Une mode récente, apparue dans
la presse et reprise par les services municipaux, appelle ce quartier
" le Fenet ", ce qui me semble contraire à
l'histoire et à la logique. Certains pensent qu'il s'agit
d'une élision signifiant « le [ quartier
de ] Fenet », mais on ne dit pas " le Nantilly "
" le Saint-Nicolas ". Pendant neuf siècles,
« Fenet » est cité sans article et
sans accent circonflexe, exceptionnellement toutefois sous la
forme " en Fenet ".
Sur la présence de l'article devant un toponyme,
les règles sont plutôt complexes. Par exemple, Grevisse
pose que les îles prennent l'article si elles sont grandes,
comme la Corse ou la Sardaigne, mais s'en passent si elles sont
petites, comme Chypre ou Malte... Voici le bon usage que j'observe
à Saumur : Nantilly, Beaulieu, Grenelle, Millocheau,
Dampierre ...et Fenet apparaissent d'emblée comme des noms
propres et ne sont pas précédés d'article.
A l'inverse, certains quartiers tirent leur nom d'un objet topographique
bien identifié, qui devient progressivement un nom propre
; ils sont alors précédés d'un article, comme
les Ponts, les Moulins, la Croix Verte, le Puits Neuf, la Maremaillette
et aussi, je crois, le Chardonnet et la Bilange.
L'accent circonflexe se justifierait par une ancienne forme
" Fenest ", que je n'ai jamais rencontrée.
La seule variante observée est " Fenette ", employée
par exemple dans une lettre de Choiseul. Elle correspond à
une prononciation à l'angevine, en mettant l'accent sur
le "t" final, qu'on ne peut éliminer des recherches
toponymiques.
C'est la forme " rue de Fenet " qui
est usuelle et qu'on voit par exemple peinte sur le tuffeau en
1838-1839. Il est vrai que les dénominations évoluent,
que, par exemple, " la place de la Bilange "
devient souvent " place Bilange ". Mais pour l'instant,
je ne vois aucune raison de rompre avec un usage multiséculaire
et logique.
- Dans une énumération de domaines situés sur les bords de la Loire, Charles le Chauve en 845 cite la « villa Fano ». A la grande rigueur ( C. Port l'admettait ), cette dénomination pourrait correspondre à une transposition du mot " Fenet ". Auquel cas, il viendrait de « Fanum - lieu consacré, petit temple » pour les gallo-romains. Cependant, le toponyme, privé de son "t" final, est sérieusement déformé.
- Au bas d'un acte concernant le moulin à
cuivre de Distré, apparaît la signature de Joscelin
de Fenet : « Signum Goscelini de Fenet »
( Livre Blanc de l'abbaye de Saint-Florent, n° 89
). Cette charte peut être datée des environs de 1040
et elle atteste de l'ancienneté du premier bourg de Fenet,
presque qu'aussi ancien que le bourg de Saumur. Cette fois, la
présence du "t" final invite à se tourner
vers un terme assez rare du bas-latin, « fenetum -
le foin, le grenier ».
Cette dernière explication me paraît plus solide
que la précédente, sans être pleinement satisfaisante.
Ce premier faubourg, remontant au XIe
siècle, est situé au-dessous de la Montée
du Petit-Genève. De forme à peu près carrée,
comme il apparaît sur ce plan des années 1750, il
comprend les maisons du fond de la place Saint-Michel et s'étend
jusqu'à l'actuelle rue du Relais et même jusqu'à
la rue des Trois-Marchands, aujourd'hui fermée.
Des aveux des XVe-XVIIe siècles ( A.D.M.L., C 271
) nous renseignent sur les nombreuses activités de ce petit
centre animé. Il comprend les Ecuries du Roi, recevant
les chevaux et leurs écuyers, servant également
de poste. Elles donnaient sur l'actuelle rue Raspail. Le roi René
les aliène. Elles appartiennent à René Apvril
en 1654 ( A.D.M.L., C 278 ). Mais ce quartier accueille au
XVIIIe siècle la poste aux lettres.
Quatre hôtelleries y sont implantées :
" Saint-Michel " ; " la Gerbe "
ou " la Gerbe d'Or " ( au XVIII ème
seulement ) ; " les Trois Mores " et " les
Trois Marchands ", établissements voisins, dont
l'un s'est d'abord appelé " les Trois Rois ".
Dans ce quartier actif, bien desservi par le port Saint-Michel,
fonctionne aussi une tannerie, qui appartient à la famille
Fougeau.
Le quartier suivant, déjà plus étiré, s'étend jusqu'à l'actuelle rue de la Croix du Vigneau. Bâti à partir des 15e et 16e siècles, il se consacre en particulier au travail des métaux, surtout du cuivre et du bronze, produisant des cloches et des poêles ( cf. les allusions de Rabelais ). De belles maisons à tourelles d'escalier attestent de la prospérité de certaines familles.
A partir de 1770, la famille Mayaud y installe son négoce, sa fabrique artisanale d'objets de piété, puis les ateliers animés par une machine à vapeur.
A
gauche, les bâtiments de la maison Mayaud, construits dans
le style XVIII ème, en partie au siècle suivant.
A droite, la manufacture de la place Allain-Targé ( 19-20e siècle ) - ateliers de montage et pendant un temps musée des patenôtriers.
En arrière, la cheminée de la machine à vapeur de la rue Jean-Jaurès, surmontée par le chalet perché sur le coteau ( l'une et l'autre aujourd'hui disparus ).
5) La grande rue du pèlerinage
bâtie sur ses deux côtés
Cette rue n'était qu'un chemin rural quand le pèlerinage des Ardilliers a pris son essor, à partir du XVIe siècle. L'étroit passage entre les éboulis du coteau et la Loire est consolidé par un quai construit par les administrateurs de la chapelle en 1556. Au siècle suivant, le quartier passe sous la tutelle des pères de l'Oratoire, qui lancent des campagnes de construction. Sur les deux côtés de la rue poussent des maisons où les patenôtriers fabriquent et vendent des objets de piété, maisons en général modestes, identifiables par les arcatures de leurs boutiques.
6) Les maisons adossées au coteau
Plus près de la chapelle et passée
la coupure de la rue d'Anjou, les maisons, en général
hautes et bien alignées, ne sont plus construites qu'au
pied du coteau. Remontant à la fin du XVIe siècle
ou aux quarante premières années du XVIIe siècle,
ces maisons de la rue Rabelais servaient d'hôtelleries ou
appartenaient à des maîtres marchands.
Voir le dossier consacré à l'essor
de Fenet avec deux gravures représentant ce quartier.
De la montée du Petit-Genève
aux jardins de la Maison de l'Oratoire, le quartier est dominé
par l'ensemble troglodytique le plus important de Saumur.
Dans la cour de l'hôtel de la Gerbe, une petite habitation
totalement souterraine attirait l'attention des artistes hollandais
Doomer et Schellinks en 1646. Elle est dans le même état
aujourd'hui.
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par Doomer |
par Schellinks |
aujourd'hui |
L'habitat est plus souvent semi-troglodytique. Sur la photo ci-contre, les chambres en arrière étaient creusées dans le tuffeau, mais des maisons à deux étages s'élevaient en avant.
A mesure qu'on se rapproche des Ardilliers, les ensembles troglodytes se développent autour de deux sentiers qui se faufilent dans le rocher jusqu'à la rue des Moulins : la montée du Coteau-Charier et la montée du Bois-Doré. Ces lieux, truffés de galeries, sont les plus fragiles de la falaise. Deux fondis, deux écroulements spectaculaires s'y produisent, l'un en 1622 écrase la Lamproie ( une auberge ) et fait 40 victimes, l'autre en 1703 écrase la maison de Jeanne Delanoue et fait une victime.
Aujourd'hui, cette partie du rocher reste menaçante. Tout l'habitat a disparu et la zone est interdite d'accès.
La construction du grand quai bordant
la Loire est une étape capitale dans l'aménagement
de ce quartier. Les travaux, commencés en 1784, s'arrêtaient
à la place de la République lors du début
de la Révolution. Ils sont poursuivis par petites tranches
: sur le cadastre de 1812 ( ci-dessus, orienté vers
le nord ), ils atteignent la hauteur de l'actuelle rue du Général-Bontemps,
où ils stoppent brusquement. Au-delà, un chemin
de rive de plus en plus étroit ne permet guère la
circulation ( il est la préfiguration de l'actuelle rue du Bellay ).
De gros chantiers sont repris peu après et achevés
vers 1828 ( voir travaux
urbains de 1814 à 1834 ). Cependant, le " quai
de Limoges " n'est totalement terminé qu'en 1838,
après son pavage ( A.M.S., O 32 ). Un vaste
ensemble triangulaire gagné sur le fleuve est alors remblayé
et bâti.
9) Vers 1910
Cette carte postale figure l'ouest du quartier vers 1910, avant les bouleversements récents. On identifie, à partir de la gauche, la cheminée de la maison Mayaud, surmontée par le chalet et plus à droite par les anciens moulins. En avant, la Maison d'Arrêt, en forme de croix grecque, et le Palais de Justice. En arrière de ce dernier, les premières maisons de la rue Jean-Jaurès et la montée du Petit-Genève. En bas, à droite, les bâtiments à cour occupaient l'emplacement de la place Sainte-Jeanne-Delanoue. Au-dessus, la chapelle du cours Dacier.
10) Vers 1950
Sur cette photo aérienne prise vers 1950, les changements sont minimes. C'est depuis que ce quartier a été bouleversé : destruction de la cheminée Mayaud, de l'ancienne prison, écroulement du rempart et écrasement des maisons placées au-dessous, suppression du cours Dacier...
11) Bibliographie
Eric CRON, « Le Fenêt à Saumur : un faubourg sous contrôle oratorien », 303, n° 73, p. 34-45.
Importants compléments en Quai Mayaud