1) Vers Saint Jacques d'Angers
Denise PÉRICARD-MÉA, « Le Corps
de Saint-Jacques à Angers », 303, XLII,
p. 24-31
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Au XVe siècle, les Angevins sont convaincus
que le corps de Saint Jacques le Majeur a quitté Compostelle
et repose dans la crypte de Saint Maurille d'Angers. Le saumurois
Claude Ménard consacre même un livre pour défendre
cette croyance.
En tout cas, un actif pèlerinage naît alors
et de nouvelles routes de jacquets convergent vers la capitale
de l'Anjou. La chapelle Saint-Jacques de la Croix Verte fait
sa première apparition vers 1480 ( A.D.M.L., H 1854 ) ;
située sur le bord de l'ancienne levée, elle n'a
jamais été dotée de chapelain attitré.
Elle constitue sûrement une étape de pèlerinage
sur la route d'Angers, et non de Compostelle, comme on le croyait
jusqu'ici ( voir impasse
du Port-Saint-Jacques ).
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2) Les Ardilliers : le récit traditionnel
Jacques PLOQUIN, Un pèlerinage marial angevin à
l'époque moderne, Notre-Dame des Ardilliers, à
Saumur, mém. de maîtrise, 1977,
recopié par Jean de VIGUERIE, Notre-Dame des Ardilliers
à Saumur. Le pèlerinage de Loire, 1986.
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La saine méthode invite à partir du premier
récit des origines des Ardilliers ; il a été
rédigé dans les années 1611-1615 par Guillaume
Bourneau, sieur de Beauregard, procureur du roi à la Sénéchaussée.
Il s'agit donc d'un texte tardif, destiné à l'information
des Oratoriens, que l'auteur veut faire venir à Saumur,
mais ce dernier affirme avoir interrogé des centenaires
( A.M.S., II A 1, n° 4 ).
« ...un pauvre homme, journalier, demeurant
au faux-bourg de Fenet, proche des Ardilliers, beschant la terre
le long de cette fontaine, y rencontra une image de pityé
ayant son fils Jésus mort entre ses bras... »
Il rapporte dans sa maison l'image, c'est-à-dire la sculpture.
Or, dans la nuit et à plusieurs reprises, la statuette
retourne auprès de la fontaine, affirmant ainsi que là
était sa vraie place. Ce prodige, suivi de quelques autres,
fait naître un pèlerinage local, aussitôt
très fréquenté.
Les autorités de la ville font peu après
construire « un arceau de pierre au-dessus de cette
fontaine des Ardilliers, au dedans duquel auroit esté
mise cette dite image ».
Ce récit traditionnel est repris et embelli dans
deux ouvrages qui paraissent au début du XVIIe siècle.
En 1619, Guillaume de Rennes, publie chez l'éditeur saumurois
René Hernault des " Stences sur l'antiquité
de la chapelle de N.D. des Ardilliers et en quel temps l'image
de la vierge fut trouvée ". Le second est
anonyme et porte un long titre mal orthographié :
" Histoire de l'origine de l'Image et de la Chapelle
de Nosre Dame de la Fontaine des Ardilliers les Saumur en Anjou.
Et des plus signalez miracles que Dieu y a operez en sa faveur " ;
il est l'oeuvre des Pères François Bareyre et surtout
du saumurois René Demyon, membre de l'Oratoire de 1628
à 1647, selon l'identification du Père Batterel,
le secrétaire contemporain et très bien informé
de la Congrégation ( Louis BATTEREL, Mémoires
domestiques..., t. 1, éd. de 1902, p. 158
- Pierre GOURDIN, S.L.S.A.S., 1995, p. 23-24, attribue
sans arguments probants l'oeuvre à un père récollet,
qui en est seulement le censeur pour le diocèse d'Angers ).
Cet ouvrage, publié pour la première fois chez
André Hernault en 1634, est fréquemment réédité
avec des miracles supplémentaires, et cela jusqu'en 1882.
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3) Au départ, la fontaine
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En angevin ancien, l'argile se dit " ardille "
et les Ardilliers - on écrivait aussi souvent " les
Ardillières " - correspondraient à
des carrières d'argile.
Effectivement, à la base de la couche de tuffeau du turonien,
épais d'environ 35 mètres, se trouvent des bancs
d'argile mélangés à la craie, qui se débite
alors en plaquettes. La photo ci-contre, prise aux Ardilliers,
au niveau de la route, correspond au Turonien inférieur
et à l'apparition du Cénomanien supérieur.
Dans la couche de tuffeau elle-même s'intercalent
des strates d'argile verte, qui retiennent les eaux infiltrées.
La source des Ardilliers rassemble en réalité trois
sources qui se réunissent dans une étroite galerie
située à la hauteur du dôme, en contre-bas
de l'ancien hôpital troglodytique. Son eau, qui contient
de l'argile, présente des propriétés curatives.
Joseph Grandet, qui a conduit une enquête détaillée
et consulté des documents aujourd'hui disparus, note,
au début du XVIIIe siècle : « Il se
trouve un compte-rendu à Saumur par Berthelot Lemercier,
receveur des deniers de la ville, avant que l'image eut été
découverte, qui fait foi des vertus merveilleuses de cette
fontaine ; mais depuis que cette source, avec la place,
a été consacrée à la Mère
de Dieu et rendue pour ainsi dire miraculeuse par l'ombre de
cette sainte image, son eau a été bien plus recherchée,
particulièrement contre la teigne. » ( Joseph
GRANDET, Notre-Dame Angevine, éd. de 1884, p. 378 ).
Les qualités de cette fontaine étaient reconnues
par les édiles saumurois, qui avaient projeté de
construire une canalisation amenant ses eaux jusqu'à la
place Saint-Pierre. A noter aussi que tous les documents anciens
parlent de fontaine, et non de source, ce qui suppose un aménagement
au moins rudimentaire du filet d'eau jaillissant à la
base du coteau. [ Aujourd'hui, la fontaine est redevenue une
source, qui se déverse sur la rue devant le numéro
3 de la place Notre-Dame ( Hubert GIGOT, S.L.S.A.S.,
1995, p. 19 ) ]
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4) Une fontaine christianisée
Pierre AUDIN, « Un exemple de survivance
païenne : le culte des fontaines dans la France de
l'Ouest et du Centre-Ouest. Deuxième partie : du
Moyen Age à nos jours », A.B.P.O., 1980,
p. 679-696.
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La fontaine des Ardilliers a pu être l'objet
d'un culte païen, remontant au moins aux gallo-romains.
Ce récit d'une statue de la Vierge se fixant auprès
d'une fontaine se retrouve une soixantaine de fois dans l'Ouest
de la France, avec de faibles variantes. La Vierge remplace habituellement
une divinité féminine de la fécondité
et le retour de la statue illustre la volonté de briser
les anciens cultes, qui opposent une longue résistance.
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5) La piétà
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La statuette qui aurait été trouvée
est une Vierge de Pitié tenant son fils mort sur ses genoux.
Cette vision dramatique est en harmonie avec la tonalité
religieuse du XVe siècle ( aux XIIe et XIIIe siècles,
on préférait les vierges à l'enfant, comme
à Nantilly ). Les piétà apparaissent
en Allemagne au XIVe siècle et se répandent dans
le domaine français au début du siècle suivant.
Il est cependant surprenant que la piétà
des Ardilliers soit si peu représentée et qu'elle
nous soit parvenue par des figurations relativement dissemblables.
Une gravure sur cuivre de 1613 représente la
procession du voeu public de Poitiers à Notre-Dame des
Ardilliers. La partie centrale de la gravure figure une pietà
de grandes dimensions reposant sur un autel. C'est l'image la
plus ancienne de la statue.

François Ernou ( après le voeu de Richelieu
de 1632, sur un carton de prières ) la présente
dans un groupe. Un ange, d'allure renaissante, a été
ajouté à gauche, et le donateur de la chapelle,
le cardinal de Richelieu, apparaît à droite.

De même, en 1633, Abraham Bosse évoque le
groupe, quand il représente un projet de nouvel autel
offert par le cardinal. La position des bras n'est pas du tout
la même et Richelieu a disparu, ou n'est pas encore apparu.

Pour son Atlas Marianus, paru en 1657, Wilhelm
Guppenberg a réuni toutes les figurations célèbres
de la Vierge. Cette nouvelle représentation de la piétà
des Ardilliers diffère légèrement des précédentes,
mais l'allure globale des quatre représentations est la
même. Dans tous les cas, il s'agit d'un groupe de grande
taille, approximativement aux dimensions humaines, la tête
du Christ étant toujours placée sur le côté
gauche.
Les récits divergent sur la destruction possible
de la statue par les Huguenots. L'imposant groupe figuré
au XVIIe siècle aurait remplacé la statuette primitive.
Pas plus claires sont la disparition de la statue au temps de
la Révolution et sa réapparition postérieure.
En tout cas, la piétà présentée
actuellement, malgré ses aspects archaïques, n'a
plus aucune ressemblance avec celle qui était figurée
au XVIIe siècle. La tête du Christ est du côté
droit, l'ange a disparu. Il s'agit d'un assemblage de deux statues,
de petite taille, une tête minuscule ayant été
insérée sous le voile de la Vierge. Les têtes
ont été recollées le 28 juin 1887. Un débat
entre ecclésiastiques s'élève alors sur
l'authenticité de cette statuette. L'argumentation de
l'abbé Choyer est la plus fondée : cette piétà
n'est pas celle du XVIIe siècle.

Ce beau canivet ( image pieuse à bords dentelés )
de la seconde moitié du XIXe siècle s'inspire lointainement
de la statuette actuelle, en plaçant la tête du
Christ du côté droit, ce qui est plutôt rare
( Canivet édité par H. Bonamy, éditeur
pontifical à Poitiers ).
Dans son eau-forte, Théodore Ruhierre reprend les
canons de la peinture classique et ajoute à droite la
façade de l'église.
 
La Maison Mayaud, dont on reconnaît la marque
à droite, fabrique une petite statuette en régule
à l'intention des pèlerins, statuette minuscule
de 9 cm de haut, reposant sur un socle en bois tourné.
La conception et la facture de cette piétà
sont fort comparables à celles de l'image pieuse au-dessus,
et sans grand rapport avec la statue du XVIIe siècle.
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6) Les dates
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La date de la découverte de la statue est fixée
traditionnellement en 1454, mais les historiographes ont fourni
des explications assez embrouillées. Cette date ne résulte
pas d'un document contemporain, mais du calcul suivant opéré
tardivement par Joseph Grandet : la première pierre de
la chapelle est posée en 1534 ( date certaine ),
et cela environ 80 ans après la découverte de la
statue et la pose de l'arceau, selon les dires des contemporains
( évidemment moins sûrs ; Grandet a seulement
opéré une soustraction ). Trois données
nous invitent à déplacer cette découverte,
ou tout au moins le début d'un pèlerinage, plus
tardivement et même après 1500 :
- 1) Anne-Gabrielle Voisin-Thiberge ( p. 71 ) a examiné
tous les documents portant sur la religion à Saumur au
XVe siècle ; elle n'a trouvé qu'une citation
en 1480 de " la fontaine Paillart, alias des Ardillez ",
sans aucune allusion à un pèlerinage.
- 2) Louis XI, pèlerin fervent des lieux consacrés
à la Vierge, est venu souvent se recueillir à Nantilly
et au Puy-Notre-Dame ; il n'est jamais venu aux Ardilliers.
- 3) Le texte de 1534, ordonnant l'érection d'une chapelle,
précise que l'afflux des pèlerins a commencé
« naguère », c'est-à-dire
« depuis peu », dans le sens précis
du moyen français ( Greimas ).
Compte tenu de ces éléments, il est raisonnable
de faire naître le pèlerinage au début du
XVIe siècle.
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7) Pèlerinage à la Piétà ou à
la Fontaine ?
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Est-ce un pèlerinage à la Vierge Marie
et à son image ( sa statue ), comme l'affirment
le clergé, les lettrés et les notables, qui insistent
sur le sens spirituel de cette démarche ? Ou bien
un pèlerinage vers une fontaine miraculeuse, comme semblent
le penser les simples gens, qui se trempent dans le bassin et
qui emportent de l'eau à leur domicile ? En 1604
encore, l'abbesse de Montmartre en possède une bouteille
dans son monastère parisien. Sous le poids de la culture
des élites, le pèlerinage à la Vierge l'a
emporté, mais, comme beaucoup de ses semblables, il conserve
une certaine ambiguïté.
En tout cas, le « populaire » y afflue,
tant de Saumur « que de tout le païs d'Anjou
et autres païs lointains ». Le « commung
populaire » est exposé aux intempéries,
l'endroit n'étant nullement aménagé, à
l'exception de l'arceau de pierre de trois mètres de large
qui abrite la statuette.
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8) La chapelle primitive
Eric CRON, Notre-Dame des Ardilliers et la Visitation,
Itinéraires du patrimoine, 2001.
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Le lieutenant de Saumur, François Migon, nomme
deux procureurs, Pierre Hardré et Louis Hervé,
qui sont chargés de recueillir les dons et d'élever
une chapelle au-dessus de la fontaine.
Les travaux sont lancés le 1er août 1534,
en présence des notables de la ville, dont les noms sont
gravés sur la première pierre.
L'absence des autorités religieuses locales est
à remarquer, le prieur-curé, pas plus que le recteur-desservant
ne sont cités. Suivant la tradition du clergé,
ils sont très réservés à l'égard
de ces pèlerinages spontanés et de ces prodiges
miraculeux, d'autant plus qu'à la même époque,
la Réforme protestante les dénonce violemment.
Curieusement, c'est au lendemain de la mainmise protestante sur
Saumur que le clergé va s'impliquer dans le pèlerinage
et rédiger les premiers comptes-rendus de miracles...
Pour l'instant, le lieutenant de Saumur reproche ouvertement
au prieur de Nantilly de ne s'intéresser qu'à l'argent
provenant de la vente des chandelles. L'édifice est
donc l'oeuvre des autorités civiles, qui l'élèvent
pour des motifs d'ordre public.
Les travaux ont été longs ; c'est en
1553 seulement que l'évêque d'Angers, Gabriel Bouvery,
vient bénir le nouvel édifice dédié
à Notre-Dame de Pitié.
Seul subsiste une partie du choeur, construit dans
le style gothique sophistiqué du XVIe siècle ( à
gauche ). Le reste de la voûte a été détruit
au siècle suivant pour faire la place à un autel
plus élevé.
C'est encore une minuscule chapelle qui
apparaît sur la gravure de Collignon vers 1635-1646 ;
encore faut-il enlever les deux travées de la chapelle
de Richelieu récemment accolées du côté
de la Loire.
Des travaux énormes sont alors en cours, mais ils
relèvent d'un chapitre ultérieur.
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