La crise iconoclaste ( avril-mai 1562 )

 

 Les briseurs d'images débutent leurs activités par des intimidations le lundi de Pâques, c'est-à-dire le 30 mars 1562 : un père cordelier prêche dans la cour de l'abbaye de Saint-Florent ; les fermiers de l'abbé commendataire, Diogène Guyolle, François Jounault et les Delavau, l'interpellent d'une fenêtre, le couvrent d'injures et le menacent de mort.


1) Une action encadrée par les officiers de justice et de finance

 D'après l'information secrète conduite avec minutie l'année suivante ( A.D.M.L., H 1934 ), les milieux dirigeants de la ville sont des sympathisants actifs de la nouvelle cause. A leur tête, le lieutenant général du Sénéchal d'Anjou, François Bourneau, avec son épouse, née Marthe Foulon, qui semble très exaltée, et son frère cadet Brandélis. Les titulaires des grands offices de judicature et de finance sont acquis : l'avocat du Roi, Robert Lemaçon, sans doute apparenté à Jean Lemaçon, dit La Rivière, ministre de la première église constituée de France ; la prévôté avec la famille Lebeuf et Etienne Cailleteau ; les élus ; Florent Jaunay, grenetier ; le receveur des tailles.
 Ces notables sont assistés par de nombreux agents subalternes ( greffiers, sergents ) et par des familles importantes appartenant aux professions libérales, par exemple, les Maliverné, avocats, et René Jacob, notaire.
 En bref, selon les dires d'un témoin, « les plus grands en l'autorité de ladite ville ». Un seul est défavorable, Michel Desmontils, le procureur du Roi.


2) Le renfort des capitaines

 L'entrée dans la ville des capitaines huguenots et de leurs hommes permet l'action violente. Neuf noms de ces capitaines sont cités ; ce sont en majorité de petits seigneurs de la campagne angevine, mais ils sont rarement nobles.
 Outre les deux noms évoqués dans le corps du chapitre, il faut signaler la présence de Corneille, un capitaine écossais ; de Jean Renard, sieur de la Minguetière, qui, en 1571, dirigera une petite escadre lancée contre Saint-Domingue selon les plans de Coligny, et disparut dans l'opération. On remarque aussi, car c'est un cas original et plus nettement politique, Louis Bouchereau, originaire de Beaufort, un capitaine qui est et restera catholique, tout en servant dans l'armée huguenote.
 Pour les effectifs des soldats, les estimations des témoins oscillent entre 200 et 600, le nombre le plus bas étant le plus probable, car il s'agit encore de bandes locales.


3) La composition socio-professionnelle des participants

 Les 106 témoins qui répondent à l'information judiciaire, sont de simples gens de Saumur et de Saint-Florent, qui connaissent tous les participants de la ville et de la région ; ils m'ont permis de réunir les noms de 81 iconoclastes actifs. Pour 16 d'entre eux, aucune profession n'est précisée, mais il ressort des documents que le greffier n'a relevé que les activités considérées comme honorables et justifiant le qualificatif de "maître". J'ai donc rangé ces 16 participants dans les métiers manuels, au demeurant très faiblement représentés. De même, pour les femmes, la profession est rarement indiquée.
 Les graphiques ci-dessous révèlent un fort contraste.

Les cadres réformés
sur 81 identifiés 

 Les témoins catholiques
sur 82 identifiés

  Les réformés militants qui participent aux actions iconoclastes sont à 59 % des notables de la ville. On retrouve ici ce qu'avait constaté Olivier Christin dans d'autres villes. Les milieux populaires et les femmes sont faiblement représentés.  Parmi les témoins catholiques, scandalisés par ces destructions, on remarque un fort pourcentage féminin et la prédominance des milieux populaires, les cadres supérieurs ou moyens ne représentant que 14 %.
 

D'après les données de Patricia GUITTON, Violences et intolérances à Saumur durant les guerres de religion, 2000.

4) Des actions avant tout anticléricales

 Des attaques spontanées sont d'abord dirigées contre les églises de la ville de Saumur. A la mi-mai, une véritable expédition, protégée par des soldats, accompagnée par des bateaux, est lancée contre l'abbaye de Saint-Florent. Les violences y sont spectaculaires, mais en général contrôlées par les officiers de justice, qui prétendent agir au nom du roi et qui dressent les inventaires des objets saisis, afin, disent-ils de les mettre en sûreté. Hommes d'ordre, ces magistrats entendent rétablir l'ordre de Dieu.
 Dans un désir exalté de restaurer une pureté originelle, les iconoclastes s'en prennent aux symboles les plus exécrés de la religion catholique :
- les
statues sont la cible première ( d'où le nom de crise iconoclaste ), en application du commandement du Décalogue : « Tu ne te feras pas d'image taillée, ni aucune image de ce qui est en haut dans le ciel, ou de ce qui est en bas sur la terre, ou de ce qui est dans les eaux au-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras pas devant elles et tu ne les serviras pas » ( Exode, 20, 4 et 5 ). Les statues sont détruites aux Ardilliers ( vraisemblablement la première statue du pèlerinage ), à Saint-Nicolas, dans l'abbatiale de Saint-Florent, à Saint-Doucelin du Château, aux Cordeliers et à Saint-Pierre. Un témoin ( A.D.M.L., H 1934, n° 21 ) déclare « avoir veu davant Saint-Pierre tirer à coups de harquebuzes dans les ymaiges estant sur le portal de l'églize » ( l'ancienne façade de style poitevin ). Cette action a aussi un but pédagogique ; ces statues auxquelles les fidèles accordent de grands pouvoirs se sont que pierre ou bois et elles se laissent détruire impunément : « Voyez ; elles n'ont point de puissance ! Si elles en avoient, elles ne souffriroient qu'on les bruslast ! » ( n° 56 ). A Saint-Florent, une statue de Moïse en bronze est emportée pour être transformée en canons.
- les
reliques et les reliquaires précieux sont particulièrement pourchassés à Saint-Florent. Le lieutenant Bourneau fait transporter par bateau les châsses et les reliquaires à son domicile. La châsse de Saint-Florent est démontée par un bijoutier et transformée en lingots destinés à financer l'armée de Condé. Desmé de Chavigny a vu un acte ( détruit pendant la dernière guerre ) du consistoire de Saumur estimant le butin au poids de 498 marcs d'argent.
 Quant aux reliques, compte tenu de l'aversion des réformés, il est hautement probable qu'elles ont été détruites, bien que leur revente au duc de Montpensier ait été envisagée. Je sais bien aussi qu'en 1692 les moines ont rédigé un mémoire ( A.D.M.L., H 3716, fol. 375 bis ) affirmant qu'ils ont retrouvé des ossements de saint Florent qui avaient été cachés par le cuisinier Léonard Gaspy. Cependant, dans son témoignage de 1563, ce cuisinier ne fait aucune allusion à ce sauvetage.
- les
cloches, symbole d'autorité sur la ville, sont parfois brisées, une à Nantilly, plusieurs à Saint-Hilaire.
- les
titres de propriété qui fondent les redevances prélevées par l'Eglise. Dans une enquête particulière ( A.D.M.L., G 2318 ), les chapelains de Nantilly signalent que tous leurs documents anciens ont été brûlés ( il en subsiste cependant un bon nombre ! ). En tout cas, les réformés ne paient plus les dîmes ni les autres redevances. Dans le chartrier de Saint-Florent, outre quelques pertes, quelques actes du XIe siècle sont grossièrement falsifiés : le nom du puissant seigneur Borrellus est corrigé en "Bornellus" ; je suppose que François Bourneau cherchait ainsi à établir l'ancienneté de sa lignée.


5) Les manifestations de culture calviniste

 Jusqu'ici on assiste à une manifestation de violence anticléricale et surtout anti-monastique ( mais les iconoclastes ne s'en prennent pas à l'abbaye de Fontevraud, pourtant peu prisée à Saumur ). Il faut bien scruter les procès-verbaux pour y trouver des actes qui vont plus loin et qui témoignent d'une adhésion aux doctrines réformées.
 Certains s'en prennent à la messe des catholiques, ils se déguisent avec des ornements sacerdotaux et chantent en latin. En même temps, ils détruisent les vases sacrés, se mouchent avec des corporaux et blasphèment haut et fort.
 L'épouse de Bourneau fait des plaisanteries sur " Jean le Blanc ", c'est-à-dire sur Jésus-Christ enfariné dans une hostie. Dans l'église Saint-Barthélemy, un fermier de l'abbé s'empare d'une hostie, la brise, la jette à terre en disant : « Tiens, voilà ton Dieu ; s'il a puissance, qu'il se sauve ! ».
 Ces provocations témoignent de la connaissance des doctrines calvinistes sur les sacrements. Mais, encore une fois, elles correspondent à une poignée de participants qui déploient un zèle de néophytes.


6) Essais d'interprétation

 Ecartons d'abord le problème de l'attitude de la noblesse : celle-ci est quasi inexistante dans la ville de Saumur.
 Le grand historien Henri Hauser avait noté le pourcentage élevé d'artisans des villes parmi les premiers réformés ; il en avait tiré une interprétation socioculturelle, selon laquelle la conversion transposerait un mécontentement social et un sentiment de déclassement. Cette explication n'est pas du tout opérationnelle pour Saumur : les gens des métiers sont rares parmi les iconoclastes, ils sont nombreux au contraire parmi les témoins de l'enquête judiciaire, simples gens scandalisés par la destruction de leur univers religieux, de leurs statues, de leurs reliques...
 Les iconoclastes saumurois appartiennent pour les trois quarts d'entre eux aux milieux dirigeants. Ces familles, avec l'essor des administrations judiciaires et fiscales, sont alors en pleine ascension et s'emparent du pouvoir local pour trois siècles. S'il faut envisager des motifs socioculturels, il s'agirait plutôt d'une rivalité entre ce nouveau patriciat des gens de robe et ces autres gens de robe, jadis omnipotents, que sont les membres du clergé.
 Ces notables sont instruits, soucieux de l'éducation de leurs enfants et parfois cultivés ; quelques uns s'étaient fait remarquer par des fondations pieuses. Leur action peut d'ailleurs être d'inspiration religieuse, dans le prolongement de l'évangélisme du début du siècle, soucieux de ramener l'Eglise à sa pureté et à sa simplicité originelles. Comme la majorité des évangélistes, ils critiquent le clergé, manifestent quelques sympathies envers la Réforme, mais finalement ils choisiront de demeurer dans le giron de l'église catholique, pour des motifs divers.


7) Les iconoclastes de 1562 et les réformés du XVIIe siècle

 En tout cas, toutes les grandes familles citées plus haut sont catholiques au siècle suivant. Les Bourneau, les Jacob deviennent même d'ardents zélateurs de la Contre-Réforme.
 Quand on scrute l'état civil protestant des années 1600, on retrouve peu de familles citées en 1562-1563. Quatre restent présentes : la branche de Saumur des Amyraut, les Drugeon, les Nyotte et les Grouard. Un Jounault travaille pour Duplessis-Mornay et se marie au temple de Sorges. Trois grandes familles sont divisées : les Delavau, les Maliverné et les Lebeuf sont majoritairement catholiques, mais comportent toujours une branche protestante.

 Finalement, il y a une césure ; l'église de Duplessis-Mornay n'est pas la continuation directe de celle de Jean de l'Espine.