables bourgeois pour examiner les comptes des
receveurs des deniers publics et leur done pouvoir de les contraindre... ».
Ce serait tout, mais cela annoncerait les décisions de
1466. Le juriste ajoute que les Saumurois reçoivent le
droit de tenir des Assemblées générales
des Habitants. Je doute de cette partie de son texte ; en tout
cas, cette faveur fut sans lendemain.
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5) La création d'un corps de Ville,
1466
A. N., JJ 194, fol. 79, imprimé dans Ordonnances
des Rois de France de la Troisième Race, t. 16,
1814, p. 495-496
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Le premier acte incontestable qui place un conseil
à la tête de la ville remonte au 31 juillet 1466.
Il est accordé par Louis XI à Montargis ( et non
au lieu-dit inexistant de la Mothe d'Esgry, comme l'indiquait
une lecture fautive ). Le roi, qui vient de renouveler l'appétissement
et qui prépare le retour de l'Anjou dans son domaine propre,
crée un corps de ville de douze membres « pour
traiter des communs affaires de ladicte ville ». Ce
conseil est mis en place par les élus du roi qui perçoivent
les aides, par les procureurs du roi de Sicile et par « cinq
ou six des gens notables d'icelle ville » ; il
constitue à l'évidence une oligarchie très
restreinte, mais il devient un organe permanent chargé
de surveiller les recettes et les dépenses locales, avec
pouvoir délibératif : tout ce qu'il décidera
vaudra « comme s'il estoit faict en assemblée
générale des habitans de ladicte ville ».
Si j'interprète correctement ce dernier passage,
le roi n'accorde pas aux Saumurois le droit d'assemblée
générale. Mais il ne faut pas se méprendre
sur ces assemblées : partout où elles existent,
elles regroupent un nombre très restreint de chefs de
famille. Finalement, la situation n'est guère différente
à Saumur.
Louis XI est loin d'être aussi large que pour Angers
et Tours, mais cet embryon de pouvoir municipal se développe
par petites étapes au cours du siècle suivant.
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6) Saumur, "bonne ville"
Neithard BULST, Die französischen Generalstände
von 1468 und 1484, Prosopographische Untersuchungen zu den Delegierten,
Sigmaringen, 1992, p. 113 et 194 ( B.N.F., 4-G-4283 (26) ).
Bernard CHEVALIER, « Les bonnes villes du Centre-Ouest
au XVIe siècle : constellation ou nébuleuse ? »,
Les Réseaux urbains dans le Centre-Ouest Atlantique
de l'Antiquité à nos jours, 1995, p. 109-126.
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Une "bonne ville" est une cité à
la fois fortifiée et dotée de privilèges.
En 1468, Louis XI convoque à Tours des Etats généraux,
où il invite les " bonnes villes " de l'Ouest
de son royaume, qui sont au nombre de neuf : Orléans,
Angers, Bourges, Tours, Chartres, Le Mans, Issoudun, Blois et
Saumur. Le greffier les cite dans cet ordre. On constate donc
que la ville figure " dans la cour des grandes ",
alors que Chinon est absente, mais qu'elle vient en dernier.
Saumur envoie deux délégués, dont
les noms sont inconnus.
Une " bonne ville " doit fournir des
soldats au roi, ou plutôt lui verser des équivalents
de solde. D'après un document fiscal de 1538, Saumur rétribue
10 hommes, soit 60 livres tournois par an. Mais elle est classée
dans la catégorie des petites villes.
Une conclusion nuancée s'impose : Saumur renforce
progressivement son statut d'autonomie, mais déjà
elle ne parvient pas à s'imposer entre Angers et Tours,
convoquées aux Etats généraux ultérieurs,
alors que Saumur ne l'est plus.
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7) Le droit d'Hôtel de Ville
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Entre 1508 et 1527, Guillaume Bourneau, lieutenant
du Sénéchal d'Anjou, fait bâtir notre ancien
Hôtel de Ville. La décision n'a pas été
prise par les douze représentants des habitants, mais
par un officier du roi. Comme nous l'avons vu plus haut, le
renforcement des fortifications et la surveillance des ponts
semblent avoir joué un rôle déterminant.
En tout cas, l'existence d'une Maison de Ville apporte
de l'apparat au pouvoir local et le droit d'Hôtel de Ville
permet quelques interventions de basse justice. Sans intervention
d'un juge ordinaire, le bureau de ville peut condamner à
des amendes ou à quelques jours d'emprisonnement. De même,
sur ses deniers communs, la ville offre à l'église
Saint-Pierre la grosse cloche François en mai 1539.
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8) La première annexion de l'Ile Neuve et de la Croix
Verte
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Traditionnellement, les habitants des îles de
la rive nord de la Loire appartenaient à la paroisse de
Saint-Lambert. Ils continuent d'en dépendre pour les actes
paroissiaux, mais, au cours du XVIe siècle, en raison
de l'importance stratégique des ponts, ils sont, comme
la Bastille, rattachés à la place de Saumur et
ils envoient des délégués à des réunions
qui portent désormais un titre plus ronflant : « les
assemblées des officiers, bourgeoys, manans et habittans
de nostre ville et forsbourg de Saulmur ».
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9) Deux échevins
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En 1577, à la suite de la démission de
Virdoux, l'assemblée des habitants nomme deux nouveaux
échevins, René Delhommeau et Nicolas Ambellon ( A.D.M.L.,
E 4386 ). C'est la première apparition du titre,
bien que la fonction soit plus ancienne ; sur d'anciens
documents comptables figurent des agents de la ville chargés
de surveiller les fortifications et les receveurs. Par exemple,
en 1380, Bertrand du Hindre et Gervaise de Rubérant portent
le titre " d'élus de ville " ;
selon Bernard de Haumont, ce sont les premiers échevins,
ce qui est tout à fait crédible. De même,
en 1534, la dédicace de la chapelle des Ardilliers, rédigée
en latin, cite la présence de " decurionibus " ;
ces décurions sont sans doute une appellation antiquisante
des échevins.
Les désignations de 1577 sont caractéristiques
du fonctionnement de l'échevinage. Le premier échevin
est désigné par la magistrature, le second par
les marchands ; ils sont choisis dans des assemblées
particulières de ces corps et l'assemblée générale
ne peut qu'entériner. Quelques familles puissantes monopolisent
ces postes : les mêmes noms reviennent cycliquement
pendant deux siècles.
La fonction est en effet hautement honorifique. Dans une
délibération de 1588 portant sur la place des échevins
aux séances, il est précisé qu'ils siègent
juste après les officiers du roi, ce qui est important
dans une société où le souci du rang est
primordial. La fonction d'échevin est la seule charge
qui ne soit pas mise en vente et qui est constamment renouvelée.
Elus pour trois ans en principe - à certaines périodes,
pour deux ans -, les échevins peuvent se considérer
comme les véritables représentants des habitants.
En contrepartie, ils sont un peu des hommes à tout
faire ; ils assistent le prévôt dans ses opérations
de police, ils sont responsables de l'urbanisme et doivent surveiller
les gestionnaires des deniers publics, apparemment très
portés sur la resquille, et relativement indépendants,
car en 1481, Louis XI crée l'office royal héréditaire
de receveur de ville. Prenante, leur besogne n'est pas même
indemnisée. Aussi, les démissions sont-elles fréquentes.
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10) Pas de maire
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La fonction élective de procureur-syndic apparaît
à la même époque, mais le titre de maire
est totalement inconnu. Saumur possède un corps municipal,
soumis à une étroite oligarchie et aux pouvoirs
soigneusement rognés par les gens du roi.
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