QUARTIER
: Gare - Croix Verte |
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- partie orientale : route de Paris - partie occidentale : route d'Angers |
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1794 : le carrefour aurait été rebaptisé " carrefour des Sans-Culottes " |
1838 : " rue de la Croix-Verte ", pour la partie de la levée sur le territoire de Saumur |
Réduite aujourd'hui à quelques infiltrations dans
les jardins, la boire de la Croix Verte a joué un rôle
historique considérable. Elle se forme à la hauteur
du Chapeau, où l'on voit encore aujourd'hui son départ,
au pied de la levée, sous la forme d'un bras de Loire peu
profond, envasé, d'une largeur réduite à
quelques mètres.
Au XVIe siècle, le seigneur de ces lieux, Gaucher de Sainte-Marthe, sieur du Chapeau, surveille le passage depuis l'échauguette de sa maison forte. Il installe aussi des pêcheries à l'entrée du bras, ce qui engendre de vifs conflits avec les marchands, qui ne peuvent plus passer. Voir l'écho de ces querelles, vues et corrigées par Rabelais.
Ce bras de Loire isole une longue bande de terre découpée en îlots aux contours variables : île du Chapeau, île Neuve, Basse Ile, île d'Or, île Ponneau. Il passe au pied de l'église de Saint-Lambert et rejoint le cours principal de la Loire à la hauteur des dernières maisons du bourg. La vieille levée le longe et en épouse tous les méandres. Voir l'aménagement de la levée à partir du XIIe siècle. Primitivement, les maisons n'étaient construites que sur le flanc nord de la turcie. Certaines demeures, ajoutées postérieurement sur le côté méridional, par exemple dans la rue Bouju de Saint-Lambert, plongent à pic dans l'ancienne boire.
Malgré son étroitesse,
ce bras est souvent emprunté par les gabares, car il offre
des eaux paisibles, sans bancs de sable mobiles et sans courants
capricieux. Il est certain que la navigation y est intense au
XVIIe siècle, époque où on l'appelle aussi
le bras des Marchands et où il est jalonné par de
nombreux petits ports, tous situés sur la rive droite.
D'amont
vers l'aval, nous sont parvenus les noms du port de la Croix-Verte,
du port Saint-Jacques, du port Lambert, du port Pinson et du port
de l'Oie Rouge. En 1646, l'artiste hollandais Lambert Doomer représente
ce bras en premier plan, quand il dessine Saumur à partir
de l'église de Saint-Lambert. La boire de la Croix Verte
a encore l'apparence d'un grand fleuve. A noter que la levée
n'a pas de parapet, ce qui effraie grandement les passagers des
diligences.
Les eaux s'engouffrent de plus en plus dans ce qu'on appelle aujourd'hui le bras principal et la boire de la Croix Verte se rétrécit continuellemnt. Sous le pont, la première arche du côté de la levée est depuis le XVe siècle occupée par le moulin de Gaucher Marie. Ce passage obstrué est appelé " la voie cachée ".
Quelques plans du XVIIIe siècle figurent le bras comme asséché. Cependant, dans leurs grands projets d'urbanisme, de Voglie et Cessart prévoient de l'enjamber par un pont de cinq arches. Malgré ces plans, quand la route de Rouen est construite sous forme de digue, elle sectionne carrément ce qui reste de la boire.
Peu
après, les remblais de la voie ferrée apportent
de nouveaux comblements. Cette vue aérienne de la ville
lithographiée vers 1850 par Noury et Villemin ( avec
quelques approximations ) représente pour la dernière
fois un bras de la Croix Verte encore majestueux, mais marque
les étapes de sa disparition. Le nouveau chemin de fer
le coupe en amont et rejoint la gare en construction, après
être passé sous un pont routier. Plus à gauche,
la route de Rouen est bordée d'arbres. Mais au milieu,
le vieux pont de la Croix Verte, réduit à cinq arches,
est toujours debout, assurant désormais une liaison de
quartier.
En 1815, les Prussiens victorieux s'implantent pendant six semaines à la Croix Verte. La boire sert de frontière. Les livraisons obligatoires de nourriture à ces troupes d'occupation se font par le pont de la Croix Verte, qui est coupé par une barricade en bois, traversée par une porte.
Etroit, mais solidement bâti en
pierre, le pont de la Croix Verte enjambe la boire et forme l'élément
septentrional de l'ancienne traversée de la ville. Selon
toute vraisemblance, il existe depuis le XIIe siècle, et
au plus tard en 1162. Voir les explications
sur les ponts au XIIe siècle. Son existence est formellement
attestée dans un texte de 1276, par lequel Charles 1er
d'Anjou nomme Eudes Bili comme garde de la bastille.
En effet, au-dessus de la troisième arche en partant du
nord a été élevée une grosse tour,
accrochée sur des piles allongées vers l'aval. Cette
bastille, bien située, contrôle l'entrée septentrionale
de la ville. Son emplacement est identifiable sur cette photographie
prise par le commandant Rolle. Les avancées du parapet,
à gauche, correspondent aux deux grosses piles.
Cette zone est très convoitée par les grands de la région ; le quartier de la Croix Verte appartient d'abord à l'abbaye de Saint-Florent, puis il passe dans la seigneurie de l'abbaye de Fontevraud.
Au
temps des guerres de Religion, les ponts de Saumur redeviennent
un passage stratégique de première importance. La
bastille est renforcée et encadrée par deux ponts-levis.
Un capitaine en assure la garde permanente. En raison de cette
fonction essentielle, le vieux pont est parfois appelé
" pont de la Bastille ".
Duplessis-Mornay, dans les années 1615-1616, fait entourer tout le quartier de la Croix Verte par une solide enceinte, munie de trois portes et bordée par des fossés. Le but de ces importants travaux est de contrôler le passage sur la levée. Le plan ci-contre, est orienté vers l'Ouest ; l'île Neuve y apparaît comme anormalement réduite. Explications dans le dossier sur les nouvelles fortifications urbaines.
En 1621, lorsque Louis XIII décide de destituer Duplessis-Mornay, son premier acte est de faire occuper la Croix Verte par six compagnies de sa garde. En 1623, les fortifications de la Croix Verte sont totalement rasées. Je suppose que la bastille est également démantelée à cette époque. En tout cas, en 1665, les ponts-levis sont transformés en arches de pierre.
Malgré son étroitesse ( deux charettes ne peuvent s'y croiser ) le vieux pont médiéval à refuges continue de rendre de loyaux services jusqu'à l'achèvement de la nouvelle traversée.
Il
est ensuite laissé à l'abandon, mais souvent photographié
comme une curiosité. Voici en complément deux de
ces photos. Sur la photo de gauche apparaît la cheminée
de l'usine Balme. La photo de droite semble prise vers le nord,
côté aval. Au fond apparaissent les restes des bâtiments
des hôtelleries du Grand Saint Christophe et de la Croix
Verte.
Sur le cadastre de 1812, le pont est baptisé " pont des Sept-Voies ", à la suite d'une confusion, je suppose.
Les services des Ponts et Chaussées
en dressent, en 1855, le beau plan ci-contre, orienté vers
le Sud ( A.D.M.L., 121 S 86 ). Le sieur Fraimbault, avait
demandé l'autorisation de restaurer deux petites maisons
perchées sur les anciennes piles de la bastille. Les services
accordent l'autorisation, mais ils diligentent une enquête
sur la fréquentation de ce pont, qui s'avère extrêmement
faible.
Les deux premières arches du côté nord
sont presque comblées et envahies par les maisons et par
un petit port. A remarquer aussi la vaste maison du Gratigny,
ou Gratigné, située un peu à l'écart,
en haut, à gauche. Des témoignages d'anciens du
quartier, comme Guy Bahuault, la décrivent comme une maison
à colombages, d'un niveau très bas et souvent inondée.
Encadré en 1944 par les bombes qui détruisent les maisons anciennes situées à ses deux extrémités, le vieux pont est transformé en levée, mais des arches subsisteraient sous les remblais.
La poste aux lettres, installée
près de la porte de Fenet, est une structure légère :
un bureau et quelques cavaliers transportant le courrier à
brides abattues. La poste aux chevaux est au contraire une énorme
entreprise, employant et logeant un important personnel, regroupant
un nombre élevé de chevaux et de véhicules,
assurant un service de poste et de messagerie vers les villes
de la région, nourrissant et couchant les voyageurs, faisant
naître trois hôtelleries voisines.
Depuis l'établissement de la grande route de poste
de Blois à Nantes, sans doute depuis Louis XI, le relais
est constamment implanté à la Croix Verte. En 1584,
il est tenu par Jacques Guinot ( ouvrage de référence :
A hue et à dia. Histoire des relais et routes de Poste
en Anjou ( XVIe-XIXe ), s.d. Georges Bodet, Cheminements,
2005 ). Abraham Gölnitz dans son petit guide touristique,
l'Ulysses belgico-gallicus, paru en 1631, recommande son
vin, qui « biduum nos habuit hilares... in diversorio
à la Croix Verde - pendant deux jours nous a tenus
joyeux... dans l'hôtellerie " A la Croix Verde " ».
Le relais est, bien sûr, porté sur la carte de Tavernier
en 1663.
Il est constamment situé à la sortie du pont.
Jusque vers la fin du XVIIIe siècle, il est implanté
dans l'hôtellerie de la Croix Verte, un logis pansu à
colombages implanté à l'angle sud-ouest du carrefour.
Georges Bodet ( p. 133-134 ) en donne une descripion
détaillée d'après un inventaire de novembre
1763, dressé après le décès de Françoise
Lemoine, veuve de Jacques Charton. Outre une cuisine et la grande
salle, l'hôtellerie comporte six chambres à plusieurs
lits, toutes tapissées, la plus luxueuse étant la
chambre du roy. Les dépendances sont vastes : une
boulangerie, une cave sous la grande salle, des greniers, un jardin,
une cour commune avec le "Grand Saint-Christophe", plusieurs
écuries ( pour les 14 chevaux ), des remises
et des granges, qui s'étendent jusqu'à la boire
et, je crois, dans l'actuelle impasse
du Petit-Caporal. La poste aux chevaux est toujours à
cet emplacement vers 1768, sur le plan des A.M.S., CC 6,
n° 82. Elle aurait brûlé en 1769, selon
L. Rolle ( S.L.S.A.S., juillet 1912, p. 23-27 ).
Il est certain qu'un nouveau bâtiment, parfois appelé
" la Grande Croix Verte ", est bâti
à la fin du siècle de l'autre côté
de la rue, à l'angle S.E. du carrefour. Sur cette photo
prise peu avant 1944, on voit, à gauche, les dépendances
du Grand Saint-Christophe et de l'hôtellerie de la Croix
Verte, puis le pont côté aval, et, à sa sortie
droite, le nouveau bâtiment.
Voici une meilleure vue de cet élégant bâtiment ( écrasé par les bombes en 1944 ) :
A partir d'éléments fragmentaires,
il est possible de reconstituer les dynasties récentes
de maîtres de poste.
- Henry Dupin, depuis 1780 jusqu'en 1793, où il est guillotiné à Paris
pour avoir aidé les Vendéens.
- Jacques Gousson, qui emploie 4 postillons et 21 chevaux en 1794,
et qui exerce jusqu'en 1802.
- René Maunay, de 1802 à son décès
en 1815.
- Pineau, puis les époux Beaudoin, résistent efficacement
à la concurrence des bateaux à vapeur et dirigent
d'importants circuits. Voir compléments au début
du chapitre 33. Le chemin de fer et la nouvelle gare portent
un coup fatal à la poste aux chevaux, qui vivote et qui
est officiellement fernée le 15 janvier 1872.
De prime abord, la cause est entendue
: il y avait au coeur du quartier une " hôtellerie
de la Croix Verte ". Cet établissement aurait
donné son nom à la rue et au quartier, comme c'est
souvent le cas.
Quand on examine de près les documents d'époque,
ces désignations passent par des détours bien plus
complexes. C'est l'auberge qui a repris le nom du quartier, qui
apparaît antérieurement, mais sous une forme différente.
L'appellation " Croix Vert
" ou " Croix Verd " figure dans des comptes
de 1575, dans la correspondance de Duplessis-Mornay, sur la carte
de Mercator et sur les nombreuses cartes qui la copient, dans
des baux de Saint-Florent en 1684 ( A.D.M.L., H 2 129 )
et encore sur la carte de Cassini à la fin du XVIIIe siècle.
Cette formulation, qui ne considère pas " Vert "
comme un adjectif, est d'une trop grande constance pour être
considérée comme une erreur.
Comme pour la Croix Gourdon, toute proche, ou la Croix Duvigneau,
je crois qu'il faut partir d'une croix de carrefour baptisée
la " croix de la famille Vert ". On trouve
précisément dans les quartier une famille " de
Ver ", qui, anoblie, possédait la seigneurie
du Chapeau.
Avec l'usure du temps, cette juxtaposition de deux noms
paraît illogique et, tout naturellement, la nouvelle auberge
en fait un adjectif. A ma connaissance, celle-ci apparaît
pour la première fois en 1631 dans le guide d'Abraham Gölnitz,
Ulysses belgico-gallicus. La forme " Croix Verte ",
très répandue en France, supplante progressivement
les tournures anciennes.
Dans l'ancienne structure paroissiale, les quartiers de la Croix Verte et de l'Ile Neuve appartiennent à Saint-Lambert-des-Levées. Dans la pratique, prolongeant la traversée urbaine, ces quartiers entretiennent des rapports structurels avec la ville ; le capitaine de la Bastille dépend directement du château de Saumur. Pour ces raisons, au XVIe siècle, des délégués de ces deux quartiers assistent aux assemblées générales des habitants de Saumur ( voir les étapes de l'organisation municipale au chapitre 7 ). A l'inverse, en 1685, les habitants de la Croix Verte prennent leurs distances en refusant de participer à la taxe sur le bois, le foin et l'avoine, que voulait leur imposer la ville de Saumur ( A.M.S., 1 Z 254 ).
Nouveau revirement en 1758 : quand le tarif est mis en place, les habitants de la Croix Verte et de l'Ile Neuve y adhèrent, quittant alors le système des tailles de Saint-Lambert et formant alors une enclave dans l'ancienne paroisse rurale. Considérés comme des dissidents, ces mêmes habitants, en janvier 1790, sont exclus de l'assemblée électorale de Saint-Lambert. Ils sont autorisés à se constituer en commune et se réunissent dans la chapelle Saint-Jacques, mais dès le 2 mars 1790, ils demandent leur rattachement à Saumur. Voir la constitution de la commune de Saumur.
N° actuel |
CURIOSITÉS |
Sur la partie orientale du territoire de Saint-Lambert - la levée s'appelle la " rue du Gros-Caillou " ( un menhir ? ). Dans la première moitié
de la rue - Sur le côté pair, le côté
sud, quelques maisons ont échappé aux
grands bombardements de juin 1944. Le côté impair
est entièrement reconstruit en maisons individuelles dans
le cadre du plan
de reconstruction. Après le débouché de la rue l'Ile Neuve, constituant le prolongement de l'ancien pont - Une maison reconstruite, aujourd'hui boulangerie, a succédé à l'hôtellerie de la Croix Verte, qui était devenue le relais de la poste aux chevaux jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. C'est vraisemblablement ce carrefour que figure le dessin ci-contre de Mme Andrée Benon, remontant à l'avant-guerre. Le commandant Rolle voyait en 1912 des traces de croix verte peinte sur le torchis. L'hôtellerie, qui devait comprendre une enfilade de bâtiments et de cours, serait devenue " la Boule Verte " sous la Révolution. Elle est fermée en 1926.
.
58 - Maison de la fin du XIXe siècle, qui a survécu aux bombes.
Débouché de l'ancienne rue Juive - Voir les Juifs à Saumur au Moyen Age. Rue fâcheusement rebaptisée impasse de la Croix-Verte.
37 - Partie survivante de l'hôtellerie du Grand Saint Christophe, façade du XVIIe, retouchée au siècle suivant. Cette hôtellerie était mitoyenne de " la Croix Verte " et devait s'étendre le long des cours en arrière.
51 - En forte avancée, cette grosse maison en triste état, remontant aux 15e-17e siècles, témoigne de l'étroitesse de la rue ancienne. 62 à 80 - Quelques
maisons anciennes, très retouchées et difficiles
à interpréter. |