Les quarante premières années de Duplessis-Mornay 

  

1) Un cadet de famille noble

 Né à Buhy, dans le Vexin français, le 5 novembre 1549, Philippe de Mornay est le deuxième garçon d'une famille de vieille noblesse, qui possède un grand château, mais peu de terres autour. Son frère aîné héritera de presque tout. Lui, il est prédestiné à l'état ecclésiastique, car son oncle et parrain est abbé commendataire d'une belle abbaye, qui rapporte 20 000 livres par an et qu'il est disposé à lui transmettre.
 Philippe de Mornay aurait donc pu devenir, à la façon de Ronsard, l'un de ces membres du haut clergé, vivant dans l'opulence et sans grand souci de ses charges.
    

2) Les années d'apprentissage

Pour détails complémentaires, voir PATRY et D. POTON, dans Landais, p. 150-151.

 En réalité, sa mère et son précepteur ont adhéré secrètement aux idées religieuses de Luther, et le jeune garçon, tout en fréquentant des pensionnats "catholiques" s'imprègne progressivement des thèses de la Réforme. Surtout, selon l'usage du temps, il fait un grand voyage à travers toute l'Europe occidentale ; on le trouve à Heidelberg où il s'inscrit à l'université, en Italie où il étudie les fortifications nouvelles, en Bohême, aux Pays-Bas, en Angleterre. Au total, il est par monts et par vaux pendant quatre ans.

   

3) Le choix de son destin

Duplessis-Mornay vers l'âge de 30 ans, dessin anonyme, parfois attribué à Dubreuil
Duplessis-Mornay vers l'âge de 30 ans, dessin anonyme, parfois attribué à Dubreuil

 Fort de ses nouvelles convictions religieuses, Philippe de Mornay refuse les belles sinécures ecclésiastiques qu'on lui propose. A la différence de la plupart des jeunes gens de son époque, il choisit lui-même son destin : repoussant " le Noir ", il lui reste " le Rouge ", la carrière des armes. Les Guerres de religion sont commencées, il participe à quelques combats et il est blessé. Ses historiographes sont évasifs sur une fracture de la jambe qui lui aurait laissé des séquelles. En tout cas, il embrasse alors la carrière de diplomate et de conseiller politique.
 Ayant échappé au massacre de la Saint-Barthélemy, il entre dans l'entourage du nouveau duc d'Anjou, François d'Alençon, qui tente d'unir le parti des Malcontents avec les Huguenots. Déçu par les manoeuvres tortueuses de "Monsieur", il passe, en 1576, à 26 ans, au service d'Henri de Navarre. C'est alors que sa véritable carrière commence.

   

4) Trois noms

 - Son prénom et patronyme officiels sont :

Etat-civil protestant ( série I ), 23 juillet 1608

  C'est ainsi qu'il signe les actes les plus importants, comme cet acte de baptême ( état civil protestant, I 2 ) et ses ouvrages imprimés. On note Philippes [ écrit avec un "s" final ]. Dans ces milieux marqués par l'humanisme, le prénom "Philippus" ou en grec "Philippos" est rendu par Philippes, signe de masculinité ( le prénom féminin Philippa aboutit à Philippe, qui apparaît parfois dans l'Etat-civil protestant de Saumur, par exemple, en I 4, le 13 février 1600, mariage de Philippe Beloteau, dame de la Grisonnière ).

- Cependant, d'une grande tante maternelle, il a hérité de la petite seigneurie du Plessis-Marly ; la courtoisie voulant qu'on cite un personnage par son titre, il est parfois appelé " Monsieur du Plessis-Marly".

- Dans la pratique, de sa grosse écriture, il signe, modestement en un seul mot, " Duplessis ", les notes qu'il adresse en grand nombre à Henri de Navarre, les brouillons de sa correspondance ou ce billet :

   Signature d'un billet de Duplessis-Mornay

 Dans ses courriers, Henri IV l'appelle " Monsieur Duplessis ". La forme composite " Duplessis-Mornay " est beaucoup plus rare et elle est illogique. C'est cependant celle que la majorité des historiens ont retenue ( sauf Patry, qui n'est pas plus logique en l'appelant " Philippe du Plessis-Mornay " ).
   

5) Charlotte Arbaleste

Adolphe SCHAEFFER, Madame Duplessis-Mornay, née Charlotte Arbaleste, 1854 [ léger - A.M.S., A.br8/531 ].

 Réfugié à Sedan au lendemain de la Saint-Barthélemy, Duplessis-Mornay y rencontre une autre exilée, Charlotte Arbaleste, qu'il épouse en janvier 1576. Intelligente et active, celle-ci sait, à l'occasion être coquette, à la différence de son époux : à Montauban, elle ajoutait des fils d'archal dorés dans sa chevelure, au grand scandale d'un pasteur puritain qui lui refusa la Cène. Huguenote militante et bonne organisatrice, Charlotte Arbaleste est surtout éperdue d'admiration envers son mari, dont elle rédige la biographie, au jour le jour, à l'intention de leur fils.
 Mais elle est de santé fragile, elle se bourre de médicaments et elle ne survit guère à la mort de son unique garçon vivant ; elle décède le 15 mai 1606.

 Charlotte Arbalète avait contracté une première union avec Jean de Pas de Feuquières et en avait une fille. Ce premier époux décède des suites d'un coup de pied de cheval. Les deux familles restent liées et s'entraident. C'est ainsi que naît à Saumur en 1590 un neveu de Charlotte Arbaleste, Manassès de Pas de Feuquières, qui deviendra célèbre comme chef militaire, tué au combat, et comme diplomate, et qui a laissé son nom à la caserne du Château.
    

6) Les Vindiciae contra tyrannos

Réédition par A. JOUANNA, J. PERRIN, M. SOULIÉ, Droz, 1979.
 
 
 
Arlette JOUANNA, Le devoir de révolte, 1989, p. 166.
 
 

 Sous le pseudonyme d'Etienne Junius Brutus paraît à Bâle en 1579 la brochure " Vindiciae contra tyrannos ", qu'on peut traduire par " Réquisitoire contre les tyrans ". L'ouvrage est publié à nouveau en traduction française sous le titre " De la Puissance légitime du Prince sur le peuple, et du peuple sur le Prince ". Ce pamphlet fait beaucoup de bruit.
 Il se présente comme une réponse à Machiavel, mais, malgré son titre français, la question de la représentation élective du peuple n'y est pas évoquée. Il se place dans une optique théocentrique et monarchique : quand un prince viole les lois divines et humaines et se transforme en tyran ( l'allusion au massacre de la Saint-Barthélemy est claire ), le peuple a un devoir de révolte, mais seulement sous la conduite de ses tuteurs que sont les magistrats et les nobles.
 La pensée est contestataire, mais nullement extrémiste ; le tyrannicide, parfois préconisé alors et parfois pratiqué, n'est nullement encouragé dans cet ouvrage...
 Les contemporains ont parfois attribué l'oeuvre à Duplessis-Mornay, qui faisait des mystères à ce sujet. Des études récentes concluent qu'il a été rédigé par le diplomate Hubert Languet, mais Duplessis-Mornay, son ami intime, aurait apporté des corrections, se serait occupé de l'éditer et aurait rédigé la préface de l'édition française, signée C. Superantius ( D. Poton, p. 46-48 ). En tout cas, il se considérait comme co-auteur, puisqu'il avait classé ce traité dans la collection de ses oeuvres personnelles ( Patry, p. 280, note 18 ). En dernier lieu, H. Daussy accorde une « forte probabilité » à une rédaction par Duplessis-Mornay ( p. 241-254 ).
 Dans sa jeunesse, ce dernier appartenait au courant des " monarchomaques ", hostiles à la monarchie absolue, en cours de gestation, et désireux de renforcer le pouvoir du peuple représenté par la petite noblesse. Plus tard, devenu partisan de la prérogative royale, il cherchera à dissimuler cette oeuvre de jeunesse.
   

7) Le conseiller d'Henri de Navarre 

 Avec le titre de conseiller, puis de surintendant, Duplessis-Mornay sert Henri de Navarre dans tous les domaines ; il ne se contente pas de gérer ses finances et ses biens, il lui adresse des notes fréquentes sur les affaires en cours, il rédige une bonne partie de ses proclamations. Il est en outre son ambassadeur itinérant auprès d'Elizabeth en Angleterre, en Flandre auprès de Guillaume le Taciturne et à la cour de France auprès d'Henri III.
 Quand Henri de Navarre passe à l'offensive vers le Nord, c'est encore Duplessis-Mornay qui rédige ses justifications. Quand Henri III décide de se rapprocher de son beau-frère, il lui envoie le frère aîné de Duplessis, ce qui désignait ce dernier pour mener les négociations ( cf. la fin du chapitre 8 ). D'où l'accord, suivi par la récompense de Mornay, le gouvernement de Saumur et de sa Sénéchaussée.